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isaac

  • Héritier de la Bible (7)

    89

    (suite)

    La difficulté qu'elle révèle est inséparable de la foi chrétienne, mais la solution jadis trouvée ne pouvait durer. La contradiction a toujours été vécue. La chrétienté, devenue tout entière non juive par l'origine de ses membres, ne pouvait pas sans se renier elle-même cesser de dire que les promesses faites à Israël avaient reçu un commencement d'accomplissement décisif et que des voix, justement venues d'Israël, l'avaient invitée à entrer dans cet accomplissement. D'autre part, si la chrétienté avait vraiment pu penser 90 que les promesses faites à Israël avaient été complètement accomplies en elle, elle n'aurait eu qu'indifférence (allégorique) pour le peuple juif vivant. Or il faut reconnaître l'impossibilité, compte tenu des commencements de l'Eglise, d'un tel désintérêt et d'un tel vide. Impossibilité congénitale à la foi chrétienne. L'allégorie, comprise telle qu'on l'entend parfois, aurait permis cette indifférence impassible. Mais l'allégorie pure et absolue est purement et absolument invivable. On a dit parfois qu'elle était mort, mort de l'autre. Quand elle l'est, c'est qu'elle est d'abord de soi-même. Allégorie, en grec, signifie « dire autre ». Quand elle est à « nier autre », elle est «nier soi-même ». Mais quand elle parle l'autre, elle le vit en soi-même. Et c'est pourquoi j'osais dire tout à l'heure que l'Eglise vit le juif en elle-même. Il est, en effet, absolument impossible de prendre sur soi ces mots bibliques, la parole séculaire de l'autre, à la manière d'un vêtement sans se sentir concerné, touché par sa vie. Remontons vers l'échange à sa source : quand Isaac s'aperçoit que Jacob a pris la peau d'Esaü, il tremble. Je n'ignore pas que dans la lecture juive, Ésaü représente les chrétiens, par une actualisation des violences d'Edom. Mais les juifs n'ont rien pris aux chrétiens et, au contraire, les chrétiens ont pris une peau qui n'était pas la leur. Il y a tremblement, mais c'est trop tard pour revenir en arrière.
    Que se passe-t-il, en réalité, dans ce parler-autre, cet allêgorein ? Drame, fuite loin du drame, horizon d'une rencontre. Celui qui s'est revêtu d'autrui est, de toute manière, poussé en avant. L'histoire chrétienne n'a pas échappé à cette oscillation entre la mort et la vie et elle pourrait se 91 relire elle-même avec les paroles des prophètes. Elle a connu les moments où tout le corps menaçait de s'abattre, non sans causer la mort de l'autre frère, du jumeau. Chaque fois que la chrétienté à écouté la voix de la mort, l'autre a été coupé en deux. D'un côté son être spirituel (qu'on croyait pouvoir s'approprier) et, de l'autre côté, son être charnel qu'on déclara et qu'on voulut être la seule réalité de l'autre. Mais la loi s'applique : c'est soi-même, alors, que l'on coupe en deux. L'autre charnel que l'on méprisait, on le fait prospérer en soi-même à l'insu de l'être spirituel. Mais cette coupure est la mort. La loi tranchante, ironique dans sa précision : mépriser l'Israël charnel et politique s'est payé de vouloir une chrétienté en forme de royaume terrestre ; pire, reprocher à Israël la loi du talion (mal comprise) s'est payé de vouloir venger la mort du Christ par la mort... Ceci n'est pas loin de l'allégorisme absolu, du parler « hors de soi ». Mais pour aller jusqu'à cette « solution finale », il a fallu abandonner le christianisme. C'est justement ce que l'holocauste a mis sous les yeux des chrétiens : la force qui voulait voir dans les juifs seulement des « juifs charnels » voulait en réalité leur ôter la vie, et la même force voulait la mort spirituelle des chrétiens, mort impossible sans leur complicité. Dans la mesure où la route de la mort est aujourd'hui identifiable, dénoncée par les faits, quelque chose de nouveau est survenu. La mort des victimes de l'holocauste peut faire entrer dans les chrétiens le message qu'ils s'étonnaient d'avoir si mal fait entendre au monde : ainsi parle le 92 Serviteur Souffrant selon la prophétie d'Isaïe - il est tantôt un seul homme et tantôt un peuple.

                                                                 à suivre...

    Paul Beauchamp, Testament biblique, Ed. Bayard 2001. ISBN 2-227-47034-8

     

  • Lectio 7 - la lecture abyssale

    Isaac fut un creuseur de puits... Au sens littéral déjà, certes, la chose est d'importance : l'eau a tant de prix dans le pays biblique ! Mais notre Père Isaac, le puisatier, nous a appris, ce faisant, bien autre chose encore : à nous mettre en peine de trouver et de boire l'eau vive dont la Samaritaine sollicitera un jour le don auprès de Jésus. Oui , notre Père Issac, en fouillant la steppe, s'est fait notre modèle et notre maître ès lectio divina ! Citons Origène , dans son commentaire sur la Genèse :

    Quiconque d'entre nous administre la Parole de Dieu creuse un puits et cherche de l'eau vive dont il puisse réconforter ses auditeurs. Si donc je me mets, moi aussi, à expliquer les paroles des anciens, si j'y cherche un sens spirituel, si j'essaie d'enlever le voile de la loi et de montrer que ce qui est écrit a un sens allégorique, pour ma part je creuse des puits [...] Si nous sommes serviteurs d'Isaac, aimons les puits d'eau vive et les sources [...] Ne cessons jamais de creuser des puits d'eau vive ! [...] Creusons au point que les eaux du puits débordent sur nos places publiques, pour que la science des Ecritures ne nous suffisent pas à nous seuls, mais que nous enseignions les autres et les instruisions, pour que boivent les hommes, et que boivent aussi les troupeaux. ( Origène, Homélie XIII sur la Genèse (chap 26), 3 et 4, SC 7 bis, p. 319-321, trad. L. Doutreleau )

    (...)

    Quel que soit le verset dont nous entreprenions l'investigation, l'eau vive est cachée sous nos pas et il faut nous mettre en peine de creuser le puits qui nous permettra de l'atteindre (...)

    Descente progressive et laborieuse vers les profondeurs du Sens, la lectio divina tient du forage à travers les couches géologiques et de la spéléologie ; elle nous conduit de la croûte terrestre aux roches métamorphiques, et jusqu'au noyau incandescent, jusqu'au coeur, car la Parole est à la fois Eau et Feu (...) "Au cours de ma méditation un feu s'allume" (Ps 39, 4 Vulg.) Telle est donc la lecture que nous devons pratiquer à l'école d'Isaac le puisatier, le mineur : une lecture "abyssale".

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    pp. 45-47           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com