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Traversées christiques - Page 25

  • La politique et le prince du mensonge (2)

    (suite du poste précédent)

     

    Si on veut maintenir l’unité de la classe ouvrière, il ne faut pas faire de politique disaient Merrheim, Griffuelhes, Pelloutier. Et ils avaient senti exactement la nature de la politique, on ne les a pas entendus, et on a vu ce qui est arrivé. Les hommes politiques qui se présentent comme des rassembleurs font rire! Ils sont rassembleurs d’un groupe à condition d’approfondir le fossé qui le sépare de tout le reste de la nation, de même que la politique ne rassemble la nation (Union nationale) que dans la mesure où elle engage cette nation dans une guerre mortelle avec un autre pays. C’est même un moyen connu, admis, sans problème que la guerre pour unir le pays! La politique ne crée rien, et surtout pas la rencontre vraie, l’union des êtres, la marche en avant d’une société, fondamentalement unie et humainement décisionnelle et responsable. Elle ne produit que la division, le conflit en soi, rigoureusement inutiles, fondés sur rien, absurdes. Car lorsqu’un demi-siècle plus tard on regarde les divisions qui opposaient dans une haine farouche les adversaires politiques, on reste toujours stupéfait de la vanité, de la stupidité des motifs de division et de haine, comme en général des motifs de guerre. C’était donc pour cela que ces gens s’égorgeaient, se massacraient ? Nous ne serions pas si bêtes ! Mais ce que nous ne voyons pas, c’est que, avec d’autres objectifs, d’autres motifs nous faisons exactement la même chose ! Et nos motifs politiques de combat paraîtront aussi imbéciles à nos petits-fils. C’est le fait de la politique. Qui induit, séduit, provoque, engage les gens dans des conflits délirants. C’est elle qui nous fait prendre avec un sérieux absolu la «cause» qu’il faut défendre, ou la doctrine, les opinions, contre celles des autres. C’est elle qui fait que nous nous dressons pour des motifs superficiellement idéologiques contre nos frères. Et c’est au nom de ces stupidités, qu’elle provoque les grands massacres. Au nom de la mise en culture de la Sibérie, le goulag. Au nom d’une inutile production intensive de riz, Pol Pot massacre un tiers de son peuple, au nom du prestige politique la France envahit un quart du monde... Solennelles, grandiloquentes proclamations politiques ne produisant en fait, en profondeur que massacres et divisions, Mais dans l’instant, on y croit. On y croit les yeux fermés. La politique rend aveugle, totalement. Elle invente toutes les idéologies en même temps meurtrières et mobilisatrices. Elle provoque des conflits irréversibles. Un exemple simplifié: il y avait depuis le Moyen Age des communautés coexistantes, les Druzes et les Maronites, opposées sur tous les points, mais étant arrivées par le contact quotidien, par la pratique, par la connaissance humaine à un modus vivendi satisfaisant. Et puis voilà que la politique s’en mêle. La politique anglaise qui concurrence et veut mettre en échec la politique française. Et les Russes, et les Autrichiens. Chacun intervenant, soi-disant pour protéger telle ou telle communauté qui n’en avait nul besoin. Et voici qu’à partir du moment où la politique se saisit des relations des communautés. celles-ci sont rompues, les Druzes massacrent les Maronites, pour la première fois, et ceux-ci répondent. Et depuis 1840 cela n’a plus cessé. L’éclatement atroce du Liban est le fruit immédiat de l’entrée de la politique dans les relations humaines.

                                                                            Jacques  Ellul

  • La politique et le prince du mensonge 1

    Dans cette période entre les deux tours des élections présidentielles j'ai trouvé intéressant de relire avec vous quelques textes de Jacques Ellul sur la politique. Avec Ellul c'est toujours "décapant". Il y aura chaque jour, jusqu'au dimanche du second tour (dans huit jours) une série de textes.

     

    La politique est diabolique. Le diable, le diabolos, c’est étymologiquement celui qui divise, qui sépare, qui désunit, qui rompt la communion, qui provoque le divorce, qui brise le dialogue. Le diable biblique, c’est celui qui a provoqué la rupture entre l’homme et Dieu, qui a utilisé des moyens multiples pour amener l’homme (dans la Genèse) à briser la communion qui caractérisait le rapport du Créateur et de la Création. Il a agi sur des tendances parfaitement naturelles et saines de l’homme: Dieu a créé celui-ci libre et il l’a chargé de diriger, de soumettre la création. Le diable induit de là l’homme à se déclarer indépendant à l’égard de Dieu, et à se vouloir autonome envers sa volonté. Et de même, il transforme le pouvoir donné par Dieu en volonté de puissance et de domination. Cette utilisation et cette déviation est typique de l’action diabolique qui transforme l’oeuvre de Dieu en son inverse, en prétendant l’accomplir. Et c’est aussi bien le passage de la politique, idéale, idéaliste, morale et communautaire en cette politique réelle que j’évoquais plus haut. Pour procéder à ce retournement, le diable agit, bibliquement par la séduction (Eve regarde «l’arbre », et voit de toute évidence qu’il est beau, bon, agréable, intelligent...) et par ce que l’on appelle souvent le mensonge (le diable, prince du mensonge) mais qui est plutôt l’utilisation de la vérité pour produire des effets inverses de ceux de la vérité. Ainsi dans le dialogue entre Eve et le Diable, celui-ci ne ment pas: il annonce bien qu’ils seront comme des dieux, décidant le bien et le mal, et qu’ils ne mourront pas. Mais il séduit en opérant un glissement de sens et de valeurs. La réalité devient vérité. Et la réalité place l’homme dans une situation différente de celle qu’il avait imaginée ou espérée au travers des miroitements et des réfractions multiples de la séduction diabolique.
    Or, aujourd’hui, concrètement dans nos sociétés, qu’est-ce qui est le prince du mensonge ? La politique, et j’irai jusqu’à dire seule la politique. La France est divisée en deux blocs, absurdement, car nous savons bien en effet que l’un et l’autre sont à très peu de choses interchangeables, et que c’est réellement bonnet blanc et blanc bonnet. Mais ce nonobstant la France est divisée. Il y a des vaincus et des vainqueurs, par étiquette politique. Rien d’autre qu’étiquettes! Il y a impérialisme blanc et rouge, prêts à se faire la guerre. Et qu’est-ce qui pousse les peuples, qui en général n’en ont pas l’idée spontanée, droit à la guerre: la politique. Qu’est-ce qui amène des gars du Texas à aller tuer des Vietnamiens ? Et des gars d’Estonie à aller tuer des Afghans ? La politique seule, qui prétend représenter l’intérêt général, les intérêts collectifs, la patrie et tout le tintouin. Il y a bien sûr, de toute évidence des groupes et des clans qui ne s’entendent pas, et des tribus et des familles, et des corporations qui sont hostiles les unes aux autres, cela ne tire pas à grande conséquence, au pire, des vendettas. Mais quand ces intérêts locaux sont pris en main par la politique, alors ils deviennent représentatifs de l’intérêt général ! Alors on passe aux drames collectifs où les innocents paient pour les coupables. Et en vain on parlerait des intérêts économiques qui sont plus fondamentaux: sans la structure, la stratégie, les appareils, les idéologies, tous politiques, les intérêts économiques ne sont rien et ne changeraient pas grand-chose. C’est la politique qui conquiert (je veux bien au profit de l’économique) les colonies et les marchés, c’est la politique qui mobilise les hommes pour des guerres rendues inévitables par les intérêts économiques. Et ce n’est pas toujours exact que la politique soit mue par l’économique, mais même ainsi, c’est elle qui est le diviseur par excellence: c’est la politique (et non l’économique, comme on le croit trop souvent!) qui est productrice de la division en classes, et qui organise la lutte de classes. Voyez l’incroyable difficulté des partisans à sortir de la politique. Les syndicats y sont inévitablement ramenés. Et lorsqu’une pensée ouvrière se veut à la fois révolutionnaire et hostile à la politique, comme fut l’anarcho-syndicalisme, elle ne réussit pas et ne peut durer longtemps. « Les progrès » du socialisme se font par la voie politique et non par la lutte des classes économiques. Et les anarcho-syndicalistes condamnant la politique avaient parfaitement vu ce caractère de diviseur quand ils affirmaient que le syndicalisme ne doit pas entrer dans la voie politique, parce que celle-ci ne produit que des divisions, et qu’elle entraînerait inévitablement l’éclatement de la classe ouvrière en «tendances» diverses.

                                                                                                       A suivre...(demain)

                                                       Jacques ELLUL

  • La peur de Pierre et la nôtre

    "Eloigne toi de moi Seigneur, parce que je suis un pécheur." Il dit ainsi parce qu'une sorte d'épouvante s'est emparée de lui [l'apôtre Pierre] au spectacle de la pêche miraculeuse. Dieu ne s'est pas présenté à lui dans un appareil bien terrifiant. Il y a mis toute la discrétion possible et toute la bonté possible. Pendant toute la nuit, Pierre a travaillé en vain et, comme sur un conseil d'ami, au petit jour il se décide à éloigner sa barque davantage encore, dans l'espoir, une dernière fois, de prendre quelque chose et, ce qui se passe est tellement saisissant que Pierre prend peur. Devant cette puissance de Dieu mise à son service, il comprend que Dieu est là. Et il a peur. Rapprochons cette parole de Pierre : " Eloigne toi de moi parce que je suis un pécheur" de cette parole du Christ  évoquée d'une manière magnifique : "Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs" et je suis prêt à négliger en apparence, à laisser dans le désert les 99 brebis qui n'ont pas besoin de se convertir pour aller chercher dans les broussailles, dans les épines du monde celle qui a péché et qui, par son péché, s'est mise dans l'impossibilité de revenir au bercail si je ne vais pas la chercher moi-même. Le Christ pourrait donc répondre à Pierre : mais c'est justement parce que tu es un pécheur que je suis là. Loin de justifier une fuite de ma part, ou la tienne, cette qualité de pécheur est justement le titre au nom duquel nous devons nous rencontrer, au nom duquel nous devons parler ensemble. Et justement à cause de cela que je te demande de supporter ma présence qui te fait peur. Et c'est normal. Je voudrais que beaucoup de personnes qui disent avoir confiance en la miséricorde de Dieu fassent un petit peu cette expérience de Pierre. Il y a des gens qui déclarent qu'ils ne craignent pas Dieu, qui font confiance en sa miséricorde, moyennant quoi ils ne sont pas pressés de faire quelque chose pour le trouver, pour le rencontrer, pour lui plaire. moyennant quoi ils se rassurent et, ils vont quelques fois déclarant qu'ils ne croient pas à l'enfer, que ce n'est pas possible, parce que Dieu est trop bon. Je ne discute pas ce point. Je dis seulement que cette conviction dans laquelle ils sont peut-être de pouvoir se rassurer, de ne pas s'inquiéter :  cette conviction ne repose pas dans une vraie confiance en la miséricorde. Car, je pense que ces personnes  si elles se trouvaient brusquement en présence du Christ, comprendraient brusquement, comme Pierre, qu'elles ont peur.

    Et justement, elles se servent de cette soi-disant confiance en la miséricorde pour fuir cette mise en présence du Christ avec ce qu'elle comporte en effet de redoutable pour quelqu'un qui saisit brusquement que le Christ et lui, que Dieu et lui ne sont pas du même monde, que ça ne peut pas marcher ensemble . Ce n'est pas un raisonnement qui peut faire comprendre cela. C'est une mise en présence. Et une mise en présence de la bonté de Dieu. Que Dieu fasse pour nous un miracle un peu plus saisissant, quoique discret, et qu'il nous fasse sentir qu'il n'est pas loin et nous avons peur. Et cette peur est fondée sur une découverte d'une grande vérité et sur une immense ignorance.

    La découverte d'une grande vérité en face de laquelle nous nous aveuglons volontiers et volontairement à savoir, qu'entre Dieu et nous, il n'y a rien de commun et que nous ne pouvons pas supporter le contact de Dieu.  Que nous voulions profiter de sa miséricore : oui mais pas pour être mis en contact avec Lui ! Profiter de sa miséricorde pour être tranquille, pour qu'Il ne nous juge pas, c'est un père trop bon pour nous faire du mal, voilà ce que nous pensons !

    Mais nous n'allons pas jusqu'à imaginer et nous restons inconscients à l'égard des paroles que l'Eglise et l'Evangile nous enseignent. Nous n'allons pas jusqu'à imaginer que Dieu puisse désirer faire commerce avec nous, entrer en intimité avec nous.  Et si nous imaginions cela alors nous aurions peur. (...) et quand nous comprenons cela alors, avec notre soi-diant confiance dans la miséricode, nous avons peur, parce que nous comprenons que ce ne peut pas se faire. "Eloigne-toi de moi, pécheur..." non, ce n'est pas possible, tu ne peux pas t'approcher de moi tel que je suis, parce que je suis un pécheur.

    Pierre découvre une grande vérité, à savoir qu'il n'est pas prêt à soutenir le regard de Dieu. Mais il commet une grande erreur que nous connaissons tous et qui consiste à s'imaginer qu'il faut d'abord s'éloigner de Dieu, de ne pas se rapprocher trop et d'essayer de se faire une toilette de façon à ce que, autant que possible le choc entre la lumière de Dieu et notre misère n'aie pas lieu. Si on pouvait "arranger les choses" et c'est ça que nous appelons "nous préparer" à la mort. Et là nous commettons une grande erreur avec Pierre : nous imaginons Dieu à notre image. Cette vérité là que Dieu n'est pas comme nous, c'est cette vérité là qui devrait faire la base de notre espérance ! Parce que justement nous nous sommes durs, mais Dieu n'est pas dur. Nous nous sommes mauvais mais Dieu est bon. Et c'est justement parce que Dieu est bon que Lui peut soutenir le choc de cette rencontre avec notre péché. Et si nous voulons nous préparer à mourir, si nous voulons modifier notre conduite et notre être profond : il ne faut pas attendre pour cela, il ne faut pas attendre de rencontrer Dieu plus tard, il faut tout de suite se précipiter vers la miséricorde de Dieu. Pour que la miséricorde de Dieu nous apprenne à supporter le contact avec Dieu. Ce qu'il nous demande c'est d'avoir le courage de  venir tout de suite, tels que nous sommes, sans faire aucune toilette, c'est-à-dire dans la vérité. Sans chercher à nous dissimuler et à dissimuler ce qu'il y a de plus laid en nous. Il y a bien des personnes qui se présentent au confessionnal mais qui ne trouvent pas de péché ! Ou si peu ! Et qui supportent si mal qu'on porte le regard sur tel ou tel domaine de leur vie qui n'est peut être pas tout à fait au point. Parce que des fois, ça les obligerait à prendre conscience qu'elles sont des pécheurs. De ces personnes qui se présentent comme des bons chrétiens, pas des chrétiens d'élite, nous sommes de pauvres gens, nous ne sommes pas très vertueux, nous ne sommes pas très fervents,  mais enfin il n'y a pas grand chose à nous reprocher. Eh bien ces personnes-là si elles étaient mises en présence de la bonté du Christ à travers un miracle comme celui de la pêche miraculeuse, brusquement un cri tressaillirait du fond de leur être : je suis pécheur !! Et c'est ce cri qu'elles n'ont pas envie de pousser sur la terre. C'est ce cri qu'elles veulent éviter d'avoir à sortir de leur coeur. alors elles passent à côté de la miséricorde de Dieu.

    C'est cette expérience-là qu'il faut accepter de faire. Nous discutons, nous analysons beaucoup notre conduite mais qu'est-ce qui se passerait si brusquement on Le voyait, si on Le sentait : ah nous ne discuterions plus. Et à ce moment-là le Christ pourrait nous apprendre à avoir confiance. La vraie confiance. Une fois que nous serions dans la vérité enfin, nous ne chercherions plus à nous rassurer par des arguments,  nous pourrions peut être trouver la miséricorde en comprenant du fond de notre être que c'est justement ce qui nous fait peur en Dieu et en nous qui doit nous rapprocher Dieu et nous ; notre extrême misère et son infinie tendresse, son infinie bonté, son infinie pureté. (...) Cette chose dont nous avons peur, ce qu'il y a de plus laid en nous (nous ne pourrons pas entrer au ciel avec notre colère, avec notre mépris, avec nos mesquineries) cela, la miséricorde de Dieu nous demande de le lui donner et de ne pas, sous prétexte que nous sommes des pécheurs, de refuser d'entrer en contact avec Lui. Le vrai contact avec la miséricorde qui pardonne tout, qui guérit tout, qui ne demande qu'une seule chose : la confiance et la vérité ; la loyauté par laquelle nous reconnaissons que ca va mal pour nous et la confiance qui jette tout dans le coeur de Dieu parce qu'elle sait  que Dieu a un coeur de père, a un coeur de mère et qu'il est tout-puissant, qu'il a donné son sang pour nous sauver et que nous n'avons pas le droit de craindre.

                                                           M.D. Molinié o.p (homélie)

     

     

  • Ne pas s'attarder sur soi-même

    [Une conférence du père Molinié. Retranscription d'un enseignement oral.]

     

     
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    Qu'est ce que veut dire, pour la vie spirituelle, "se regarder" au sens ou c'est regrettable ?

    Se regarder, non pas au sens où l'on a conscience de soi, avoir conscience de ce qui nous arrive, de ce qu'on éprouve, de ce qu'on est. Ce n'est pas cela. C'est quelque chose de beaucoup plus simple et plus  profond. C'est tout simplement prendre son centre de gravité sur nous, en un mot : s'attarder, s'attarder sur soi-même. Il y a lieu de s'occuper de soi comme il y a lieu de s'occuper du reste, tout ce que Dieu nous demande, et le temps nécessaire et  pas plus. Il y a les choses auxquelles on s'occupe et il y a des choses auxquelles on s'attarde. Il n'y a qu'une seule chose pour laquelle nous devons nous attarder : c'est la contemplation de Dieu. Mais comme cette contemplation de Dieu n'est pas la contemplation du Ciel, et que  ce n'est pas non plus une contemplation philosophique, et que ça ne doit pas être non plus une contemplation orgueilleuse. Ca doit être avant tout la contemplation de sa miséricorde et ce mouvement dont je vous ai parlé, de regrets suivis d'un oubli [je vous renvoie aux posts précédents], c'est justement ce mouvement grâce auquel constatant que nous nous sommes encore attardés sur nous-mêmes, car il n'y a finalement pas d'autres fautes, que nous nous sommes regardés plus que ce n'était nécessaire, que nous avons pensé à ce que nous avions fait ou à ce que nous devions faire ou à ce que nous pourrions faire ou à ce qui peut nous arriver, ou à ce qui nous est arrivé, plus que ce n'était nécessaire. Constatant cela nous le regrettons et en le regrettant nous l'oublions ! Et en l'oubliant nous cessons de nous attarder. Alors je tiens d'abord à souligner que ce mouvement ne serait absolument impossible s'il n'y avait pas la réalité du Souffle qui nous appelle et qui nous entraîne à ne plus nous regarder. S'il n'y avait pas cette pression du Saint Esprit qui toujours nous dit : en avant, en avant, ne t'arrête pas ! ne traîne pas sur toutes ces choses ! Regarde-moi ! Si tu as peur parce qu'il y a tes péchés ou parce que  tu es désolé de ta misère, regarde ma miséricorde, mais regarde-là avec foi et avec cette puissance qui te permette d'oublier tout ce au nom de quoi tu prétends ne pas me regarder. Il faut qu'il y ait le Saint Esprit !  Ce n'est pas une spiritualité que nous pouvons fabriquer. Ce n'est pas une méthode, ce n'est pas une technique de contemplation. C'est tout simplement la réponse de la créature à cette pression inimaginable du Saint Esprit la pourchassant et l'invitant à ne pas regarder en arrière et à ne pas se retourner sur elle-même.

    Et alors ici, il y a une chose que je tiens à souligner. Souvent on se demande : qu'est-ce qui va m'arriver ? Où est-ce que Dieu va m'entraîner ?  Eh bien, cela : se demander  où Dieu va nous entraîner, avoir peur parce que Dieu veut nous formuler telle ou telle demande c'est déjà s'attarder sur soi-même. Evidemment. C'est par conséquent déjà  se couper de la lumière et de la force qui nous permettra de trouver suave le joug du Seigneur et doux le fardeau qu'il doit nous faire porter. A partir du moment où on se pose cette question, tout ce que Dieu peut nous demander devient littéralement et irrésistiblement insupportable au sens propre et au sens fort du mot  !

    Et alors là, je tiens à insister là-dessus. Ce qui est difficile ce n'est pas de faire ceci ou cela que Dieu peut nous demander. Ce qui est difficile c'est de faire le mouvement dont je vous parle. Il est aussi difficile de regarder un arbre, de plaisanter, de travailler à une chose qui nous plaît ou qui nous ennuie peu importe ; il est aussi difficile de faire tout cela sans se retourner sur soi que de subir le martyr sans se retourner sur sa souffrance. C'est le même problème, exactement dans les deux cas. C'est la même difficulté, peu importe ce que Dieu nous demandera. A partir du moment où nous le regardons Lui avec confiance, nous n'aurons pas plus de difficulté à faire une chose que l'autre. Et à partir du moment où nous ne le regardons plus avec confiance, nous aurons autant d'impossibilités à faire les choses dites faciles qu'à faire les choses dites difficiles ;  j'entends à  les faire dans l'amour. Par conséquent ce problème de ce que Dieu peut nous demander et des régions vers lesquelles il va nous entraîner ne signifie rien. Il va nous entraîner en Dieu, de toute façon. Et c'est justement cela, même si le chemin devait être bordé de roses, sans aucune épine, sans aucune épreuve, c'est ce simple fait d'aller en Dieu qui nous répugne ou qui nous plaît. Mais de toute façon c'est bien là le seul problème de la vie spirituelle.

    Souvent, on met sur le compte de cette espèce de tristesse, de mauvaise humeur, d'engourdissement lourd, pénible à porter, pour elle-même et pour les autres, qui se dégage de la présence de toutes ces âmes. On met cela souvent sur le compte d'un tempérament, ce que Thérèse d'Avila appelait "tempérament mélancolique". Bien sûr qu'il y a des différences de tempérament. Bien sûr que Dieu seul sonde les reins et les coeurs ; et que souvent pour faire peu de choses, une âme a besoin de beaucoup plus d'amour que d'autres pour faire beaucoup de choses matériellement. Pour être équilibrée, patiente, calme telle âme a besoin de beaucoup plus d'amour et de Saint Esprit que telle autre. Donc il ne faut pas juger sur les résultats, ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Ce que je veux dire c'est qu'il est aussi facile de devenir une âme attardée avec un tempérament heureux qu'avec un tempérament malheureux. Ce sera peut être moins désagréable pour les autres encore que...! Toutes les âmes attardées font souffrir les autres et elle-même. Et elles les font souffrir d'une manière différente qui revient toujours au même, à savoir que chez ces âmes il y a toujours une porte fermée que jamais on ne parvient à ouvrir. Alors les unes sont correctes, impeccables dans une certaine mesure quelques fois. Il n'y a rien à leur dire, pas de reproche à leur faire, mais elles pèsent lourd quand même, parce qu'elles s'attardent sur elles-mêmes au lieu de tout jeter en Dieu selon ce  mouvement progressif qui ne se fait pas du jour au lendemain. Ce mouvement de pauvre, mais de plus en plus fréquent par lequel on s'oublie ; ça veut dire on oublie ses problèmes, on oublie cette agitation pour se laisser prendre de plus en plus par le mouvement irréversible  de cette lumière qui nous attire.

    Alors que ces âmes aient un tempérament heureux ou malheureux, ça n'y change rien. Si elles ont un tempérament heureux   et qu'elles s'attardent, je vous le répète, elles sont lourdes. Si elles ont un tempérament malheureux et déagréable et qu'elles ne s'attardent pas (elles ne s'attardent pas à discuter, à se justifier leurs propres fautes et leurs propres erreurs. Elles ne s'attardent pas non plus à s'en pleindre et à se lamenter, elles ne s'attardent à rien !)   : eh bien finallement elles sont légères. Seules  les âmes attardées trouvent à redire à leurs misères et à leurs défaut.

    Et il y aurait lieu de parler de ce mouvement aussi quant à la solution des problèmes que nous avons à résoudre constamment dans notre vie. Problèmes pratiques autour desquels nous méditons, nous réfléchissons (qu'est-ce que je dois faire ?) Et nous délibérons longtemps quelques fois.  Et nous agitons toutes les solutions possibles avec notre imagination. Eh bien pensez à ce que faisait quelqu'un dont c'était le métier de méditer les choses, de les peser, de discutter les choses avec toute son intelligence et son imagination, je veux dire saint Thomas. Quand il ne trouvait pas, il ne s'échauffait pas à trouver toutes les solutions possibles, à se mettre à essayer toutes les portes possibles, toutes les issues possibles. Il sentait qu'il y avait quelque chose qui lui résistait, que la solution ne viendrait pas aisément avec un travail normal et simple de la raison. Alors il allait prier auprès du saint Sacrement en pleurant. Il n'avait pas peur de se détourner de son devoir d'état, il n'avait pas peur de cette solution (la prière) soit disant facile qui consistait, au lieu de s'échauffer les méninges, à ne pas s'attarder dans les broussailles des arguties de toute sorte et des sophismes. Il allait demander la lumière.

    Si dans nos rapports fraternels par exemple, au lieu de nous agiter pour voir quelle est la meilleure solution,  si on voit que ça ne va pas, arrêtons nous , si possible. Ne nous attardons pas à toutes ces broussailles et à  toutes ces épines, demandons ce qu'il faut faire. Regardons la sainte Vierge, regardons vers le Saint Esprit, demandons lui de nettoyer tout cela  et d'oublier tout ce qui nous empêche de voir ce qui est simple, car la solution en toutes choses est toujours simple !! Et c'est justement pour cela que nous ne la voyons pas. C'est parce que nous sommes empêtrés dans les broussailles. Eh bien, demandons la grâce d'oublier d'une manière irréversible toutes ces broussailles. Et ne cédez jamais à la tentation de croire que vous vous êtes engagés sur une voie d'engourdissement irréversible. A tout moment, n'importe qui, les plus grands pécheurs et les plus faibles pécheurs aussi, les âmes normalement et banalement et médiocrement attardées : en un seul moment si elles y croient, le jour de la Pentecôte qui vient , Dieu est toujours prêt à tout recréer et à faire une âme sainte de toute âme qui accepte enfin d'oublier le passé et elle-même pour ne regarder mais vraiment de tout son être que la miséricorde infinie de Dieu.

                                                   P. Marie-Dominique Molinié o.p

     

     

  • conversions, réconciliation et purification de la mémoire (3)

    Suite des deux posts précédents.

    Je retranscris ici un enseignement oral (enregistré) donné par le Père Marie-Dominique Molinié (dominicain).

    Il a écrit plusieurs ouvrages dont : " Le courage d'avoir peur" et " Je choisis tout".

    [mes commentaires figurent entre crochets et en italique

     

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     Voyez l'usage des sacrements. Pour commencer je peux vous proposer de demander cette grâce d'essayer de promettre l'attitude qui en résulte [voir poste précédent] pour chaque confession.

    Chaque fois que vous recevez "ce nouveau baptême" [c'est une comparaison car le baptême est un sacrement qu'on reçoit qu'une seule fois, mais la confession renouvelle en quelque sorte la grâce du baptême] Est-ce que vous recevez le sacrement de pénitence comme un baptême ? Dans la foi, le sacrement de pénitence devrait être comme un nouveau baptême. Il faut qu'il y ait une espèce de regret à la base. Et on sort de ce réalisme chrétien si on essaye de se dispenser de ce regret. Et de ce regret qui va loin, qui est très douloureux, faites attention ! Je ne vous dispense pas du regret, surtout le regret de freiner, de ralentir, de vous attarder, de vous apesantir sur vous-mêmes alors que le Souffle (l'Esprit Saint) est là qui pourrait vous emporter si loin et si vite ! Alors regrettons ! regrettons ! mais de plus en plus [M.D Molinié parle du regret que nous éprouvons face à notre résistance à la grâce, à tous nos refus d'une réelle conversion. Voir les posts précédents] !  car plus nous regrettons, plus immédiatement nous renaissons, en nous plongeant  dans le sang du Christ  et alors cela ce n'est pas seulement le sacrement de pénitence qui peut le faire c'est l'Eucharistie. Il faut que je vous rappelle cet enseignement traditionnel de l'Eglise : l'Eucharistie a tout ce qu'il faut pour accomplir les effets de tous les sacrements y compris le sacrement de pénitence, par conséquent y compris le pouvoir d'effacer les péchés mortels. De telle sorte que, si quelqu'un, de bonne foi, et  n'étant pas en état de grâce (mais ne le sachant pas, car il n' a pas moyen de le savoir) mais de bonne foi (ou n'ayant pas appris qu'il fallait se confesser parce qu'on n'a pas su le lui dire ) communie avec une intention droite, l'eucharistie, parce que c'est le sang du Christ qui pénètre en lui, efface ses péchés mortels et lui redonne la vie de la grâce, tout comme le sacrement de pénitence. Alors bien entendu, à éviter [ce qui est à éviter - semble dire M.D Molinié c'est la communion eucharistique sans le préalable du sacrement de pénitence-réconciliation] . Et l'eucharistie a la puissance d'effacer les péchés véniels.  Parmi les moyens d'effacer les péchés véniels autre que le sacrement de pénitence, l'Eucharistie est le premier, avant le Notre-Père, avant le Confiteor, avant l'acte de charité, toutes choses qui suffisent pour effacer les péchés véniels donc à nous per-mettre-de-les-ou-blier ! Non pas les oublier pour mieux recommencer ! Je suppose que vous comprenez ce que je veux dire. Les oublier pour mieux penser à Dieu !  Puis à la joie d'être sauvé car c'est toujours de là qu'il faut partir. [sauvé en espérance, car notre salut n'est pas une certitude de foi mais objet d'espérance] De la joie d'être sauvé, sinon vous ne ferez rien de bon en vie spirituelle. Le regret doit être immédiatement donné dans le sang du Christ, c'est la matière du sacrement. Alors, entre temps, il peut y avoir des rechutes. Je vous repète que ce sont les états d'âme dont il ne faut pas se souvenir. Surtout. Ce ne sont pas les souvenirs du passé qu'il faut oublier, comprenez-moi bien. Et alors ? Et alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? La communion a lieu une fois par jour parce qu'il faut bien qu'on vive, qu'on fasse autre chose ! [on ne peut pas passer toute la journée à communier veut dire le Père Molinié] Mais l'Eglise voudrait bien ne pas cesser de communier et elle ne cesse pas de communier. L'adoration eucharistique c'est la manifestation extérieure et publique de la part de l'Eglise, de son désir que la messe dure toujours et que, par conséquent que la conversion n'arrête pas ! Mais ce qui peut ne jamais cesser non plus c'est le regret fécond et positif suivi d'une conversion et d'un point de départ à zéro qui peut arriver à devenir aussi permanent que la faute : c'est ça ce qui s'appelle la sainteté : "mon Dieu ayez pitié de moi, mon Dieu j'ai confiance en vous, mon Dieu merci... mon Dieu ayez pitié de moi, mon Dieu j'ai confiance en vous, mon Dieu merci. Mon Dieu ayez......." Une âme religieuse plante sa tente dans cette attitude. Voilà le fond de l'affaire c'est que ce désordre (mon Dieu ayez pitié..) eh bien Dieu peut tirer le bien d'un mal ! [cette formule peut choquer, elle aurait besoin d'une explication, d'un développement] Il faut que ce désordre soit le moteur de notre conversion perpétuelle, par le regret. Ce qu'il y a de plus opposé à cette attitude c'est la tentation de construire sa vie spirituelle, pierre après pierre, étage après étage ! Non ! La sainteté ça ressemble à la ré-éducation de ceux qui doivent apprendre à respirer de nouveau parce qu'ils se sont noyés et à qui ont fait la respiration artificielle et lentement, lentement, lentement ça revient. Ceux-là ils ne construisent rien. Ils font un premier mouvement et, après ce premier mouvement ils refont le même mouvement. Il n'y a plus qu'à recommencer. Et ce sera toujours à refaire. Et précisément une des résistances les plus lourdes que nous opposons à l'amour de Dieu c'est cette obstination avec laquelle nous voudrions pouvoir nous dire : cette fois et depuis 5 ans je commence tout de même à faire quelque chose pour l'amour de Dieu [regard en arrière et auto satisfaction !!!]  : nous interrompons le mouvement ! Le saint est celui qui découvre qu'il n'a encore rien demandé ! Alors il se dit : je vais m'y mettre et il prend encore conscience qu'il n'a toujours rien demandé etc... un mouvement permanent où Dieu agit et va de plus en plus vite. Mais on ne s'installe pas dans la supplication perpétuelle. C'est un mouvement, un mouvement de conversion permanent, en suppliant de plus en plus souvent [jusqu'à 80 000 tours minute...: c'est à peu près le régime de la sainteté !] et à l'aide des sacrements [réconciliation-eucharistie] qui sont des temps forts qui rythment le mouvement, et les sacramentaux aussi.

                                           fin de cette conférence.

     

                                            père M.D Molinié, o.p

     

     

     

     

     

     

     

     

  • conversions, réconciliation et purification de la mémoire (2)

     

    (suite du post précédent).

    remarque pour éviter un grave contre-sens :

    le père M.D Molinié s'adresse ici à un auditoire de religieuses. Quand il parle du mal c'est le mal que nous pouvons faire chaque jour : manquement à la charité fraternelle, tiédeur.....Mais  qu'en est-il d'un chrétien qui aurait commis des actes graves comme le meurtre par exemple ? Dans pareil cas il aurait le devoir de se dénoncer, de se présenter à la justice et d'assumer les conséquences de ses actes en purgeant la  peine que la justice des hommes lui infligera, et en réparant ... : sans ces démarches préalables, sa démarche  de pardon à Dieu n'aurait aucun sens. Mais devant Dieu la médiocrité spirituelle d'une personne consacrée à Dieu peut être plus grave que la médiocrité d'un petit délinquant ou les actes répréhensibles d'un assassin. C'est le secret des coeurs, seul Dieu connaît les motivations profondes des actes humains. C'est pourquoi nous ne devons pas juger autrui car ce serait nous mettre à la place de Dieu. Ni autrui, ni nous-mêmes ! Tout homme, fût-il un assassin, peut (en usant de sa liberté et avec l'aide de Dieu)  se convertir et  tirer d'un mal un bien ; quitter son enfer pour marcher vers la lumière.  Finalement et  quelle que soit notre situation "spirituelle" du moment, nous tirerons toujours avantage à écouter l'enseignement du P. M.D Molinié et à l'adapter à  notre cheminement ici et maintenant.

    Dans cet exposé le style oral ne respecte pas forcément des structures de phrases plus classiques.

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    (...) oublions tranquillement, et le plus tranquillement possible ou plutôt le plus allègrement possible, le plus passionnément possible tout le passé, et toutes les conséquences futures du passé telles que nous pouvons les prévoir humainement. Car il y a des conséquences divines du passé que Dieu seul connaît à savoir le bien qu' Il peut tirer du mal à chaque instant dès que nous lui donnons le mal, car il faut lui donner le mal pour qu'Il en tire quelque chose d'extraordinaire que Lui seul peut en tirer. Il ne faut pas perdre son temps à regarder le mal. Il faut le Lui donner, et Il a besoin que nous le Lui donnions. Alors voyez quelle audace que ça représente ! Et si quelque chose devait être regrettée - ah oui regrettée -  pour que le sacrement de pénitence puisse s'exercer et après, qu'ensuite,  on oublie immédiatement ce qu'on regrette c'est-ce-que précisément, ce que  le chrétien et le contemplatif fassent cela : Lui donnent leurs péchés, Lui  donnent leurs misères, mais pas seulement leurs misères mais surtout le non-être, puisque Lui seul peut en tirer l'être... Et ce non-être qui est le mal et le mal des autres et le nôtre, et les conséquences, eh bien je vous le donne parce que je sais que vous pourrez en tirer du bien à chaque instant. A chaque instant !   Alors que d'inquiétudes nous nous épargnerions si nous agissions ainsi.

    Prenons un exemple très simple, et classique, combien classique : ne pas savoir exactement ce qu'il faut faire en face de telle circonstance, en face de quelqu'un. On ne sait jamais exactement ce qu'il faut faire. Il y a des cas ou c'est particulièrement difficile, désagréable, inquiétant. Et on sent que la partie entre les ténèbres et la lumière est tellement serrée, tellement violente qu'on est tenté (et le démon est bien là pour nous y inviter) à considérer la moindre fausse note, le moindre faux pas, la moindre maladresse, la moindre faute, comme entraînant une série de conséquences ténébreuses et irrémédiables. Tout simplement une seule chose à faire (mais ça nous ne le faisons pas parce que nous ne le croyons pas) : tout donner.  Et oublier (vif) ! Tout donner et oublier. Ah c'est du sport ! je ne vais pas vous le cacher. Et ce mouvement qui s'appelle en fin de compte une "conversion". A chaque fois que nous faisons quelque chose comme ça (tout donner et oublier) c'est une véritable  petite conversion qui s'opère en nous. Car c'est ça la conversion finalement : abandonner le passé et partir à zéro. Et j'entends votre objection :  mais à quoi bon cette conversion si c'est toujours à refaire ? Ah aïe aîe (rires dans l'auditoire)  ! Donc vous révez bien d'une conversion à partir de laquelle il n'y aurait plus à se convertir. Vous, vous révez bien de ce qui est aux antipodes de la sainteté ; puisque la sainteté est une accélération de la fréquence des conversions. A tout instant nous échappons à la lumière de Dieu, c'est évident, nous sommes pécheurs. Le problème ne consiste pas d'arriver à vouloir  trouver un truc pour un jour ne plus échapper à la lumière de Dieu. Ou plutôt il y en a un... (c'est regretter, tout donner à Dieu et oublier) La conversion c'est un mouvement fondé sur le regret et le regret comme oubliant. C'est-à-dire c'est un mouvement par lequel à chaque instant on donne (à Dieu) cette souillure (notre péché) qui nous échappe, qui vient de nous. Et à force de la donner  tout le temps il y a  un moment on ne s'arrête pas de donner le passé et de se convertir. Etre dans la lumière de Dieu c'est justement ça la tentation. Oui au ciel. Voilà bien la différence entre le régime de la terre et le régime du Ciel. Au Ciel on n'aura plus à donner successivement. On donnera éternellement dans un seul acte. Il n'y aura plus d'événements. Il n'y aura plus de conversions. Ah d'accord !  Mais en attendant, à tout instant  : l'infidélité, la rechute, l'apesantissement... la pesanteur nous menace ! Par conséquent on a qu'une solution pour être constamment fidèle : c'est en sorte de se reprendre toujours. Autrement dit que la conversion soit en effet toujours à refaire, mais alors de plus en plus toujours ! De telle sorte que plus on va, plus on se plonge dans cette mentalité de ne pas avoir encore commencé, comme ce bon chartreux qui dormait toujours. Il dormait toujours et pour se réveiller il avait construit un système d'horlogerie sensationnel (rires de l'assemblée) où une planche lui tombait sur les pieds (rires) mais il n'y arrivait pas. Au moment de mourir il a dit : je vais enfin me réveiller ! (rires). C'est magnifique ! c'est exactement ça ! 

     Alors j'en reviens à ce coup de vent qui nous projette à cent mètres et on se  dit :  ça y est, c'est pas mal. C'est pas mal et d'une part on n'a pas envie de monter plus haut, on trouve que c'est déjà pas mal comme ça. Et d'autre part, on veut essayer de trouver le truc pour ne plus redescendre. Et à la première dégringolade on se dit : c'est encore à refaire. En fait c'est à refaire pour aller plus haut. Ce qui nous perd c'est que nous considérons le coup de vent de la conversion comme un événement transitoire destiné à nous mettre dans un état qu'on appellerait la sainteté. Il n'y a pas d'état de sainteté ! Il y a simplement une précipitation de plus en plus fréquente des coups de vent, accélérés par le nombre peut-être aussi fréquent des chutes conscientes. Conscientes c'est-à-dire qu'au fur et à mesure qu'on devient plus délicat, pratiquement on s'aperçoit qu'on rechute tout le temps. Tout le temps. Du fait qu'on oublie Dieu, pas le passé. Je rêve d'extirper  de vos âmes le rêve, le désir de ce coup de vent définitif après lequel il n'y en aurait plus besoin : vous êtes aux antipodes de la sainteté. Il s'agit de se plonger de plus en plus dans la mentalité permanente des "ouvriers de la dernière heure" (c'est une parabole des Evangiles) qui brusquement découvrent qu'ils vont tout recevoir, que tout va commencer : enfin je vais me réveiller ! Alors  une autre comparaison encore si vous voulez : celle d'une locomotive qui se met en marche : tche...tche... tche...au début, c'est une petite mise en marche. C'est laborieux comme nous avec le poids du jour, le poids de la chair, le poids de la sottise et tout ça nous ralentit, puis dix ans plus tard un coup de vent, puis espérons un autre coup de vent ..cinq ans plus tard, et puis deux ans, et puis un an, et puis un mois et puis....etc et que ça finisse par se rapprocher  : c'est le mouvement de conversion... jusqu'à non pas tous les jours mais  qu'à tout moment le vent ne cesse (le Saint Esprit) de souffler. Et il ne tient qu'à nous car Lui il souffle d'une manière éternelle, sans arrêt. C'est nous qui nous freinons son action avec ce petit discours intérieur que nous faisons à Dieu : attendez un peu que je m'y reconnaisse , que j'exploite les lumières que vous m'avez données et puis que je fasse une vie de bon chrétien, de bonne religieuse..avec ce que j'ai on doit pouvoir faire mieux.  Et puis patatra ! la chute ! Alors on se décourage ! Et on appelle (Dieu), et immédiatement on reçoit comme toujours, ça ne traîne pas  mais à condition qu'on appelle pour de vrai,  sérieusement, du fond de l'être.... et immédiatement "nouvelle promotion" et à nouveau nous reprenons notre discours : ah , je vais pouvoir commencer à faire quelque chose !   Alors qu'il aurait fallu qu' après un premier coup de vent, et qu'au lieu de s'installer, qu'au lieu d'attendre paresseusement,   Il faut qu'à tout moment nous renaissions, dans un mouvement irréversible, de plus en plus souvent jusqu'à devenir "à tout moment"  et sous la pression d'un vent qui nous empêche de retourner en arrière : allez, allez, en avant ! On essaye de se retourner mais il n'y a pas moyen  .. c'est ça le souffle du Saint Esprit quand il devient un peu  harcelant. Il ne le fait pas tout de suite parce que nous ne le supporterions pas. C'est vraiment pas dans nos habitudes, ça nous donnerait comme de voyager sur la mer, avec un immense mal de mer, au fond c'est ça les purifications passives. c'est une espèce d'immence nausée du fait qu'on  ne sent plus sous nos pieds le terrain  solide. Dieu nous saisit. Il n'y a plus moyen de respirer tranquille comme avant : allez en avant, ne regarde pas ton passé, ce que tu as pu faire de bien, de mal... oublies ! ..Tu le donnes à la miséricorde !  Ah mais alors ! c'est quand même un  peu... harassant ! C'est ça.

    Alors voyez l'usage des sacrements...

     

                                                                         Père Marie-Dominique Molinié

     

                                                                      suite au prochain post...

      

     

     

     

  • conversions, réconciliation et purification de la mémoire (1)

     

    [Conférence du Père Molinier, dominicain. Je retranscris un enseignement oral enregistré. A part quelques morceaux, dans l'ensemble j'ai pu faire cette retranscription car l'enregistrement est d'une bonne qualité. Mais ce n'est pas aussi fluide que la retranscription d'un texte écrit. ]

     

    Je voudrais revenir par un autre biais à ce que je vous disais, à la suite de la conférence sur la douceur de Dieu, sur les visites de Dieu. Je voudrais relier cela et vous parler d'un tas de choses : les sacrements, les visites de Dieu, la conversion, la Pentecôte : tout ça va se trouver agréablement mêlé là-dedans, agréablement j'espère.

    Je partirai d'une confidence qui m'a été faite très récemment par... une "âme" comme on dit, une âme, une âme  religieuse, fort religieuse d'ailleurs, et cette confidence m'a profondément frappé en ce qui concerne les sacrements  et au fond.. la purification de   la  mémoire   dans notre sujet ce soir Cette personne m'a dit : "il y a deux ans... il y a un an peu importe j'ai reçu l'extrême onction et j'ai reçu les sacrements, pour la première fois de ma vie, avec le plus de foi possible et j'ai éprouvé comme un nouveau baptême, quelque chose d'absolument neuf qui commençait en moi et comme une facilité nouvelle pour aimer Dieu et tout ce que peut impliquer le..... " mais alors avec cette particularité qui concerne en effet  la purification de la mémoire et qui est vraiment  très très remarquable, qui va vraiment  bien nous servir de point de départ pour ce soir. Cette particularité que je ne pouvais plus revenir en arrière. Non seulement je ne pouvais plus revenir en arrière en ce sens que je ne pouvais plus retrouver la mentalité un peu traînante, poussiérieuse, ralentie, freinée  par le poids du jour que je pouvais avoir avant, mais que je ne pouvais même plus me  souvenir.

    Non pas une incapacité totale de repenser en cas de besoin à la date de ma naissance ou à tel ou tel événement s'il avait fallu en répondre du point de vue de l'état civil que sais-je, n'est-ce pas,  ou la date de ma profession : ce n'est pas ça qu'on appelle ne pas pouvoir revenir en arrière ; la purification de la mémoire c'est ne plus pouvoir me souvenir sur mes états d'âme antérieurs, sur ce que j'étais spirituellement avant, sur les objets qui m'avaient préoccupé, tout ça étant balayé, liquidé  comme si ça n'avait jamais existé.  J'ai profité de cette grâce avec joie, et petit à petit, je me suis aperçu, il y a deux ans de cela, je me suis aperçu, à la longue que, de nouveau, je sentais comme un freinage, comme une poussière, comme un entassement de choses qui me gênaient pour aller à Dieu vite, vite, vite. C'est des souvenirs, non pas de ce qui s'était passé avant ce sacrement,  l'extrême-onction, mais de ce qui s'est passé depuis...que de nouveau, le poids du jour, les événements, les retours sur moi éventuels, les retours sur les événements  : enfin que sais-je, tout ça, ça me ralentissait de nouveau, que ça freinait  ... je n'avais plus ce que j'avais senti : cette espèce de bain de jouvence - c'est exactement ça le baptême : cette naissance à partir de zéro, ce départ à zéro que j'avais éprouvé, comme si la vie commençait au moment même où je recevais ce sacrement,  comme si je n' avais pas vécu avant,  comme si je commençais à aimer Dieu, comme si je commencais à connaître Dieu, comme si je commençais... tout, comme si je n'avais pas de passé. Eh bien, je n'éprouvais plus cela. J'avais déjà un passé, qui commençait à me gêner un peu ce passé.   Parce que le passé gêne.  Le passé alourdit. Même quand on l'aborde avec ferveur. A la longue, les choses finissent par nous gêner.  

    Alors là, il me dit : je me suis étonné. Je me suis dit : mais  comment se fait il que le sacrement de pénitence, que je reçois toutes les semaines, ne me fasse pas le même effet, alors que le sacrement de pénitence se rapproche du sacrement de baptême, peut -être plus encore que l'extrême onction. Par  le sacrement de pénitence on est vraiment baigné dans le sang du Christ pour les mêmes effets que le baptême, sauf le caractère baptismal bien entendu ; et puis, sauf que ça implique une pénitence, que ça implique des mouvements de la part du pénitent alors que le baptême n'implique rien. On a dit que le le baptême était une pénitence non douloureuse et puis irréversible.  Alors il me dit pourquoi le sacrement de pénitence que je recevais tous les huit jours ne semble pas provoquer du tout la même chose.  Pourquoi je n'étais pas délivré de ce retour en arrière, de cette pesanteur,  à chaque fois que je recevais le sacrement de pénitence. Alors je me suis tourné vers Dieu, vers le Christ, et  j'ai cru comprendre qu'il me répondait : "je suis toujours le même. Je suis toujours l' Amour infini. Je ne bouge pas, je suis toujours prêt à tout donner. Ca ne dépend que d' toi".

    Alors j'ai demandé, et j'ai promis  de tout oublier au fur et à mesure que je recevrai le sacrement de pénitence. Et  j'ai demandé cette grâce. On ne joue pas avec Dieu, on ne s' amuse pas avec Dieu ,  j'ai compris que, depuis ce moment là, c'est irréversible et à chaque fois que je reçois le sacrement de pénitence, c'est fini, je ne peux plus me souvenir de ce qui était arrivé avant. Encore une fois vous comprenez bien ce que je veux dire  par "ne plus se souvenir" :  en sortant du confessionnal  il ne s'agit pas d'être frappé d'amnésie en se demandant : qui suis-je ? où suis-je ? (rires dans l'assemblée) Non, non, non...!  Nous nous attardons sur nos regrets, nos inquiétudes, nos discussions :  tout ça :  liquidé, balayé. Impossibilité d'y revenir, impossibilité d'en parler  si l' on m'interrogeait là-dessus.

    Vous voyez... précisément à cause de cette impossibilité de revenir en arrière vous comprenez qu'avec une âme de ce genre, vous devez soupçonner qu' il n'y a pas grand chose à dire que, au fond, son regret profond lancinant douloureux pour lequel elle demande miséricorde et que le sacrement de pénitence lui donne précisement, c'est que   ça ne va pas assez vite,   que par sa faute ça freine, ça ralentit.

    Dieu est toujours le même, toujours infiniment intense, toujours infiniment actif, infiniment prêt à nous consummer et à nous emporter dans  la joie, mais ne puisse pas le faire parce que, au fond, si ça freine, si ça ralentit c'est  par notre faute. Alors le confesseur demandera : est-ce que [cette faute]  c'est délibéré ? Vous comprenez bien qu'une pareille faute n'est pas délibérée, mais c'est quand même bien un désordre, et ça suffit largement comme matière au sacrement de la confession mais certains confesseurs scrupuleux peuvent... que sais-je...    A ce moment-là deux confesseurs ont donné leur avis sur la question et l'un a dit : mais il n'y a pas de problème, il n'y a pas besoin de se confesser dans ces conditions-là,  il suffit de s'établir dans la joie éternelle de la miséricorde qui donne tout,  comme on fera au ciel, en somme. Et l'autre qui était un - passez-moi l'expression - un bon vieux prêtre, n'est-ce pas,  disait :  qu'est ce que c'est que cette histoire ? Vous avez un regret, eh bien, cela suffit. Cela suffit pour qu'il y ait matière à confession et à absolution. Il suffit de regretter. D'avoir à regretter quelque chose. Quoi ? Eh bien ce ralentissement dont on sent que nous sommes plus ou moins le responsable. Et bien entendu, c'est bien  ce bon vieux prêtre qui avait raison. 

    Et alors, ceci m' entraîne à une série de considérations qui vont aller assez loin dans le temps peut-être, et il faut que je m'arrête à temps pour vous parler de l'eucharistie avant la fin. 

    Je ne me placerai  qu'au plan du sacrement de pénitence pendant un bon bout de temps. Du sacrement de pénitence et de tout ce qui est dans la même ligne  : extrême onction, baptême ; le  baptême ne se renouvelant pas et l'extrême-onction pouvant se renouveler. Mais alors  surtout le sacrement de pénitence.  

    Ce cas m'a aidé à comprendre admirablement  ce que c'est que la conversion : un commencement absolu. La conversion, loin d'être un phénomène unique ou rare, devait devenir très normalement, un phénomène de plus en plus fréquent jusqu'à devenir chez les saints un phénomène ininterrompu, c'est extrêment simple. Je ne dirai pas qu' un saint est quelqu'un qui se convertit tous les jours, mais quelqu'un qui s'est établi dans l'état de conversion perpétuel.

    Qu'est ce que ça veut dire ?

    Eh bien dans cet état de métamorphose perpétuel sous l'action irrésistible du corrosif divin qui ne laisse plus de trêve. Comparaison qui est tout à fait dans la ligne de la Pentecôte que nous attendons ; un coup de vent un peu violent qui nous transporte à trois cents mètres de haut. Imaginez l'effet d'un coup de vent de ce genre  où vous vous trouvez transporté, juché par exemple sur l'église saint Michel du Puy ! C'est une conversion. Un coup de vent qui nous arrache surtout à nos souvenirs avec ce caractère irréversible : c'est fait.  Et qui nous apprend à regarder en avant dans l'éternité et dans le présent à la fois : toutes ces choses ne faisant qu'un. A regarder ce qui vient, tout simplement.   Et regardez cette audace, cette légèreté extraordinaire de celui qui s'appuie sur la miséricorde.  C'est tout de même une chose assez extraordinaire que cette Miséricorde qui nous  demande d'oublier nos fautes ! Qui nous le demande vraiment ! Et qui nous reproche comme une deuxième faute, plus attristante encore que la première,   de s'en souvenir encore. Quelle exigence ! essoufflante mais merveilleuse. Cette Miséricorde qui nous demande d'oublier nos fautes. Pensez à toutes sortes de fautes. Toute faute a des conséquences, des répercussions infinies et perpétuelles, ininterrompues, comme tout acte humain.  Voici tel professeur qui s'est retrouvé toute une année en proie au doute qui a semé le doute chez tel ou tel de ses élèves ; ses élèves, à leur tour, commettront certaines fautes et entraîneront d'autres à douter et ainsi de suite...jusqu'à l'infini !   A chaque fois que nous faisons le mal, ou que nous ne faisons pas le bien c'est irréparable ! Ca ne peut plus s'arrêter, vous avez devant vous une "machine" qui ne peut plus s'arrêter et Satan se frotte les mains, et Satan conduit le bal comme on dit : tu vois, tu vois, tu vois ce que tu as fait....!   Eh bien,  Dieu demande, demande vraiment,  d'oublier tout ça ! Comment est-ce possible ? Bien entendu par un acte de foi absolu dans cette promesse constante que Dieu nous fait  : que parmi les éléments dont il se sert pour faire le bien au premier chef  se trouve le mal et il tire le bien du mal comme il tire l'être du non-être, c'est de la création pure. Par conséquent croire cela, et particulièrement cela,  c'est vraiment rendre gloire au Créateur qui seul peut faire cela. Mais ne pas croire cela c'est refuser de rendre à Dieu la gloire qui lui est propre.  Ne pas croire cela c'est comme si on lui disait : c'est bien gentil vous me pardonnez mais qu'est-ce que ça change ? Ca change peut-être pour moi, je suis réconcilié avec vous, mais qu'est-ce que ça change dans les faits, dans les faits ? Eh bien  Dieu lui répondra : tu ne reconnais pas qui Je suis ; tu n'as pas compris que cela même  qui a été utilisé contre l'Amour, je vais l'utiliser pour l'Amour ! Je suis seul à pouvoir le faire. Imaginez ce que le Fils de Dieu aurait pu faire dans une perspective temporelle et spirituelle qui n'était pas celle de la Croix mais qui est celle de saint Pierre, celle des Apôtres ; ce qu'Il aurait pu faire si on l'avait laissé en vie, tout le bien qu'il aurait pu faire, toute la lumière qu'il aurait pu répandre, toutes les guérisons qu'il aurait pu opérer, et les conversions. Eh bien, réponse de Dieu : il n'aurait pas pu en faire autant que l'Eglise en fera par la Pentecôte.

     

                                                                              A suivre....prochain post...

  • jugement universel et jugement particulier

    NOTE DE L' AUTEUR DE CE BLOG : 

    Ici François Varillon aborde un sujet extrêmement sensible. Ce texte a été écrit dans les années 1955-1958. Par la suite sa réflexion s'est enrichie sur ce sujet. Je compte mettre une conférence sur le même thème donnée par F. Varillon 20 ans plus tard.

     

    [366]

    Il faut d'abord envisager le jugement en son unité. Car il est un, plus profondément qu'il n'est multiple. Il s'achève seulement à la fin des temps, quand toute sa "matière" est donnée : alors son caractère social et cosmique est manifesté. En tant qu'individuel, il se réalise à la mort de chacun. Mais à ce double point de vue, il commence déjà au cours de l'histoire, à laquelle il est coextensif. 

    Le Jugement universel

    La doctrine du jugement dernier a été préparée et préfigurée dans l'Ancien Testament  par la notion du "jour de Yahvé". On entend par là toute intervention extraordinaire de Dieu pour éprouver, châtier, sauver : image du dernier Jour, et commencement de Jugement (cf. Amos 5, 18-20 ; et Sophonie, le prophète par excellence du "jour de Yahvé"). [367]. Le dernier Jour est celui de la délivrance d'Israël, de son salut définitif (cf. Daniel 7, 9-14 ; 12,1-3) : ce salut ne sera pas accordé à tous sans distinction, mais seulement à ceux dont les noms sont inscrits sur le Livre de vie ; en ce jour les morts ressusciteront et seront traités selon leurs mérités, " les uns pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour la honte éternelle." Par ailleurs, le problème de la destinée individuelle est posé dans la littérature sapientielle sous la forme de la justice et de la rétribution.  Cette double ligne de développement aboutit à la révélation, dans le Nouveau Testament, du Jugement pleinement spirituel, universel et transcendant (Mt 16,27 ; 25,31-46 ; 2 Thes 1, 3-12 ; 2 Co 5,10 ; Rm 14,10 ; Jn 5,27-30). L'idée du jugement dernier est au premier plan de l'eschatologie des Pères, liée à la Parousie et à la résurrection : " Personne ne nie, écrit saint Augustin, personne ne doute que Jésus-Christ doive faire un dernier jugement, comme il est annoncé dans les saintes Écritures , sinon celui qui, par je ne sais quel aveuglement, refuse de croire aux Écritures mêmes." (De civ. Dei, XX,30). Plus tard, quand l'idée du retard de la vision béatifique aura été tout a fait abandonnée, le jugement universel perdra de son importance  au profit du jugement particulier.

    Le jugement particulier.

    Il est de foi définie que les justes "n'attendent pas" la fin des temps pour entrer dans la béatitude (Dz, 464,531) ; dès leur mort, les hommes sont jugés, et leur sort déterminé. Le jugement particulier, cependant, en tant que jugement n'est pas de foi comme le jugement général : l'Eglise n'en parle pas explicitement  [368] ni précisément dans les documents du Magistère. Quelques passages de l'Ecriture, à la vérité assez rares, insinuent l'idée d'une rétribution suivant immédiatement la mort : le pauvre Lazare emporté dans le sein d'Abraham tandis que le riche descend en enfer (Lc, 16, 22 sq.), Jésus promettant au bon larron une récompense "aujourd'hui même" (Lc 23,43), saint Paul exprimant sa certitude d'être réuni au Christ après sa mort, comme si mourir et être avec le Christ c'était tout un (2 Co 5,8 ; Phil 1,23). Mais une telle certitude n'implique pas un enseignement clair et explicite sur un jugement particulier distinct du jugement universel ; elle procède bien plutôt d'une expérience religieuse, celle d'une union infrangible avec le Christ, inaccessible aux événements extérieurs. Cette certitude coexiste, dans l'oeuvre de saint Paul, avec l'espérance du retour du Seigneur dans la gloire et de la réunion en Lui de tous les chrétiens. A partir de cette tension intérieure à la pensée paulinienne (certitude mystique de la possession actuelle du Terme, du Jugement déjà accompli, de la Présence donnée, et attente eschatologique), une doctrine explicite du jugement particulier pourra s'édifier. Elle se développera en liaison avec le problème du retard de la vision, posant maladroitement, en termes temporels, de multiples questions sur l'intervalle qui sépare deux jugements.

    Deux aspects d'une même réalité

    La fin de l'histoire est transcendante ; mais l'histoire elle-même n'aurait pas de sens si cette fin n'était déjà présente en elle et ne lui servait de critère. L'eschatologie chrétienne maintient une tension entre le Royaume toujours à venir et cependant déjà là. Elle croit à la réalité objective des événements derniers comme à l'actualité présente du jugement de Dieu. [369] La Tradition a progressivement dégagé l'eschatologie individuelle de l'eschatologie générale. La tentation serait plutôt aujourd'hui, passant en quelque sorte à l'autre extrême, d'absorber le général dans l'individuel jusqu'à ne plus voir dans la Parousie qu'un symbole de la réalité qui se révèle à la mort de chaque individu.

    Le jugement particulier et le jugement général sont les deux aspects d'une même réalité profonde. Nous ne disons pas : d'un même fait ; car ici et là on est hors du temps. Mais l'un et l'autre jugement se rapportent à des points de rupture différents de notre existence temporelle, de l'histoire de chacun de nous et de l'histoire du monde. Le jugement particulier porte sur une existence qui actuellement s'achève; le jugement général, sur l'humanité et le cosmos, en tant que tels, qui meurent pour ressusciter. Entre les deux, si l'on peut ainsi parler, et sachant qu'on parle ainsi du point de vue du temps - il y a la maturation du Corps mystique, l'espérance de la perfection de sa taille.

     

    Le Christ Juge

    C'est le Christ qui est notre Juge. le Jugement est, du point de vue de Dieu, ce qui, du nôtre, est option définitive. car l'option consiste à être pour ou contre le Christ. Nous reconnaissons, ou non, le Christ ; par suite, il nous reconnaît, ou non. Amici mei estis... Nescio vos...Ce sont les deux termes du jugement. C'est par rapport au Christ que l'homme est responsable. Par rapport à sa croix. Il est jugé sur l'attitude qu'il prend par rapport à sa Passion et à sa mort, c'est-à-dire par rapport à l'Amour car

    Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang, il a fait de nous un royaume de prêtres pour son Dieu et Père ; à lui donc gloire et puissance pour les siècles des siècles, amen. Voici qu'il vient, escorté des nuées ; chacun le verra, même ceux qui l'ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre. Oui, amen ! C'est moi l'Alpha et l'Omega, dit le Seigneur Dieu, Il est, Il était et Il vient, le Maître de tout (Apoc, 1,5-8)                     

                                               

     

    F. Varillon - Eléments de doctrine chrétienne tome 2 - Ed. de l'Epi DDB - 1961

     

     

  • l'éternité et un jour

     Le temps et l'éternité

    [363]

    Le temps n'est pas une réalité indépendante des êtres qui durent. Il n'est pas une sorte de réceptacle dans lequel se déroulerait leur devenir. Les êtres ne sont pas dans le temps: c'est le temps qui est en eux. Il y est comme la mesure de leur durée, s'ils sont matériels ou liés à la matière. C'est donc par son corps que l'homme est temporel.

    Au temps s'oppose l'éternité. On peut la concevoir d'abord comme une durée indéfinie et sans limite, un devenir sans termes, c'est-à-dire sans commencement ni fin. Platon et Aristote attribuaient une telle éternité au monde. Mais ce n'est pas une éternité qui s'oppose au temps : c'est bien plutôt l'éternité du temps. En effet, prolonger indéfiniment le temps n'affranchit pas du temps, n'exclut pas de l'existence les caractères qui sont propres aux êtres temporels, à savoir le changement, la succession, le devenir, la multiplicité. C'est pourquoi on ne pense correctement ni le temps  ni l'éternité, si l'on traduit graphiquement celle-ci par une ligne horizontale indéfinie, et celui-là par une section finie de cette ligne. 

    Pour concevoir intemporellement l'éternité, c'est-à-dire pour l'opposer réellement au temps, il faut [364] la définir comme une existence totalement et parfaitement présente à l'esprit et embrassée par lui. Ainsi transcendante au temps, affranchie des caractères du temps, hétérogène au temps, l'éternité ne lui est cependant pas étrangère : c'est elle qui lui donne sa consistance et sa densité spirituelle. Dieu est la Source de notre être  ; or notre être est temporel ; dire que Dieu est la Source de notre être, c'est donc dire équivalemment que l' Eternité est la source du temps. Le temps n'existe que par ce qu'il possède en lui d'éternité.

    Il faut donc penser l'éternité à partir du présent : sa représentation graphique la moins grossière serait une ligne verticale abaissée sur un point signifiant le présent. Ainsi peut-on comprendre qu'elle soit ce qui donne au présent - à mon présent - son poids, ce qui le gonfle de substance spirituelle. Ainsi peut-on comprendre aussi que le jugement, le ciel et l'enfer soient déjà présents au monde.

    L'imagination nous égare quand elle nous conduit à nous représenter comme temporels les événements qui constituent nos fins dernières. Notre mouvement instinctif est d'imaginer chacun de ces événements comme affecté d'une certaine durée qui se déploie dans un temps interne. Ainsi, disons-nous volontiers, l'âme "attend" au purgatoire  que sa purification soit achevée ; après quoi, "elle attend" au ciel la résurrection des corps. En outre, nous imaginons ces événements, ainsi déployés dans un temps interne, comme reliés les uns aux autres par un temps externe qui les englobe et les contient.
    Résistant à de tels entraînements, on peut comprendre, en fonction des distinctions ci-desus rappelées, certaines formules usuelles, comme " l'âme est jugée après la mort, purifiée après le jugement", etc. Elles ont d'abord, dans le langage du temps, un sens négatif. Elles signifient [365] que le jugement n'a pas lieu avant la mort, ni le purgatoire avant le jugement, que l'entrée au ciel ne précède pas le purgatoire, ni le jugement général la résurrection. Elles nient une antécédence temporelle de tel événement par rapport à tel autre. 

    Mais en outre, et positivement, elles affirment un rapport de dépendance entre tel événement et tel autre. Ainsi : la mort est la condition du jugement, le purgatoire est la condition de la béatitude, la mort du monde est la condition de la résurrection.

    On ne peut aller plus loin.

    On ne peut pas dire : le jugement suit temporellement la mort et précède temporellement le purgatoire. Mais on ne peut pas davantage affirmer que les trois événements sont simultanés ; car un rapport de simultanéité implique, lui aussi, référence au temps.

    L'Eglise enseigne que la béatitude des élus et l'enfer des damnés sont éternels. Elle ne dit pas, pour autant, qu'il n'y a pas de différence entre l'éternité des créatures et l'éternité de Dieu. Seul l'Infini absolument infini est éternel absolument. L'éternité de l'homme divinisé est contingente et limitée. Limitée par une limite qui n'est pas celle du temps, et qui ne peut être que mystérieuse  à l'intelligence humaine actuellement soumise aux catégories de l'espace et du temps. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que notre éternité est une participation à celle de Dieu, comme notre vie (de grâce et de gloire) est une participation à sa vie. Participation telle que l'activité du ciel ne se déploie pas dans le temps, ne se "déroule pas" - on dirait plus justement qu'elle "s'enroule", - ne se construit pas successivement et partie par partie.

    L'éternité  de l'enfer, affirmée par l'Ecriture (le feu qui ne s'éteint pas, le ver qui ne meurt pas, la chaos infranchissable), [366] a été niée à plusieurs reprises et de diverses façons. Les "conditionnalistes" (Arnobe) n'accordaient la survie qu'aux justes, et vouaient les "mauvais" à l'anéantissement. Les "restitutionnistes" (Origène) croyaient que tous les pécheurs seraient réintégrés dans le ciel. Contre ces théories et leurs survivances, l'Eglise a défini l'éternité de l'enfer, laissant à la réflexion théologique la tâche difficile d'en préciser l'exacte nature (...) C'est seulement en ce sens qu'il n'a pas de fin que l'on dit éternel le feu de l'enfer.... C'est pourquoi il n'y a pas de véritable éternité en enfer, mais plutôt un temps...).

     

                                                                          

    François Varillon - Eléments de doctrine chrétienne t2 - Ed le l'Epi DDB 1961

  • les fondamentaux (4)

    Note importante.

    Suite de l'enseignement du Père Molinié. La lecture de ce texte exige pour être compris de lire les 3 posts précédents qui font partie de la même conférence.

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    Et c'est justement là une des fautes de beaucoup de chrétiens de vouloir servir Jésus-Christ comme on sert les autres maîtres, avec beaucoup de générosité.  "Je donnerai ma vie pour toi", "oui, mais c'est pas ça que je te demande, je te demande de m'aimer" "mais qu'est-ce que ça veut dire enfin Jésus ? "C'est autre chose, nous allons nous expliquer là-dessus le jour où tu auras suffisamment séché dans l'attente (rires de l'auditoire).

    Alors, deuxième visite, en gros, deuxième conversion se caractérisant par la découverte de l'intimité avec Dieu. Je pense, j'espère  que pas mal d'entre vous, sinon toutes, sûrement toutes l'ont découverte, par conséquent sont capables d'apprécier la différence entre les deux, c'est quand même pas tout à fait la même chose. Donner toutes ses énergies à Dieu, c'est une chose, et c'est une chose surnaturelle  qui suppose déjà une lumière surnaturelle, mais découvrir que Dieu nous assiège d'un désir d'être dans une intimité perpétuelle avec nous, qui ne s'arrête à aucun moment, c'est encore autre chose, et c'est justement ce que Pierre a découvert à ce moment-là, au moment où il s'est effondré en larmes...... d'où une différence de ton dans la proclamation du programme lorsque, peu de temps après, le Christ lui demande : "Pierre m'aime tu ? " Car, à ce moment-là, il n'est plus question de claironner en majeur : "je donnerai ma vie pour toi" mais de murmurer en mineur : "tu sais bien que je t'aime". (...) Je n'élève plus la voix, je suis trop heureux de me taire à côté de toi. Tu m'as visité une deuxième fois.

    Et alors, quand on en est arrivé là,  on n'a encore rien compris... Voilà ce que nous dit la tradition de l'Eglise. Qu'est-ce qu'on n'a pas compris ? Ah voilà. Ce qu'on n' a pas compris c'est que cette intimité avec Dieu, que nous découvrons, que nous commençons à expérimenter, à laquelle nous voulons être fidèle, n'est en nous qu'une petite graine, la plus petite de toutes les graines et que, pour le moment, la situation des forces est nettement encore en faveur de quelque chose d'autre qui s'appelle la loi du péché, la loi de l'orgueil. Et qu'entre cet orgueil et cette douceur de l'intimité divine ce n'est pas la paix qui vient d'être déclarée, c'est la guerre, une longue guerre, une guerre d'usure. En un sens, après la première et même encore après la deuxième conversion, on a encore droit - vous comprendrez ce que je veux dire, on n'a jamais le droit de pécher - mais je veux dire on a encore le droit de commettre tous les péchés du monde tout en espérant être converti de la première et de la deuxième conversion.

    Seulement, alors réciproquement, ce n'est pas parce qu'on a connu la deuxième conversion, ou qu'on pense avoir connu l'intimité de Dieu, (je dis première, deuxième : attention à ne pas chercher de numéros dans vos têtes puisqu'il y en a en fait des multitudes de conversions) mais que ces trois paquets de conversions si vous préférez, trois séries de conversions, c'est une manière de mettre un petit peu d'ordre là-dedans, de reconnaître des phases plus décisives que les autres, eh bien même une fois qu'on a reconnu qu'il vous est arrivé quelque chose, ce n'est pas de la prétention  de la part de Pierre d'avoir pris conscience  qu'il s'est effondré en larmes au moment de la Passion et puis que depuis ce moment-là il est changé, oui, ça  il n'y a pas de doute il est changé, ce n'est pas de la prétention ni de l'orgueil que d'avoir constaté ça, que ce n'est plus le même qu'avant, probable qu'il devait le dire et le sentir. Eh bien si après ça Pierre s'était mis encore  à commettre des fautes graves, on aurait pu lui dire : qu'est ce que c'est cette histoire-là ? Tu prétends avoir le coeur changé ! Tu vois bien que tu continues comme avant ! Eh bien non ! c'est normal. Tout est possible, toutes les catastrophes sont encore possibles, tant qu'on n'a pas atteint la dernière conversion, celle que j'ai appelée "la mort du vieil homme", laquelle mort nous est administrée par l'amour de Dieu.

    Et alors, quoi faire ?

    Eh bien, comprenez-moi. Je vous dis : si vous êtes fidèle si peu que ce soit   au   petit programme de vie religieuse qui est le vôtre, soyez très modeste, très simple : Dieu va se déchaîner, voilà. Il va se déchaîner. Il va déchaîner sa douceur. Il ne va pas déchaîner sa violence. Mais il va avoir une action extraordinairement intense, une action de chirurgien extrêmement intense . Il va utiliser tout à votre service y compris et d'abord le démon et tout ce qui peut contrarier son action, c'est surtout ça qu'il utilise, c'est sa spécialité si je peux dire et c'est sa joie d'utiliser tout ce qui peut le gêner pour que ça aille encore plus vite. Ce n'est pas une raison pour vous mettre à pécher tranquillement, non. Vous me comprenez. Parce qu'il va utiliser aussi et d'abord et surtout l'attente fidèle, le désir sincère qui normalement doit se traduire par un certain effort pour ne plus pécher. Il va utiliser tout ça intensément. Alors je ne peux pas vous dire ce qu'il y a à faire sans avoir d'abord prévenu de ce qui va  se passer et à ce moment-là, une fois que je vous ai bien expliqué que Dieu va agir très intensément, je vous dis : l'essentiel c'est de vous adapter à cette action. Vous entrez à l'hôpital. Cette maison, comparons-là à un hôpital n'est-ce pas, hôpital spirituel. Vous entrez à l'hôpital parce que vous voulez servir Dieu, ou parce que, mieux encore, vous avez découvert que c'est dans cet hôpital que se développe l'intimité avec Dieu. Parfait. Alors vous arrivez là-dedans et vous demandez : qu'est-ce qu'il faut faire ? Faites attention ! Il y a des services qui fonctionnent dans cet hôpital. Ne vous imaginez pas que vous allez vous promener dans les jardins ou dans les salles comme ça. Vous allez subir un certain nombre d'interventions chirurgicales. C'est pour cela que vous êtes là quand même. Alors tâchez de ne pas trop faire attendre le chirurgien. "Oh là là, mais ces opérations, ça ne me rassure pas du tout !" (rires de l'auditoire). Eh bien vous avez la Sainte Vierge ; vous avez vos soeurs ; vous avez l'Eglise, vous avez les sacrements ; vous avez toutes sortes de gens et de choses qui sont là pour vous rassurer. Et puis vous avez les rayons. Ah c'est très important ça. Le service des rayons, c'est la prière : soigné aux rayons de l'amour de Dieu ! Et comme toutes les séances de rayon, c'est plutôt ennuyeux. On s'ennuie passablement. Alors on occupe le temps, on vous occupe le temps, au début, en vous remettant des prospectus sur la nature du traitement, c'est-à-dire qu'on vous explique ce que c'est que l'amour de Dieu, pourquoi Il a fait tout ça, ce que c'est que l'Evangile : vous avez de quoi vous occuper.

    C'est drôle bien sûr, mais c'est quand même tragique aussi de voir des gens qui passent leur temps à lire des prospectus, sans se douter qu'ils vont d'abord à la prière pour subir une REALITE et non une idée, et une réalité qui s'appelle : le rayonnement. Et qui normalement, si cette réalité existe, il doit y avoir un moment où l'on doit sentir que ça chauffe un peu et que ce n'est pas la peine de passer son temps à regarder les prospectus, mais qu'il vaut mieux se laisser pénétrer par cette chaleur de l'amour de Dieu, tout doucement, tout simplement. Tout ça sont des réalités, ce ne sont pas des idées.  Alors au début, quand le rayonnement est faible ou que la carcasse est encore trop épaisse pour sentir, pour être vulnérable à cette chose là, alors on prend des "albums illustrés" pour s'occuper comme dans la salle d'attente, c'est-à-dire on prend des livres de méditation, ça ne va pas plus loin. J'ai la plus grande estime pour la théologie, c'est ma spécialité, il faut bien que j'en fasse, mais qu'est-ce que dit saint Thomas ? A peu près la même chose que moi dans des termes pas plus nobles en fin de compte  : "de la paille ! Laissez- moi tranquille".

    Alors, voyez, c'est très décevant ma réponse, c'est très décevant,  mais c'est volontairement décevant. Si ça vous inquiète encore de ne pas savoir quoi faire pour atteindre cet amour de Dieu, c'est que vous n'avez pas encore compris à quel point Dieu vous aime. Alors j'essaye de vous le faire comprendre, de vous dire : renversons un peu les rôles, si vous voulez bien. Parlons de ce qu'Il fait Lui, même quand vous dormez. Alors, je vous en prie, réveillez-vous ! Précisément parce que la lumière approche, mais quelle  lumière ! Et alors ne vous demandez pas combien d'ampoules électriques  vont être nécessaires pour faire un effet de lumière  alors que l'Aurore arrive : tout vos efforts c'est ça : des petites loupiotes.  Qu'est-ce que c'est que cette histoire-là ? Les temps sont proches. Tout ça arrive à une terrible vitesse. En tout cas, dans votre coeur et dans votre âme, il est plus tard que vous ne croyez, comme le disait le Curé d'Ars, je crois. 

                                  A suivre.... je terminerai cet entretien très prochainement.

     

  • Les fondamentaux (3)

    Suite de la retranscription d'un enseignement du Père Molinié. Ce post est la suite des fondamentaux 1 et 2. Je vous invite à les lire avant celui-ci.

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    Vous n'avez rien d'autre à faire à ce moment-là que d'accueillir, que d'écouter,  que de regarder, que de se laisser modifier par cette Présence. A ce moment-là tout est facile. Ce qui est difficile c'est l'entre-deux et en particulier, souvent, le moment qui précède immédiatement la visite. Soit parce que nous la désirons trop, soit parce que nous ne la désirons pas assez. Quelque fois d'ailleurs les deux à la fois : désirant certains avantages de la visite mais ne désirant pas sa réalité dans ce qu'elle a de déconcertant et d'imprévu. Voilà pourquoi la vertu essentielle du chrétien ,  c'est de ne pas se prendre au sérieux et de prendre la vie humaine dans l'ensemble trop au sérieux. Elle est infiniment grave et infiniment sérieuse dans la mesure où se joue la question de savoir si nous serons le reflet et le partenaire du seul sérieux absolu qui s'appelle Dieu. Alors ça c'est grave. Mais ce que nous pouvons faire et définir de nous-mêmes indépendamment de cela, indépendamment de la pauvreté absolue d'être le reflet de Quelqu'un ce n'est pas très sérieux. Ce n'est pas négligeable d'ailleurs, il ne faut pas le mépriser. La vie quotidienne ce n'est pas méprisable. Et nos efforts de vertu, notre ascèse, il ne faut pas le négliger non plus, il ne faut pas le mépriser. Mais dans la mesure ou c'est autre chose que la réponse pure et simple à l'amour de Dieu, à l'appel de l'amour de Dieu, dans la mesure où c'est un effort pour tenir la maison en ordre et propre pour la visite du Maître, eh bien c'est pas très très important. mais je suppose que vous me comprenez : quelqu'un qui ne voudrait pas nettoyer la maison c'est quelqu'un qui n'a pas très envie d'attendre le Maître ! Alors ça c'est grave ! Mais quelqu'un qui veut nettoyer la maison mais qui, à force de la nettoyer s'intéresse beaucoup plus à la maison qu'à Celui qui va venir dedans...alors c'est grave aussi.

    L'Eglise a entériné tout cet enseignement, cette série de visites bouleversantes qu'on appelle les "conversions". Parce que le propre d'une visite véritable de Dieu c'est qu'elle nous convertit, c'est-à-dire qu'elle nous change et qu'elle nous change au-delà de tout ce que nous pourrions faire. On ne décide pas de se convertir. On attend, on désire...la conversion. Il y a là un retournement du coeur et du regard qui dépendent justement de la présence, de l'irruption de cet Etre imprévisible. Alors ce n'est pas la peine de remplacer sa présence par je ne sais Dieu sait quoi, par la nôtre.... Les auteurs spirituels consacrés par l'Eglise ont tellement accepté ce programme que la Sagesse traditionnelle de l'Eglise a reconnu en gros trois grandes étapes, trois grandes visites. Il y en a une multitude d'autres. En gros, la Sagesse de l'Eglise a reconnu l'existence de trois phases discontinues dans la vie spirituelle, dans la vie chrétienne que, justement, nous ne pouvons pas provoquer pas plus qu'une chrysalide ne peut devenir papillon par ses efforts pour être une bonne chrysalide. Tout ce qu'elle peut faire c'est d'améliorer sa situation de chrysalide et c'est tout. Et si elle s'imagine que ca va bien comme ça elle résiste tout en essayant d'être une bonne chrysalide elle résiste à la transformation, elle résiste à la venue de ce qui doit venir. Et c'est pour cela qu'il faut quand même  mettre les points sur les i pour que ces enseignements soient compris et pour que je puisse répondre d'une manière plus satisfaisante encore, j'espère, à cette question : qu'est-ce qu'il faut faire pour atteindre la douceur de Dieu ? Il y a une première conversion en gros qui peut se caractériser par la décision aisée, libératrice et non pas tendue, inquiète et crispée de la volonté, la décision de se donner tout entier, tout entière au service de Dieu. Ce qui se traduira très normalement et très facilement par une vocation religieuse mais qui peut tout aussi bien se traduire par la persévérance dans l'état où l'on a été mis dans le monde, parce que cette découverte on peut très bien la faire une fois qu'on est sérieusement,  solidement engagé dans le monde et en particulier dans la vie de famille. Peu importe, mais le bouleversement est analogue, voilà ce que je veux dire. Pour qui que ce soit, dans quelque situation, dans quelque condition qu'il soit, découvrir que Dieu réclame tout et qu'il faut vraiment lui donner tout ; se mettre à son service comme un soldat au service d'un capitaine mais alors absolu. C'est aussi bouleversant que la découverte de la vocation, c'est un peu la même chose. La découverte de la vocation religieuse peut se faire avec des pressentiments de ce qui viendra par la suite, ça c'est une autre affaire. Mais elle peut se faire aussi purement et simplement par cette évidence qu'il faut se donner tout entier à Dieu et alors après le plus simple, dans certains cas, ne serait-il pas de répondre à l'appel des conseils évangéliques, ce qui est une autre affaire.  Mais ce n'est pas du tout des conseils évangéliques que je vais vous parler ici. Mais je veux dire que dans une vocation religieuse il faut distinguer deux choses : le fait de se sentir appeler dans telle ou telle famille [jésuites, bénédictins, carmes, franciscains, salésiens....] et à suivre les conseils évangéliques : ça c'est un point qui est personnel et propre à l ' individu et puis il y a la radicalité et l'absolu du service de Dieu : ça tout chrétien devrait le comprendre un jour ou l'autre. Seulement je plaindrais les prédicateurs qui s'évertueraient à prendre leurs ouailles par la peau du cou  pour leur dire : comprenez qu'il faut servir Dieu par-dessus toutes choses ! Mais non, c'est le fuit d'une conversion. C'est le fruit d'un regard du Christ qui transperce Matthieu le publicain, qui ne lui fait pas de grands discours, qui lui dit : viens, suis-moi ! Celui qui a compris cela comme les apôtres n'a encore rien compris à l'amour du Christ ou à peu près. Il est entré dans la maison où bien des surprises l'attendent. Parce que le Maître au service duquel il s'est enrôlé n'est vraiment pas un Maître comme les autres....               

                                                                                           A suivre au post suivant.

  • Les fondamentaux (2)

    Note : ce texte est la suite du post précédent. Si vous ne l'avez pas lu, je vous invite à le faire avant d'entreprendre la lecture du texte qui suit. Ce texte est une retranscription d'un entretien oral donné par M.D Molinié au cours d'une retraite.

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    Prenez l'exemple de [l' apôtre] Pierre, au moment de sa trahison, au moment où le Christ l'a regardé et au moment où il [Pierre]  a pleuré.

    On dit en général ceci et ce n'est pas faux d'ailleurs : Pierre s'appuyait trop sur lui-même ; il avait confiance en lui-même au lieu d'avoir confiance en la grâce de Dieu, il sentait en lui non seulement de la force mais, faites attention, de l'amour. Si Pierre a dit au Christ : "Je donnerai ma vie pour toi" c'est qu'il l'aimait, et qu'il se sentait soulevé par cet amour, porté par cet amour.

    Alors sous la pression de cet amour, ayant conscience d'aimer, il se sentait prêt à aller jusqu'au bout, oui, mais dans la ligne de son programme, dans la ligne de ce qu'il avait compris. La faute de Pierre ça n'a pas été seulement, loin de là, ça n'a pas été seulement de ne pas comprendre que nous sommes fragiles : l'esprit est prompt et la chair est faible, en effet, on s'en est aperçu,  et qu'il fallait faire attention au besoin que nous avons de la grâce de Dieu, c'est pas seulement ça. Mais c'est que Pierre s'était obstiné dans un certain programme d'amour, mais d'amour à la Pierre, vous comprenez, [amour] qui se trouvait ne pas être aussi délicat, aussi raffiné, aussi doux en fin de compte que le "programme" de Dieu. Pour un premier temps ça pouvait aller, pour un premier démarrage, pour un premier "dégrossissage". Mais, pour aller plus loin, il ne suffisait pas que Pierre fasse des progrès, qu'il augmente sa générosité, il ne suffisait même pas qu'il s'appuie davantage sur la grâce de Dieu, il fallait qu'il refonde entièrement sa vue des choses et, en particulier, sa vue de l'amour de Dieu.

    Il fallait qu'il découvre que l'amour de Dieu c'est tout à fait autre chose encore que ce qu'il avait compris, que ce qu'il avait cru !  Et, pour cela, il fallait une deuxième visite du Christ. Une deuxième visite du Christ alors qu'il le fréquentait quotidiennement. Pierre fréquentait le Christ quotidiennement. Mais ça c'était la fréquentation du Christ tel qu'il l'avait compris. De temps en temps, le Christ tel qu'il ne l'avait pas compris frappait à la porte : [Pierre] écoute-moi, attention, tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes... Attention Pierre, tu ne comprends pas, tu n'y es pas, j'ai autre chose à te dire, t'es loin d'avoir compris mon pauvre ami..c'est pas tout à fait ça...., la Transfiguration : il est bon de rester ici, mais si je te parle d'autre chose, de la nécessité de souffrir et de mourir (ce n'est pas que Pierre avait peur de la souffrance) c'est que ce n'était pas dans son programme :  la souffrance de son Maître, la mort de son Maître, parce que c'est un programme divin et qu'il est tout à fait normal que Pierre ne comprenne pas tout de suite mais ce qui est moins normal c'est qu'il s'imaginait avoir compris, et ne plus rien à avoir à apprendre, le malheureux ; ne plus avoir d'étonnements à connaître, de stupéfactions, de ces effondrements...

    Les moments de bonheur dans la vie, les moments de bonheur qui comptent ce sont ces moments où l'on se disait : je n'avais rien compris, en particulier à l'amour de Dieu. Et précisément parce que j'avais un coeur dur, un coeur de pierre, un coeur grossier, un coeur absurde...on ne comprend rien à cette délicatesse excessive de l'amour de Dieu (...) à l'intérieur même de ce qu'il y a de meilleur en vous (je donnerai ma vie pour toi) il y a une dureté terribe, il y a une obstination à opposer sa pensée à celle de Dieu. La pensée de Dieu elle est douce, c'est la nôtre qui est opaque, c'est la nôtre qui ne se laisse pas pénétrer.  Alors cette pensée nous arrive, cette pensée de Dieu, cette douceur de Dieu nous arrive par vagues successives : voilà ce que j'appelle les visites du Christ. Et à chaque fois que nous Lui ouvrons [notre coeur], grâce à une longue préparation, de fidélité, mais une fidélité qui n'a de sens que si elle est une attente de quelque chose ! Si donc à la faveur de cette longue préparation, de cette très longue attente, si à la faveur de cela nous ouvrons vite [quand le Christ vient nous visiter] lorsqu' Il se présente alors Il s'engouffre comme l'eau qui s'engouffre par une brêche, Il pénètre dans la citadelle, Il irrigue certaines  régions passablement desséchées mais pas encore tout à fait. Ce n'est qu'un pas de plus. Ce n'est qu'un envahissement de plus. Et à partir de là la vie est changée, bien sûr. Certaines choses qui nous paraissaient impossibles deviennent faciles. Certaines choses qui nous paraissaient inintelligibles deviennent claires, certaines choses qui nous paraissaient claires deviennent très obscures d'ailleurs, mais ça nous gêne moins. Nous comprenons mieux qu'il est normal qu'il en soit ainsi. Et nous continuons jusqu'à la prochaine étape.

     

    Les serviteurs qui attendent le retour du Maître : qu'est-ce qu'ils font ? Eh bien ils entretiennent la maison. On voit des murs délabrés, il faut attendre le retour du Maître pour savoir comment il va les remettre. Nous, on enlève la poussière, on fait des choses extrêmement... peu importantes. Ce qui est très important c'est de le faire dans un certain esprit qui consiste précisément à attendre et à savoir que ce que nous faisons n'a une telle importance. C'est ça le sens de cette parole des serviteurs inutiles qui paraît révoltante parce que nous avons des prétentions révoltantes. Quand vous aurez bien fait tout ce que vous avez à faire dans la journée, ne vous attendez pas à ce qu' Il dise : Ah cette fois tu as bien avancé dans le Royaume des cieux ! Vous êtes  des serviteurs inutiles, vous n'avez rien fait... que d'attendre. Et d'ailleurs je ne vous demande rien d'autre : attendez-moi. Occupez le temps !  Alors vous [le père Molinié s'adresse à des moniales] vous occupez le temps à chanter, ce qui est pas mal, qui est peut être ce qu'il y a de plus profond pour manifester que nous sommes des serviteurs inutiles, puisque le chant est une chose essentiellement inutile... ça sert à quoi de chanter pouvez-vous me le dire ? (rires dans l'auditoire) Et ainsi vous êtes théoriquement mieux armées que d'autres pour comprendre que votre vie est une vie d'attente. Et si vous avez le malheur de la remplir avec un programme de vertus et de conquêtes...partir à la conquête des cîmes de l'amour de Dieu, attention !  

    Oui bien sûr, dans la mesure où  Dieu nous y invite, dans la mesure ou Dieu nous  invite à être magnanime, à sortir de notre stupidité... allons réveillez-vous dit saint Paul, voilà la lumière qui arrive : ouvrez-vos yeux,  ne les fermez pas à cette lumière déchirante de la douceur de Dieu. Bien sûr. Mais toujours votre action la plus intense concevez-la comme un reflet, comme une réplique de l' initiative de Dieu. Si je dois vous donner une comparaison, très familière, prenez le jeu du tennis. Ca se fait à deux en général sauf si on a un mur en face de soi et alors justement, le grand danger de la vie spirituelle pour nous c'est que nous mettons à la place de Dieu un mur  qui va nous renvoyer nos efforts automatiquement. Ce n'est pas ça. Ca se joue à deux. Il y a quelqu'un qui envoie les balles. Nous n'avons pas d'autre chose à faire que de les recevoir et de les renvoyer. Alors si on les reçoit à gauche on va à gauche, mais si on les reçoit à droite on va à droite. Et s' il ne nous envoie rien : eh bien on attend.... voilà. Et cette attente dans la foi, dans la confiance a plus de prix que l'or dit [l'apôtre] Pierre [dans l'une de ses lettres], justement le même Pierre qui ne savait pas beaucoup attendre. Je vous ai donné le principe fondamental.

    Quand le Christ visite, entre.. c'est Lui qui change le climat de la maison, ce n'est pas nous.....

                                                                                       A suivre... post suivant

  • Les fondamentaux d'une vie selon l'Evangile (1)

    Intro : je retranscrits ici une retraite du père Marie-Dominique Molinié, dominicain, véritable maître spirituel. Je conserve le style oral de ses interventions. L'intitulé : " les fondamentaux d'une vie selon l'Evangile" est un titre que j'ai choisi car MD Molinié peut nous aider à aller à l'essentiel pour vivre comme disciple du Christ. Il existe en effet beaucoup de "gourous", de "coach" même en christianisme. Mais les vrais maîtres sont rares. St Jean de la Croix le dit dans l'un de ses livres. 

     

     

    bonne route vers Pâques !

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    " Qu'est-ce que l'homme doit faire pour atteindre Dieu ? Il est normal qu'au début d'une vie spirituelle on mette l'homme en avant, on pense à soi plus qu'à Dieu. C'est tout à fait normal mais, une des conséquences de cette attitude c'est qu'on s'inquiète davantage de ce que nous allons faire, de ce qu'il faut faire, de ce que l'homme va faire.... et c'est un des fruits de la conversion, de ses conversions [le père Molinié explique ici que l'itinéraire chrétien est une suite de conversions] que de moins se poser la question : qu'est-ce que je dois faire et de se poser de plus en plus cette question : qu'est-ce que Dieu va faire ?

    Alors nous allons faire un effort pour mettre dans l'ombre nos efforts, nos activités et nous allons essayer de tirer des conséquences pratiques de cette vérité que vous m'accorderez tout de suite et dont nous voyons particulièrement les conséquences :

    si Dieu ne garde pas la maison ce n'est pas la peine de la garder et si Dieu ne la construit pas [cette maison] ce n'est pas la peine de la construire, nous.

     

    Par conséquent, nous allons nous occuper d'abord de ce que Dieu fait avant de nous occuper de ce que nous avons à faire de façon à définir nos efforts comme nos activités comme ils doivent l'être c'est-à-dire comme une réponse à l'activité de Dieu et non pas comme une initiative que nous prendrions nous pour obliger Dieu à faire quelque chose.

    Alors qu'est-ce que Dieu fait ? Eh bien c'est très clair, d'après l'Evangile il nous fait un certain nombre de visites. Voilà. Il nous rend visite de temps en temps dans l'existence.

    Alors généralement on pense à la dernière visite, la grande, celle de la mort. Et on ne pense pas que cette visite de la mort ne fait que porter son point final, ou porte à son paroxysme l' événement pas du tout quotidien mais pas non plus unique de la visite de Dieu. Et la première règle pratique qu'il faut essayer de comprendre : on ne provoque pas une visite de Dieu, on n'oblige pas Dieu à venir. On peut se disposer pour l'attendre, on peut prendre une attitude telle que pratiquement il est est certain qu'Il viendra ; qu'Il ne pourra pas résister à notre attente, à notre désir, à notre appel, à notre confiance et à notre disponibilité. Mais précisément pour avoir une attitude d'attente, de désir, d'appel, de confiance et de disponibilité, il ne faut pas s'imaginer qu'on va pouvoir le faire venir à heures fixes. On n'oblige pas Dieu à venir. Ou si vous préférez c' est dans la mesure même où l'on reconnaît qu'Il n'est pas obligé, à aucun titre, de se présenter, que nous attirons sa visite.

    Alors il faut que vous sachiez que nos conduites chrétiennes sont sous la dépendance de ces visites. Elles en dépendent en ce sens qu'elles en proviennent. Il a fallu qu'Il vienne une première fois pour nous apprendre à faire quelque chose, le tout début : au catéchisme, que ce soit dans votre enfance ou plus tard à l'âge adulte, soyez sûrs que cet apprentissage provient de ce que Dieu s'est présenté le premier. C'est une véritable visite de Dieu venu que ces messagers qu'Il nous a envoyés : nos parents, le curé que nous avons connu ou tel ou tel ami, que sais-je, qui nous a renseigné. Ce messager, Dieu l'a faconné, préparé de toute éternité pour nous, entre autre, mais pour nous aussi. Par conséquent c'est bien Lui qui s'est présenté, nous n'y sommes pour rien... C'est bien une visite de Dieu ça. Et si nous avons fait quelque chose c'est dans la mesure où nous avons accueilli cette visite, nous avons  ouvert la porte.

    Ce qu' il y a de plus paradoxal - c'est cela qui est peut être un peu nouveau pour vous - c'est qu'une fois qu'on a ouvert la porte et qu'on a accueilli cette première visite, on reçoit un enseignement, des indications pratiques : faites ceci, faites cela ; et quelle est la pointe suprême de cet enseignement ? Quelle est la règle pratique la plus importante : prière d'attendre la Visite suivante !

    Et alors si on oublie ce petit détail là comme beaucoup (prière d'attendre la Visite suivante) et si on prend tout le reste des consignes comme s'il ne devait plus jamais y   avoir d'autres visites, alors on se fourvoie gravement, on s'écarte de l'Evangile en fait pour tomber dans un certain nombre de désordres dont le pharisaïsme est un des moins graves ou l' un des plus graves, comme vous voulez, ça dépend du degré de pharisaïsme.

    Nous ne provoquons pas une visite de Dieu. Et tout ce qui nous est demandé de faire n'a pas d'autre sens, en fin de compte, que de nous préparer à entendre de nouveau frapper à la porte et à ouvrir aussi promptement que possible. Ca n'a pas d'intérêt (toutes les pratiques) en dehors de cette perspective là.

    Je prends l'exemple de quelqu'un qui connaît ce que j'appelerais la "première conversion", quelqu'un qui a reçu ce choc (car justement toute visite de Dieu est un choc), quelqu'un qui a reçu ce choc de découvrir qu'il ne s'appartenait pas. Comme le dit à peu près Tagore : j'ai découvert d'abord que la vie était "joie", puis j'ai découvert que la vie était "service" et j'ai découvert ENFIN que le service était la joie. Découvrir cette vérité du service. Quelqu'un qui reçoit ce choc de comprendre qu'il faut que tout passe au service de Dieu avec le même absolu, même beaucoup plus absolu  que la vie de quelqu'un qui s'engage dans la vie militaire ou quelque chose comme ça...Bon, je suppose quelqu'un qui comprenne ça. Un peu comme ce que les apôtres ont compris quand le Christ les a regardés en disant "viens et suis-moi"  Et bien si ce quelqu'un s'imagine que c'est fini, qu'il n'a plus qu' à faire des progrès, faire les choses de mieux en mieux, être de plus en plus fidèle à l'appel qu'il a entendu, être de plus en plus fidèles  à l'idéal qu'il a entrevu, si quelqu'un  s'imagine cela, qu'il n'a rien d'autre à faire qu'à progresser et qu'il n'y a plus à être bouleversé une deuxième fois, une troisième.... eh bien il se met en situation presque infaillible de résister à la Visite suivante, en tout cas, au moins, de ne pas s'y préparer puisqu'il ne soupçonne pas que des visites il risque d'y en avoir d'autres et probablement de leur résister, parce que le propre d'une visite c'est d'être imprévu et d'être, quand il s'agit d'une visite de Jésus-Christ,  bouleversante : on ne sait pas ce qui va se passer, tout est remis en question, tout est remis en cause et surtout et d'abord notre programme de vie.

    Vous vous demandez peut-être à première vue comment le fait de servir Dieu par-dessus toutes choses, de Le servir totalement, corps et âme, comment ce programme-là peut être remis en cause. Eh bien, malgré tout ce programme s'effondrera lui aussi...je vais jusque là. Je ne dis pas dans sa substance profonde ; il est bien clair que nous ne cesserons pas de comprendre qu'il faut servir Dieu, tout à fait d'accord.  Mais ce que nous appelons "servir Dieu", ce que nous croyons avoir compris de ce qui s'appelle "le service de Dieu" : si nous sommes fidèles, si nous sommes ses serviteurs  : heureux ces serviteurs qui ne laissent pas le Maître frapper [à la porte de leur coeur] pendant trois mois, trois ans ou trente ans, tout en s'occupant bien (je m'occupe de vous, je fais le service, je fais ce qu'il faut, je travaille bien pour vous :  j'évangélise, je mets toutes mes forces au service de l'Eglise, du Royaume des cieux....) Mais le Seigneur à ce serviteur dira : " je frappe à la porte de ton coeur et tout ça c'est bien intéressant mais j'ai autre chose à te dire". Et le serviteur de lui répondre : "mais enfin : qu'est-ce qu'il faut faire ? Dans le programme que vous m'avez tracé qu'est-ce qu'il peut y avoir de nouveau ? Parce que le programme que vous m'avez tracé, moi je m'y tiens ! Et le Seigneur de lui répondre : "Justement, non.  J'ai autre chose à te dire" . Eh bien si quelqu'un laisse le Seigneur entrer, il fait partie de ces serviteurs heureux..qui ouvrent la porte aussitôt  que leur Maître se présente. Vous connaîtrez, nous connaîtrons tout un bouleversement, toute une refonte de notre manière non seulement de nous appuyer plus ou moins sur la grâce, mais de notre conception même de la vie chrétienne.

    Prenez l'exemple de Pierre, au moment de sa trahison...   

      à suivre...prochain post

     

  • Le troisième oeil

    [15]

    Quand Dieu créa l'homme, il lui donna deux yeux pour apercevoir et un oeil pour voir. Les yeux pour apercevoir, il les plaça de part et d'autre des fosses nasales, dans des orbites. L'oeil pour voir, il le plaça dans un trou, au sommet de la tête. Quand il pleuvait, l'eau stagnait dans le trou et empêchait l'oeil de voir. Dieu enleva l'oeil pour voir et reboucha le trou avec un os en forme de feuille. C'est le reste de ce trou que nous apercevons au sommet de la tête des bébés et des vieillards. Il alla le placer plus bas, à l'opposé du menton. mais voilà, quand l'homme s'adossait à son mur pour manger son maïs, l'oeil pour voir ne voyait plus. Pire, quand il tombait à la renverse, l'oeil s'emplissait de cailloux, changeait de couleur et se déformait chaque fois un peu plus. Dieu enleva l'oeil pour voir et reboucha l'endroit avec un os en forme de cailloux. C'est cette proéminence au milieu des pentes de la tête qui est devenue la nuque.

    Finalement Dieu résolut de cacher l'oeil pour voir au fond de l'homme, dans son coeur. Depuis ce jour, l'homme aperçoit les objets avec les yeux du visage mais il ne peut vraiment les voir qu'avec l'oeil du coeur. Depuis ce jour aussi, le trou qui, le premier, abrita l'oeil pour voir  ne cesse d'exprimer sa nostalgie mais aussi son inquiétude en des pulsations répétées : " Viens ! Reste ! Viens ! Reste ! " 

    Quand la nostalgie devient incoercible, l'ancien trou se soulève dans un grand " Viens !" et l'oeil fait son passage pour rejoindre Celui qui l'avait façonné et placé dans le coeur pour voir. 

    François-Xavier DAMIBA - Dieu n'est pas sérieux - Ed Harmattan, 1999

     

    [François-Xavier Damiba, prêtre diocésain, né à Koupéla au Burkina Fasso. Recteur du grand séminaire de Ouagadougou depuis 1997]  

  • Faites attention à ce que vous entendez (3/3)

    [77]

    Bien entendu, si Marc a rassemblé ici quatre déclarations de Jésus originairement éparses pour renforcer son appel à écouter, c'est qu'il y a quelque chose de particulièrement vital à saisir. Quoi donc ? Eh bien, évidemment, ce que Jésus nous apprend du monde nouveau de Dieu et de la nouvelle mentalité qui y règne. Mais qu'est-ce à dire ? Pour bien faire il faudrait examiner tout ce que, selon Marc, Jésus dit et tout ce qu'il fait

    Pour faire bref et nous limiter à un seul exemple, on pourrait dire ainsi que le nouvelle mentalité ne va pas sans un renoncement complet à toute domination (10, 42-45) : que ce soit de certains humains sur d'autres, ou des hommes sur les femmes, ou des forts sur les faibles, ou des riches sur les pauvres, ou des adultes sur les enfants, ou des pasteurs sur les laïcs, ou d'une prétendue race sur une autre, ou des savants sur les ignorants... la liste pourrait être longue. Partout où de telles dominations subsistent, le monde nouveau de Dieu n'est sûrement pas là. Cette nouvelle mentalité ne nous est pas plus naturelle qu'aux autres humains. Nous vivons dans un monde, en effet, où l'ambition la plus fréquente est de conquérir ou de conserver un pouvoir sur les autres, que ce soit dans les familles, dans les entreprises, à l'école, dans le monde politique ou les relations internationales. On sait bien où cela mène : c'est la source de tous les conflits. 

    Comment en sortir ? Le monde nouveau de Dieu n'est-il pas une utopie, un rêve trop beau pour être vrai ? A cette inquiétude Jésus répond par avance en deux phrases. Il évoque d'abord l'image de la lampe : la lampe allumée n'est pas destinée à être placée sous un seau ou sous un lit, mais sur un porte-lampe car elle est faite pour éclairer. 

    La seconde phrase est encore sous forme de dicton : Il n'y a rien de secret  qui ne doive être mis au jour. L'image de la lampe et le dicton se renforcent mutuellement, et le sens est clair : le message de salut proclamé par Jésus est une lampe allumée. De même que la lampe est faite pour éclairer, de même la lumière du monde nouveau de Dieu doit chasser la nuit dans laquelle notre vieux monde meurt et se perd. Le rayonnement du monde nouveau de Dieu est encore quelque chose de caché à la plupart, de confidentiel, de non évident.  

    [78] Mais vous auriez tort de vous faire du souci : la vérité finit toujours par éclater. 

    C'est cette certitude sereine de Jésus que j'aimerais vous laisser : Noël, c'est une bonne nouvelle de salut pour notre monde. Elle a commencé à se répandre, la lumière a commencé à briller. Elle est trop nouvelle, c'est-à-dire trop étrangère à nos mentalités naturelles pour être acceptée sans plus par la plupart des humains. Elle n'a été encore écoutée et reçue que par un petit nombre. Elle est donc encore pratiquement secrète, cachée, confidentielle, non évidente. Mais la lumière de Noël est faite pour éclairer. Et elle éclairera. Dès maintenant vous pouvez vous en réjouir. Fêter Noël, c'est aussi lui donner sa chance, c'est l'écouter.     

     

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Cerf 2002, coll. Lire la Bible

  • Faites attention à ce que vous entendez (2/3)

    [74] Nous voilà donc prévenus qu'il y a là, dans ce que dit Jésus, quelque chose qui vaut la peine d'écouter.

    En général, nous n'aimons pas écouter. Voyez ce qui se passe lors d'une discussion, ou même lors d'une interview de journaliste : on se coupe constamment la parole. Chacun veut placer - et faire prévaloir - son point de vue, sa vérité. On ne laisse pas l'autre s'exprimer, on le contredit avant qu'il ait terminé. Chacun se refuse d'entendre - et même de laisser entendre - ce que l'autre veut dire. En somme nous n'aimons pas ce qui ne vient pas de nous-mêmes, nous n'aimons pas et ne savons pas écouter, faire taire nos propres voix pour essayer aussi de saisir celle de l'autre.

    Si les humains sont si peu capables de s'écouter les uns les autres, on est en droit de se demander comment ils vont pouvoir écouter une voix autrement étrangère, je veux parler de celle de Dieu, que Jésus est venu essayer de nous faire entendre. Celui  qui n'écoute pas se condamne lui-même à tourner toujours dans le même cercle , comme un lion dans sa cage : on n'en sort pas, on se retrouve toujours seul avec soi-même, on est perdu.

    L'Evangile, le message proclamé par Jésus, c'est justement une autre voix qui cherche à se faire entendre  de nous ; une voix qui vient d'ailleurs que de nous-mêmes, qui nous apporte  quelque chose d'autre de différent, quelque chose de neuf : une voix qui apporte aux humains le salut.

    Voilà pourquoi Jésus dit à ceux qui sont autour de lui : Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende ! Faites attention à ce que vous entendez.

    Dans notre monde, envahi parce ce qu'on appelle les médias, on nous sollicite à longueur de publicité pour que nous achetions ceci ou que nous votions pour celui-là. Mille voix cherchent  à se faire entendre, employant les techniques les plus astucieuses pour forcer notre attention par toutes sortes d'images séduisantes ou de slogans accrocheurs. En nous disant Faites attention à ce que vous entendez , Jésus ne nous invite pas à ne rien manquer de tous ces messages qui nous parviennent, à écouter tout et n'importe quoi. Il nous appelle simplement  à prêter attention à la seule voix qui nous donne une chance de sortir de nous-mêmes et de découvrir enfin autre chose, une autre vie, un autre avenir. Il nous invite à saisir le salut. Faites attention à ce que vous entendez.

    Marc enchaîne aussitôt avec une autre parole de Jésus : La mesure dont vous vous servez servira de mesure pour vous signifie alors : " Tout ce que, en écoutant Jésus, vous saisissez du mystère du monde nouveau de Dieu, tout cela, Dieu vous le donne, pas moins." Et Jésus ajoute cette promesse : et Dieu y ajoutera encore. [76]. Ainsi plus nous écoutons et mieux  nous faisons passer dans notre vie ce que Jésus nous dit du monde nouveau de Dieu, mieux et davantage ce monde nouveau prend pied chez nous et y fait entrer sa rayonnante nouveauté. 

    Enfin cet appel pressant à écouter et cette promesse à ceux qui écoutent, Marc les couronne par une dernière sentence de Jésus : A celui qui a, il sera beaucoup donné ; et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. Cette dernière sentence de Jésus est formulée de manière assez générale et impersonnelle. Elle a toutes les apparences d'un dicton  populaire  comme on en trouve dans presque  toutes les langues. Il existe, par exemple, un dicton arabe qui dit à peu près : " Qui possède du lait reçoit du lait ; qui possède de l'eau reçoit de l'eau." Ce qui pourrait vouloir dire : on n'obtient jamais que ce qu'on possède déjà.  En français vous connaissez le "On ne prête qu'aux riches". La parole de Jésus a le même aspect de sagesse populaire : A celui qui a il sera donné ; et à celui qui n' a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. Cette sentence, bien connue, ne manque pas de faire peur. Elle semble en effet légitimer une injustice qui choque et paraît même contredire tout ce que nous connaissons par ailleurs de Jésus. C'est vrai que, prise isolément, cette sentence est quelque peu révoltante. Pourtant même si Jésus l'a empruntée telle quelle à la sagesse populaire, il la cite toujours dans une situation bien précise et lui donne ainsi un sens nouveau. Pour Matthieu, par exemple, elle conclut la parabole  des talents. Elle devient alors un avertissement adressé aux disciples d'avoir à faire valoir le trésor que le Maître leur a confié. 

    Chez Marc, Jésus l'utilise pour conclure son appel à écouter. Et du coup elle perd ce qu'elle pouvait avoir de choquant ou de sévère. Elle devient bonne nouvelle : A celui qui a il sera donné. Autrement dit, celui ou celle qui aura accueilli le monde nouveau de Dieu en écoutant Jésus, recevra plus encore qu'il ne pouvait l'espérer ; il sera   comblé au-delà de toute attente. Par contraste les autres passent à côté de l'essentiel, ils perdent tout : tout ce qu'ils ont entendu mais non pas écouté, mais aussi tout ce qu'ils  avaient jusqu'alors et qui se révèle désormais sans valeur devant la grande nouveauté que Jésus apporte. Leur cas , Jésus l'avait déjà évoqué dans la parabole du Semeur, lorsqu'il parlait des grains de blé tombés le long du chemin, dans le terrain pierreux ou parmi les épines. Leur cas est même assez fréquent, et Jésus l'évoque sans plaisir : dans un certain nombre de cas la semence est perdue. Il n'empêche que, lorsqu'elle réussit, les résultats dépassent toutes les espérances.    

    A suivre....post suivant

     

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Cerf 2002, coll. Lire la Bible

  • Faites attention à ce que vous entendez (1/3)

    [73] Dans la vie trop remplie et donc trop agitée qu'on mène dans nos grandes cités modernes, c'est une bénédiction pour nous d'avoir ces quatre dimanches de l'Avent, que l'Eglise ancienne a proposé de mettre à part pour préparer Noël. Mais comment préparer Noël ? Comment vivre Noël ?

    De toutes les fêtes chrétiennes, en effet, Noël est la plus populaire, mais aussi la plus paganisée. Elle a cessé en quelque sorte d'appartenir aux Eglises. Tout le monde s'en est emparé. Ici, c'est une marque de piles électriques qui prétend avoir inventé le moyen de faire durer Noël deux fois plus longtemps - parce que ces piles, destinées aux jouets des enfants, durent deux fois plus longtemps, paraît-il. Deux fois plus longtemps que quoi ? On ne le dit pas. Là, les rues se garnissent de guirlandes illuminées pour attirer les clients dans les magasins. Il y a en effet des cadeaux à acheter, pour les offrir à ceux qu'on aime. Il y a un réveillon à préparer pour la soirée du 24 décembre. Bref, beaucoup de publicité et de bonnes affaires en perspective.

    Dans les paroisses aussi on s'active. On prépare la célébration destinée aux enfants. Peut-être aussi tel ou tel d'entre vous a-t-il prévu d'inviter ceux ou celles dont il sait qu'ils supporteront mal leur solitude...

    On ne va pas juger ici ces diverses façons de fêter Noël, même si certaines d'entre elles ont bien peu de rapport (...). Mais dans ce foisonnement où tout se mêle, le bon et le moins bon, on peut se demander ce qu'est vraiment Noël. Le meilleur moyen est de faire un retour aux sources. Et, pour nous protestants, la source, c'est la Bible.

    On aurait tort de penser que la Bible nous propose une manière unique et standard de comprendre ce que signifie pour notre monde la naissance de Jésus. J'ai même envie de dire que les évangiles ont chacun leur manière de présenter cet événement en apparence insignifiant et pourtant d'une aussi grande portée pour l'humanité. 

    [74] Pour Matthieu, par exemple, Noël c'est "Dieu avec nous", Dieu à nos côtés pour partager notre condition humaine. Pour Luc, me semble t-il, on pourrait dire que Noël est l'avènement discret d'un puissant sauveur pour tous les humains, et que cet avènement marque en conséquence un tournant décisif dans l'histoire de l'humanité. Jean, quant à lui, ne raconte rien de la naissance de Jésus. Mais pour lui, l'entrée de Jésus dans le monde, c'est le commencement d'une bonne nouvelle, d'un message de salut, selon les tout premiers mots de son évangile : Commencement du message de salut apporté par Jésus...

    Bien sûr, ces diverses façons de comprendre et d'annoncer l'événement de Noël ne se contredisent aucunement. Elles correspondent sans doute à des sensibilités différentes chez les évangélistes.

    Personnellement je suis sensible à la façon dont Marc essaie de nous faire saisir ce qu'est Noël : le commencement d'une bonne nouvelle, d'un message de salut.

    Une mauvaise nouvelle, c'est toujours difficile à recevoir - et donc aussi à transmettre : la mort d'un être cher, l'annonce d'une grave maladie dont vous êtes atteint, l'annonce d'un licenciement qui vous frappe... quelques mots suffisent, ce jour-là, à faire basculer toute une vie.

    Mais une bonne nouvelle, ça s'annonce avec plaisir, ça s'écoute avec joie, ça éclaire le visage et ça réchauffe le coeur. Une bonne nouvelle aussi, ça marque un tournant dans la vie. C'est pourquoi la Bonne Nouvelle que Jésus apporte doit être non seulement entendue , mais écoutée, c'est-à-dire bien enregistrée pour faire désormais partie de nous-mêmes et modifier notre vie en conséquence.

    Ecouter : c'est précisément le thème central de cette série de sentences énoncées par Jésus probablement en diverses circonstances et regroupées par Marc dans son chapitre sur les paraboles : Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende ! Et Marc d'appuyer cette première recommandation de Jésus, par une seconde : Faites attention à ce que vous entendez. Nous voilà donc prévenus qu'il y a là, dans ce que dit Jésus, quelque chose qui vaut la peine d'être entendu, quelque chose qui vaut la peine d'écouter

    En général, nous n'aimons pas écouter. Voyez ce qui se passe [75] lors d'une discussion, ou même lors d'une interview de journaliste : on se coupe constamment la parole. Chacun veut placer - et faire prévaloir - son point de vue, sa vérité. On ne laisse pas l'autre s'exprimer, on le contredit avant qu'il ait terminé. Chacun se refuse d'entendre - et même de laisser entendre - ce que l'autre veut dire. En somme nous n'aimons pas ce qui ne vient pas de nous-mêmes, nous n'aimons pas et ne savons pas écouter, faire taire nos propres voix pour essayer de saisir celle de l'autre.

    Si les humains sont si peu capables de s'écouter les uns les autres, on est en droit de se demander comment ils vont pouvoir écouter une voix autrement étrangère, je veux parler de celle de Dieu, que Jésus est venu essayer de nous faire entendre. Celui qui n'écoute pas se condamne lui-même à tourner toujours dans le même cercle, comme un lion dans sa cage : on n'en sort pas, on se retrouve toujours seul avec soi-même, on est perdu.

    L'Evangile, le message proclamé par Jésus, c'est justement une autre voix qui cherche à se faire entendre de nous ; une voix qui vient d'ailleurs que de nous-mêmes, qui nous apporte quelque chose d'autre, quelque chose de différent, quelque chose de neuf : une voix qui apporte aux humains le salut.

    Voilà pourquoi Jésus dit à ceux qui sont autour de lui : Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende ! Faites attention à ce que vous entendez.  (...)

                                                                                    A suivre post suivant

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Cerf 2002, coll. Lire la Bible

    Note : je vous recommande de vous procurer ce livre de J.M Babut qui nous offre un commentaire exceptionnel de l' évangile de Marc. De tels livres sont rares car l'auteur nous accompagne dans une lecture renouvelée de l'Evangile. C'est un pédagogue profond qui ne nous écrase pas (contrairement à beaucoup d'auteurs, hélas) par des considérations scientifiques, exégétiques et finalement imbuvables. 

     

     

     

  • Scandale chez Lévi

    [33]  cf. évangile selon Marc, chapitre 2, versets 13 à 17 (Mc 2, 13-17)

    En sortant donc de Capharnaüm pour se rendre sur la rive du lac, Jésus passe devant l'octroi où se tient Lévi. Lévi est un employé chargé de percevoir, pour le fisc du roi Hérode Antipas, les taxes sur les marchandises qui passent la frontière voisine. Le système douanier d'alors n'était pas minutieusement réglementé comme celui d'aujourd'hui. Une sorte de "fermier général", comme on disait en France sous le règne de Louis XIV, avait acheté au roi Hérode le droit de percevoir les taxes, et il déléguait à des subalternes comme Lévi le soin de récupérer le capital engagé, avec une marge correspondant au service rendu. 

    Etait-ce parce qu'ils cédaient à une pression exercée par l'employeur ou à la tentation de profiter d'une position de force, toujours est-il que Lévi et ses collègues avaient la triste réputation de s'enrichir indûment. Ils en étaient alors d'autant plus détestés et méprisés. 

    De plus, manipulant de l'argent qui passe de main en main, de l'argent païen, ils étaient classés dans la catégorie des "impurs", c'est-à-dire des gens qui n'ont pas accès à Dieu, des gens par conséquent, avec qui on ne fraie pas, des gens qu'on laisse en marge, qu'on ne salue pas et qu'on n'inviterait sûrement pas à sa table. 

     (...)

    En passant devant l'octroi, Jésus voit Lévi. Il ne se contente pas d'enregistrer sa présence, il le voit. On peut imaginer que Jésus arrête un instant son regard sur Lévi, peut-être même que  leurs regards se croisent. Et Jésus saisit tout de suite sa condition de paria. Alors chose impensable pour Lévi et scandaleuse   pour les témoins bien-pensants de la scène, Jésus lui adresse la parole. Mieux, il l'appelle, lui [34] Lévi le méprisé et le rejeté, lui le "pauvre type", lui le "sale type". Il l'appelle à entrer dans le groupe des disciples, de ces gens qui accompagnent Jésus et partagent son existence errante, pour découvrir sous sa direction les mystères du Règne de Dieu.

    Jésus va même jusqu'à se laisser inviter chez Lévi, en compagnie d'autres gens du même acabit.

    (...)

    Les gens sérieux, "respectables" comme dit la traduction en français courant, lui en font pourtant le reproche : on ne se commet pas, protestent-ils, avec des gens qui se placent ouvertement en marge de la volonté de Dieu, des gens qui n'observent pas les règles élémentaires du pur et de l'impur, des gens qui ignorent délibérément la loi de Dieu. Bien pire : en acceptant de frayer avec eux, on se rend soi-même impur, on se situe donc volontairement dans le camp des adversaires de Dieu, dans le camp des "pécheurs", comme on disait.

    Des pécheurs : le grand mot est lâché. (...) Ainsi pour ces pharisiens qui s'appliquent à observer scrupuleusement les commandements divins, la loi de Dieu est devenue un moyen de juger : un moyen de se juger soi-même en règle (ou non) avec Dieu, mais aussi un moyen de juger les autres et de condamner ceux qui n'ont pas fait le même choix. s'arrogeant ainsi au nom de la loi divine le droit de juger les autres, ils se mettent à la place de Dieu, le seul juge. Ils sont si bien persuadés d'être en règle avec lui, d'être des justes, qu'ils ne peuvent s'imaginer que Dieu ait un autre point de vue que le leur. (...)

    [35] Une fois de plus Jésus surprend tout le monde par la position qu'il prend. Lui ne juge pas, il vient guérir et guérir en particulier les dégâts causés par les pharisiens et leurs émules de tous les âges et de toutes les civilisations. Au lieu de condamner et d'exclure, il appelle. A Lévi il fait cet honneur inouï de l'inviter à venir avec lui.

    Vous le remarquerez, pour prendre le contre-pied des pharisiens, Jésus ne passe pas dans le camp opposé, il ne prend pas le parti des collecteurs de taxes et des "pécheurs". Il ne leur donne pas raison contre les pharisiens. (...) Si les uns ont tort, les autres n'ont pas forcément raison. Pour Jésus (...) la solution ne consiste pas à prendre le parti opposé à ceux qu'il conteste. Jésus n'est jamais contre, il est avec. (...) Là où nous autres humains avons construit des murs infranchissables, Jésus ouvre des portes, une porte, la porte du Règne de Dieu.

    Suis-moi, dit-il ainsi à Lévi, le laissé-pour-compte. Cet appel est aussi simple et bref que chargé d'avenir pour celui qui l'entend. C'est le même appel auquel ont déjà répondu Simon et André, puis Jacques et Jean....

    Suivre Jésus, c'est d'abord devenir son élève, en étant là pour écouter ce qu'il dit et voir ce qu'il fait. Je pense que tout lecteur assidu de l'évangile est quelqu'un qui commence à suivre Jésus. Mais suivre Jésus, c'est aussi l'accompagner sur la route surprenante et imprévue du Règne de Dieu et partager avec lui non seulement les aléas de son existence, mais les  risques de son choix. C'est s'exposer, en particulier, à être rejeté - et peut-être condamné - comme lui par ceux qui n'admettent pas d'autre choix que celui qu'ils ont fait eux-mêmes ; par tous ceux qui détiennent une vérité et qui en font la vérité ; par tous ceux qui découpent l'humanité en deux camps, le leur et celui des méchants ; par tous ceux qui ne supportent pas d'être mis en cause, même par la troisième voie, celle du Règne de Dieu que Jésus vient suivre lui-même et proposer à tous. (...)

    [36] Il se leva, raconte l'évangile, et le suivit. Jusqu'alors Lévi était assis, immobile à la place qu'il avait choisie ou que les circonstances lui avait imposée, peu importe, assis en tout cas dans une situation où les autres le tenaient enfermé. Et puis Jésus est passé, et Lévi s'est levé. (...)

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Edition du Cerf, 2002, coll. lire la Bible

  • L'évangile de Marc (1) : écouter la parole

    [7] Dans les pages qui suivent on trouvera le texte d'une soixantaine de prédications consacrées à l'évangile selon Marc. (...) Parmi les soixante-dix livres canoniques disponibles, il convenait, a-t-il semblé, de commencer par ce qui est, pour les chrétiens, [8] le commencement, à savoir Jésus et son message. Marc est l'évangile le plus ancien, le plus court et apparemment le plus simple. C'est lui d'autre part qui a servi de référence à ses deux voisins. D'une certaine manière donc il se suffit à lui-même. Contrairement ensuite aux épîtres qui procèdent par argumentation, Marc présente son message sous la forme d'un récit, ce qui offre l'avantage incomparable d'inciter le lecteur ou l'auditeur à entrer personnellement dans l'histoire racontée, à s'identifier aux personnages et à s'approprier plus naturellement le message. (...)

    (...) Ecouter est sans doute une des choses qui nous est la plus difficile. Quiconque prétend écouter doit être averti qu'il risque d'être lui-même le premier fournisseur de parasites dans la communication qu'il veut établir avec le texte : on aime en effet ce qui vient confirmer les convictions qu'on cultive, on aime ce qui vient nous donner raison ou qui va dans le sens de ce qu'on croit savoir déjà, on aime ce qui nous paraît répondre aux questions qu'on se pose ou qui nous assaillent. Ce qu'on pourrait appeler notre contexte personnel du moment nous oriente avant que nous nous en rendions compte vers telle attente, telle sensibilité, tel intérêt pour tel aspect du texte et nous voilera probablement aussi tel autre aspect qui ne correspond pas à nos préoccupations présentes ou se trouve même en contradiction avec nos convictions. Bref, notre "contexte personnel" nous prédispose à une lecture inconsciemment orientée vers nous-mêmes. Dans de telles conditions on risque fort de n'entendre en fin de compte que sa propre voix. On se condamne alors à ne pouvoir sortir du cercle vicieux  dans lequel on est enfermé avec soi-même. 

    Seulement écouter est tout autre chose. Ecouter, c'est être attentif à une voix autre que la mienne et, quand il s'agit de la Bible, autre aussi que les voix étrangères qui résonnent chaque jour à mes oreilles et sollicitent mon adhésion. Ecouter Marc réclame donc en premier lieu que j'impose silence à ce que je crois savoir de lui, silence aussi à mes propres assurances, afin de me rendre entièrement disponible à cette autre voix qui ne vient pas de moi et qui me dit autre chose que ce que je pense, autre chose aussi que ce qu'on a toujours dit, autre chose, peut-être, que ce que j'aimerais entendre. [9] Se rendre ainsi disponible au sens du texte exige donc discipline, voire ascèse, et méthode. Surtout si on est déjà quelque peu familier avec la Bible, il faudra toujours à nouveau s'interdire de savoir par avance ce que le texte veut dire.  (...)

    [10] (...) la distance est considérable entre le monde où vivait Jésus, et même celui où vivait Marc d'une part, et d'autre part l'Occident déjà vieux de deux millénaires dans lequel nous avons appris à parler et à penser. (...) Mais la mentalité humaine a-t-elle autant changé en deux mille ans ? Il y a tout lieu de penser que non. (...)

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Ed. Cerf, coll. Lire la Bible, 2002

       

  • La Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres (5)

    (...) [45]       SENS FONDAMENTAL DE LA PAUVRETE

    En ne comprenant pas que la pauvreté est d'abord et fondamentalement une option portant sur l'avenir des hommes, au coeur des conflits historiques où se heurtent les puissances, il ne nous est pas possible de saisir le sens de la pauvreté évangélique et des béatitudes. Il ne reste plus  qu'à reléguer au dépotoir des illusions, des besoins [46] soi-disant "mystiques"  ou des idéologies plus ou moins intéressées à l'exploitation des consciences humaines.

    En prenant et en comprenant la pauvreté à l'envers, par le petit bout, par ses conséquences dans l'avoir et dans l'usage des biens du monde, nous nous condamnons à ne plus comprendre ces conséquences et cet usage. Nous aboutissons inévitablement à des condamnations abstraites de l'avoir, de la technique ou de l'argent, qui demeurent ambiguës tant que la pauvreté ne se réfère pas à l'avenir absolu de l'homme. (....)

    [48] Or l'avenir n'est humain que s'il est vraiment choisi et voulu. 

    Malheureusement on peut arriver à faire croire à l'homme qu'il choisit librement ce qui, en réalité, lui est imposé. Les propagandes, les publicités, les idéologies, toutes les séductions, les moyens de conditionnement, les procédés de "viol des foules" visent à se substituer à la décision libre. "En douce", par la bande, on arrive à chloroformer le patient  afin d'obtenir de lui une adhésion  infantile qui ne vient pas de lui, de sa liberté, mais de ses passions et de ses pulsions, de ses besoins et de ses rêves. (...)

    [43] (...) les pauvres de Yahvé [voir la note ci-dessous] n'ont pas accepté que leur avenir soit défini par les puissants de ce monde qui veulent toujours se justifier, s'imposer aux esprits et aux consciences. Aux hommes qu'elles dominent, ces grandes violences tiennent toujours à peu près ce langage : " C'est nous l'avenir, c'est nous votre avenir ; d'ailleurs, notre puissance est telle qu'elle s'étendra indéfiniment et deviendra universelle. Bref, nous sommes le "sens de l'histoire", de votre histoire (...) Ceux qui ne marcheront pas et qui résisteront sont opposés évidemment à l'avenir des hommes, et, à notre grand regret, nous serons obligés de les liquider."

    Eh bien, les pauvres de Yahvé, éclairés par la lumière de la Parole de Dieu, ont opposé un refus catégorique à des propositions de ce genre ; ils ont dit "non", un non conscient et résolu aux prétentions des puissants. "Non, affirment-ils l'avenir véritable des hommes n'est pas en votre pouvoir, il ne dépend pas de vous, malgré toutes les apparences. Vous usurpez un pouvoir qui ne vous appartient pas. Nous savons, nous, de quel côté se trouve l'avenir, ce qui le garantit, ce qui permet de l'attendre et de l'atteindre sans déception, par quels moyens nous pouvons le réaliser, sur quelle puissance nous appuyer pour le construire. (...) [44] Sans limites et inépuisable, c'est la puissance même du Créateur qui nous est donnée. A elle et à elle seule, nous avons voué notre foi, notre espérance et notre amour. Toute autre puissance ne peut être qu'une idole, une séduction ou une illusion, une ruse ou un mensonge."  

    Pierre Ganne - Le pauvre et le prophète - Ed. Anne Sigier 2003

     

     Note : "pauvres de Yahvé" est un terme utilisé dans l'Ancien Testament. On pourrait utiliser - depuis la venue du Christ parmi nous - le terme de "pauvres de Jésus Christ", ou pauvres "selon les béatitudes". Pierre Ganne  nous invite à ne pas confondre "pauvreté" et "misère". Note du rédacteur de ce blog.]