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Traversées christiques - Page 26

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (4)

    [26]

    Elle dénonce l'idolâtrie en manifestant qu'une société, qui parfois se proclame chrétienne, a placé l'avenir véritable des hommes dans l'argent, dans la puissance, dans le développement et dans le progrès, en tout, sauf dans le règne de Dieu et sa justice.

    Elle accuse l'hypocrisie et le mensonge d'une société qui fait croire que la pauvreté n'est pas la décision existentielle, l'option d'un homme libre, mais une condition, un conditionnement, une fatalité, masquant ainsi et caricaturant la Bonne Nouvelle.

    Elle condamne l'imposture d'une société qui a tout misé sur l'avoir, parfois sous le couvert de l'Evangile, ce qui empêche ainsi beaucoup d'hommes de reconnaître le sens de leur existence d'hommes, en tant qu'humaine, dans la révélation du Christ, leur faisant croire que tout se joue sur le seul plan de la croissance et de l'avoir.

                                                                                  A suivre...

     

    Pierre Ganne - Le pauvre et le prophète - Ed. Anne Sigier 2003

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (3)

    [24] Dans ce contexte faussé, il n'est pas étonnant qu'un homme comme Proudhon, par exemple, athée mais respectueux de l'Evangile, se soit interrogé sur la portée d'un projet de suppression de la misère. L'Académie des sciences morales et politiques avait posé la question suivante : " Quelle influence les progrès et le goût du bien-être exercent-ils sur la moralité du peuple ?" Proudhon répond, dans son ouvrage Philosophie de la misère paru en 1846  [ce livre est édité dans la collection 10/18] :

    Nous avons affaire à une société qui ne veut plus être pauvre, qui se moque de tout ce qui lui fut autrefois cher et sacré, la liberté, la religion et la gloire, tant qu'elle n'a pas la richesse ; qui, pour l'obtenir, subit tous les affronts, se rend complice de toutes les lâchetés ; et cette soif ardente de plaisir, cette volonté irrésistible d'arriver au luxe, symptôme d'une nouvelle période de civilisation, est le commandement suprême en vertu duquel nous devons travailler à l'expulsion de la misère : ainsi dit l'Académie. Que devient après cela le précepte de l'expiation et de l'abstinence, la morale du sacrifice, de la résignation et de l'heureuse médiocrité ? Quelle méfiance des dédommagements promis pour l'autre vie et quel démenti à l'Evangile ! Mais surtout quelle justification d'un gouvernement qui a pris la clé d'or pour système ! Comment des hommes religieux, des chrétiens, des Sénèque ont-ils proféré d'un seul coup tant de maximes immorales ?

    Il est clair que Proudhon confond l'Evangile avec la religion de l'au-delà systématisée, sinon inventée, par le déisme du XVIII e siècle, ou avec ce "platonisme pour le peuple " dont parlera Nietzsche. Il était excusable : beaucoup de chrétiens ne voyaient pas l'Evangile sous une autre lumière. Il nous est dès lors possible  d'entrevoir [25] la profondeur des malentendus qui pesaient sur la problématique des questions inévitables et urgentes au sujet des pauvres et de la signification de la pauvreté. Tel est le contexte culturel du XIX e siècle, très schématiquement évoqué, qui nous marque aujourd'hui encore de façon le plus souvent inconsciente.

    Au contraire, dans la tradition biblique et dans la révélation chrétienne, la misère n'est, en aucune manière sacralisée. Aucune auréole de béatitude ne vient la cerner. Depuis les prophètes et jusqu'au coeur de l'Evangile, la misère est dénoncée, aussi nettement que possible et parfois violemment, comme le fruit du péché de la société, comme le péché collectif du peuple de Dieu, comme le symptôme le plus clair que, malgré les manifestations d'un culte prospère, malgré des pèlerinages, des jeûnes et des sacrifices, ce peuple a rompu avec le vrai Dieu que, par ailleurs, "il honore des lèvres". Tous ces soi-disant croyants ont plus ou moins consciemment brisé et rejeté l'Alliance avec le Créateur, en dehors de laquelle toute leur religion n'a aucun sens. Bien loin d'être nimbée d'une lumière de béatitude, la misère est révélée sous la lumière sinistre de la colère de Dieu, de la justice et du châtiment aussi inévitable que le développement d'un cancer dans l'organisme qui en a accueili le virus et ne se défend plus contre son action destructrice. La présence massive de la misère dans une [25] société est une dénonciation, une accusation, une condamnation. 

                                                                                   A suivre.... prochain post 

     Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (2)

    (suite du post précédent)  : NON, LA MISERE N'EST  PAS  SACREE  !

    "Quoi qu'il en soit de cette complexe histoire, la question de la pauvreté évangélique s'est posée dans une certaine confusion romantique, avec des ambiguïtés et des équivoques dont nous ne sommes pas encore sortis aujourd'hui. Il eût fallu procéder à une élaboration théologique solide, allant droit à l'essentiel. Mais cette tâche n'a pas été possible. C'est pourquoi il s'est produit un phénomène inquiétant que j'appellerai la sacralisation de la pauvreté : la sentimentalité qui se déversait déjà dans la piété individualiste a envahi également le domaine social. Pauvres et riches ont été enveloppés [22] dans cette aura religieuse que beaucoup ont confondu avec la lumière de l'Evangile. Les pauvres ne sont-ils pas les privilégiés des béatitudes et du royaume de Dieu ? Les riches ne sont-ils pas au contraire condamnés et maudits ? 

    Il est vrai que les riches se résignent assez bien à cette malédiction et à leur malheur spirituel. D'autant mieux que, tout en s'enrichissant par tous les moyens, il est possible de se dédouaner envers le ciel par la pratique des "bonnes oeuvres" en faveur des miséreux. Au fond, ces pauvres, il ne faut pas les tirer hors de la béatitude évangélique dont ils sont nimbés. S'ils n'apprécient guère, ou pas du tout, leur bonheur, c'est sans doute qu'ils ne sont pas suffissamment évangélisés, l'Eglise ayant un peu oublié, malgré l'éloquence de Bossuet et de quelques autres, qu'elle était d'abord  " l'Eglise des pauvres". Evangélisation difficile : surtout depuis que des méchants, des athées, ont fait croire aux miséreux qu'ils n'étaient pas bienheureux mais exploités par les riches, dont beaucoup sont chrétiens et dont l'Eglise ne dédaigne pas toujours les suffrages et l'argent. 

    D'ailleurs, les gens de bien, des honnêtes gens, compétents en économie politique, pensent que les structures sociales qui déterminent l'existence des pauvres et des riches, et tout d'abord la structure de la propriété, sont inscrites dans la nature des choses. Elles sont naturelles et, puisque Dieu est l'auteur de la nature, elles sont du même coup providentielles, de droit divin, comme le sont la monarchie et l'autorité. N'est-ce pas d'ailleurs une confirmation de la parole de Jésus : " Vous aurez toujours des pauvres parmi vous" ? Et l'on en revient [23] à cette conviction : il n'est pas possible de supprimer la misère. Cette tentative équivaudrait à arracher le froment avec l'ivraie. Ce serait en même temps attenter à la "nature des choses" par la révolution qui ne peut venir que du diable. Mais il faut absolument soulager cette misère et remédier aux excès du fonctionnement de la machine sociale, et de là résulte un double avantage : obéir à l'Evangile et éloigner la menace de la révolution. Cet accord merveilleux entre l'Evangile et les intérêts bien compris, "entre le capital et le travail", n'est-ce pas le signe même de la vérité ?

    Ce qui montre bien que l'on a affaire à une sacralisation de la misère, et non pas précisément à une intelligence de la pauvreté dans la foi, c'est que les structures qui engendrent la misère ne sont l'objet   d'aucune appréciation morale, tandis que les jugements moraux pleuvent sur les miséreux : ils sont paresseux, fainéants, ivrognes, menteurs, etc. C'est tout juste s'ils ne sont pas les véritables exploiteurs ! Et il faudra plusieurs générations pour élaborer lentement une morale sociale qui jugera non plus les "misérables", mais les structures de misère et de paupérisation. Paradoxalement - mais le paradoxe s'explique -, l'athéisme scientifique de Karl Marx, qui inclut une désacralisation relative, sera plus avancé moralement - en ce qui concerne le jugement porté sur l'argent, sur la misère et sur ses causes - que la foi (?) de beaucoup de croyants englués dans l'amalgame politico-religieux de l'idéologie libérale.  

                                                                                                  A suivre...

    " Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (1)

    [20] Au XIX e siècle, la révolution industrielle a engendré le prolétariat, la misère des taudis et des conditions de travail inhumaines. Les prolétaires ont été livrés sans défense à la machine capitaliste qui ne pouvait pas fonctionner sans écraser et avilir les hommes qu'elle employait. L'idéologie libérale avait hérité de l'individualisme de la législation de 1789 qui, entre autres choses, avait en 1791 aboli les corporations. Les prolétaires ne pouvaient donc pas s'organiser légalement pour se défendre : ni droit au travail ni droit syndical, aucune législation sociale. La conquête de ces droits élémentaires ne pourra s' obtenir que par une lutte longue et sanglante. En attendant, partisans et adversaires de cette société libérale ne pouvaient pas ne pas se poser la question des pauvres et de la pauvreté. Et les uns et les autres ne pouvaient guère éviter de la poser en référence à l'Evangile.

    D'un côté, les chrétiens, confondus en masse avec la société bourgeoise libérale, n'allaient tout de même pas oublier que "la Bonne Nouvelle est annoncé aux pauvres". Mais que faire, théologiquement parlant, de ces prolétaires, de ces pauvres, victimes d'une société dont les chrétiens bourgeois étaient partie prenante ? Le Christ n'a-t-il pas béatifié les pauvres, ces mêmes [21] pauvres dont la condition est intolérable ? Comment dès lors supprimer, sans précautions et sans nuances, une condition que l'Evangile semble auréoler de sa lumière ? D'autre part, tenter de transformer radicalement, "révolutionnairement", cette situation revient à scier la branche sur laquelle on est assis. Faut-il détruire une société dont on ne peut tout de même pas dire que tout est pourri ? La présence même de l'Eglise, de la religion, au sein de ce monde interdit ces dispositions extrêmes.

    De l'autre côté, les adversaires, les révolutionnaires, les "socialistes" voyaient l'Eglise et les chrétiens enkystés dans l'idéologie  et les structures libérales. Les uns, qui se réclamaient d'une inspiration chrétienne, tels certains socialistes utopiques, ont tenté de ressaisir l'Evangile en dehors de l'Eglise, ou contre elle. D'autres ont opté pour la voie radicale de l'athéisme, rejetant à la fois l'Eglise et l'Evangile. 

                                                                                      A suivre....prochain post

     " Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • Avant d'être compassionnel l'amour est juste

    [217] Quand je dis "l' Esprit de l'Evangile", je ne mets pas de côté l'Ancien Testament, où les notions d'amour et de justice tiennent une si grande place. L'amour tend à l'égalité. Je crois que déjà Aristote le disait. Il est évident que l'amour implique la justice, car il la fait intervenir là où il y a des inégalités flagrantes  auxquelles on ne porte pas remède. Si l'on dit par exemple que des jeunes n'ont pas les moyens d'accéder au travail, à l'instruction, l'amour incite à le dénoncer. Il faut empêcher ou réparer l'injustice avant de donner aux pauvres, aux oeuvres, aux ONG, etc. L'amour débusque les injustices. Avant d'être compassionnel, l'amour est juste. Et la justice appelle l'égalité.

    L'Esprit de l'Evangile me paraît très bien défini par les trois mots bien connus : liberté, égalité, fraternité. Liberté de l'homme vis-à-vis de la société, vis-à-vis du pouvoir, ce qui condamne tous les régimes fascisants. Egalité, égalité des chances mais aussi égalité d'accès aux biens de la nature nécessaires à la vie, et aux biens de la culture nécessaires à la promotion de l'individu ; égalité des sexes dans les droits juridiques et politiques, dans l'accès aux postes dirigeants, dans la rétribution du travail. Tout cela dans un esprit de fraternité qui lui-même doit influencer la manière de commander, de servir et de vivre en société (...) [218]

    Caritas, amor ou dilectio, eros ou agapè comme vous le préférerez, car je n'entre guère dans cette querelle de terminologie. Mais oui, oui, la charité, comme amour fraternel. Et c'est pourquoi la fraternité qui vient en troisième position  dans la devise républicaine montre comment cette trilogie doit rester ouverte : la liberté n'a pas d'autre  limite que de toujours traiter autrui comme une fin, jamais comme un moyen, et de respecter le bien commun ; l'égalité est toujours à l'affût des discriminations à combattre et des injustices à réparer ; la fraternité ne connaît pas d'exclusivisme dans la définition du prochain ni de mesure dans les services à rendre à ceux qui en ont le plus besoin. On n'a jamais atteint la limite où l'autre sera devenu mon frère.

     

    Joseph Moingt - Croire quand même - Ed. TempsPrésent 2007

  • péché originel, péché universel

    [131] Le péché originel, quelles que soient les discussions qu'on peut faire sur son origine et les définitions qu'on peut en donner, c'est un péché universel, mais qui entraîne à un mauvais universel, au règne de l'individualisme et du particularisme, par opposition à celui dont nous parlions  voici quelques instants en citant saint Paul, à la croissance de la personne qui s'agrandit aux dimensions totales de l'humanité. Ce qui apparaît comme le péché originel, c'est tout ce qui renferme l'homme sur lui-même, le replonge dans son passé, le rabat vers une jouissance immédiate, lui  donne de se contenter de son petit bonheur quotidien. C'est une force d'inertie qui l'empêche de grandir et d'évoluer, de s'ouvrir à l'appel des autres ; c'est aussi l'envie, la jalousie du bonheur de l'autre, le mauvais désir de lui enlever son bien. Ce désir peut lui donner la force mauvaise de combattre l'autre, de le voler, de le réduire en servitude. Et cette force peut s'emparer de tout un clan, de tout un pays, de toute une société, lui donner le vertige de dominer d'autres peuples, voire le monde entier, l'ivresse de verser le sans de ses semblables. On parle d'un péché "originel", parce qu'on le trouve partout à l'oeuvre, partout rampant et renaissant, dans le plus lointain passé des peuples comme au début de toute vie individuelle. 

    Des philosophes l'ont défini comme le mal fondamental ou radical, comme la "sécession" ou "division des consciences". C'est le fait que les hommes ne parviennent pas à dire un vrai "nous" dans lequel  tous les "je" d'alentour pourraient s'épanouir et s'exprimer harmonieusement. Ou bien le moi s'agrandit à un nous exclusif : nous, les Français par opposition aux Allemands ; nous, les gens de notre classe, pour se distinguer des petites gens. Ou bien le nous abolit le je : la famille qui empêche l'émancipation des enfants, la société tyrannique qui ne tolère pas de différences. Dans le dogme catholique, le péché originel est ce qui empêche l'humanité créée à l'image du Dieu unique, de parvenir à l'unité, et l'individu, destiné à devenir fils de Dieu, de revêtir sa pleine dignité de personne humaine. Le "monde présent" auquel il ne faut pas "se conformer", selon Paul, c'est ce mal qui nous ronge [133] du dedans depuis notre naissance - pas un mal inguérissable, une malédiction, une fatalité qui nous poursuit - et nous pénètre aussi bien du dehors, de partout, en vertu des liens de solidarité qui nous lient aux hommes de tous les temps et de tous les lieux. (...)

    Il nous faut lire le péché du "premier homme" comme le fait saint Paul qui lui oppose tout de suite la figure du Christ (Lettre aux Romains, chap.5). La croyance au péché originel n'est pas propre au christianisme, on trouve quelque mythe analogue dans la plupart des récits de création ; ce mythe exprime la conscience des hommes d'être victimes d'un mal dont ils sont aussi coupables et qui est la rançon de leur grandeur. Mais le christianisme leur donne l'espérance  et l'assurance d'échapper finalement à ce mal, car, tous solidaires en "Adam", ils le sont également dans le Christ, et ils partageront sa victoire sur la mort s'ils communient à sa lutte contre tout ce qui opprime et enlaidit l'humanité.

    De quel soutien nous est Jésus aujourd'hui dans un monde qui idolâtre la consommation, l'appât du gain quel est l'avantage d'envisager la vie à sa suite comme un [134] combat où il y aura fatalement des gagnants et des perdants ? Il est un soutien, parce qu'il montre que la résurrection est sortie de sa mort et qu'il en sera pour nous comme pour lui. (...)     

    Joseph Moingt - Croire quand même - Ed. TempsPrésent 2007

    site de l'éditeur : www.temps-present.fr

     

  • notre vocation

     

    [126] (...) son orientation fondamentale [l'orientation du christianisme] qui incarne le commandement de l'amour de Dieu dans l'amour du prochain. Un prochain qui est n'importe qui. Ce n'est pas mon frère, ce n'est pas ma famille, ce n'est pas quelqu'un de ma race, ni le croyant de ma religion, ce n'est pas l'homme de ma culture. C'est n'importe qui que je rencontre et qui est dans le besoin. Avant tout l'homme dans le besoin ! C'est ça pour moi qui est caractéristique de l'esprit évangélique. Même quand on vise Dieu, on le vise à travers la communauté humaine qui est en voie de se façonner dans l'universalité. Dieu n'est pas au bout simplement de mon Eglise : Dieu est au bout de l'histoire.

    Et c'est là que le chrétien prend conscience de sa vocation qui est d'aider l'humanité à réaliser, à accomplir ses fins transcendantes. L'Eglise n'a pas sa fin en elle-même. Alors déjà elle doit renoncer à être le lieu du salut de tous les [127] hommes, car elle n'a pas dénoncé son ancienne formule " Hors de l'Eglise pas de salut". Pratiquement, aujourd'hui, elle est bien forcée d'admettre que des gens se sauvent en dehors d'elle, des gens qui ne veulent pas entendre parler d'elle. Elle ne peut pas le refuser et dire qu'ils sont damnés, sous peine de porter condamnation contre elle-même en reconnaissant qu'elle n'est pas vraiment universelle, ou qu'elle est en défaut de catholicité.

    L'Eglise doit prendre conscience de sa vocation à l'universalité, pas comme elle l'a fait dans le passé, quand elle prétendait enfermer en elle tout ce qui peut être sauvé. Dans son état actuel, où elle s'éprouve désertée ou rejetée par tant de gens, elle peut se sentir abandonnée de Dieu. Mais comme le Christ. Il n'est guère de chrétiens aujourd'hui qui n'éprouvent ce sentiment d'abandon. Situation assurément inconfortable, comme une pérégrination à travers des pays étrangers, une errance, mot remis en vogue à la suite de Vatican II : tout chrétien se reconnaît comme un "araméen errant". Il y a un sens humaniste profond là-dedans, universaliste ; c'est là où je dis : tout homme est mon frère.

     

    Joseph Moingt - Croire quand même, libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme.  Editions Tempsprésent  coll Semeurs d'Avenir 2010.

     

     

     

     


     


  • la foi nous ouvre une route infinie

    [111] La foi est l'acte de marcher, d'aller de l'avant, sans s'arrêter ni regarder en arrière, acte de se laisser aspirer par un terme infini dont nous ne savons rien sinon qu'il est notre raison d'exister. Ce n'est pas remettre notre vie dans la main des dieux, c'est la prendre en charge et lui assigner un but, mais un but infini dont on éprouve que c'est lui qui nous a mis et nous maintient en route. Ce qui différencie la foi chrétienne de la croyance primitive et de toute autre croyance religieuse, c'est que le chrétien vise Dieu à travers un homme de notre histoire, Jésus : et c'est ce qui l'empêche de s'alinéner hors du monde et du temps. C'est aussi ce qui soumet la foi à l'épreuve de la vérité historique.

     

    Joseph Moingt - Croire quand même, libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme.  Editions Tempsprésent  coll Semeurs d'Avenir 2010.

     

  • vraie et fausse tradition

    [62] Dans l'institution catholique, le Magistère romain tend à réduire toute diversité et prétend être le seul interprète de la tradition, ce qui laisse peu d'initiative à l'ensemble de la hiérarchie et rend très difficile de faire bouger les choses. La tradition est fixée par l'autorité suprême, qui se réserve également le droit de fixer le sens de l'Ecriture, en sorte que le pouvoir n'a plus d'autre régulation que la succession de ses propres décisions éclairées par la lumière de l'autorité divine. Alors que normalement, c'est-à-dire ainsi que cela se passait aux premiers siècles, l'Ecriture représente l'autorité souveraine de la foi, telle qu'elle est interprétée par la prédication continue et universelle des pasteurs de l'Eglise, solidairement successeurs du collège des Apôtres. Le Pontife romain n'intervient normalement, au sommet de la chaîne, à son titre de gardien de l'unité de l'Eglise et de garant de la continuité de sa tradition, que pour trancher les différends qui surgissent entre les Eglises dont la communion constitue l'Eglise universelle, et il le fait, en s'entourant normalement du concours de l'ensemble des évêques dont il est solidaire, en éclairant le différend qui vient de surgir à la lumière de la tradition venue jusqu'à ce jour, en telle manière qu'il [63] accepte d'être lui-même jugé par la tradition dont il juge les contrariétés et les développements.

    La tradition, en effet, n'est rien d'inerte et d'immuable, elle n'est pas un document d'archive, elle ne s'arrête jamais, car elle est vivante, elle est la foi au Christ, proclamée par les Apôtres, à jamais consignée dans les Ecritures, perpétuellement éclairée par l'Esprit Saint qui guide les croyants vers la vérité plénière. Pour ce motif, elle n'est la propriété de personne, elle ne fait pas autorité séparément des Ecritures dont elle dit le sens, elle n'est pas la seule voix de l'autorité ecclésiastique, car elle exprime aussi la foi dont vivent les fidèles. La tradition de l'Eglise inclut le sens de la foi des fidèles (sensus fidei ou fidelium), dont Vatican II, en dernier lieu, a reconnu la valeur et la vérité ; ce sens de la foi qui est le sentiment, l'assentiment, la pensée, l'intelligence, le jugement des fidèles, donc aussi bien des laïcs, sur le plus essentiel de la foi, parce qu'ils sont tous éclairés par l'Esprit Saint, directement car il habite en tous également, en même temps qu'indirectement par l'enseignement autorisé des évêques. Il se produit donc normalement une circulation de la foi entre Ecriture, fidèles, évêques et pape, qui constitue ce que nous apelons la tradition. (...)

    Joseph Moingt - Croire quand même, libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme.  Editions Tempsprésent  coll Semeurs d'Avenir 2010.

  • analyse sur la crise

    [50] (...) Disons qu'il y a eu une crise générale de la civilisation, sans donner au mot "crise" un sens péjoratif, mais en ce sens qu'il s'est produit une désagrégation de ces éléments constitutifs de toute civilisation que sont la religion et l'Etat, l'éthique et le droit, la tradition et la société, le savoir et la technique, et d'autres encore sans doute. Une civilisation est l'intégration harmonieuse de ces divers composants ; mais, quand l'un évolue, l'ensemble se désarticule, et il faut chercher à les repositionner les uns par rapport aux autres, ou attendre qu'un nouvel équilibre se dessine. Il est difficile de diagnostiquer une crise et de discerner le moyen d'en sortir dans le temps, généralement très long, où elle se produit. Les historiens ont repéré au XII ème et VI ème siècles avant notre ère deux crises majeures de civilisation dans les migrations de populations et les bouleversements des empires qui ont affecté les pays du bassin méditerranéen ; l'avènement du christianisme et son élévation au rang de religion officielle de l'Empire romain ont été une autre crise décisive pour la formation de l'Europe ; à la fin du Moyen Age la tradition, qui était le socle de la culture, se fissure et il en émerge le sujet, avide de se libérer de toute contrainte et de se créer par lui-même. De notre temps, c'est la religion qui s'effondre, elle cesse de fonder l'autorité en quelque domaine que ce soit, elle perd le pouvoir de régenter   les lois de l'Etat, les moeurs de la société, les critères et les objectifs du savoir. Malgré les effervescences religieuses que nous avons signalées (les mouvements charismatiques, l'évangélisme), le phénomène paraît général dans le christianisme. [51] La mondialisation y aidant, il semble aussi gagner les autres religions quand elles viennent au contact des sociétés et des cultures sécularisées, malgré  les fondamentalismes auxquels nous avons fait allusion et qui sont largement le contrecoup des chocs qu'elles subissent. On peut en présager un retrait général et définitif de la religion des postes-clefs qu'elle occupait dans l'histoire des civilisations depuis les temps archaïques jusqu'à nos jours. (...) Retrait ne signifie pas disparition, pas plus que la religion ne s'identifie à la foi. Elle en est l'incarnation dans une société, dont elle subit les influences comme les avatars. C'est principalement par son clergé  et ses ordres religieux que l'Eglise exerce son autorité sur la société, par l'intermédiaire  d'organisations et de mouvements de piété, d'apostolat, d'enseignement, de services sociaux, et d'autres. Le tarissement des vocations sacerdotales (d'aucuns préfèrent dire "presbytérales", mais le mot est moins usité) et religieuses atténue considérablement le pouvoir de l'Eglise d'agir sur la société. Il est, réciproquement , le signe que la société n'éprouve plus le besoin  de perpétuer le modèle religieux selon lequel elle fonctionnait dans le passé. Car il serait naïf de penser que les "vocations" venaient uniquement  d'un attrait  intérieur de la grâce, elles provenaient également  des pressions reçues de la famille et des éducateurs, des soutiens et des encouragements venus de l'environnement social, de la considération vouée aux "personnes consacrées" et, il ne faudrait pas l'oublier, des avantages économiques, de la "situation" que les enfants de familles nombreuses et pauvres trouvaient en entrant "dans [53] les ordres". Ainsi voit-on des évêques aller chercher des prêtres et des religieuses dans des pays pauvres, là où des patrons d'industrie recrutaient de la main-d'oeuvre à certaines époques.

                                                                                          A suivre...

    Joseph Moingt - Croire quand même, libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme.  Editions Tempsprésent  coll Semeurs d'Avenir 2010.

     

     

  • foi et révélation

    (...) (21) Prenons la phrase dans laquelle Levinas résumait la Bible : " Tu te dois à autrui " ! A mon avis, c'est là une pensée tout à fait chrétienne, quoique formulée par un juif. Mais c'est très fort cela, n'est-ce pas ? Et l'homme que nous avons connu, c'est celui qui est hanté par cette parole-là : tu te dois à l'autre ! Pourquoi irais-je me soucier du pauvre, du SDF ? Pourquoi ?

    Cette idée d'une altérité qui est à la fois dans la dignité de l'autre et dans le fait que je me sens appelé à un avenir autre : c'est cela la foi ! Et, finalement, quel est le soutien de la foi ? La révélation, oui... Mais peut-être aussi le sentiment très fort de l'obligation que j'ai de chercher à sauver le monde, à sauver l'idée de l'homme, en cherchant à sauver ma foi. Je pense que c'est quelque chose comme cela... Avec un passage à l'universel, déjà annoncé par les prophètes. C'est étonnant de voir comment nous revivons le drame de l'Israël ancien, qui avait inventé sa révélation !

    "Inventer", c'est un mot qu'il faudrait repenser autrement ! Mais enfin, quand les historiens nous apprennent que les récits des cinq livres bibliques appelés le Pentateuque ont été composés très tardivement, après le retour d'exil du peuple de Juda, sur la base de légendes, de souvenirs et de traditions, dans le but de doter ce peuple d'une histoire qu'il n'avait pas, on n'a plus aucune preuve qu'Abraham et Moïse aient jamais existé. Alors, la révélation de Dieu à Abraham et à Moïse; comment nous, chrétiens, pouvons-nous y croire ? Nous y croyons parce que Jésus l'a repensée - ce qui pose d'ailleurs un problème pour nous - mais enfin elle est liée à sa propre révélation, elle est la mémoire de Jésus. Comment le théologien peut-il sauver autrement l'idée de révélation ? En disant que c'est cette idée qui a forgé l'identité du peuple juif ? Je ne sais pas. Mais moi chrétien, je ne peux pas me reposer simplement sur (22) une révélation qui aurait été faite à un autre peuple auquel je n'appartiens pas. Le livre de Shlomo Sand sur L'invention du peuple juif va poser des questions à un certain nombre de juifs qui se considèrent comme membres du peuple de Dieu. Si c'est la mémoire d'Abraham qui fait l'unité de ce peuple, pour nous chrétiens, c'est la mémoire de Jésus, je pense qui nous permet de recevoir la tradition d'Israël comme révélation, c'est-à-dire comme cheminement de la Parole de Dieu vers les Nations. Mais pourquoi ne pas voir cette Parole - cet appel  à l'humanisation de l'homme - cheminer aussi à travers les cultes rendus à Dieu depuis le commencement de l'humanité ?

    Joseph Moingt - Croire quand même - TempsPrésent , 2010

  • Aller en vacances....dans sa Parole

    [259] Au menu d'un déjeuner sur l'herbe inespéré, il leur avait servi des nourritures simples, des nourritures saines : des pains et des poissons ; et puis, tirées de son inépuisable vivier intérieur, il leur avait ensuite servi en abondance des paroles crues, des paroles saines comme des produits maraîchers : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle" (Jn 6,54). Il leur avait fait, sur fond de collines, et de lac, et de ciel, le dessin d'un très vaste échange, d'une merveilleuse solidarité biologique entre le Père et lui, et entre lui et nous : " De même que le Père-le-Vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, celui qui me mâche vivra par moi." (Jn 6,57). C'était clair ; c'était simple ; c'était sain. Et voilà que maintenant, la messe finie, ils se dispersaient. Pis encore, à partir de ce moment-là, ses disciples firent marche arrière et ne se promenèrent plus avec lui (Jn 6,66). Ils le laissaient au bord de l'abandon et - qui sait ? - même, au bord de larmes que l'on ne voyait pas et qui ne faisaient pas de bruit. A vrai dire, ce genre d'accident arrive couramment à la Parole. Il arrive tous les dimanches. Il arrivera certainement aujourd'hui. Coutumier à la Parole, cet accident-là arrive très ordinairement à ceux qui la portent. A ceux qui la portent par obligation, déjà, pour ne rien dire de la déconvenue que subissent, tout bas, ceux qui la portent par grâce et par feu intérieur. Avec son histoire d'homme comestible, il les avait mis - il nous met - en demeure [260] de choisir entre deux systèmes, entre deux cités, entre deux civilisations. L'une consiste, nous le savons tous d'expérience et de complicité, à manger les autres de toute manière (c'est la loi du plus fort) ; l'autre, qui nous scandalise et nous effraie, consiste à se donner soi-même à manger aux autres comme du bon pain (car, nous l'oublions trop, ou nous ne voulons pas le voir à travers nos eucharisties de pure formalité), c'est chacun de nous qui, par lui, avec lui et en lui, est appelé à devenir généreusement comestible : comment le monde saura t-il quel bon goût a Jésus-Christ, si nous ne lui donnons pas à pressentir dans le nôtre ? Bref, tous se dispersaient. C'était trop cru ; et puis c'était trop long. " Non vraiment, il n'a pas les pieds sur terre ! disaient-ils - disons-nous. D'ailleurs nous avons des courses à faire, nous avons des invités, nous avons des obligations, éventuellement des divertissements obligatoires. Nous écouterons une autre fois." Autant dire que nous n'écouterons jamais.

    Le même accident de la Parole arriva un jour à Paul sur l'Aéropage d'Athènes (cf. Ac 17,32-33). Jésus parlait de l'eucharistie, Paul de la résurrection : tout se tient ensemble. Tout est tenu ensemble par ceux qui ouvrent leur coeur, rien n'est tenu ensemble par ceux qui le ferment.  

    Il les a mis en demeure de demeurer en lui (Jn 6,56), et ils se sont dispersés, chacun à son propre domicile et à son propre festin. Cette fraction du pain qu'il leur a esquissé du geste et de la parole n'a abouti qu'à une fraction de la majorité qui, mise à bout par son langage, a crié à l'anthropophagie et à la mégalomanie. Ce Corps du Seigneur que Paul invitera plus tard à discerner (1 Co 11,29) vient d'opérer entre les simples badauds et les vrais disciples un discernement. Et voilà que, sur la question discriminatoire de Jésus, Pierre, jetant un coup d'oeil sur le vide qui se fait soudain à la ronde, et prenant la mesure de l'errance et de la déroute possible, Pierre fait ici une "confession" : version johannique de celle que les synoptiques mettent dans sa bouche à Césarée de Philippe (Mt 16,16 ; Mc 8,29) : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! [261]

    Ainsi donc, par-delà les paroles sous-alimentaires dont le monde se repaît et dont nous nous repaissons trop souvent, oui, même nous qui faisons profession de spiritualité, il existe une Parole infiniment nutritive  qui coule de source et qui abreuve ! Ainsi, par-delà nos à peu près, nos fratras intellectuels et toute cette foire d'idéologies et de systèmes qui font une universelle banqueroute, il existe une Vérité vive et personnelle (Jn 14,6), une Raison chaleureuse à laquelle on peut se rendre, un TU véritable, à la fois vulnérable et fort, un TU que l'on peut atteindre et tâter et tutoyer ! Jésus-Christ seul à raison, Jésus-Christ seul est Raison, lui qui a fait de sa propre chair et de son propre sang les premisses de toute sa logique.  A qui d'autre irions-nous ? Ajoutons : avec qui d'autre irions-nous ? Car le même est ici le Compagnon et le But.

    Mais du moment que Jésus-Christ a installé Pierre comme fondement (Mt 16,18), il lui a aussi donné les paroles de la vie éternelle qui sont siennes, et les clefs (Mt 16,19) qu'il a mises en ses mains sont celles de son propre langage. A qui irions-nous désormais, sinon à Pierre ? A qui nous rendrions-nous, sinon à l' Eglise qui se lève et qui répond, en Pierre, comme un seul homme ? On ne se rend pas à l'Eglise comme à une boutique mais comme à une Personne ; on ne se rend pas à l'Eglise - je veux dire au mystère intime de l'Eglise - par les considérations de la sociologie et les statistiques, mais par la foi. Qu'on  n'aille pas se méprendre ici néanmoins : en faisant la part si belle à Pierre et à toute l'Eglise , en lui, comme une seule grande Personne, nous n'entendons point conforter une certaine prétention séculière de l'institution qui lui a été maintes fois si funeste, mais plutôt manifester la réalité théologique dans la nudité de sa plus simple expression. Encore que Jésus-Christ les lui ait bel et bien données (Jn 17,8) en effet, l'Eglise ne dit pas - et ne dira jamais : " J'ai les paroles de la vie éternelle", mais, se tournant vers Jésus-christ à la face du monde, elle lui déclare publiquement : Tu as les paroles de la vie éternelle. Loin de confisquer pour elle-même [262]  l'usage de la première personne, l'Eglise n'a d'identité et d'autorité que dans le tutoiement de Jésus-Christ. Dans sa liturgie, dans sa mission et à travers toutes les manifestations de son essentielle sainteté, l'Eglise, extraite de ce monde même, n'a de respiration et de vie que dans le tutoiement de son Seigneur. L'Eglise n'a d'autorité qu'en référence à celle de Jésus-Christ, qu'en "conférence" avec celle de Jésus-Christ, puisqu' aussi bien Jésus-Christ n'a rien à faire du psittacisme : il ne veut que des hommes de Parole, c'est-à-dire des hommes qui répondent en face, comme Pierre, quand Il parle. L'Eglise ne possède pas la Parole, car la Parole vive elle-même finit par pourrir, comme la manne (Ex 16,20), dès lors qu'on la met en conserve et au possessif, au lieu de la vivre et de la donner ; elle n'est pas davantage le pur et simple enregistrement de cette Parole, de si haute fidélité qu'il soit. Non, décidément, elle ne dit pas, au passé : "Il a eu les paroles de la vie", mais, au présent : Tu as les paroles de la vie, et c'est comme cela qu'elle va, comme cela qu'elle vit elle-même.

    Seigneur, à qui irions-nous ? ... Pierre tire ici la conclusion pratique de tout un chemin qu'il a déjà parcouru, sans apercevoir à cette heure, sans doute, le terme pascal de celui qu'il doit parcourir encore. N'importe : il y a dans sa "confession" tout un itinéraire en perspective et toute une reddition. Car aller à Jésus-Christ, se rendre jusqu'à Jésus-Christ, c'est se rendre à lui et capituler entre les mains du Père qui nous récapitule en son Christ (Ep 1,10). Itinérante dans la foi, l'Eglise est tout entière dans cet "allant" ; humble servante de la Parole, elle est tout entière dans cette reddition. Si nous réalisions quelle plénitude de grâce c'est que de tutoyer Jésus-Christ - oui, rien que de le tutoyer comme on respire -, et quelle plénitude de vérité ce simple tutoiement instaure au monde, avec quelle joie indicible et glorifiée, pour reprendre les mots de Pierre encore (1 P 1,7), nous dirions chaque dimanche : JE CROIS EN L'EGLISE ! - Amen.

    François Cassingena-Trévedy  in SERMONS AUX OISEAUX - Ad Solem 2009 ISBN 978-2-940402-38-0    www.ad-solem.com

     

     

     

     

  • ne vous découragez pas

    [79] Il ne faudrait pas que nous soyons ce [80] que l'Eglise appelle des pélagiens, c'est-à-dire des chrétiens qui comptent sur leurs propres forces, sans la grâce. Ce que l'Eglise demande, au contraire, c'est que les chrétiens n'aient d'autre force que "Je Suis" (cf. Ex 3,1-15), d'autre force que le Christ, d'autre force que l'Esprit donné par le Seigneur. Il s'agit d'être patients avec nous-mêmes. Si nous voulons nous convertir, cela ne se fera pas en un jour, cela demandera du temps, cela nous décevra peut-être : nous ne ferons pas ce que le Seigneur attend de nous. La dernière chose à faire, dans la vie chrétienne, c'est se dépiter, se centrer sur soi-même parce qu'on est tombé, se regarder. Ce que l'Eglise demande, au contraire, c'est de croire que quelles que soient nos fautes, quelles que soient nos misères, quelle que soit l'ampleur de nos péchés, le Seigneur est là et il peut nous faire porter du fruit. (...)

    Ne vous laissez pas agacer par vos péchés, ne vous laissez pas décourager par votre misère, nous en sommes tous là. Découvrons l'intérieur du mystère. Dieu est plus beau que nous ne l'imaginons, Dieu est celui qui vient en plein coeur de nos vies nous bouleverser (...)

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • la résurrection à l'oeuvre

    [65] Au coeur de notre monde, il y a le Christ ressuscité. C'est lui qui nous libère de nos péchés, c'est lui qui nous ouvre à l'espérance, c'est lui qui nous ouvre les cieux, c'est lui qui nous donne la Vie. Oui, le Christ est ressuscité d'entre les morts, alors tout est possible, nous pouvons être dans l'allégresse et dans la joie.

    Paul est l'exemple du chrétien, pris dans et par le Seigneur, choisi par lui, qui répond à sa vocation. Il a découvert au coeur de sa vie la joie qui peut traverser la tristesse, le malheur, la misère, la souffrance, la maladie et même la mort.

    Oui, nous pouvons tout traverser à condition de croire à la résurrection des morts, de croire que Jésus-Christ est le premier-né d'entre les morts et que nous sommes tous promis à la résurrection. Notre joie est d'être déjà ressuscités dans la croix du Christ qui nous a pris dans le baptême et qui nous a libérés de tous nos péchés.

    S'il n'y avait que la vie d'ici-bas, nous serions les plus malheureux de tous les hommes. Mais croyez-vous à la [66] résurrection de la chair, croyez-vous à la résurrection de nos corps ? Vous vous retrouverez un jour ensemble dans la gloire pour chanter le Seigneur dans un corps transfiguré par l'Esprit, docile à l'Esprit.

     

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • la question posée à Pierre

    [30] Est-ce que nous aimons Dieu ? L'aimons-nous comme nous chérissons un être très proche, plus encore, davantage que tout être ? (...) le Seigneur n'a pas à nous poser d'autre question que celle posée à Pierre au soir de sa vie : [31]  " Pierre m'aimes-tu ?"  Chacun entend dans sa conscience cette parole : " Pierre m'aimes-tu plus que ceux-ci ?", es-tu décidé à jouer ta vie sur ma vie, es-tu décidé à t'engager avec moi, es-tu décidé à connaître la mort et la résurrection ? Car enfin, ce que le Seigneur nous propose c'est d'entrer dans la vie : " Je suis venu pour qu'ils aient la vie, et qu'ils l'aient en abondance ". L'atrocité de la souffrance et l'atrocité de la mort sont là : le Seigneur ne les nie pas puisqu'il les traversera mais il passera en triomphant de la fragilité humaine, de la faiblesse humaine, en les enveloppant d'amour car au fond, il n'y a de vérité et de vie que dans l'amour. C'est l'amour seul qui compte.  

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • sens de l'existence

    [22] Garder nos coeurs en Jésus-Christ, il n'y a rien de plus merveilleux ; garder nos coeurs dans une dépendance incessante au mystère du Christ, il n'y a rien de plus apaisant. Oui, je vous le demande, gardez vos coeurs dans cette présence indicible du Seigneur et découvrez que le [23] Seigneur n'a qu'une visée, celle de nous faire crier de joie en sa présence même.

    Il veut nous faire découvrir qu'il est là au milieu de nous, même au milieu des tribulations, même au milieu des difficultés, même au milieu de l'atrocité de ce monde. "Jubilez, criez de joie". Il ne s'agit pas de nier le mal ou la souffrance, nous savons qu'ils sont trop présents et actifs dans le monde pour le faire. Mais au-delà, il y a quelque chose d'infiniment plus grand, d'infiniment plus beau qui enveloppe tout cela et qui lui donne sens, c'est la joie même de Dieu.

    Dieu veut nous faire participer à sa joie et s'il a créé le monde, c'est pour que nous vivions de sa joie. Si toute l'histoire sainte se déroule comme nous la connaissons, c'est pour que nous vivions de sa joie ; si toute l'histoire de l'Eglise se déroule comme nous le savons, c'est pour que nous vivions de sa joie. Et s'il laisse le monde se développer ainsi, c'est pour que dans la liberté nous reconnaissions l'amour. Oui soyons des témoins de l'amour, des témoins véridiques, des témoins qui ont fait l'expérience de leurs limites et de leurs faiblesses et qui découvrent que sublime est le nom du Seigneur.  

    Demandons (...) au Seigneur d'entrer dans sa joie, de participer à ce souhait de Paul : " Soyez dans la joie" (cf. Phil 4). Paul connaît l'atrocité du monde, il n'est pour le savoir que de relire la deuxième épître aux Corinthiens. Vous verrez combien il a fait l'expérience, à l'intérieur de lui-même, de la souffrance qui est au coeur du monde, de ce monde qui est en agonie. Et pourtant c'est le même homme qui nous  dit : " Soyez dans la joie".  

     

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • Ne soyez inquiets de rien

    [20] "Soyez dans la joie, je vous le répète, soyez dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais en toutes circonstances, dans l'action de grâces, priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes." (Phil 4)

    Ce qui doit caractériser le chrétien, c'est la sérénité. Au milieu des tribulations de ce monde, qu'il garde cette paix, cette joie qui lui viennent de la proximité du Seigneur. Le Seigneur l'habite, il est au milieu de l'Eglise, il est au coeur de chacun d'entre nous. L'inquétude est dépassée parce que tout simplement tout est repris dans la prière et l'action de grâces et que nous demandons tout au Seigneur, sûrs d'être accueillis par Lui. (...) La tranquilité du mystère de Dieu nous unifie, nous met en place et nous rend disponibles aux événements, disponibles à nos frères, disponibles à tous. Ce que nous avons à demander, c'est cette joie fondamentale, cette joie qui est merveilleuse : laissons éclater notre joie car Dieu est au milieu de nous.

     

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • l'unique nécessaire

    [17] " Il faut aller de commencement en commencement par des commencements qui n'auront pas de fin. " (St Grégoire de Nysse). Laissez le Seigneur faire le chemin en vous, laissez-lui construire son unique chemin, son seul chemin qui est le sien, celui que vous ne pouvez pas inventer. Le Seigneur ne fait pas de multiples oeuvres alors que l'homme veut créer de plus en plus. Le Seigneur ne fait qu'une oeuvre : la volonté de son Père. Alors nous aussi, n'ayons qu'une oeuvre  qui transcende toutes les oeuvres que nous avons à faire : découvrir l'amour du Seigneur, le laisser se dévoiler à nous-mêmes et à nos frères dans la joie de Dieu.

     

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • jour du Seigneur

    [16] Avons-nous le sens de ce que la tradition appelle l'eschatologie, c'est-à-dire la fin des temps ? Avons-nous le [17] sens que le plus important est "le jour du Christ",  le jour où le Christ nous rassemblera tous autour de lui dans la vision et dans sa résurrection ? Le Christ viendra comme il est venu parce qu'il nous entraînera définitivement avec lui et que nous ne serons plus qu' " un " dans le mystère de Dieu.

    Une vie chrétienne est une vie toute polarisée par ce jour du Seigneur, par ce jour auquel rien n'est comparable, qui n'est pas du tout comme dans l'Ancien Testament un jour d'effroi mais qui est un jour de rencontre dans l'amour, de découverte de la plénitude de la justice de Dieu, grâce à Jésus-Christ, pour la gloire et la louange de Dieu.

     

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2

  • Si tu cherches le repos

    [8] Pensons-nous vraiment que le Seigneur habite en nous et qu'il nous transfigure jusque dans notre corps ? Pensons-nous vraiment que la transfiguration de notre être est commencée et que le mystère de Dieu est présent au coeur de nos vies ? " Si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole, mon Père l'aimera et nous établirons en lui notre [9] demeure" (Jn 14,23). Etre habité ! Pensez-vous à cette habitation ineffable de Dieu, à ce dialogue incessant que vous offre le Christ ? En réalité, ce que le Seigneur nous propose, c'est de choisir entre ce commerce avec lui et le commerce avec le monde. Nous sommes tous spontanément plus prêts au dialogue non pas avec le Seigneur mais avec le monde. Demandons au Seigneur d'apprendre à lui plaire, d'apprendre cette complaisance d'amour en Lui, de nous habituer à nous reposer dans son amour. La tradition nous livre cette notion fondamentale que l'on trouve dans l'Evangile : le repos.

    Il s'agit de nous reposer en Dieu. Dieu est-il notre repos, ce repos qui détend notre être, le rectifie et nous remet dans la vérité du Seigneur ? C'est une expérience à faire absolument. Si vous ne l'avez pas faite, commencez et, si je puis m'exprimer ainsi, "jouer" avec le mystère de présence et d'amour du Seigneur. Bien sûr, Il se cachera, bien sûr à certains moments, Il disparaîtra, mais c'est toujours pour une présence plus profonde.

     

    Marie-Joseph Le Guillou - La puissance de l'amour de Dieu dans sa paroles, homélies année C - Ed. Parole et Silence 2007. ISBN 978-2-911940-13-2