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François Cassingena-Tréverdy

  • Lectio divina (2)

    La table est dressée pour toi : le Livre est écrit pour toi. (...) Voilà précisément la différence fondamentale entre ce Livre-là et tous les autres. Ce Livre-là est tout spécialement écrit pour moi, et tout entier ! Il m'est, il t'est adressé à toi en particulier.

    (...)

    Il faut absolument acquérir et entretenir en nous, pour parvenir à la véritable lectio divina, une mentalité de destinataire, c'est-à-dire être bien persuadé que l'Ecriture nous est personnellement adressée. Tant qu'une telle persuasion ne s'est pas développée en nous, il n'y a pas de vraie lectio divina, ou celle-ci ne se dégage pas encore vraiment d'une lecture profane. La lectio divina en effet, comme la réception des sacrements, comme l'oraison mentale, quoique d'une façon qui lui est spécifique, est le lieu d'une rencontre personnelle avec "Celui-qui-te-parle" (Jn 4, 26 ; 9,37). A la lecture livresque, superficielle, doit alors se substituer une lecture-contact, une lecture-rencontre.  (...)

    Le Seigneur nous ouvre chaque matin le jardin de ses Ecritures et une voix intérieure nous y crie, comme à Augustin dans le jardin de Cassiciacum : " Prends, lis ! Prends, lis !" Bien mieux encore que saint Benoît au Prologue de sa Règle, le Seigneur peut nous dire : " Ad te ergo nunc mihi sermo dirigitur..." Il quête de nous un regard d'attention : " C'est à toi que Je parle".

    "Ecrit pour moi", cela veut dire encore que je suis la matière du livre ; il me raconte ma propre histoire, depuis ma genèse jusqu'à mon apocalypse. Abraham, Moïse, David, les prophètes et les apôtres me sont, après tout, plus contemporains que les grands noms de l'actualité, car je ne fais qu'apercevoir ces noms dans les journaux, tandis que pour les premiers, je vis chaque jour avec eux et je lis dans leur histoire éternellement neuve et vraie, l'histoire de ma vocation, de mon péché, de mon repentir.

    "Ecrit pour moi", cela veut dire enfin que Dieu a pris la peine d'user d'un langage qui me fût accessible.

    Au début de son ministère public, Jésus entra dans la synagogue de Nazareth et on lui présenta, à lui aussi, le "rouleau du livre". Jésus nous a donné alors une magistrale leçon de lectio divina : tout d'abord par la gravité et la majesté de ses gestes sur lesquels le récit évangélique s'arrête avec une complaisance manifeste (Lc 4, 17 et 20). Pour chacun de nous comme pour Jésus, l'ouverture et la fermeture de la Megillah, du rouleau, doivent être des actes solennels. Mais remarquons surtout le commentaire que fait immédiatement Jésus du passage qu'il vient de lire :

    "Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture" (Lc 4,21)

    Jésus avait pleinement conscience de ce que la prophétie d'Isaïe trouvait aujourd'hui en lui son accomplissement pour ceux qui l'écoutaient ; et auparavant, en lisant lui-même le texte, il avait eu nettement conscience de ce qu'il s'accomplissait pour lui. Ainsi en va-t-il pour nous chaque fois que nous ouvrons l'Ecriture ; chaque matin, à l'heure festive de la lectio divina, nous devons avoir la certitude qu'aujourd'hui ce passage de l'Ecriture s'accomplit pour nous en Jésus Christ, qu'il n'est pas un seul mot de ce que nous lisons qui ne soit écrit pour nous. (...)

     

      François Cassingena-Tréverdy - Quand la Parole prend feu -

       Ed Abbaye de Bellefontaine 1999/2002

       ISBN 978-2-85589-086-9

     

  • Lectio divina (1)

    Le Livre des saintes Ecritures est là, ouvert sur ta table ; il devrait rester ainsi toute la journée, car, quelles que soient les autres études auxquelles tu pourras te livrer lorsque tu auras achevé ton heure régulière de lectio divina, ce livre-là restera toujours la source, la référence, la mesure. (...)

    Tu n'as pas le bonheur de posséder le Saint Sacrement dans ta cellule, mais tu as dans ta cellule les saintes Ecritures à ta libre disposition : c'est ton tabernacle à domicile. (...)

    C'est sur ce Livre-là que tes yeux devraient se poser dès ton réveil, avant les vigiles ; c'est encore le dernier livre sur lequel tu devrais t'endormir le soir. Livre antérieur au soleil et postérieur au soleil, matutinal et vespéral, diurne et nocturne, alpha et omega de chacune de tes journées. Livre toujours ouvert sur ta table...(...)

     

                                   François Cassingena-Tréverdy - Quand la Parole prend feu -

                                   pages 11 et 12

                                  Ed Abbaye de Bellefontaine 1999/2002

                                  ISBN 978-2-85589-086-9

     

     

  • Aller en vacances....dans sa Parole

    [259] Au menu d'un déjeuner sur l'herbe inespéré, il leur avait servi des nourritures simples, des nourritures saines : des pains et des poissons ; et puis, tirées de son inépuisable vivier intérieur, il leur avait ensuite servi en abondance des paroles crues, des paroles saines comme des produits maraîchers : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle" (Jn 6,54). Il leur avait fait, sur fond de collines, et de lac, et de ciel, le dessin d'un très vaste échange, d'une merveilleuse solidarité biologique entre le Père et lui, et entre lui et nous : " De même que le Père-le-Vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, celui qui me mâche vivra par moi." (Jn 6,57). C'était clair ; c'était simple ; c'était sain. Et voilà que maintenant, la messe finie, ils se dispersaient. Pis encore, à partir de ce moment-là, ses disciples firent marche arrière et ne se promenèrent plus avec lui (Jn 6,66). Ils le laissaient au bord de l'abandon et - qui sait ? - même, au bord de larmes que l'on ne voyait pas et qui ne faisaient pas de bruit. A vrai dire, ce genre d'accident arrive couramment à la Parole. Il arrive tous les dimanches. Il arrivera certainement aujourd'hui. Coutumier à la Parole, cet accident-là arrive très ordinairement à ceux qui la portent. A ceux qui la portent par obligation, déjà, pour ne rien dire de la déconvenue que subissent, tout bas, ceux qui la portent par grâce et par feu intérieur. Avec son histoire d'homme comestible, il les avait mis - il nous met - en demeure [260] de choisir entre deux systèmes, entre deux cités, entre deux civilisations. L'une consiste, nous le savons tous d'expérience et de complicité, à manger les autres de toute manière (c'est la loi du plus fort) ; l'autre, qui nous scandalise et nous effraie, consiste à se donner soi-même à manger aux autres comme du bon pain (car, nous l'oublions trop, ou nous ne voulons pas le voir à travers nos eucharisties de pure formalité), c'est chacun de nous qui, par lui, avec lui et en lui, est appelé à devenir généreusement comestible : comment le monde saura t-il quel bon goût a Jésus-Christ, si nous ne lui donnons pas à pressentir dans le nôtre ? Bref, tous se dispersaient. C'était trop cru ; et puis c'était trop long. " Non vraiment, il n'a pas les pieds sur terre ! disaient-ils - disons-nous. D'ailleurs nous avons des courses à faire, nous avons des invités, nous avons des obligations, éventuellement des divertissements obligatoires. Nous écouterons une autre fois." Autant dire que nous n'écouterons jamais.

    Le même accident de la Parole arriva un jour à Paul sur l'Aéropage d'Athènes (cf. Ac 17,32-33). Jésus parlait de l'eucharistie, Paul de la résurrection : tout se tient ensemble. Tout est tenu ensemble par ceux qui ouvrent leur coeur, rien n'est tenu ensemble par ceux qui le ferment.  

    Il les a mis en demeure de demeurer en lui (Jn 6,56), et ils se sont dispersés, chacun à son propre domicile et à son propre festin. Cette fraction du pain qu'il leur a esquissé du geste et de la parole n'a abouti qu'à une fraction de la majorité qui, mise à bout par son langage, a crié à l'anthropophagie et à la mégalomanie. Ce Corps du Seigneur que Paul invitera plus tard à discerner (1 Co 11,29) vient d'opérer entre les simples badauds et les vrais disciples un discernement. Et voilà que, sur la question discriminatoire de Jésus, Pierre, jetant un coup d'oeil sur le vide qui se fait soudain à la ronde, et prenant la mesure de l'errance et de la déroute possible, Pierre fait ici une "confession" : version johannique de celle que les synoptiques mettent dans sa bouche à Césarée de Philippe (Mt 16,16 ; Mc 8,29) : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! [261]

    Ainsi donc, par-delà les paroles sous-alimentaires dont le monde se repaît et dont nous nous repaissons trop souvent, oui, même nous qui faisons profession de spiritualité, il existe une Parole infiniment nutritive  qui coule de source et qui abreuve ! Ainsi, par-delà nos à peu près, nos fratras intellectuels et toute cette foire d'idéologies et de systèmes qui font une universelle banqueroute, il existe une Vérité vive et personnelle (Jn 14,6), une Raison chaleureuse à laquelle on peut se rendre, un TU véritable, à la fois vulnérable et fort, un TU que l'on peut atteindre et tâter et tutoyer ! Jésus-Christ seul à raison, Jésus-Christ seul est Raison, lui qui a fait de sa propre chair et de son propre sang les premisses de toute sa logique.  A qui d'autre irions-nous ? Ajoutons : avec qui d'autre irions-nous ? Car le même est ici le Compagnon et le But.

    Mais du moment que Jésus-Christ a installé Pierre comme fondement (Mt 16,18), il lui a aussi donné les paroles de la vie éternelle qui sont siennes, et les clefs (Mt 16,19) qu'il a mises en ses mains sont celles de son propre langage. A qui irions-nous désormais, sinon à Pierre ? A qui nous rendrions-nous, sinon à l' Eglise qui se lève et qui répond, en Pierre, comme un seul homme ? On ne se rend pas à l'Eglise comme à une boutique mais comme à une Personne ; on ne se rend pas à l'Eglise - je veux dire au mystère intime de l'Eglise - par les considérations de la sociologie et les statistiques, mais par la foi. Qu'on  n'aille pas se méprendre ici néanmoins : en faisant la part si belle à Pierre et à toute l'Eglise , en lui, comme une seule grande Personne, nous n'entendons point conforter une certaine prétention séculière de l'institution qui lui a été maintes fois si funeste, mais plutôt manifester la réalité théologique dans la nudité de sa plus simple expression. Encore que Jésus-Christ les lui ait bel et bien données (Jn 17,8) en effet, l'Eglise ne dit pas - et ne dira jamais : " J'ai les paroles de la vie éternelle", mais, se tournant vers Jésus-christ à la face du monde, elle lui déclare publiquement : Tu as les paroles de la vie éternelle. Loin de confisquer pour elle-même [262]  l'usage de la première personne, l'Eglise n'a d'identité et d'autorité que dans le tutoiement de Jésus-Christ. Dans sa liturgie, dans sa mission et à travers toutes les manifestations de son essentielle sainteté, l'Eglise, extraite de ce monde même, n'a de respiration et de vie que dans le tutoiement de son Seigneur. L'Eglise n'a d'autorité qu'en référence à celle de Jésus-Christ, qu'en "conférence" avec celle de Jésus-Christ, puisqu' aussi bien Jésus-Christ n'a rien à faire du psittacisme : il ne veut que des hommes de Parole, c'est-à-dire des hommes qui répondent en face, comme Pierre, quand Il parle. L'Eglise ne possède pas la Parole, car la Parole vive elle-même finit par pourrir, comme la manne (Ex 16,20), dès lors qu'on la met en conserve et au possessif, au lieu de la vivre et de la donner ; elle n'est pas davantage le pur et simple enregistrement de cette Parole, de si haute fidélité qu'il soit. Non, décidément, elle ne dit pas, au passé : "Il a eu les paroles de la vie", mais, au présent : Tu as les paroles de la vie, et c'est comme cela qu'elle va, comme cela qu'elle vit elle-même.

    Seigneur, à qui irions-nous ? ... Pierre tire ici la conclusion pratique de tout un chemin qu'il a déjà parcouru, sans apercevoir à cette heure, sans doute, le terme pascal de celui qu'il doit parcourir encore. N'importe : il y a dans sa "confession" tout un itinéraire en perspective et toute une reddition. Car aller à Jésus-Christ, se rendre jusqu'à Jésus-Christ, c'est se rendre à lui et capituler entre les mains du Père qui nous récapitule en son Christ (Ep 1,10). Itinérante dans la foi, l'Eglise est tout entière dans cet "allant" ; humble servante de la Parole, elle est tout entière dans cette reddition. Si nous réalisions quelle plénitude de grâce c'est que de tutoyer Jésus-Christ - oui, rien que de le tutoyer comme on respire -, et quelle plénitude de vérité ce simple tutoiement instaure au monde, avec quelle joie indicible et glorifiée, pour reprendre les mots de Pierre encore (1 P 1,7), nous dirions chaque dimanche : JE CROIS EN L'EGLISE ! - Amen.

    François Cassingena-Trévedy  in SERMONS AUX OISEAUX - Ad Solem 2009 ISBN 978-2-940402-38-0    www.ad-solem.com

     

     

     

     

  • Artisanat de la Parole (8) : nous passer la Parole

    Mais le cycle de la Parole s'achève aussi et tout autant sur notre bouche, et c'est ici que nous retrouvons l'oralité. La lectio débouche en effet sur la louange , la confessio laudis qui est une autre manière de rendre à la Parole à sa liberté ; elle débouche aussi sur l'échange que nous nous faisons de la Parole, entre frères, en communauté, et en Eglise. Car nous devons nous parler, nous passer la Parole. La Parole est essentiellement dia-logale, en Trinité et entre nous. C'est tout le sens de la psalmodie alternée, dans la liturgie des Heures, sorte de jeu collectif et rythmique de la Parole qui la fait rebondir entre nous et atteste de façon tout à fait concrète sa transitivité et sa mobilité originelles : la Parole ne se maintient que dans la dia-logie, la stéréophonie et l'altercation, entre les hommes comme entre les anges (...) mais outre l'Opus dei, cette circulation de la Parole, condition indispensable à sa vie, se vérifie aussi dans le dialogue spirituel qui s'établit entre maître et disciple : Père dis-moi une parole de salut ! A cette demande, si coutumière dans la littérature monastique des origines, il n'est pas donné d'autre réponse en substance, qu'une parole de l'Ecriture ; mais il suffit que la Parole soit donnée par un autre pour qu'elle manifeste tout son pouvoir médicinal. La parole n'est pas, n'est jamais notre affaire soloitaire ni privée : l'économie divine veut positivement qu'elle ne nous arrive que par la bienheureuse médiation d'autrui. La Parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l'avez accueillie, non comme parole d'hommes, mais comme ce qu'elle est réellement, la Parole de dieu. Et cette Parole reste active en vous, les croyants. (1 Th 2,13). Au demeurant, le dialogue dont nous parlons ne s'établit pas seulement entre maître et disciple, mais aussi, à l'occasion, entre disciples : nous devons nous porter Parole les uns aux autres. (voir aussi Col 3,16) 

     

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena est moine à l'abbaye de Ligugé.

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

  • Artisanat de la Parole (7) : écris !

    Depuis l'organe central, la Parole, entamant la deuxième phase (...) gagne maintenant l'organe donateur qui est la main. Si la Parole ne va pas jusqu'à la main, le cycle n'est pas complet ; cet aboutissement à la main est nécessaire à la plénitude anthropologique de la lectio, puisque aussi bien rien n'est pleinement humain qui ne passe par la main de l'homme. Prêtons alors attention à l'impératif catégorique qui est donné à l'auteur de l'Apocalypse, encore lui : J'entendis une voix me dire, du ciel : Ecris ! (Ap. 14,13) La voix ne dit pas : " regarde ! " ou encore  " écoute ! " mais : " écris !". Ce verset de l' Ecriture nous fait voir l'Ecriture, pour ainsi dire, in fieri, dans l'acte même qui la constitue. Qu'est-ce que le voyant va écrire, en effet, sinon l'Ecriture même ? Et nous, avons-nous songé à l'importance, à la solennité de l'acte physique, matériel et concret d'écrire, dans le processus complet de notre lectio divina ? Pourquoi reste-t-il si souvent si peu de notre lectio dans notre coeur, après que nous l'avons finie ? Parce que nous n'avons rien écrit, parce que nous ne sommes pas allés jusqu'à l'écriture, parce que la Parole ne nous est pas venue en main. Nous avons amputé quelque chose de notre humanité, et c'est pourquoi la Parole n'a pu nous atteindre pleinement. Tout l'homme doit prendre Parole. Le propore de l'Ecriture de Dieu, c'est de susciter la nôtre, comme réponse humaine ; humaine parce que manuelle. Elle répondra, dit Osée de l'épouse-Israël. La main est l'auxiliaire de la mémoire, cette Mémoire dont nous avons souligné à l'envi l'importance. C'est ainsi que le cycle intégral de la lectio va de la Main à la main, de la Main de Dieu à la nôtre, de la Main qui nous écrit de la part de Dieu à notre main qui répond à Dieu... et pour donner à autrui. Réalisons un instant ce qui nous manquerait si les Pères et les géants de la lectio divina n'avaient rien écrit. Ecrire, c'est faire charité. Dans la mesure où elle va jusqu'à mobiliser en nous la main, la lectio atteint d'autre part à la noblesse d'un véritable " travail manuel quotidien", de ce travail auquel Benoît lui-même l'associe  étroitement, puisqu'il traite du travail et de la lectio sous un seul chef : de opera manuum cotidiana (Cf. Reg. Ben., chap. XLVIII) 

      

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena est moine à l'abbaye de Ligugé.

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

  • Artisanat de la Parole (6) : par l'oeil, l'oreille et la bouche

    Notre lectio mobilise d'abord des organes récepteurs qui sont l'oeil et l'oreille. L'oeil fait office de " curseur " : il court après le Verbe, il suit Jésus du regard (la lectio est la première forme de la sequela Christi). L'objet ultime de notre vision, alors, ce n'est point le texte, mais la Voix. Prêtons bien attention à la manière dont l'auteur de l'Apocalypse rapporte son expérience : Je me retournerai pour voir la Voix qui me parlait (Ap. 1,12) Je me retournai : c'est l'épistrophè, le mouvement de conversion, le même que celui de Marie-Madeleine dans le jardin du matin de Pâques (Jn 20,16). Pour voir la Voix. Notre lectio demeure un exercice mondain et profane aussi longtemps que nous ne voyons qu'un livre ; c'est la Voix qu'il faut voir, dans une magnifique synesthésie qui suppose bien sûr l'incarnation du Verbe. Et puis, quand nous lisons, il y a l'oreille. Le tout premier mouvement du "cycle" va de notre oeil à notre oreille. Car nous devons entendre immédiatement ce que nous lisons, convertir le visuel en auditif. L'oreille du corps, dans la liturgie où la proclamation de la Parole nous la rend tout aussitôt assimilable par voix auditive (d'où l'importance considérable de la liturgie !). L'oreille du coeur surtout, cette oreille interne qu'amadoue le Psalmiste : Audi, filia (Ps 44,11.vulg.) et saint Benoît après lui : Inclina aurem cordis tui... (Reg. Ben., Prol.) Parmi les organes récepteurs, n'oublions pas non plus la bouche qui murmure la Parole et la rumine ; il y a toute une oralité de la lectio, trop souvent négligée (elle était pourtant familière aux anciens) et qui touche de fort près, au demeurant, à celle de l'Opus Dei. 

    Par l'oeil, l'oreille et la bouche, la Parole gagne l'organe central qui est le coeur. Soyons plus exact : le texte écrit impressionne l'oeil et, passant de l'oeil à l'oreille puis de l'oreille au coeur, il devient Parole. Oui, la première phase du cycle, celle qui va de l'oeil au coeur, consiste en somme dans la transformation de l'écrit en Parole. Cette transformation-là est fondamentale ; c'est même l'industrie majeure qui se pratique dans notre atelier. Nous sommes des transformateurs de l'écrit en Parole. Le lieu propre de la Parole, c'est le coeur, selon ce que le psalmiste dit du juste : La torah de son Dieu est dans son coeur (Ps 37,31), et notre coeur, c'est l'Ecritoire de Dieu, comme il appert du prophète Jérémie : Je donnerai ma torah dans leur dedans et sur leur coeur Je l'écrirai (Jr 31,33 ; voir aussi 2 Co 3,3). En somme, pendant que nous transformons l'écrit en Parole, l'Esprit de Dieu transforme la Parole en Ecrit.     

     

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena est moine à l'abbaye de Ligugé.

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

  • Artisanat de la Parole (5) : bûcher sa lectio jusqu'à la blessure du coeur

    Ce serait une illusion de croire que la lectio est quelque chose de facile, de toujours facile. Sa difficulté tient à la difficulté de Dieu même. Certes, et nous le dirons tout à l'heure à l'envi, la lectio relève de l'otium et comporte un caractère très sérieusement ludique, mais elle est aussi un exercitium ; elle est notre Grand exercice, un Exercice qui ne dure pas trente jours seulement, mais tous les jours de notre vie. Nul doute que par bien des aspects la lectio ne fasse partie de toute la dimension ascétique de notre vie et, pour être très cachée, très subtile, cette ascèse de la lectio n'en est pas moins réelle. C'est dans la lectio en effet, en tant qu'activité plénière et synthétique, que se vérifie le critère essentiel de notre vocation : si revera Deum quaerit. L'acquisition d'un minimum d'outils intellectuels et d'une méthode exige sans doute un effort, mais la difficulté majeure réside ailleurs, bien au-delà de tout ce qui apparente la lectio divina à une discipline profane, à ces disciplines profanes qu'elle se subordonne à l'occasion pour n'en prendre que mieux son élan : la vraie difficulté pour nous, c'est de parvenir jusqu'à la difficulté inhérente à l'Ecriture, jusqu'à l'argument, jusqu'à la question, jusqu'au tranchant que chaque parole vive recèle et dont la distraction, la routine, l'inappétence spirituelle émoussent si souvent en nous la perception. Ce qui réclame de nous un effort, c'est d'aller jusqu'à ce débat inévitable de Dieu avec nous, jusqu'à ce point où la Parole nous fait mal et nous arrache un cri qui est tout ensemble d'émerveillement et de douleur : la lectio authentique débouche sur la componction du coeur, le penthos. Notre lectio est paresseuse et rémittente si, pour finir, nous ne nous blessons pas tout de bon avec la Parole, si nous ne nous laissons pas blesser par elle.  

     

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena est moine à l'abbaye de Ligugé.

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

  • Artisanat de la parole (4) : régularité d'une pratique

    Parlons maintenant de la régularité. La lectio divina n'est jamais facultative et l'on ne saurait l'ajourner. Il faut s'y tenir coûte que coûte. C'est se condamner à l'anémie que de ne point s'alimenter aujourd'hui ; c'est être vide que n'être pas plein de Dieu tout de suite. L'Ecriture est un journal, notre journal obligé et, à en abandonner tant soit peu la lecture, nous perdons le fil, le fil d'or par lequel nous tenons à la Vie. La régularité de la lectio, même brève, confère à notre vie son armature et sa cohérence. Au demeurant, cette régularité exige-t-elle de nous des efforts surhumains si nous comprenons la lectio, moins comme une présence au bureau, strictement mesurable au chronomètre, que comme une présence habituelle à Dieu et aux choses de Dieu, comme une atmosphère  qui baigne toutes nos activités. Reste que cette présence  habituelle et douce tendrait à s'évanouir et à devenir pure illusion  si l'on ne s'attablait effectivement à la Parole, certis temporibus, comme le prescrit saint Benoît au chapitre du "travail manuel quotidien". La lectio assure en profondeur la stabilité de notre vie, (...). Car la Parole est bel et bien notre Domicile (...) Qui sait si, dans son déroulement historique,  notre vie ne nous réserve pas des déménagements, des exodes, des exils, des hospitalisations, des incarcérations ? Qu'à cela ne tienne ! Où que la volonté du Seigneur nous conduise (...) nous resterons stables dans la Parole ou, plus exactement, nous emporterons partout cette Parole avec nous, comme Abraham emportant d'Ur la Promesse, comme les Hébreux transportant la Tente démontable à travers le désert. Est-ce pour rien que le Seigneur recommande à Moïse de fabriquer une table portative, au autel portatif ? Du moment que nous pouvons reconstituer partout notre atelier, notre camp volant de la Parole, nous n'avons pas sujet de nous plaindre et nous ne sommes nulle part déracinés. La Parole est nomade par nature, itinérante par nature et mobile (Cf. Ex 34, 15-16 ; Ps 147,15 ; Is. 55, 10-11 ; Lc 24,15) : emportons-la partout, pour qu'à son tour elle nous emporte. La fidélité amoureuse à la lectio divina est le plus sûr garant de notre stabilité, de cette stabilité du coeur dans la Parole sans laquelle la stabilité matérielle ne serait que de pure forme.   

     

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena est moine à l'abbaye de Ligugé.

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

  • Artisanat de la Parole (3) : dès le matin

    Si la lectio divina est un métier artisanal, comme d'emblée nous l'avons reconnu, nous ne nous étonnerons guère qu'elle en présente tous les caractères, qu'il s'agisse de ses procédés, de son esprit, de l'atmosphère ambiante qu'elle nécessite. Aussi estimons-nous opportun d'insister maintenant sur trois notes intimement solidaires de ce caractère essentiellement "laborieux" de la lectio : la révérence, la régularité, l'effort. De la sorte, nous rentrons peu à peu dans ces considérations plus pratiques que vous êtes certainement impatients d'aborder.

    Commençons par la révérence. Que voulons-nous dire par là ? L'exercice de tout métier manuel, en particulier artisanal, s'entoure d'une sorte de gravité : il n'est que d'en observer les gestes obligés, ritualisés par l'expérience et l'histoire, et la manière dont ils traitent leur matière propre : la terre, la pierre, le bois, le métal, la chair même. Eh bien ! la révérence avec laquelle nous traitons la Parole doit apparaître d'abord dans la préséance concrète et effective que nous lui accordons dans nos journées. Car c'est dans cette Parole-là que, dès le matin, l'on se lève et l'on se lave. Commencer immédiatement par la Parole : voilà ce qui fait un jour noble, un jour "bien élevé", un jour que le Seigneur a fait  (Ps 118,24) ! Un jour immédiatement assis sur la Parole est un jour qui tiendra debout, parce que cette priorité très concrètement accordée à la lectio consolide chaque matin que le bon dieu fait l'orientation foncière de notre vie. Souvenons-nous du  troisième Chant du Serviteur : Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j'écoute comme un disciple. Le Seigneur Yahvé m'a ouvert l'oreille, et moi je n'ai pas résisté. (Is 50, 4-5) La Parole est notre clairon, notre coq et notre Réveille-Matin ! (...) Ressusciter chaque matin à la Parole : voilà une excellente règle d'hygiène. (...) Et puis c'est encore cette Parole que nous devons emporter, le soir, dans notre sommeil ; c'est elle que nous devons mettre sur notre table de nuit. (...)

    Chaque fois que, dans le silence de votre chambre, vous ouvrez le Livre, pensez à la mystérieuse et merveilleuse synchronie qui relie votre geste à celui de l'Agneau ; pensez aussi que chacune des pages de ce Livre - immaculée - est tachée du sang de l'Agneau, car Jésus, dont il ne nous reste pas trace d'écriture (cf. Jn 8,8), n'a jamais rien écrit qu'avec son sang. Tu es digne, Seigneur, de recevoir le Livre et d'en ouvrir les sceaux... (Ap 5,9) Oui, ce Livre-là s'ouvre sur la terre comme au ciel, simultanément.

          à suivre...

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena est moine à l'abbaye de Ligugé.

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

     

  • Artisanat de la Parole (2) : de jour et de nuit

     Occupari debent fratres, dit saint Benoît : " les frères doivent être occupés..." La lectio divina est donc, avec le travail manuel, une occupation. Est-ce à dire qu'elle est simplement une occupation parmi d'autres, avec le sens un peu superficiel ou condescendant que l'on donne à ce terme ? Non, elle est l'occupation majeure, fondamentale, fédératrice de toutes les autres, accompagnant et précédant logiquement toutes les autres. Aussi serait-on fondé à parler ici de "pré-occupation". La lectio divina, entendue bien sûr de la manière la moins livresque et la moins sommaire, apparaît alors comme la pré-occupation majeure de notre vie, car dès lors que nous voulons bien la comprendre comme une attention permanente à la parole, comme une orientation foncière de notre être vers la Parole, il ne fait aucun doute qu'elle soit l'activité totalisante - et légitimement totalitaire - de notre vie [...], celle qui confisque à son profit nos énergies les plus secrètes et les plus chères. Il ne s'agit pas de laisser cette occupation-là pour une autre, mais d'assaisonner abondamment de celle-là toutes les autres, mais d'inonder de celle-là toutes les autres. Au demeurant, on attendrait en vain de s'attabler avec fruit à la lectio divina aux heures, parfois réduites, qui lui sont officiellement consacrées, si l'on ne s'entretenait toute la journée de la Parole, si l'on ne mâchait sans cesse quelque verset, quelque scène évangélique, quelque antienne de la liturgie, quelque problème théologique. On ne saurait aborder la lectio dans l'impréparation intérieure. L'attention au Verbe, sous quelque forme qu'Il se déclare à nous, ignore toute solution de continuité.

    Ne soyez pas de petits tâcherons mesquins qui s'estiment quittes lorsqu'ils ont fait leur heure de lectio. Ne comptez pas avec Celui qui ne compte pas avec vous. Bien plus qu'un travail de bureau, et bien avant de l' être en tout cas, notre rapport à la Parole est une aptitude intérieure, une inquiétude constante, une sorte d'ingéniosité, d'agilité toujours en éveil, une fonction vitale, jamais facultative ou intermittente de l'organisme spirituel. Que la Parole du Christ habite en vous abondamment ! (cf Col 3,16) (...)

    La lectio divina ne connaît aucune vacance, aucune relâche. Sur tes remparts, Jerusalem, j'ai posté des veilleurs ; de jour et de nuit, jamais ils ne se tairont (Is 62,6) 

    François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina  

    F. Cassingena, ancien de Normal sup, est moine à l'abbaye de Ligugé

    Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4

     

  • lectio 12 : notre aventure

    Nous ne possédons rien : la Bible est notre trésor ; nous avons fait voeu de stabilité : la Bible est notre espace, notre pâturage ; nous nous sommes retirés dans la solitude : l'Ecriture est notre compagnie, notre société, et il n'est pas un seul des personnages qu'elle met en scène, depuis Adam jusqu'aux comparses des Epîtres de saint Paul, dont nous ne soyons contemporains. (...)

    L'Ecriture est notre Terre Promise, notre royaume, notre aventure ; une aventure d' exégèse qui engage toute notre vie. Jusqu'à ce que le Seigneur lui-même nous introduise au-delà des mots et des figures, au-delà des consonnes, dans le feu où il habite et d'où il nous parle, nous devons garder une âme de nomades et poursuivre, joyeux, notre quête, en inlassables pèlerins du Sens. Jésus ressuscité nous rejoint sur la route et nous y accompagne, Lui, le Sens, la Plénitude et l'Exégète de l'Ecriture, à l'approche duquel prennent feu, prennent fleurs, les coeurs et les consonnes.  

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 81          

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • lectio 11 la cathédrale du Sens

    Quand tu t'adonnes à la lectio divina, tu te trouves impliqué dans une oeuvre qui te dépasse et te déborde de toutes parts, tu entres dans un chantier comme un ouvrier parmi une foule d'autres ouvriers. Dans l'exercice de cette activité-là en effet, tu es, à un titre tout particulier, membre de l'Eglise, du Corps total. C'est toujours en cette qualité de fils et de membre de l'Eglise que tu dois rencontrer la Parole dont l'Eglise seule est la véritable interlocutrice et la véritable dépositaire. A travers l'humilité, l'obscurité, la solitude de ta lectio divina, quelque chose d'immense et de grandiose s'élabore : à travers toi et en toi, c'est l'Eglise qui accomplit son intériorisation cordiale de la Parole. " Marie gardait et comparait en son coeur..." (Lc 2,19) Te voilà donc devenu comme une chambre haute de cet immense Coeur ecclésial qui, de la Pentecôte à la Parousie, n'en finit pas de garder, de comparer, d'approfondir les Ecritures ; comme un miroir, une facette de cet immense Corps oculaire, de ce Vivant constellé  d'yeux (cf. Ap 4,6) qui n'en finit pas de regarder.

    Puisque tu n'es pas seul, puisque tu n'es ni le premier ni le dernier dans cette entreprise d'investigation du sens de l'Ecriture, puisque tu y fraternises silencieusement avec tous ceux qui, avant toi, en même temps que toi, après toi, interrogent le même Livre, tu comprends alors aisément la dignité de ta lectio divina, son importance, sa nécessité même. Quand bien même rien ne devrait jamais s'ébruiter au-dehors de tes découvertes dans l'univers des Ecritures, ton exégèse personnelle et toute secrète importe à la construction de la "cathédrale du sens", à cette exégèse totale, communautaire, "catholique", dont l'Eglise pérégrinante à travers l'histoire est le sujet et qu'elle offre comme une réponse nuptiale, un hommage à son Seigneur qui lui a parlé. Chaque verset des Ecritures est un son émis par la bouche de Dieu dont les ondes doivent parvenir "jusqu'aux extrémités du monde" ( Ps 19,5) et se répercuter dans la caisse de résonnance que leur offre le coeur de chaque homme qui les perçoit. (...)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 74-75           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

     

  • lectio 10 : lecture midrashique

    (...) cette page [de saint Grégoire le Grand]  [est] l'une des pages les plus pertinentes et pratiques qui aient jamais été écrites peut-être sur la lectio divina et le rapport à l'Ecriture qu'elle implique ; en même temps qu'elle conserve un étonnant accent de modernité, cette page rejoint aussi un thème important de la mystique juive : l'interprétation de la Merk(h)aba(h), du "char de Yahvé" au premier chapitre d'Ezéchiel :

    Et quand s'avançaient les Vivants, les roues également s'avançaient, à côté d'eux ; et quand les Vivants s'élevaient de terre, les roues en même temps s'élevaient (Ez 1,19).

    Les Vivants s'avancent quand les saints savent lire dans l'Ecriture Sainte ce que doit être leur conduite morale. Les Vivants s'élèvent de terre quand les saints se laissent ravir par la contemplation. Or, plus un saint progresse dans l'Ecriture sacrée, plus l'Ecriture même progresse avec lui. C'est pourquoi il est exact de dire : "Quand s'avançaient les Vivants, les roues également s'avançaient : et quand les Vivants s'élevaient de terre, les roues en même temps s'élevaient." C'est que les révélations divines croissent avec celui qui les lit : plus on dirige haut son regard, plus profond est le sens. Les roues ne s'élèvent pas si ne s'élèvent pas les Vivants. Si l'âme du lecteur ne monte pas, les paroles divines, incomprisent, restent pour ainsi dire au ras de terre. Quand le texte divin paraît sans chaleur à qui le lit, quand le langage de l'Ecriture sacrée ne met pas son âme en mouvement et ne jette aucun trait de lumière dans son intelligence, la roue est inactive et au sol, parce que le Vivant ne s'élève pas de terre. Mais que le Vivant s'avance, c'est-à-dire y cherche des jalons pour son progrès moral, et faisant un pas dans son coeur, découvre comment faire le pas de l'oeuvre bonne, alors les roues s'avancent également : vous trouvez à progresser dans le texte sacré à mesure que vous êtes devenus vous-mêmes meilleurs à son contact. Si le Vivant ailé prend son essor dans la contemplation, les roues aussitôt se soulèvent de terre, car vous comprenez qu'elles ne sont pas de la terre, ces réalités qui vous semblaient exprimées dans le texte sacré sur le registre terrestre. Vous en venez à sentir que les mots de l'Ecriture sont des mots du ciel, si vous vous laissez enflammer par la grâce de la contemplation et ravir vous-mêmes jusqu'aux réalités de là-bas. L'admirable et indicible vertu du texte sacré se fait connaître quand le coeur de qui le lit se pénètre de l'amour venu d'en-haut.

    (Grégoire le Grand, Homélie VII "sur Ezechiel", 8, SC 327, p. 245 trad Ch. Morel, s.j. Cf H. de Lubac, Exégèse médiévale, t.I, p. 653-656)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    pp. 56-57           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 9 theopneustos

     

    " Toute Ecriture, nous dit saint Paul, est inspirée par Dieu", "theopneustos" (2 Tm 3,16) (...) Cela veut dire que Dieu respire dans l'Ecriture, qu'il y respire toujours ; que le Pneuma divin habite aujourd'hui l'Ecriture.

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 55          

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 8

    (...) la lectio divina est une expérience matinale de résurrection et de vie. Et il n'est pas indifférent que Yahvé demande au prophète d'appeler lui-même l'Esprit sur les ossements, ni que ces derniers ne s'assemblent que sur le commandement d'un "fils d'homme" (Ez 37,9). Cela signifie que le Texte ne vivra pas pour moi aujourd'hui, que les consonnes desséchées ne se mettront pas à danser devant moi aujourd'hui, tant que je n'aurai pas invoqué moi-même l'Esprit dans une prière personnelle :

    C'est pourquoi j'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée, j'ai invoqué et l'Esprit de sagesse m'est venu (Sg 7)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 54           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

    ,7)

  • Lectio 7 - la lecture abyssale

    Isaac fut un creuseur de puits... Au sens littéral déjà, certes, la chose est d'importance : l'eau a tant de prix dans le pays biblique ! Mais notre Père Isaac, le puisatier, nous a appris, ce faisant, bien autre chose encore : à nous mettre en peine de trouver et de boire l'eau vive dont la Samaritaine sollicitera un jour le don auprès de Jésus. Oui , notre Père Issac, en fouillant la steppe, s'est fait notre modèle et notre maître ès lectio divina ! Citons Origène , dans son commentaire sur la Genèse :

    Quiconque d'entre nous administre la Parole de Dieu creuse un puits et cherche de l'eau vive dont il puisse réconforter ses auditeurs. Si donc je me mets, moi aussi, à expliquer les paroles des anciens, si j'y cherche un sens spirituel, si j'essaie d'enlever le voile de la loi et de montrer que ce qui est écrit a un sens allégorique, pour ma part je creuse des puits [...] Si nous sommes serviteurs d'Isaac, aimons les puits d'eau vive et les sources [...] Ne cessons jamais de creuser des puits d'eau vive ! [...] Creusons au point que les eaux du puits débordent sur nos places publiques, pour que la science des Ecritures ne nous suffisent pas à nous seuls, mais que nous enseignions les autres et les instruisions, pour que boivent les hommes, et que boivent aussi les troupeaux. ( Origène, Homélie XIII sur la Genèse (chap 26), 3 et 4, SC 7 bis, p. 319-321, trad. L. Doutreleau )

    (...)

    Quel que soit le verset dont nous entreprenions l'investigation, l'eau vive est cachée sous nos pas et il faut nous mettre en peine de creuser le puits qui nous permettra de l'atteindre (...)

    Descente progressive et laborieuse vers les profondeurs du Sens, la lectio divina tient du forage à travers les couches géologiques et de la spéléologie ; elle nous conduit de la croûte terrestre aux roches métamorphiques, et jusqu'au noyau incandescent, jusqu'au coeur, car la Parole est à la fois Eau et Feu (...) "Au cours de ma méditation un feu s'allume" (Ps 39, 4 Vulg.) Telle est donc la lecture que nous devons pratiquer à l'école d'Isaac le puisatier, le mineur : une lecture "abyssale".

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    pp. 45-47           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

     

  • Lectio 6

    (...)

    "Là où est l'Esprit de Dieu, là est la liberté " (2 Co 3,17). Laisse alors l'Esprit t'emmener très loin, de correspondances en correspondances, indéfiniment, à travers la "forêt des symboles", à travers le temple des Ecritures qui, comme celui de la Nature dont parle le poète, repose sur de "vivants piliers"... Ecoute le Maître divin du midrash t'instruire de rapprochements insoupçonnés, non seulement de toi, mais peut-être même de tout autre jusqu'à ce jour. L'Esprit n'est-il pas libre en effet de te révéler à toi, personnellement, aujourd'hui, dans le secret, quelque chose d'inouï ; de te faire apercevoir dans la Cité cohérente des Ecritures, "cuius participatio eius in idipsum" (où tout ensemble ne fait qu'un, Ps 122, 3 Vulg.), une proportion, une perspective jusque-là ignorée ; de te découvrir un trait de cette beauté multiforme que l'Architecte y a répandue ? Use de la liberté de l'Esprit dont le Christ t'a gratifié ; sois inventif ; sois poète ; réalise pour de bon le rêve extravagant de Rimbaud : " J'ai tendu des cordes de clocher à clocher, et je danse !"  (...)

    Non, il ne faut pas craindre d'être trop heureux en lisant l'Ecriture. (...)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 43           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 5

    " Marie, nous dit Luc, conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son coeur " (Lc 2,19). Les deux verbes employés ici par l'évangéliste (sym-balleïn, syn-tèreïn)  contiennent tous deux la même idée de confrontation, d'assemblage, d'association, de comparaison. L'attitude intérieure de Marie face aux événements où elle savait découvrir sans cesse l'accomplissement des Ecritures, nous suggère alors à nous aussi une méthode de lecture : associative, comparative, symbolique (sym-balleïn).

    (...)

    Dans la mesure où elle nous fait ramasser, ressasser toutes choses, notre lectio divina est un exercice marial.

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 39           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 4

    Un disciple vint voir son maître qui lui demanda :

    " Qu'as-tu appris ? "

    Le disciple répondit : " J'ai traversé trois fois le Talmud "

    et le maître lui dit : "Mais est-ce que le Talmud t'a traversé ?"

    Nous avons traversé déjà peut-être plusieurs fois la Sainte Ecriture ; mais la Sainte Ecriture nous a-t-elle traversés ?

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 33           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 3

     

    Ephphata ! Ouvre-toi ! (Mc 7,34). Ouvre donc tous tes sens spirituels. Ouvre les yeux : l' Ecriture est lumière ; ouvre les oreilles : l'Ecriture est musique ; ouvre la bouche : l'Ecriture est eau vive.

     

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 25           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com