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Ne pas s'attarder sur soi-même

[Une conférence du père Molinié. Retranscription d'un enseignement oral.]

 

 
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Qu'est ce que veut dire, pour la vie spirituelle, "se regarder" au sens ou c'est regrettable ?

Se regarder, non pas au sens où l'on a conscience de soi, avoir conscience de ce qui nous arrive, de ce qu'on éprouve, de ce qu'on est. Ce n'est pas cela. C'est quelque chose de beaucoup plus simple et plus  profond. C'est tout simplement prendre son centre de gravité sur nous, en un mot : s'attarder, s'attarder sur soi-même. Il y a lieu de s'occuper de soi comme il y a lieu de s'occuper du reste, tout ce que Dieu nous demande, et le temps nécessaire et  pas plus. Il y a les choses auxquelles on s'occupe et il y a des choses auxquelles on s'attarde. Il n'y a qu'une seule chose pour laquelle nous devons nous attarder : c'est la contemplation de Dieu. Mais comme cette contemplation de Dieu n'est pas la contemplation du Ciel, et que  ce n'est pas non plus une contemplation philosophique, et que ça ne doit pas être non plus une contemplation orgueilleuse. Ca doit être avant tout la contemplation de sa miséricorde et ce mouvement dont je vous ai parlé, de regrets suivis d'un oubli [je vous renvoie aux posts précédents], c'est justement ce mouvement grâce auquel constatant que nous nous sommes encore attardés sur nous-mêmes, car il n'y a finalement pas d'autres fautes, que nous nous sommes regardés plus que ce n'était nécessaire, que nous avons pensé à ce que nous avions fait ou à ce que nous devions faire ou à ce que nous pourrions faire ou à ce qui peut nous arriver, ou à ce qui nous est arrivé, plus que ce n'était nécessaire. Constatant cela nous le regrettons et en le regrettant nous l'oublions ! Et en l'oubliant nous cessons de nous attarder. Alors je tiens d'abord à souligner que ce mouvement ne serait absolument impossible s'il n'y avait pas la réalité du Souffle qui nous appelle et qui nous entraîne à ne plus nous regarder. S'il n'y avait pas cette pression du Saint Esprit qui toujours nous dit : en avant, en avant, ne t'arrête pas ! ne traîne pas sur toutes ces choses ! Regarde-moi ! Si tu as peur parce qu'il y a tes péchés ou parce que  tu es désolé de ta misère, regarde ma miséricorde, mais regarde-là avec foi et avec cette puissance qui te permette d'oublier tout ce au nom de quoi tu prétends ne pas me regarder. Il faut qu'il y ait le Saint Esprit !  Ce n'est pas une spiritualité que nous pouvons fabriquer. Ce n'est pas une méthode, ce n'est pas une technique de contemplation. C'est tout simplement la réponse de la créature à cette pression inimaginable du Saint Esprit la pourchassant et l'invitant à ne pas regarder en arrière et à ne pas se retourner sur elle-même.

Et alors ici, il y a une chose que je tiens à souligner. Souvent on se demande : qu'est-ce qui va m'arriver ? Où est-ce que Dieu va m'entraîner ?  Eh bien, cela : se demander  où Dieu va nous entraîner, avoir peur parce que Dieu veut nous formuler telle ou telle demande c'est déjà s'attarder sur soi-même. Evidemment. C'est par conséquent déjà  se couper de la lumière et de la force qui nous permettra de trouver suave le joug du Seigneur et doux le fardeau qu'il doit nous faire porter. A partir du moment où on se pose cette question, tout ce que Dieu peut nous demander devient littéralement et irrésistiblement insupportable au sens propre et au sens fort du mot  !

Et alors là, je tiens à insister là-dessus. Ce qui est difficile ce n'est pas de faire ceci ou cela que Dieu peut nous demander. Ce qui est difficile c'est de faire le mouvement dont je vous parle. Il est aussi difficile de regarder un arbre, de plaisanter, de travailler à une chose qui nous plaît ou qui nous ennuie peu importe ; il est aussi difficile de faire tout cela sans se retourner sur soi que de subir le martyr sans se retourner sur sa souffrance. C'est le même problème, exactement dans les deux cas. C'est la même difficulté, peu importe ce que Dieu nous demandera. A partir du moment où nous le regardons Lui avec confiance, nous n'aurons pas plus de difficulté à faire une chose que l'autre. Et à partir du moment où nous ne le regardons plus avec confiance, nous aurons autant d'impossibilités à faire les choses dites faciles qu'à faire les choses dites difficiles ;  j'entends à  les faire dans l'amour. Par conséquent ce problème de ce que Dieu peut nous demander et des régions vers lesquelles il va nous entraîner ne signifie rien. Il va nous entraîner en Dieu, de toute façon. Et c'est justement cela, même si le chemin devait être bordé de roses, sans aucune épine, sans aucune épreuve, c'est ce simple fait d'aller en Dieu qui nous répugne ou qui nous plaît. Mais de toute façon c'est bien là le seul problème de la vie spirituelle.

Souvent, on met sur le compte de cette espèce de tristesse, de mauvaise humeur, d'engourdissement lourd, pénible à porter, pour elle-même et pour les autres, qui se dégage de la présence de toutes ces âmes. On met cela souvent sur le compte d'un tempérament, ce que Thérèse d'Avila appelait "tempérament mélancolique". Bien sûr qu'il y a des différences de tempérament. Bien sûr que Dieu seul sonde les reins et les coeurs ; et que souvent pour faire peu de choses, une âme a besoin de beaucoup plus d'amour que d'autres pour faire beaucoup de choses matériellement. Pour être équilibrée, patiente, calme telle âme a besoin de beaucoup plus d'amour et de Saint Esprit que telle autre. Donc il ne faut pas juger sur les résultats, ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Ce que je veux dire c'est qu'il est aussi facile de devenir une âme attardée avec un tempérament heureux qu'avec un tempérament malheureux. Ce sera peut être moins désagréable pour les autres encore que...! Toutes les âmes attardées font souffrir les autres et elle-même. Et elles les font souffrir d'une manière différente qui revient toujours au même, à savoir que chez ces âmes il y a toujours une porte fermée que jamais on ne parvient à ouvrir. Alors les unes sont correctes, impeccables dans une certaine mesure quelques fois. Il n'y a rien à leur dire, pas de reproche à leur faire, mais elles pèsent lourd quand même, parce qu'elles s'attardent sur elles-mêmes au lieu de tout jeter en Dieu selon ce  mouvement progressif qui ne se fait pas du jour au lendemain. Ce mouvement de pauvre, mais de plus en plus fréquent par lequel on s'oublie ; ça veut dire on oublie ses problèmes, on oublie cette agitation pour se laisser prendre de plus en plus par le mouvement irréversible  de cette lumière qui nous attire.

Alors que ces âmes aient un tempérament heureux ou malheureux, ça n'y change rien. Si elles ont un tempérament heureux   et qu'elles s'attardent, je vous le répète, elles sont lourdes. Si elles ont un tempérament malheureux et déagréable et qu'elles ne s'attardent pas (elles ne s'attardent pas à discuter, à se justifier leurs propres fautes et leurs propres erreurs. Elles ne s'attardent pas non plus à s'en pleindre et à se lamenter, elles ne s'attardent à rien !)   : eh bien finallement elles sont légères. Seules  les âmes attardées trouvent à redire à leurs misères et à leurs défaut.

Et il y aurait lieu de parler de ce mouvement aussi quant à la solution des problèmes que nous avons à résoudre constamment dans notre vie. Problèmes pratiques autour desquels nous méditons, nous réfléchissons (qu'est-ce que je dois faire ?) Et nous délibérons longtemps quelques fois.  Et nous agitons toutes les solutions possibles avec notre imagination. Eh bien pensez à ce que faisait quelqu'un dont c'était le métier de méditer les choses, de les peser, de discutter les choses avec toute son intelligence et son imagination, je veux dire saint Thomas. Quand il ne trouvait pas, il ne s'échauffait pas à trouver toutes les solutions possibles, à se mettre à essayer toutes les portes possibles, toutes les issues possibles. Il sentait qu'il y avait quelque chose qui lui résistait, que la solution ne viendrait pas aisément avec un travail normal et simple de la raison. Alors il allait prier auprès du saint Sacrement en pleurant. Il n'avait pas peur de se détourner de son devoir d'état, il n'avait pas peur de cette solution (la prière) soit disant facile qui consistait, au lieu de s'échauffer les méninges, à ne pas s'attarder dans les broussailles des arguties de toute sorte et des sophismes. Il allait demander la lumière.

Si dans nos rapports fraternels par exemple, au lieu de nous agiter pour voir quelle est la meilleure solution,  si on voit que ça ne va pas, arrêtons nous , si possible. Ne nous attardons pas à toutes ces broussailles et à  toutes ces épines, demandons ce qu'il faut faire. Regardons la sainte Vierge, regardons vers le Saint Esprit, demandons lui de nettoyer tout cela  et d'oublier tout ce qui nous empêche de voir ce qui est simple, car la solution en toutes choses est toujours simple !! Et c'est justement pour cela que nous ne la voyons pas. C'est parce que nous sommes empêtrés dans les broussailles. Eh bien, demandons la grâce d'oublier d'une manière irréversible toutes ces broussailles. Et ne cédez jamais à la tentation de croire que vous vous êtes engagés sur une voie d'engourdissement irréversible. A tout moment, n'importe qui, les plus grands pécheurs et les plus faibles pécheurs aussi, les âmes normalement et banalement et médiocrement attardées : en un seul moment si elles y croient, le jour de la Pentecôte qui vient , Dieu est toujours prêt à tout recréer et à faire une âme sainte de toute âme qui accepte enfin d'oublier le passé et elle-même pour ne regarder mais vraiment de tout son être que la miséricorde infinie de Dieu.

                                               P. Marie-Dominique Molinié o.p

 

 

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