Occupari debent fratres, dit saint Benoît : " les frères doivent être occupés..." La lectio divina est donc, avec le travail manuel, une occupation. Est-ce à dire qu'elle est simplement une occupation parmi d'autres, avec le sens un peu superficiel ou condescendant que l'on donne à ce terme ? Non, elle est l'occupation majeure, fondamentale, fédératrice de toutes les autres, accompagnant et précédant logiquement toutes les autres. Aussi serait-on fondé à parler ici de "pré-occupation". La lectio divina, entendue bien sûr de la manière la moins livresque et la moins sommaire, apparaît alors comme la pré-occupation majeure de notre vie, car dès lors que nous voulons bien la comprendre comme une attention permanente à la parole, comme une orientation foncière de notre être vers la Parole, il ne fait aucun doute qu'elle soit l'activité totalisante - et légitimement totalitaire - de notre vie [...], celle qui confisque à son profit nos énergies les plus secrètes et les plus chères. Il ne s'agit pas de laisser cette occupation-là pour une autre, mais d'assaisonner abondamment de celle-là toutes les autres, mais d'inonder de celle-là toutes les autres. Au demeurant, on attendrait en vain de s'attabler avec fruit à la lectio divina aux heures, parfois réduites, qui lui sont officiellement consacrées, si l'on ne s'entretenait toute la journée de la Parole, si l'on ne mâchait sans cesse quelque verset, quelque scène évangélique, quelque antienne de la liturgie, quelque problème théologique. On ne saurait aborder la lectio dans l'impréparation intérieure. L'attention au Verbe, sous quelque forme qu'Il se déclare à nous, ignore toute solution de continuité.
Ne soyez pas de petits tâcherons mesquins qui s'estiment quittes lorsqu'ils ont fait leur heure de lectio. Ne comptez pas avec Celui qui ne compte pas avec vous. Bien plus qu'un travail de bureau, et bien avant de l' être en tout cas, notre rapport à la Parole est une aptitude intérieure, une inquiétude constante, une sorte d'ingéniosité, d'agilité toujours en éveil, une fonction vitale, jamais facultative ou intermittente de l'organisme spirituel. Que la Parole du Christ habite en vous abondamment ! (cf Col 3,16) (...)
La lectio divina ne connaît aucune vacance, aucune relâche. Sur tes remparts, Jerusalem, j'ai posté des veilleurs ; de jour et de nuit, jamais ils ne se tairont (Is 62,6)
François Cassingena, Lettre sur la Lectio divina
F. Cassingena, ancien de Normal sup, est moine à l'abbaye de Ligugé
Ses livres (en particulier Etincelles I, II et III) peuvent être commandés en ligne : http://www.europart-diffusion.com/f/index.php?sp=coll&collection_id=4