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Traversées christiques - Page 20

  • On demande des pécheurs 11

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [75]

    Levée d'écrou : Dieu vient nous sortir de notre prison

    Nous pouvons nous demander enfin : Pourquoi avouer, pourquoi nous torturer à nous souvenir de ce qui fait notre honte et notre gêne ? A quoi bon devoir expliquer notre péché, puisque Dieu le connaît ? Ce serait si simple de pouvoir lui dire : " Mon Dieu, voyez clair dans tout cela, moi je ne vois pas clair. et puis, pardonnez-moi." C'est vrai, la démarche de la confession est pénible. "Le seul fait de faire cette démarche couvre, parfois à elle seule, toute la peine du péché " dit saint Thomas d' Aquin.

    Dostoïevski raconte qu'en arrivant au bagne, il eut cette pensée : " Me voilà au bout du voyage : je suis au bagne ! Me voici au port pour de longues, très longues années. Voici mon coin ! J'y arrive le cœur broyé, plein d'appréhension et de défiance... Mais qui sait si, dans beaucoup d'années, au moment de quitter, je ne le 76 regretterai pas ! La pensée qu'un jour je regretterais ce lieu me remplissait d'une horreur angoissée." Or, pouvons-nous dire que nous savons à quel point nous sommes emprisonnés ? Et désirons-nous vraiment quitter nos prisons ? Il est en apparence tellement plus facile de s'en accommoder : " Au moment de le quitter, regretterai-je ce lieu ? " se demandait Dostoïevski, et pourtant c'était du bagne qu'il s'agissait. 

    Mais si fort est notre pouvoir d'aveuglement que nous nous habituons à tout. Dans l'étonnant dialogue inventé par Eschyle entre Prométhée et les filles de l'Océan, nous entendons la surprenante réponse du demi-dieu, crucifié sur son rocher, aux filles qui l'interrogent sur le plus grand don qu'il a fait aux hommes. Prométhée, enchaîné, énumère tout ce qu'il a fait de bien pour les hommes. Il leur a donné le feu qui a permis la fabrication des instruments du travail ; d'où est né l'intelligence technique, et par la suite la civilisation. " Mais, dit-il, je leur ai donné quelque chose de bien plus grand encore : je leur ai donné l'illusion qui leur fait oublier la mort et les fait vivre sans souci de leur véritable destin. " Et les filles de l'Océan approuvent : " Oui, tu as fait aux hommes un très grand don ".

    On nous répète que les sacrements nous donnent la vie même de Dieu, que les sacrements nous rendent maîtres de notre salut dans un admirable échange. Certes, mais à quoi bon, si l'on oublie que nous avons besoin en même temps d'être guéri de nos aveuglements, et que notre première difficulté est de sortir de notre état de malade et d'adolescent ? A quoi bon la liturgie, la pratique, les sacrements s'ils nourrissent en nous une autre sorte d'illusion... Or, justement, par la confession, il nous est proposé de sortir des prisons où nous tiennent nos illusions, nos habitudes et le poids de nos fautes. Mais elle ne le peut 77 qu'à une condition, en nous révélant la vérité. Si les sacrements sont toujours une action à deux, un dialogue, cela veut bien dire que le Christ, dans ce dialogue, nous renvoie toujours à notre conscience, ou plus exactement que le Christ a assez d'estime pour nous rendre responsables de faire la vérité. Il nous juge, en effet, assez dignes d'entendre des questions plus profondes que nous le pensions. Ces questions, imprévisibles parfois, vont nous obliger à aller plus loin dans la lumière, à voir toutes les méprises que nous commettons par rapport à notre conscience, à notre parole. La Parole de l'Autre, du Christ, n'a pas d'abord pour but d'arranger les choses, de nous bien entendre, mais de nous faire aller plus loin pour pouvoir porter les vraies questions de notre vie.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 10

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [73]

    Pourquoi se confesser à un homme (suite)?

    (...) Il serait séduisant, et de fait, paraîtrait plus beau en un sens, que le salut dépende de la sainteté ou de l'intelligence du prêtre. Cette solution serait en réalité terriblement  cruelle, soit pour le prêtre, soit pour le fidèle. Nous ne sortirons jamais du dilemme du tout ou du rien : ou bien des prêtres parfaits, ou bien personne qui puisse nous sauver. C'est bien ainsi que, trop souvent, chrétiens, nous imaginons l’Église, nous coupant du médecin parce que le pharmacien ne nous plaît pas.

    En fait, Dieu a remis le salut aux mains de notre liberté, liberté de donner, liberté de recevoir, et non pas aux mains de notre sainteté. Ce qui rend l’Église odieuse parfois aux yeux de certains est justement ce qui nous sauve : à savoir que l'absolution est toujours une absolution, quel que soit l'état d'âme de celui qui la donne. Car celui-ci, s'il n'est pas toujours, ou pas forcément en amitié avec Dieu, est toujours libre de vouloir, au moins, bien faire pour les autres, au moins vouloir transmettre le salut. Si Dieu lui demande beaucoup pour son propre salut, il lui demande très peu pour le salut des autres. " Pierre baptise ? C'est le Christ qui baptise. Paul baptise ? C'est le Christ qui baptise. Judas baptise ? C'est le Christ qui baptise" (St Augustin). On doit dire la même chose du pardon. La miséricorde [74]  de Dieu ne supporte pas que le salut de l'humanité soit mesuré par le poids de sainteté ou de médiocrité des hommes. S'il y a pour nous une invitation à adorer la miséricorde, c'est là qu'elle se trouve.

    En effet, si quelqu'un avait le droit d'être puriste et de ne pas tolérer que le salut soit administré indignement, c'est bien Dieu. Et il ne l'aurait pas toléré, s'il avait aimé ce qu'on appelle - hélas ! très mal - sa "Gloire" avant d'aimer les pécheurs. Ou, plus profondément, si la Gloire de Dieu avait été celle de sa pureté, au lieu d'être celle de la miséricorde. Or sa miséricorde veut précisément que le salut soit offert aux hommes même indignement plutôt que de ne pas l'être du tout.

    " Je vous sauverai n'importe comment, mais je vous sauverai. " Après maints passages des évangiles, n'est-ce pas le cri de l'épître aux Hébreux ? A moins de n’accepter pour prêtres que des êtres de cristal, et non pas des êtres de chair et de sang, il fallait choisir en effet entre la remise du salut au compte-gouttes par des êtres aussi rares que les héros de la charité, ou bien la distribution du salut littéralement par n'importe qui, pourvu que le prêtre accepte d'être choisi pour cela. Et ce consentement, s'il est donné loyalement, est d'ailleurs le gage le plus profond qui puisse être donné à l'homme, au prêtre lui-même : qu'il parviendra lui aussi à la sainteté à travers les vicissitudes de sa misère. 

    Accepter le dessein de Dieu, le salut de Dieu, le pardon de Dieu, dans ces dispositions infiniment douces pour notre faiblesse et infiniment révoltantes pour notre orgueil, c'est peut-être en fin de compte la seule condition de notre salut par la confession.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

  • On demande des pécheurs 09

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [68]

    Pourquoi se confesser à un homme ?

    (...) Pourquoi nous accuser de péchés que nous connaissons trop à quelqu'un qui ne sait rien de nous-même ? Et nous éprouvons souvent ce décalage, en effet, entre les idées d'un prêtre - trop rigide ou trop strict à nos yeux, ou bien, au contraire, trop large - et nous, pénitent qui, de notre côté, essayons de nous adapter, d'arranger nos fautes en fonction de cet homme. Que répondre s'il nous dit, par exemple, en face de tel aveu qu'il est capital, alors que pour nous cela nous apparaît sans importance, ou bien l'inverse ?

    Certes, le confesseur reste un homme, capable de bien des erreurs... qui font sourire quand elles ne sont pas douloureuses : une grand-mère s'entendra recommander d'être sage en classe, ou bien une veuve de bien accomplir son devoir conjugal... On peut multiplier les exemples ; ils restent à la surface.

    [69] La réponse tient en cette découverte que le prêtre est là pour nous rappeler ce qui est le plus difficile à croire dans notre vie, que nous sommes aimés. En effet, si Dieu a pris un visage, s'il est venu à Noël, s'il est venu pleurer avec nous, s'asseoir avec nous à la table de la paix, c'est pour la même raison que le prêtre est là : pour nous redire que le Christ nous aime assez pour que nos péchés n'existent plus. Alors, au-delà de la fatigue du prêtre, ou de son incompréhension, au-delà de ses limites ou des pauvres clichés qu'il a à offrir  à celui qui vient le trouver, pourquoi ne pas lui redire de temps en temps que nous venons chercher la paix de Dieu , la lumière de l’Évangile dont nous avons besoin ? Le prêtre et le chrétien sont ensemble, à genoux devant la même croix, celle du Christ, demandant ensemble, l'aide de Dieu.

    (...)

    [70] Peut-être est-on bien persuadé dans l'abstrait, que Dieu est tout-puissant, fort, bon, éternel, provident, mais par la confession, on va le découvrir expérimentalement, concrètement. On peut enfin savoir comment Dieu est un autre, en vivant une action commune avec lui.

    Que Dieu est tout, bien sûr nous sommes bien obligés de l'admettre, s'il est Dieu. Mais il s'agit de nous convaincre qu'un dialogue est alors possible avec lui. Il s'agit d'être assuré, de façon concrète, précise, que cet " Autre " existe pour nous - certes infiniment proche et infiniment différent, en même temps. Voilà pourquoi la confession nous est proposée, et si l'on ne se confesse [71] plus, on en arrive un jour fatalement à la conclusion que nous n'existons pas pour Dieu.

    Alors, si nous existons, et si nous agissons, il faut en conclure que Dieu compte sur ce dialogue, sur cette action, qu'il en a besoin et qu'il ne peut plus faire sans nous ce qu'il a décidé de faire avec nous. (...)

    A suivre...

    P. Bernard Bro o.p

  • On demande des pécheurs 08

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [65]

    De naissance en naissance

    (...) Chaque fois que nous nous confessons commence quelque chose d'absolument nouveau : une visite de Dieu, une nouvelle naissance. Il s'agit bien d'un commencement absolu, et s'il faut recommencer, ce n'est pas parce que nous sommes revenus en arrière - encore [66] que cela arrive - mais parce que nous nous acheminons peu à peu, de commencement absolu en commencement absolu, jusqu'à l'irruption définitive de la vie éternelle en nous. 

    Se confesser, c'est opérer une conversion de soi irréversible, mais l'opérer de façon telle qu'elle ménage notre fragilité et nous permette de parvenir peu à peu à ce degré d'amour et de lucidité où tout devient irréversible. Les sacrements ont un caractère à la fois discontinu et progressif.

    La confession est là pour nous "apprivoiser" progressivement à la rencontre, à la vie, à l'amour de Dieu, jusqu'à ce que la mort nous fasse entrer, d'un coup, et d'une manière définitive, dans cette lumière. Et c'est pourquoi, ici-bas, il faut toujours recommencer, non parce que cela a été mal fait ou annulé par nos fautes, mais parce qu'il nous reste encore à grandir. Il ne s'agit pas ici de grandir à partir d'une naissance qui ne peut être renouvelée, mais, en quelque sorte, de grandir par des naissances successives de plus en plus fréquentes, d'approfondir la rencontre, de la rendre plus "opérante", plus vraie, plus efficace.

    "C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe. Et quant à nous, reflétant tous sur un visage sans voile la gloire du Seigneur, nous sommes transformés à la même ressemblance, de gloire en gloire, comme par l'action du Seigneur qui est Esprit." (2 Co 3,16-18)

    Tout nous est donné chaque fois, toute la vie divine et les énergies sans limite du Christ ; et en même temps, tout est proportionné, comme le pain et le vin, viatique proposé pour une étape nouvelle.

    Il ne suffit pas de nous donner un remède ou une nourriture si nous ne savons pas l'utiliser. C'est pourquoi nous recevons quelqu'un qui commence par nous [67] réconcilier avec cette condition humaine et qui nous aide, par sa lumière, à comprendre combien il est normal de tout recommencer chaque jour avec lui. Dieu vient lui-même nous rendre courage et nous aider à croire que le progrès est possible. Dieu lui-même, dans chaque sacrement, et spécialement la confession et l'eucharistie, vient nous redire ce qu'aucun homme ne peut dire  et que l’Église proclame solennellement sur les fonts baptismaux dans la nuit de Pâques : désormais par les sacrements une jeunesse éternelle nous est donnée.

    A suivre...

                                              Père Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 07

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [58]

    Le sens du péché n'est pas naturel

    (...) Le sens du péché, contrairement, à ce que nous pensons, n'est pas naturel. De même que l'amitié n'est pas facile (les amitiés de collège qui nous paraissent simples et, pour ainsi dire, éternelles, qu'en reste-t-il parfois, parvenus à l'âge adulte ?)

    Il en est un peu de même pour le sens du péché : on penserait volontiers qu'après avoir éprouvé cette mauvaise conscience du "péché", elle s'est peu à peu usée, [59] affadie, et qu'un jour on s'en est débarrassé. Mais a-t-on vraiment eu cette conscience, ou, plus exactement, n'a-t-on pas développé simplement en nous une loi, un règlement ? Et le péché se réduit alors à n'être qu'une transgression, un manquement à la loi ; la loi n'ayant plus de sens, la conscience du péché disparaît du même coup.

    Or, ce qui définit le péché est beaucoup plus profond, nous l'avons vu plus haut, ce n'est pas seulement une loi, un règlement, mais une lumière. C'est en face de la lumière que je me reconnais pécheur, lumière qui me fait découvrir le meilleur, le vrai, l'accomplissement de ce que je peux et dois faire. Or cette lumière est désirable puisqu'elle est liée  à mon bonheur, à mon achèvement. Elle devient bien la " règle " de ma conduite, mais dans un tout autre sens : c'est en effet  elle qui me permet de pressentir quelle serait l'unité réelle de ma vie, c'est elle qui me donne  le pouvoir d'établir une hiérarchie entre tous mes désirs.

    Ainsi, pécher ne consiste pas d'abord à " sortir "  d'un règlement, mais plus profondément à ne pas vouloir entrer dans cette " loi ", à ne pas vouloir chercher cette lumière, du fait que je me laisse solliciter par d'autres lueurs. Je garde le terrible privilège de la liberté humaine, le pouvoir de dire non à la sollicitation du meilleur, et donc du vrai.

    Ajoutons, et nous y reviendrons, que cette lumière n'est pas naturellement à notre portée, si Quelqu'un ne nous la redonne chaque jour : le Christ. Si le péché se réduit à n'être qu'une transgression, bien sûr, nous en perdons le sens. Mais il est une trahison, et c'est tout autre chose. Or les ennemis ne trahissent pas, il n'y a que les amis qui puissent trahir. Imaginons la femme adultère de l’Évangile, en face [60] du Christ. Il lui pardonne tout, il la rétablit en pleine confiance, il la protège contre elle-même et contre les autres. Supposons que cette femme s'en retourne en riant du Christ, revenant à sa faute : voilà une trahison, voilà le péché. (...)

    [61]

    On recommence toujours

    Nous recommençons toujours, alors à quoi bon ? Pourquoi nous présenter régulièrement au confessionnal, telle cette vieille dame du film, qui s'entend répondre : " Alors, mon enfant, ce sera comme la dernière quinzaine ? " Un peu comme un épicier qui dirait : " Ce sera tout pour madame..." Pourquoi une confession de consommation ?

    C'est vrai, nous recommençons. Je recommence tous les hivers à avoir de la sinusite ou à ressentir des rhumatismes. Certes, ce ne sera jamais la même sinusite , ni les mêmes rhumatismes ; de même que je ne recommence pas les mêmes actes, mais c'est bien aux mêmes penchants que je suis soumis. Et voici que la confession va nous aider à admettre la première condition de vérité de notre vie, et à l'admettre comme une chance et non comme un esclavage, à savoir que nous sommes dans un régime de vie où les [62] choses se répètent. Le refuser, c'est refuser de vivre. C'est vrai qu'il est parfois pesant de recommencer le planning de son travail, de refaire mille gestes quotidiens, de subir la répétition des mêmes répétitions. Et nous n'avons pas envie de nous l'entendre dire.

    Loin de nous faire sortir de cet état, la confession nous y maintient. Si nous sommes vrais, elle ne nous gratifie pas d'une bonne conscience factice, au contraire, elle nous introduit dans le dénuement et nous apprend notre pauvreté. Mais elle nous livre  en même temps la chance de notre vie : une présence et une fidélité indéfectibles en face de cette répétition et de cette lassitude, celle du Christ.

    En nous confessant, nous acceptons de mener notre vie comme une action à deux, dont l'un des partenaires, le Christ, n'est pas soumis au changement, à la fragilité, à la fatigue, à la brisure du temps. Avec lui, notre existence a enfin de quoi échapper à l'univers cassé de la répétition.

    Nous imaginons spontanément que la confession est tournée vers le passé, et qu'il s'agit d'abord de nous débarrasser d'un malaise et de blanchir un passé. Mais la confession est là aussi pour nous faire prendre vigueur en face de l'avenir, elle est surtout le sacrement de l'avenir, de la responsabilité, de la possibilité de refaire l'unité de sa vie. Nous venons prendre un peu de force - celle du Christ - pour, éventuellement, un peu moins recommencer. " C'est par la constance que vous sauverez vos âmes"

    Toujours recommencer, cela signifie-t-il ne faire aucun progrès ? Car nous envisageons volontiers notre vie [63] et le progrès à la façon des architectes et des entrepreneurs : d'abord les fondations, puis le rez-de-chaussée, les étages et enfin le toit. Ainsi le baptême ou la conversion seraient les fondations établies de manière définitive, et une fois posées, il n'y aurait plus qu'à s'occuper d'autre chose. Or la confession nous propose une progression dont l'essentiel est de recommencer toujours la même chose : renouveler périodiquement l'aveu des mêmes péchés.

    Le progrès à la manière de l'architecte est-il concevable dans la vie que Dieu nous propose de partager avec lui ? S'il s'agit de recommencer toujours la même chose, comment pouvons-nous donc parler de progrès ? Eh bien, oui, c'est peut-être la confession qui va  nous obliger à changer radicalement d'idée sur le progrès de notre vie. En effet, un jour on commence à pressentir que tout est réclamé du chrétien, immédiatement, et que la vie chrétienne ne consiste pas en une succession de progrès quantitatifs, qu'il ne s'agit pas d'accomplir une série de devoirs, l'un après l'autre, et dont on pourrait ensuite se croire déchargés, mais bien de les accomplir tous de mieux en mieux. On comprend alors que Dieu nous propose et nous demande un seul mouvement, celui qui consiste à se  jeter en lui " en toute confiance" "par le chemin de la foi au christ ". Une fois qu'on a découvert ce qu'est ce mouvement de conversion, de mort et d'amour, on peut dire que l'on tient tout. C'est seulement une disposition très simple : " aimer ", une attitude d'âme qui entraîne " automatiquement ", si l'on peut dire, les dispositions connexes : mettre sa confiance en Dieu, s'occuper des autres, être patient, etc.

    Nous voudrions bien nous convertir en entier pour toujours, comme on quitte une pièce pour rentrer dans une autre, et qu'il n'y ait plus aucun moyen de revenir sur notre état antérieur. C'est un peu ainsi que nous [64] verrions le mariage, la vie religieuse, à la manière d'une consécration irréversible - et elle est bien ainsi dans l'invisible. Mais cet état de don, de disponibilité totale, irrévocable, est celui des bienheureux [les "bienheureux" désignent les défunts qui sont "au ciel"] et non celui des hommes qui doivent toujours recommencer, répéter, ainsi qu'un plongeur qui s'exerce indéfiniment et renouvelle le même geste pour qu'il devienne enfin naturel et non pour acquérir on ne sait quelle perfection artificielle. 

    Pour le paralysé qui réapprend à marcher, les premiers pas seront plus volontaires, compliqués et laborieux que la démarche simple et naturelle  à laquelle il parviendra à force de répétitions. Voyez les enfants handicapés : ils savent bien quelle confiance, quelle patience leur sont nécessaire pour parvenir , à force de séances de rééducation, à se servir de nouveau, du membre qui a été atteint. Eux savent bien que recommencer toujours peut avoir un sens, que leur effort, jour après jour, fait tout changer.

    Et l'on demandera alors : une fois que l'on s'est remis à Dieu, que reste t-il à faire ? Eh bien, il faut recommencer puisque nous ne sommes pas des anges, et qu'en nous [65] remettant à Dieu une fois, nous ne pouvons pas avoir la lucidité, la profondeur  et le dépouillement nécessaires pour qu'il ne soit plus besoin d'y revenir.  Il n'y a  jamais rien d'autre à faire  que ce qu'on a déjà fait : la lumière  a fait irruption dans les ténèbres, il faut que toujours aussi brusquement, mais de mieux en mieux,  et de façon de plus en plus définitive, la même lumière éclaire les mêmes ténèbres. La confession est ce moyen indispensable de répétition et de rééducation.

    Cependant, il faut bien reconnaître - et accepter - que les échecs, les difficultés sur lesquels nous butons de façon habituelle n'en serons pas, dans la pratique, résolus pour autant. Il nous sera toujours difficile, et même souvent presque impossible, de supporter telle personne, de résister à telle tentation, ou de ménager chaque jour dans notre temps un moment pour la prière.

    C'est pour un tout autre progrès que nous vivons : celui de ce moment, toujours le même, qui nous a fait passer de la mort à la vie, mais qui ne nous a pas fait encore suffisamment passer de la même mort à la même vie. La sainteté n'est rien d'autre que ce passage  qui s'accomplit de soi en un clin d’œil, qui est déjà accompli pour nous mais qui, à cause  de la nature humaine, ne l'est pas encore assez. Hélas ! nous ne sommes ni François d'Assise, ni Charles de Foucault, ni saint  Augustin.

    A suivre...

                                           Père Bernard Bro, o.p    

     

     

  • On demande des pécheurs 06

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [47]

    Au retour du fils prodigue : colère, justice ou pardon ?

    Au retour du fils, nous imaginons le père réagissant tout autrement, par la colère, par exemple : 

    - Tu n'as eu que ce que tu as voulu.

    Tandis que, devant l'injure du départ, la double injure de la rupture et de l'exigence du partage, devant tant de ressources perdues - " Il a dévoré ton bien avec des femmes " - le fils aîné proteste et dans sa colère refuse de rentrer dans la maison. réaction normale : la colère devant le gaspillage.

    Une autre attitude aurait été la justice :

    - Tu paieras ce que tu dois, travaille, rembourse en travaillant.

    Et c'est d'ailleurs ce que le fils lui-même imagine. [48] Des amis m'ont raconté l'histoire suivante qui leur avait été arrivée dans le maquis du Vercors. Un des Français, dans le petit groupe de résistants où ils se trouvaient, les avait dénoncés aux Allemands - sans qu'on ait jamais su exactement pourquoi, sans doute pour de l'argent - et, par sa faute, plusieurs partisans tombèrent dans une embuscade et furent tués. Lorsqu'il revint dans le groupe, ses camarades décidèrent, puisque des hommes étaient morts à cause de lui, qu'il avait mérité la mort. Mais comme il était chrétien, ses compagnons passèrent la nuit en prière avec lui et, au petit matin, ils le fusillèrent. C'était justice, justice humaine, terrible.

    Il y a une troisième attitude que, d'instinct, nous attribuons au père de la parabole et, ce faisant, nous la vidons de son sens. Nous assimilons volontiers cette attitude à celle de Dieu dans la confession. Ce n'est ni la colère, ni la justice, mais le pardon. Nous croyons avoir ainsi tout dit de Dieu, mais c'est alors que nous trahissons peut-être le plus cette page qui est bien le cœur de l’Évangile.  En effet, celui qui pardonne n'est pas forcément touché par son geste, il oublie, il tourne la page : " Bon, n'en parlons plus." Il se débarrasse du souci et, en même temps il se débarrasse de l'autre.

    Le père n'agit pas ainsi.

    Que lisons-nous dans la parabole?

    "Comme le fils était loin, son père l'aperçut [49] et fut bouleversé de compassion ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa longuement." Ce qui veut donc dire que, chaque matin, le père l'attendait, et lorsqu'il l'a vu, c'est lui, le père, qui court se jeter dans les bras de son fils. Pour le père, pour Dieu, le péché n'existe pas, il est à l'avance plus que pardonné, il n'existe plus. C'est pourquoi le père n'écoute pas les excuses de son fils, il l'interrompt et dit à ses serviteurs  :

    - Vite, apportez la plus belle robe, mettez-lui un anneau au doigt, l'anneau étant le signe de l'égalité, mettez-lui des chaussures aux pieds, le signe de ceux qui ne travaillaient pas ; amenez le veau gras, on ne pouvait faire mieux.

    On assiste ainsi à un retournement extraordinaire : comme si le dénouement de la parabole n'était pas en proportion des deux premières parties. Le père semble à tel point subjugué par deux sentiments : la joie et la miséricorde, qu'il paraît  ne plus se posséder.

    Dans l'ancienne alliance, Dieu tournait le dos aux pécheurs, qui devaient lui demander de se retourner. Avant cette prédication du Christ, on pouvait croire que le pardon libérait le pécheur, sans que celui qui pardonne soit nécessairement touché par son geste. Or, ici, le Christ vient nous dire qu'en face du pécheur, l'attitude de Dieu est celle de quelqu'un qui est plus malheureux que le pécheur. Dans l'ancienne conception du pardon, Dieu donnait au pécheur ; dans la parabole, le fils donne quelque chose à son père, il lui enlève un malheur, il le soulage, c'est le père qui est libéré. C'est toute la révélation chrétienne : la première victime du péché n'est pas le pécheur, c'est Dieu, c'est Lui qui est d'abord atteint par nos infidélités.

    Le fils espérait au maximum le pardon ; et en pensant à ce pardon, il croyait avoir tout dit de son Père. Or, au retour, c'est la joie du Père qui apparaît [50] infiniment plus grande. Dieu peut enfin de nouveau être Dieu pour nous. Le Père peut enfin être Père. Le Père va pouvoir aimer : c'est cela qui est d'abord mis en avant, et non pas d'abord, que le fils ne sera plus malheureux. Ainsi de chaque "absolution" : le Père a ce mouvement, il attend, tout est déjà oublié.

    C'est bien la joie personnelle du Père qui est mise en avant dans la parabole, pour nous amener à pressentir à quel point la " loi " de Dieu (si l'on peut dire) est  un incoercible besoin d'aimer et que Dieu n'est Dieu que si on lui permet d'aimer. Ainsi nous découvrons une (...) conception [plus profonde] du péché. La faute consiste à empêcher la présence totale de Dieu à l'homme, le partage absolu, elle consiste finalement à empêcher Dieu d'aimer, à empêcher Dieu d'être père, en refusant d'être fils.

    Toutes les religions essaient bien de rendre Dieu favorable à l'homme ; ici, le Christ enseigne qu'il s'agit non pas de rendre Dieu favorable, mais de rendre Dieu libre de nous aimer, comme il aime en lui-même, en acceptant réellement d'être objet de son amour. " Scandale pour les juifs, ineptie pour les païens ", dira saint Paul. Ainsi saint Pierre, au matin de sa trahison, découvrant tout à coup le visage du Christ, aura, comme David, à la fois la révélation de ce visage, et celle du mal que le péché avait fait.

    A suivre...

                                        Père Bernard Bro, o.p

     

     

  • On demande des pécheurs 05

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [43]

    Le fils prodigue.

    Si tu m'avais compris

    Peut-être avez-vous rencontré ce livre dans lequel ont été regroupés ce qu'on a appelé " Les mots de la fin ", c'est-à-dire les dernières paroles de tel ou tel personnage, poète, politique ou saint. Nous avons tous en tête les dernières paroles de Thomas More ou de Thérèse d'Avila. A côté de ces " mots de la fin ", on a eu l'idée de demander à certains hommes vivants ce qu'ils feraient s'il leur restait un quart d'heure à vivre. Les réponses sont, elles aussi, très significatives. " En tout le reste il peut y avoir du masque... Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus qu'à faindre, il faut parler françois, et faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot " (Montaigne, I, XIX).

    Que souhaiterions-nous vraiment en ce dernier quart d'heure, si ce n'est retrouver d'abord la miséricorde de Dieu, être mis sur le chemin de cette miséricorde. Bien des pages d'évangile nous y aiderait mais l'une de celles qui le ferait sans doute le mieux serait la parabole de l'enfant prodigue.

    Si David nous montre comment Dieu répond à l'homme, la parabole de l'enfant prodigue complète [44] cette réponse. N'oublions pas qu'elle fut prononcée devant saint pierre et Judas. Si Dieu s'est révélé à David dans ses larmes, c'est en face du visage du Christ que saint Pierre a pu comprendre jusqu'où allait et l'amour de Dieu et son péché.

    Nous appelons, depuis toujours, cette parabole la parabole de l'enfant prodigue, ou encore le fils perdu et le fils fidèle. Mais son titre n'est peut-être pas le bon, puisque nous la désignons par le nom de celui qui n'est pas le personnage central. Dans certaines langues étrangères, on la nomme avec justesse : " la parabole du Père ". C'est en effet, le père qui est au centre, c'est lui qu'on nous décrit.

    " Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Père, donne-moi la part de fortune qui me revient... Le plus jeune fils, rassemblant alors tout son avoir, partit pour un pays lointain et y dissipa tout son bien. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint et il commença à ressentir la privation...et il en fut réduit à garder les pourceaux et à manger des caroubes ou des glands. Rentrant alors en lui-même, il se dit... je veux partir, retourner vers mon père et lui dire : Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes journaliers. Il partit donc et s'en retourna vers son père."

    L'histoire alors se retourne : " Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut touché de compassion ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa longuement ", il ne lui laissa même pas achever son petit discours et le reçut avec les habits, l'anneau et les souliers réservés au prince et dit : Amenez-moi le veau gras, tuez-le... car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie..."

    Puis, nouveau retournement : le fils aîné, resté fidèle, [45] rentra des champs et, ne comprenant pas, se mit en colère en refusant d'entrer. Son père lui dit alors : " Si tu m'avais compris... tu te réjouirais, car ton frère, qui était mort, est revenu ".

    Cette parabole a été dite quelques mois avant la Passion. Le retour de l'homme à son Père et l'amour de Dieu pour l'homme y sont annoncés. C'est pour accomplir cette page que le Christ est mort. Il a préféré mourir plutôt que de la voir arrachée de l’Évangile. Elle a été proclamée devant les pharisiens qui n'en voulaient pas. Notre Seigneur y livre, avant de mourir, son secret le plus important : celui de son Père.

    Il y a là une nouvelle conception du péché, une nouvelle attitude de Dieu par rapport aux pécheurs. Cette page nous conduit au " trop grand amour " dont parle saint Jean. Malgré son aspect très humain, elle nous amène à quelque chose d'incompréhensible  où notre esprit risque, il est vrai, d'être mal à l'aise, car nous avons du mal à voir comment ce qui nous est enseigné ici manifeste le plus Dieu, comment la miséricorde " révèle Dieu ". C'est un mystère, le mystère propre de Dieu. 

    Et cependant nous sentons tout le réalisme, toute la chaleur humaine contenue dans cette page. Le Christ a choisi ce drame familial et nous avons le droit d'affirmer qu'il a consacré, pour ainsi dire divinisé, cette souffrance humaine. En choisissant la situation de cet homme, de ce père, pour livrer  le secret de Dieu, le Christ a montré la prédilection de Dieu pour ceux qui subissent cette épreuve. 

    Cette réalité est impossible à exprimer en termes humains. Les mots et les expériences sont insuffisants, ils doivent avouer leur impuissance. C'est pourquoi [46] le Christ procède par opposition entre ce qu'aurait été une attitude humaine normale et l'attitude du père de la parabole.

    A suivre...

                                          Père Bernard Bro, o.p

     

     

     

     

  • On demande des pécheurs 04

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [21]

    Peut-on commencer autrement que par l'angoisse ? L'histoire de Paul Domanski.

     

    Passant une  année en Allemagne après la guerre, l'un de mes confrères m'a rapporté l'histoire que voici.

    Un ouvrier qui était prisonnier est rapatrié en 1948. Il est horloger de profession, mais il ne peut pas retourner près de sa famille parce que celle-ci habite de l'autre côté de la nouvelle frontière. Il essaie de passer la frontière pour rentrer chez lui, il essaie de passer plusieurs fois, mais sans succès. Et comme l'horlogerie est un excellent métier, Paul Domanski, c'est son nom, pourrait trouver beaucoup de travail car partout les horlogers sont heureux qu'il vienne leur offrir ses services. Un point noir, cependant, il n'a pas d'autorisation de séjour, puisque son lieu de résidence familiale est de l'autre côté de la frontière. " L'avez-vous ? " lui demande chaque horloger, mais Domanski ne l'a pas. Il fait les démarches pour l'obtenir et c'est là que commence son histoire. A l'Office du travail, on lui demande : " Avez-vous une autorisation de séjour ? - Non. - Alors, lui dit-on, adressez-vous au service du Logement." Au service du Logement, on lui demande : " Travaillez-vous ? Apportez-nous un certificat de travail." Pour [22] pouvoir travailler, il faut une autorisation de séjour ; pour avoir l'autorisation de séjour, il faut un certificat de travail.  Alors Domanski fait la navette, c'est partout la même chose : office du Travail, service du Logement, service du Logement, office du Travail. Il court  les routes, passe de ville en ville, sa volonté s'use. Les fonctionnaires restent inflexibles. Travail, autorisation de séjour, autorisation de séjour, travail. 

    Un soir de novembre, il est de nouveau à Francfort. Il veut passer la nuit dans la salle d'attente de la gare, mais il se fait expulser car il n'a pas de billet de chemin de fer. Il demande asile, rien à faire. Alors sa patience est à bout. Il demande ce qu'on fait de ceux qui n'ont pas de papiers. On lui répond qu'on les met en prison. Domanski prend alors ses papiers et il les déchire. Stupéfaits, les employés lui font simplement remarquer qu'il a déchiré un papier qui est la propriété de l’État.

    Domanski alors se rend, demandant qu'on l'arrête car il n'a pas de papiers d'identité. Les employés discutent et, finalement, on l'emmène jusqu'à un grand bâtiment où un homme  le reçoit amicalement, puis le conduit dans une vaste pièce claire qu'il referme. C'est la clinique pour maladies mentales.

    Domanski, en racontant lui-même son histoire, concluait : " Moi, je te le dis, on finira par en crever tout doucement, ils m'ont cru fou, mais je te le demande : qui est le plus fou là-dedans, moi ou les autres ? "

    Alors qu'il n'y peut rien, Domanski se trouve projeté dans une situation où il a perdu l'essentiel : son identité. Or, par le péché, nous créons dans l'univers spirituel une situation analogue. Celui qui a commis une faute [23] et se reconnaît responsable, mais ne sait pas quelle issue, quelle solution trouver pour sortir de cet état, n'est-il pas dans une situation analogue à celle de Domanski ?

    Qui pourrait prétendre que, dans sa vie, le péché , ou simplement la découverte de sa possibilité de pécher, c'est-à-dire de sa fragilité, ne l'a pas amené à un certain désarroi, ne l'a pas mis dans un état proche de cet homme qui ne sait plus où est son vrai lieu de séjour, sa fonction, son travail. Qui prétendrait que l'échec ne l'a pas obligé à cette question : où sont mes vrais points de repère, où sont mes enracinements, où sont mes vraies raisons d'exister ? Et il se pourrait que l'angoisse soit, non seulement normale, mais le lieu de départ de la recherche de notre identité, et que cette recherche ne finisse jamais tant que  nous n'aurons pas trouvé le seul visage qui puisse nous dire finalement qui nous sommes : c'est-à-dire  le visage  du Fils de Dieu, le visage du Christ.

    L’Évangile nous compare à une brebis perdue. Mais pourquoi refusons-nous donc vraiment de nous considérer dans cet état ? Nous en fuyons l'idée, car c'est vrai, il est angoissant d'avoir perdu son chemin, même si ce n'est pour un temps. Et cependant, cet état n'est-il pas le seul point de départ réel d'une vie chrétienne ? La vérité pour tout homme n'est-elle pas de découvrir pas à pas qu'il lui est impossible, tout seul, de savoir qui il est, qu'il n'y a pas d'espérance sérieuse qui ne commence ainsi : par un étonnement, par un désarroi  en face de sa propre identité. Or, nous sommes ainsi faits que c'est peut-être le péché qui nous contraint le plus à cette question. C'est pourquoi une méditation sur le péché  doit commencer par cette question : le péché  [24] n'est-il pas l'occasion qui nous oblige à nous demander qui nous sommes vraiment ? Nous ajouterions volontiers que ce n'est pas l'angoisse qui est le vrai ou le faux point de départ du pardon ; mais le rapport, possible ou non, réel ou non, avec Dieu. Nous y insistons plus loin. Mais nous affirmons non moins vivement ici qu'il n'y a pas de vie humaine possible (et donc pas de vie de foi, pas de vie religieuse possibles) sans l'angoisse venue de la découverte de ses limites et que la découverte de ses limites n'est jamais aussi réelle qu'en face du péché reconnu comme tel. On peut s'en irriter, il reste que, seuls, ceux qui l'admettent concrètement, vraiment, trouvent et le vrai chemin d'eux-mêmes et le vrai chemin d'un Dieu qui soit autre chose que le bouche-trou de nos insuffisances." C'est pourquoi ce livre n'est pas seulement et d'abord  un exposé sur la confession. C'est l'attitude même du pécheur qui est la "matière" de ce sacrement. Et c'est donc cette attitude qui nous préoccupera tout au long de ces pages (...)

    Ainsi aborder le mystère du pardon et du péché, c'est aborder la réalité à la fois la plus sublime et la plus banale. Parler du péché et du pardon, c'est parler de la [25] réalité la plus sublime car elle suppose tout : que Dieu existe, qu'il soit une personne qui nous aime et qui veuille nous sauver ; et, de notre part, que nous ayons une confiance fondamentale, a priori, dans la possibilité d'être sauvé ; mais aussi que nous acceptions de livrer un combat pour la lumière, celui que le Christ est venu instaurer sur terre. Mais avoir confiance en Dieu ne servirait à rien  si nous n'avions aussi confiance dans le meilleur de l'homme ; et si nous ne choisissions de croire, contre toutes les apparences peut-être, que l'homme est fait pour progresser, de croire en une véritable espérance, au-delà des vieillissements et des désillusions. Cela implique enfin la chose la plus rare au monde : un consentement à revenir sur soi-même, à revenir sur l'idée que nous nous faisons chacun de nous-même, sur la mesure que nous nous appliquons à nous et aux autres, pour en changer. (...)

    Ce mystère est ainsi le plus grand et le plus proche  dans les mystères de la foi, car il entraîne tout. C'est celui du pardon et du péché, c'est le mystère de la vérité et de la conversion, et finalement de la confession et du jugement.

     

    A suivre...

                                            Père Bernard Bro, o.p

     

     

     

     

     

  • On demande des pécheurs 03

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    La deuxième réponse : un milliard de francs lourds...

    [14] Une deuxième réponse nous est révélée par l'attitude du Christ tout au long de l’Évangile. La parabole des deux débiteurs et l'épisode de la femme pécheresse et de Simon le pharisien nous font découvrir d'une part que le pardon a été donné avant même que les hommes n'aillent se confesser, et d'autre part qu'accepter ce pardon suppose et entraîne beaucoup plus qu'ils ne le pensent.

    Précédant notre angoisse, le pardon est accordé et c'est le Christ qui le donne. Tout l'épisode de la pécheresse et du pharisien vise à nous faire comprendre que le pardon est antérieur à notre réponse. Ce n'est pas pour demander et recevoir le pardon que la pécheresse agit comme elle le fait avec le Christ, mais parce qu'elle l'a déjà reçu. La parole du Christ le manifeste devant les murmures de Simon : Vois cette femme, vois  ce qu'elle a fait, elle agit ainsi parce qu'elle a reçu le pardon, contrairement à toi (relire Lc 7,44-48 : Luc chapitre 7, versets 44 à 48)

    Nous retrouvons très exactement la même vérité dans la parabole du débiteur impitoyable (Mt 18, 23-35). Le maître remet tout à son débiteur, avant même de savoir si ce débiteur mérite le pardon ; et il s'agit d'une somme énorme, folle, l'équivalent d'un milliard de francs lourds [francs lourds : termine qui désigne le nouveau franc à partir du 1er janvier 1959. Un milliard de francs lourds (1969, année de parution du livre du Père Bro) représenterait pas loin de 900 millions d'euros aujourd'hui !  sauf erreur de ma part. Note de l'auteur du blog].

    Or celui-ci (qui voit sa dette de 900 millions d'euros effacée) refusera de remettre à [15] l'un de ses débiteurs l'équivalent de mille francs (environ 900 euros). Le pardon était antérieur à son comportement. C'est le même enseignement dans le sermon sur la montagne. Et cependant, seule la pécheresse (et non le pharisien ou le débiteur) accepte le pardon. La question se repose alors : si ce pardon est antérieur à la confession  du péché, à quel moment le Christ nous a-t-il donné ce pardon ? Quand l'avons-nous reçu ? 

    Comme le débiteur, comme la pécheresse, nous voyons bien que nous ne pouvons pas identifier ce pardon inimaginable  (le " milliard de francs lourds ") avec la simple confession. On pourrait certes dire que le pardon est donné au baptême  par la remise du " péché originel ". Mais, outre qu'il est difficile  de cerner ce que nous voulons dire quand nous parlons de " péché originel ", il faut aussi manifester comment nous recevons ou nous refusons le pardon.

    C'est pourquoi nous préférerions dire que c'est le fait même de la venue du Christ parmi nous qui est le pardon. Avec les temps messianiques  est arrivé le temps du pardon. " Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde  soit sauvé par lui. Qui croit en lui n'est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le jugement le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière." (Jn 3,17-19)

    L'expérience de la pécheresse n'est pas seulement l'expérience du sacrement de pénitence. D'une certaine [16] façon, elle demande plus qu'un pardon pour son propre péché : elle accepte la venue du Christ dans sa vie, alors que Simon ne l'y accueille pas vraiment.

     

    A suivre....   

                                               Bernard Bro, o.p

  • On demande des pécheurs 02

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    La première réponse...

    [12] Un premier effort, plus facile et plus libérateur qu'on ne le pense dans la mesure  où on l'accepte, consiste, au lieu de se bloquer sur ses culpabilités, à examiner les grandes responsabilités de sa vocation. Ce déplacement dans la question même est beaucoup plus fécond qu'on ne le suppose et il nous semble décisif, bien plus que tous les petits aménagements liturgiques qu'on pourrait faire.

    En quoi suis-je pécheur par rapport à la vocation que Dieu me donne ? Je ne suis pas l'être évangélique que je devrais être. Je pressens des duretés, des replis sur moi ; je reçois de la réalité un certain nombre de gifles et je les récuse en accusant les autres au lieu de me demander si je ne suis pas le premier responsable. j'entends une vérité évangélique, et je vois bien que je me bats plus ou moins contre elle.

    Par exemple, je puis être intellectuellement  en harmonie avec certaines exigences comme la non-violence, ou la recherche de la paix, mais que fais-je concrètement ? Comment coopérer à cette recherche ? Je ne peux pas ne pas me sentir pécheur, du seul fait que je m'en désintéresse quand même un peu.

    On pourrait faire les mêmes remarques sur la pauvreté. Si être propriétaire, selon l’Évangile, c'est être intendant pour les autres, que fait-on ?

    De même de la vérité dans les contacts avec les autres. Je sens ce que devrait être la vraie clarté évangélique: "est est, non non". Il y a une fonction à remplir que je ne remplis pas, en face d'une opinion qui pense le contraire.

    De même en face de cette grande responsabilité : [13] faire connaître le Royaume de Dieu... On s'habitue à l'état des choses, en souhaitant de ne pas en savoir trop et en acceptant de démissionner.

    Il y a bien d'autres points dans nos responsabilités, nous nous y arrêterons plus loin. Il y a bien sûr, plus grave, mais ces exemples nous montrent que la réponse à la première question : " Où suis-je fautif ? " est possible, même si à certains moments elle est très complexe. Ceci nous semble être une première réponse essentielle et plus indispensable aujourd'hui que jamais. (...)

    Reste l’insatisfaction de fond dont nous avons parlé, et cette angoisse que le sacrement, même amélioré, ne résout pas forcément. Si le pardon met en question la présence même de Dieu et si nous ne pouvons pas  être en paix en dehors de cette présence, il est alors impossible de parler du pardon sans se situer en face de l'angoisse fondamentale qui constitue la personnalité et le mystère de chacun, au-delà de toute peur et de toute anxiété : ce qui, pour nous, semblait exister, ce désir, ce goût pour les créatures, ce besoin d'être en sécurité avec nos " idoles " ; cela même sur quoi nous nous appuyions, nous apparaît un jour vide ou factice... et alors tout est ébranlé. C'est alors que l'angoisse " surgit en nous lorsque fait défaut l'appui d'un manque ". Chacun de nous découvre que ce sur quoi il s'appuyait peut être insatisfaisant. (Et, le plus souvent, c'est le péché qui nous le révèle.)

    C'est ici la première et dernière expérience de tout homme, depuis sa naissance à la conscience , jusqu'à [14] la mort ; or Dieu y répond. Mais peut-être trop discrètement  et, hélas ! les hommes ont sans doute rétréci la réponse avec un règlement de la confession. " Je vais les mettre dans l'angoisse afin qu'ils me trouvent ", dit Dieu au prophète Jérémie. Qu'est-ce-à dire ? 

    La deuxième réponse : un milliard de francs lourds...

     

                                                   P. Bernard Bro

     

    A suivre...prochain post 

       

  • On demande des pécheurs 01

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [9] Nous serions bien naïfs de croire que les difficultés posées par la confession datent d'aujourd'hui. Le contraire serait plus exact. Nous nous sommes rarement trouvés au seuil d'une époque de richesse aussi grande. Pendant les cinq premiers siècles, il était impossible de se confesser autrement qu'en devenant un "pénitent", c'est-à-dire en acceptant de perdre sa vie de famille, sa vie de citoyen, et pour presque tous il fallait attendre d'être sur son lit de mort pour recevoir l'absolution. Pendant les quatre siècles suivants, se confesser c'était risqué d'être "tarifé" d'un voyage en Palestine ou de quarante jours de jeûne , ou encore d'être affronté aux brigands sur la route de Rome ou de Saint-Jacques-de-Compostelle. Du XVIIIe siècle au XXe siècle (et jusqu'à nos grands-pères), se confesser, c'était risquer l'intoxication janséniste, et la, justice d'un Dieu implacable.

    Et aujourd'hui ?

    [10] La liberté est rongée aux deux bouts : d'un côté une éducation intellectualiste et abstraite ne facilite pas la maturité, ni le goût de l'effort ; de l'autre côté, la volonté d'être lucide (jusqu'au rabâchage) nous fait croire que nous sommes gouvernés par l'inconscient  et donc que nous sommes beaucoup moins responsables que nous ne le pensons. 

    Nous vivons en même temps dans une atmosphère de culpabilité et de mauvaise conscience, cultivée et entretenue par une information qui reste abstraite (bidonvilles, campagne contre la faim, etc.) : nous subissons tous l'impression d'être des "salauds"  (au sens de Sartre) et de participer à un monde pactisant avec la mauvaise foi.

    Ce sentiment d'être à la fois fautif et innocent, nous pouvons le décrire d'une autre façon. L'homme contemporain se demande où est le péché quand il est contraint par la force des choses à prendre des décisions que l'on ne peut pas qualifier de bonnes et qui, malgré tout, sont inévitables. Elles sont mauvaises, mais inéluctables (le cas limite pourrait être le remariage  du divorcé, par exemple, parce que le premier mariage  avait été bâclé avec un engagement religieux irresponsable).

    On peut multiplier les exemples : dans l'entreprise, le licenciement est mauvais en soi, mais alors comment faire lorsqu'il s'avère inévitable ? Et inversement, on est amené à prendre des décisions bonnes, en soi, mais dont la réalisation comporte des activités mauvaises: à qui veut lutter pour la justice ou la vérité, la guérilla c'est "sale", la pilule c'est un "désordre", mais il faut le faire. Telle est la situation très variable, mais inévitable, pour presque tout le monde. Il ne faudrait pas croire  que seuls les super-responsables connaissent ce problème. Depuis l'attitude de la maîtresse de maison vis-à-vis [11] de ses employés, jusqu'aux arrangements avec les déclarations d'impôts, et aux équivoques de la kermesse du curé ou du bal de M. le Maire, nous sommes tous concernés.

    Faut-il laisser tomber la confession ?

    Non seulement cette démarche intérieure est inévitable pour tout homme qui accède à  la maturité, mais elle nous paraît nécessaire. Il faut que tout chrétien sorte de la simple obsession de la culpabilité. Le Christ est venu nous rendre libres et nous apprendre à aimer. Cela dit, il est clair que la démarche de maturité, en minant le sentiment de culpabilité, risque de détruire  le mécanisme qui faisait qu'à partir de cette culpabilité je rejoignais une certaine vérité de Dieu dans la confession.

    Il est bon que tout chrétien ne se contente pas de mettre sa conscience en paix seulement par des gestes rituels plus ou moins améliorés, mais si cela le conduit à ne plus se confesser, on aura perdu  quelque chose de vital. Refuser les questions, c'est peut-être  aussi coopérer de façon pernicieuse à renforcer l'obsession, sans qu'elle ramène forcément à Dieu. Il reste en effet : 1e que je suis fautif et 2e que si je me contente d'une répétition de confession à obsession, j'augmente mon insatisfaction et mon angoisse. 

    A suivre...

                                                    P. Bernard BRO  o.p

     

  • Préliminaires à la prière - 14/14

    Conclusion

    En terminant ces rubriques sur les préliminaires à l'oraison, n'y aurait-il pas quelques réflexions à souligner ?

    Assurément, le découpage auquel nous avons soumis l'entrée en prière risque de paraître factice, compliqué. Disons d'abord qu'il s'agit d'une prise de vues au ralenti. Dans le courant  de notre oraison, l'application de ces conseils sera plus ou moins longue selon la grâce, l'inspiration, l'expérience de chacun. Pour certains même, ils auront l'impression de sauter par-dessus ce seuil. Si Dieu accorde cette grâce comment chercher ailleurs ! Mais là encore, d'une manière ou d'une autre, certainement l'Esprit du Seigneur les poussera à s'unir à Lui par une foi plus vive, à s'humilier, à solliciter avec plus d'insistance la lumière du cœur. 

    Confondus au rythme d'un dialogue dont le Tout-Puissant se rend pleinement Maître, ces trois temps [à savoir : 1°) se placer sous le regard de Dieu, 2°) purifier son cœur, 3°) invoquer l'Esprit Saint ]  réapparaîtront ici où là et se mêleront à la trame même  de la prière. Mais le plus souvent pour un bon nombre de chrétiens, il n'en sera pas ainsi. Le moment de prier devient pour eux un instant laborieux. Ils ne savent trop comment s'y prendre. Par ailleurs, les voilà déconcertés par les préoccupations, les distractions. Peut-être même la prière leur paraît  un exercice trop élevé ou inutile. Plaise à Dieu que ces quelques indications soient providentielles ? Il suffit d'une poignée de brindilles pour allumer une grande flamme. A qui voudra se recueillir, lire l' Écriture, ouvrir les premières heures d'une retraite spirituelle, ces quelques conseils voudraient offrir un moyen élémentaire d'attiser l'Amour de Dieu. L’expérience enrichira  ces directives sommaires. La mise en présence de Dieu pourra se prolonger dans l'adoration et la louange des Trois Personnes divines  ou dans un silence paisible devant le Saint Sacrement . Le cœur s'humiliera d'autant plus que l'âme subira une crise violente  ou bien pour obtenir une grâce urgente, le priant s'abaissera davantage, à l'image de la Cananéenne. Rien ne rebute le malheureux qui "comme le petit chien se rassasie des miettes de la table" (Mc 7,28).

    Enfin, ne restera-t-il pas vrai selon l'enseignement des mystiques, très spécialement de sainte Thérèse d'Avila, que dans les voies de l'oraison nous demeurons toujours commençants ? On ne passe pas une fois pour toute par les salles basses, obscures du château. On ne s'installe pas à demeure dans les appartements du roi. Sans cesse, il faut recommencer ce laborieux pèlerinage : de la connaissance de nous-mêmes à la connaissance de Dieu, des rudiments de la vie spirituelle aux états plus élevés que Sa Majesté accorde quand bon Lui semble. C'est alors que l'assistance de l'Esprit s'imposera. Jusqu'ici on croyait s'en tirer tout seul. La lumière divine montrera quel orgueil diffus commandait ces démarches. Nous pensions être quelqu'un, en réalité nous n'étions rien : nous ne pouvions même pas dire " le Nom de Jésus sans l'inspiration  du Saint Esprit" (1 Co 12,3). Tout d'un coup, le Seigneur déchire l'illusion. Vanité de l'effort sans "Celui qui renouvelle la face de la terre" (Ps 104,30). N'a-t-on pas découvert la vraie prière, celle où l'Esprit Saint lui-même intercède pour nous ? A suivre ces très modestes conseils, inspirés de l’Écriture et de l'expérience des Saints, nous avons permis au Seigneur  de se lever comme un grand aigle : 

    "tel il veille sur son nid,

    Plane au-dessus de ses petits,

    Déploie ses ailes et les prend.

    Yahvé est seul pour les conduire." (Dt 32,11)

                                           

                                            Pierre Lauzeral s.j

                                            La Guardia (Espagne) 20 août 1959

                                   Préliminaires à la prière , Ed Apostolat de la prière

                                   coll. du Mirail, 1961     

     

  • Préliminaires à la prière - 13

    [suite de : préliminaires à la prière - 12 ]

     

    Les trois conditions requises pour prier :  troisième condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 01 à 06 ]

    - purifier son cœur,  [billets 07 à 11 ]

    - invoquer l'Esprit Saint [billets 12 et 13 ]

    - conclusion : billet 14

     

    Invoquer l'Esprit Saint

    (suite)

    Parfois aussi la prière s'embrase - Sentiment poignant de repentir devant son péché et le péché du monde. Mais au même instant où le coeur est broyé , l'impression inexprimable du pardon glisse sur lui. " A mesure que tu les expieras, tes péchés tu les connaîtras et il te sera dit  : vois, vois les péchés qui te sont pardonnés." (Pascal, Mystère de Jésus). Parfois sans doute, approchons-nous déjà de l'oraison passive - l'âme s'oublie. Dépossédée d'elle-même , de son intérêt, de ses désirs, elle ne souhaite  qu'une chose : que Dieu soit glorifié ! Elle s'offre dans la confiance et l'abandon. Elle aime :

    "Qui donc aurais-je dans le ciel ?

    Avec Toi je suis sans désir sur la terre.

    et ma chair et mon cœur sont consumés :

    roc de mon coeur, ma part, Dieu à jamais" (Ps 78, 25-26)

     

    ou bien elle se trouve aussitôt investie d'un recueillement profond. Peu d'idées s'agitent. La mémoire est comme abolie, l'imagination vidée d'images. Dieu est là. Il suffit. Le temps passe très vite. Vraiment l'être est tout entier "enlevé en la louange et en l'Amour de son Créateur et Seigneur". Cet enthousiasme est contenu , sans violence, ni vibration de la sensibilité. Seul avec le Seul. Silencieux dans l'Adoration. Mais l'homme sait  que son silence parle haut à Dieu. Quand cette quiétude s’évanouit dans l'activité retrouvée, elle lui laisse l'impression d'une paix sans borne, d'une unification de toute son intériorité...Que ces situations  sont difficiles à décrire ! N'est-ce pas là "les gémissements indicibles" dont parle saint Paul ? 

    Faudrait-il ajouter une ultime remarque ? Il se peut  très bien  que la prière soit restée pénible, qu'elle ait paru se durcir à mesure quelle se prolongeait. L'âme cependant y a persévéré  avec patience. Incapable de parler  à son Seigneur  et ami, ou de l'entendre, n'importe. Elle se savait avec Lui. De cette sécheresse, elle retire une paix solide, peut-être plus durable, plus savoureuse, plus fructueuse qu'au sortir d'un état consolé. N'expérimente-t-elle pas alors la vérité de cette phrase  de Jean de la Croix : "Le chemin de la souffrance est plus sûr et même plus profitable que celui de la jouissance  et de l'action personnelle ; tout d'abord, parce que, quand on souffre, on reçoit des forces de Dieu, tandis que quand l'âme agit et est dans les jouissances, elle met en mouvement ses misères et ses imperfections; en second lieu, c'est dans la souffrance que l'on exerce et que l'on augmente peu à peu les vertus; c'est alors ainsi que l'âme se purifie et grandit en sagesse et en prudence" (St Jean de la Croix, Nuit Obscure, chap.16  verset 1)

    "Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu", conclut saint Paul. L'Esprit a purifié le cœur de ce subtil amour-propre  qui trouble toujours notre quête de Dieu. Grâce à ce Maître intérieur, ne se  trouve t-il pas en état de charité, sensibilisé à tous les besoins du Corps mystique du Christ ? L'Esprit Saint unit le baptisé en prière au propre Fils de Dieu dans le mouvement d'amour  qui l'entraîne vers le Père. Ensemble, ils veulent tout tout ce que Dieu veut, cette réunion  de tous les hommes dans l'unité  de la Trinité. Dès l'instant commence "cette remise de toutes choses au Père par le Fils" (1 Co, 15,24) dont l'accomplissement éclatera  à la fin des temps. Dans cette union totale au Fils par l'Esprit, impossible à celui qui prie de souhaiter autre chose que la venue du Royaume et "de correspondre  ainsi au plan de Dieu sur le Monde" 

    Il est certain que notre  description rend un compte  bien incomplet des divers  aspects de l'oraison "in spiritu". Heureux cependant qui pénètre mieux cette vérité : pour aller vers Dieu nous ne le pourrons que portés par ce même Esprit du Seigneur. En définitive, c'est lui le Maître. "L'Oraison est un don de Dieu qui dépend beaucoup plus de la grâce que de nous. Le Saint esprit en est l'auteur et le Maître. C'est lui qui nous y appelle. C'est de Lui que nous devons en attendre le succès" (P. Rigoleuc).

     

    Conseils pratiques :

    Comment solliciter l'aide de l' Esprit Saint ? Quand nous nous sommes retirés à l'écart pour prier, nous pouvons formuler une prière personnelle, ou détacher telle ou telle strophe du "Veni Creator" , ou bien du "Veni, Sancte Spiritus", ou bien encore une des oraisons de l'Octave de la Pentecôte. Nous pouvons répéter lentement telle ou telle phrase, insister sur tel ou tel mot selon le goût intérieur. En cette matière, il n'y a pas d'autres conseils à donner.   A suivre...

     

                                                      Pierre Lauzeral s.j

     

    prochain post : conclusion (générale) sur ces Préliminaires à la prière

     

     

     

     

  • Préliminaires à la prière - 12

    [suite de : préliminaires à la prière - 11 ]

     

    Les trois conditions requises pour prier :  troisième condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 01 à 06 ]

    - purifier son cœur,  [billets 07 à 11 ]

    - invoquer l'Esprit-Saint [billets 12 et 13 ]

    - conclusion : billet 14

     

    L'invocation du Saint-Esprit

     

    Une fois en présence de Dieu, une fois approfondie la conscience de notre petitesse et de notre péché, il reste un dernier préliminaire à l'oraison : c'est l'invocation du Saint-Esprit.

    En réalité, tous ces actes dont nous nous sommes attardés à développer le contenu constitue le début de l'oraison. La principale besogne qui s'impose maintenant consiste à s'exercer soi-même à la prière sur un sujet donné. Or, il est impossible de mener à bien cette activité sans l'aide spéciale de l'Esprit-Saint. Vérité, à notre sens, trop peu enseignée, encore moins pratiquée, dont saint Paul, pourtant, nous fournit une affirmation solennelle.

    Le texte sur lequel nous voulons nous attarder est tiré de la Lettre de saint Paul aux Romains. Au chapitre 8, l'Apôtre décrit d'une manière vigoureuse la vie du chrétien. Avant tout, elle est spirituelle, non au sens psychologique, mais parce que l'Esprit-Saint lui-même en devient l'âme. Il provoque en nous des réactions de fils de Dieu. En définitive, c'est Lui qui anime nos relations les plus personnelles avec le Père, dans le Christ Jésus. Serait-il surprenant que l'Esprit ne pénètre pas notre prière, qu'il n'en fasse pas un peu son affaire ?

    "... L'Esprit-Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander pour prier comme il faut, mais l'Esprit lui-même intercède pour nous  en des gémissements indicibles et Celui (Dieu le Père) qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu." (Rm 8,26-27)

    Nous ne savons pas prier, car nous ignorons dans quel sens nous devons orienter notre prière. Notre condition de créature accuse notre faiblesse. Nous recevons tout de Dieu. Il est le seul qui se suffit. Nous sommes en indigence de Lui. De plus, même "lavés" au baptême, "sanctifiés", "justifiés par le Nom du Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu (1 Co 6,11), nous constatons que le "péché habite en nous" (Rm 7,20), c'est-à-dire la convoitise, cet instinct du mal, non effacé par l'eau baptismal, toujours en rébellion et prêt, une fois libéré, à donner la mort. Les vertus reçues de Dieu au début de notre vie filiale demeurent fragiles en nous, sans cesse attaquées par notre égoïsme, le tentateur et le monde : foi inconstante, espérance facilement déconcertée, charité trop timide...

    Mais voilà quelqu'un qui sait de quel limon la "main" divine nous a suscités. L'Esprit-Saint, Dieu comme le Père et le Fils avec qui Il partage même puissance, même éternité, même beauté, même divinité, l'Esprit dont notre cœur accueille la présence par l'état de grâce, l'Esprit plein de douceur et de force qu'attire notre impuissance radicale, provoque en nous comme une nouvelle haleine du Créateur et nous apprend à prier, à respirer en Dieu.

    "Nous ne savons que demander".  Notre prière s'égare sur l'objet de ses demandes. Combien sommes-nous enclins à gémir auprès du Seigneur pour des avantages, des chances matérielles, des bagatelles, pour une sainteté encore trop intéressée. Mais, lui, l'Esprit de feu, purifie l'âme  de ses projets et désirs égoïstes. Il redresse l'intention. Il l'oriente vers le Royaume. Il ouvre le cœur à la "sollicitude de toutes les Églises". Il l'incline vers une oraison plus conforme aux demandes du Pater : la sanctification du Nom à jamais béni, la prompte venue de Son Règne, l'accomplissement de sa Volonté.

    "L'Esprit-Saint lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables." L' Esprit ne se tient pas à l'intérieur de notre prière comme un pédagogue ou un conseiller. Il est lui-même notre intercession, son âme la plus authentique. Et parce qu'il l'anime  du dedans, Il lui insuffle un élan puissant et la persévérance  nécessaire pour la faire remonter jusqu'au Père. D'un mot, saint Paul décrit cette intervention de l'Esprit.  Elle s'exprime "en gémissements ineffables". Qu'est-ce à dire ? Peut-être la véritable oraison se réalise-t-elle au-delà de notre imagination, de la formulation de mots intérieurs. Il s'agit d'un contact simple, non exprimé - d'un regard, d'une présence, d'un silence. Sans doute, la Vierge Marie priait-elle ainsi en contemplant l'Enfant de la Crèche. (...) A suivre...

     

                                               Pierre Lauzeral s.j

  • Préliminaires à la prière - 11

    [suite de : préliminaires à la prière - 10 ]

     

    Les trois conditions requises pour prier :  seconde condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 01 à 06 ]

    - purifier son cœur,  [billets 07 à 11 ]

    - invoquer l'Esprit Saint. [ billets 12 à 14 ]

    - conclusion : billet 15

     

    LA PURIFICATION DU CŒUR (suite)

     

    Conclusions pratiques

     

    De l'ensemble de ces textes on retiendra aisément que la purification du cœur s'impose à qui veut s'approcher de Dieu. D'abord, parce que chacun d'entre nous n'étant qu'une créature a besoin de s'humilier devant son Créateur et Seigneur. Reconnaître qu'elle est "l’œuvre de ses mains" (Ps 138,7), qu'elle reçoit tout de Lui, qu'elle est pauvre et insignifiante aux yeux de sa Souveraine Majesté glorifie assurément le Seigneur des Seigneurs, mais encore fait du bien à l'âme. Se remettre à sa vraie place, voilà qui nous assainit radicalement.

    En outre, l'homme mis en contact de la présence divine se découvre souillé et misérable. Le geste du publicain naît spontanément en lui-même pour peu qu'il veuille jeter  les yeux sur sa misère et regarder le Très-Saint dans la vérité. Enfin, il faudrait ajouter que l'âme aimante éprouve devant l'Amour lui-même comme l'instinct du Prodigue pénitent. Dire "Père, j'ai péché"  (Lc 15,18) avant d'oser toute requête, ou simplement avant de jeter un regard sur la splendeur de la maison paternelle - ne nous a-t-il pas appelés "des ténèbres à son admirable lumière"  (Lc 2,10) - paraît pour le cœur d'un fils  pardonné comme le premier devoir de l'amour.

    "Offrir à Dieu un cœur saint et pur de toute souillure actuelle de péché", pour citer  un ancien texte du Carmel, résume bien la seconde attitude à susciter lorsque nous passons le seuil de la prière. Alors seulement il nous sera accordé " de boire au torrent".

    Comment pratiquement réaliser cette purification ?

    "Faire un acte de révérence et d'humilité".

    Saint Ignace suggère, au début de l'oraison, un geste physique, par exemple faire une génuflexion, une prosternation, baiser la terre. Beaucoup de psychologie entre dans ce conseil. Au commencement de l'oraison, l'âme est froide, engourdie souvent ; un geste extérieur secouera son inertie et l'inclinera à se modeler sur la position  du corps. Cette révérence corporelle peut fort bien  s'accompagner de prières pour lui donner meilleure signification.

    Réciter le "Confiteor" comme au début de la messe. Répéter quelques versets de Psaumes (...)

    L’Écriture nous fournira de plus longs passages pour exprimer cette humilité intérieure, par exemple au Livre de Daniel chapitre 9, etc., ou des phrases incisives telle la prière du publicain répétée à satiété : " Seigneur, ayez pitié de moi." On sait combien la simple invocation " Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur " est devenue la source,  dans la piété orthodoxe, d'une véritable mystique de la prière.

    Notons enfin qu'il est urgent et bienfaisant, surtout en temps de sécheresse, de recommencer au cours de l'oraison cette humiliation initiale. Chercher sans se lasser, demander sans se décourager, frapper indéfiniment jusqu'à ce qu'on tire le verrou, selon le conseil du Seigneur, n'est-ce pas se tenir comme un mendiant à la porte  de la Grâce ? Alors seulement, la conviction de notre totale indigence amènera le Dieu de miséricorde à jeter les yeux sur nous pour nous combler de ses biens.

                                              Pierre Lauzeral s.j

     

    prochain post : l'Invocation du Saint-Esprit

  • Préliminaires à la prière - 10

    [suite de : préliminaires à la prière - 09 ]

     

    Les trois conditions requises pour prier :  seconde condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 01 à 06 ]

    - purifier son cœur,  [billets 07 à 11 ]

    - invoquer l'Esprit Saint. [ billets 12 à 14 ]

    - conclusion : billet 15

     

    LA PURIFICATION DU CŒUR (suite)

    Dès que nous nous sommes pénétrés de la présence de Dieu, il est nécessaire de travailler à la purification de notre cœur. C'est, normalement, la deuxième activité à laquelle nous devons nous livrer, une fois entrés en prière. Cependant, comment s'appliquer sérieusement à cette besogne, si nous ne sommes intimement convaincus de son urgence et de sa nécessité.

     

    La voie de l'Evangile

    Nul mieux que Jésus ne connaissait la grandeur de la divine Majesté. Son âme unie à la divinité, par le mystère de l'union hypostatique, jouissait d'une grâce unique. Jésus voyait son Père (cf. Mt 12,34). Aussi n'est-il pas surprenant que sa vie, sa mort, sa résurrection soient toutes consacrées à la Gloire de Celui qui l'avait envoyé et, dans le même instant, qu'Il ait exigé, en présence de la "sainteté" de Dieu, une totale révérence. Le Temple est sacré. Le Très Saint l'habite. Le Christ en chasse vendeurs et changeurs dès sa première Pâque à Jérusalem. "Ne faites plus de la maison de mon Père une maison de commerce" (Jn 3,16).

    Plus tard, ne le surprendra-t-on pas en train d'interdire le va-et-vient des gens pressés sur les parvis ? "Il ne laissait personne transporter d'objet à travers le Temple (Mc 11,16)." Mais voilà qui reste bien extérieur au culte du Seigneur. Au Temple, deux hommes montent pour prier. Nous connaissons tous la posture suffisante du pharisien. Jésus lui oppose le véritable modèle d'un priant en la personne du publicain. Regardez ce dernier : " Il se tient à distance (Lc 18,13)"  Entre Dieu et lui se creuse l'immense abîme de son péché. "Il n'ose même pas lever les yeux au ciel", car le ciel "est le trône de Dieu (Mt 5,34)". Une créature souillée peut salir , même de ses prunelles, une clarté si pure. "Il se frappe la poitrine", car il n'a rien à offrir d'un cœur mauvais, où suppurent tant de plaies.

    Et loin d'étaler fièrement des titres de noblesse, des œuvres, des mérites à la manière du pharisien, il répète : " Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !" Sans doute, le publicain insiste t-il sur la confession de son indignité et, de ce fait, en creuse t-il la conviction. Or voilà, nous déclare Jésus , ce qui "le justifie", l'accrédite auprès de Dieu, l'introduit en son amitié beaucoup plus que l'étalage de pieuses entreprises. En somme, nul, s'il ne s'est enfoncé dans la connaissance de sa misère, ne peut prétendre prier. Jésus l'enseigne à la suite de tout l'Ancien Testament.

    Celui qui nous invite, dans l'oraison dominicale à souhaiter "que le nom du Père soit reconnu Saint", Celui qui déclare presque brutalement au jeune homme riche, épris de sainteté : "Dieu seul est bon (Mc 10,18)", nous sollicite d'adopter devant le Père l'attitude la plus exacte, celle de la créature et du pécheur. Faudrait-il rappeler qu'à pareil comportement Jésus a attaché une béatitude : "Bienheureux les cœurs purs : ils verront Dieu (Mt 5,8)." Pour que le regard récupère sa limpidité intérieur, pour que la foi lui permette de contempler Dieu, il faut, conclut Jésus, que le cœur se nettoie. Alors il deviendra transparence. Il "sera tout entier dans la lumière comme lorsque la lampe illumine de ses rayons (Lc 11,36)".

    A suivre....

    Pierre Lauzeral s.j  - préliminaires à la prière

     

    prochain post : conclusions pratiques

     

  • Préliminaires à la prière - 09

    [suite de : préliminaires à la prière - 08 ]

     

    Les trois conditions requises pour prier :  seconde condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 1 à 6 ]

    - purifier son cœur,  [billets 7 à ... ]

    - invoquer l'Esprit Saint. [ billets ... à ... ]

     

    LA PURIFICATION DU CŒUR (suite)

    Dès que nous nous sommes pénétrés de la présence de Dieu, il est nécessaire de travailler à la purification de notre cœur. C'est, normalement, la deuxième activité à laquelle nous devons nous livrer, une fois entrés en prière. Cependant, comment s'appliquer sérieusement à cette besogne, si nous ne sommes intimement convaincus de son urgence et de sa nécessité.

     

    L'exemple d'Isaïe

    Quelques siècles plus tard, le prophète Isaïe retrouve, en présence de Dieu, le même cœur contrit et humilié. Avant d'être investi de sa mission, il est lui aussi, introduit dans le face à face divin (cf Is, 6,1 et sv). Yahvé lui apparaît sous la vision d'un monarque prestigieux, "assis sur un trône élevé", revêtu d'un manteau "dont la traîne remplit le sanctuaire ". Détail nouveau : le Dieu de majesté n'est plus seul. Toute une cour l'environne, celle des Séraphins, hérauts de sa gloire : "Saint, Saint, Saint est Yahvé Sabaoth." La puissance de cette acclamation secoue jusqu'au gond des portes et "le Temple lui-même se remplit de fumée". 

    Alors Isaïe de confesser : "Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres incirconcises et mes yeux ont vu le Roi Yahvé Sabaoth."

    Il ne s'agit pas d'être introduit à la cour céleste, encore faut-il se conformer aux gestes et aux rites de ceux qui y demeurent. Aux pieds du Très-Saint, encore une fois, une seule attitude: se voiler le visage puis, à l'instar des anges, devenir le chantre de la Splendeur divine.

    Or, le prophète ressent avec violence combien sa bouche est inhabile à cette louange. Ce peuple dont il est le compatriote n'est pas mieux exercé à glorifier Dieu. Bien plus, sont-ils voyants et Israélites, des pécheurs à la nuque raide, au cœur mauvais. "Et la bouche parle de l'abondance du cœur" (Mt 12,34). Comment affronter la pure lumière d'En-Haut et célébrer sa magnificence ?

    Isaïe s'humilie et Dieu condescend à le purifier. Un séraphin, d'un charbon embrasé, brûle la souillure : " Vois donc, ceci a touché tes lèvres ton péché est effacé, ton iniquité est expiée !" Désormais il pourra contempler la Gloire. Quoi donc, partout il sera habilité à proclamer : "Toute la terre en est remplie !"

    Moïse, Élie, Isaïe, que veulent-ils nous livrer de leur expérience de Dieu ? Sans nul doute, une leçon de révérence. On ne peut aborder le Tout Autre à la légère. Sa Majesté, sa Grandeur, sa Sainteté requièrent de l'homme une intime purification. Tel est l'enseignement de l'Ancienne Alliance. Lorsqu'il descendra des profondeurs de l’Éternité, le Fils de Dieu parlera t-il autrement ? 

    A suivre....

     

                                           Pierre Lauzeral s.j  (jésuite)

     

     

     

     

     

     

  • préliminaires à la prière - 08

    [suite de : préliminaires à la prière - 7 ]

     

    Les trois conditions requises pour prier :  seconde condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 1 à 6 ]

    - purifier son cœur,  [billets 7 à ... ]

    - invoquer l'Esprit Saint. [ billets ... à ... ]

     

    LA PURIFICATION DU CŒUR (suite)

    Dès que nous nous sommes pénétrés de la présence de Dieu, il est nécessaire de travailler à la purification de notre cœur. C'est, normalement, la deuxième activité à laquelle nous devons nous livrer, une fois entrés en prière. Cependant, comment s'appliquer sérieusement à cette besogne, si nous ne sommes intimement convaincus de son urgence et de sa nécessité.

     

    L'exemple d’Élie

    Au temps de l'universelle apostasie d'Israël, alors qu'une menace de mort pèse sur sa tête, le prophète Élie rejoint la montagne où jadis Dieu s'était laissé entrevoir à Moïse. Lui aussi appartient à cette race montante et privilégiée qui, ne fléchissant pas le genou devant les Baals, [quels sont les Baals de notre époque ?], adore le Seigneur Unique. Son "cri de guerre" : "Yahvé est vivant devant qui je me tiens" (1 R 17,1), ne trahit-il pas une vie intérieure fortement éclairée par les cimes ? Or, l'homme de Dieu, meurtri par le combat de la foi, éprouve le besoin de marcher, à travers le désert, vers les sources : là-bas, à l'Horeb, il sait que Yahvé l'attend, comme autrefois il attendit ses pères.

    De fait, au creux de la grotte de Moïse, le tête-à-tête divin a lieu. Après l'ouragan, le tremblement de terre, les éclairs, sa Majesté passe dans le froissement d'une "brise légère".

    Or, notons aussitôt le geste du prophète : " Dès qu’Élie l'entendit, il se voilà le visage avec son manteau" (1 R 19,13). La créature ne peut soutenir la Présence de Yahvé, pourtant apparemment moins redoutable que lors du Buisson ou des manifestations sur le Sinaï. Une seule attitude : se cacher le visage, par respect sacré, et "sortir" de ce creux du rocher, sanctifié par le passage du Très-Haut.

    A suivre...

                                       Pierre Lauzeral - Préliminaires à la prière

     

       prochains posts (billets) :

      post n° 9 : L'exemple d'Isaïe

      post n° 10 : La voie de l’Évangile

      post n° 11 : conclusions pratiques

      post n° 12 et suivant  : la 3ème condition requise pour prier : l'invocation de l'Esprit-Saint

     

     

     

  • La rumeur de Jésus

    [23] Toute l’affaire de Jésus - et la religion chrétienne de cette fin du XXe siècle en est la suite - a commencé par une rumeur [24] qui voltigeait autour de lui, mélange d'interrogation, de suspicion et de confiance, et qui prit consistance et ampleur surtout quand elle fut relancée par l'annonce de ceux qui croyaient en lui. C'est par cette rumeur que Jésus est entré dans l'histoire, la vraie : celle qu'on raconte avant de l'écrire et qu'on ne cesse de raconter de vive voix longtemps après qu'elle a été écrite. Les grandes affaires qui passionnent l'opinion publique et qui sont retenues par les livres d'histoire sont souvent liées à des procès, surtout à des procès politiques. Le procès par lequel se termina la carrière messianique de Jésus n'eût pas fait grand bruit hors du lieu et du temps où il se déroula - les archives de l'Empire romain n'en ont pas gardé trace - s'il n'avait été très tôt suivi d'une étrange rumeur : " Celui qu'ils ont condamné et mis à mort, Dieu l'a rendu à la vie " (voir Ac 2, 23-24 ; 3, 13-15 ; etc.). Rumeur suscitée par une annonce que les chrétiens appellent "révélation" - mais, en ses tout premiers commencements, qu'est-ce qui distingue l'une de l'autre ? Nouvelle qui peut paraître à beaucoup aujourd'hui incroyable sinon dépourvue de sens, et qui l'était déjà quand elle commençait à se répandre, car elle ne prend sens que pour celui qui accepte de l'intégrer à son propre destin. Colportée d'abord de bouche à oreille, puis débattue en public, rejetée par les uns avec incrédulité, accueillie par d'autres avec espoir, elle ne cessa de s'affermir et de s'amplifier ; avant la fin du siècle où naquit Jésus, elle avait fait le tour du bassin méditerranéen. L'affaire de Jésus devenait une affaire d'Etat, elle changeait le cours de l'histoire, et l'histoire n'a cessé jusqu'à aujourd'hui de se nourrir de la rumeur de Jésus et de l'entretenir. Jusqu'aujourd'hui ? (...) Il est de fait que dans nos pays, à partir desquels l'annonce de Jésus s'est répandue en d'autres pays, le bruit des cloches a cessé depuis longtemps d'éveiller celui de foules en marche. La rumeur de Jésus serait-elle en passe de s’essouffler, [25] de quitter les places publiques et de disparaître dans le murmure pieux de petites communautés en prière, pour se réveiller de temps à autre dans le brouhaha médiatique, sans lendemain, de rassemblements folkloriques ? S'il devait en être ainsi, l'affaire de Jésus serait-elle en voie de réintégrer les archives des temps passés - affaire classée ? Car Jésus ne peut demeurer vivant dans notre histoire qu'à la manière dont il y est entré, poussé en avant par la rumeur de ceux qui le suivent. 

    Celui qui écrit aujourd'hui sur Jésus ne peut ignorer cette interrogation. Il ne peut se résigner ni à retracer savamment son histoire ni à discourir doctement de la foi des siècles chrétiens, comme si cela pouvait suffire à réveiller la vieille rumeur ; il ne peut pas se désintéresser de l'écho que son récit ou son discours est susceptible de rencontrer, alors que tout ce qui a été écrit jadis sur Jésus l'a été afin que tous croient en lui (Jn 20,31). Les motifs qu'on a eus de parler de lui et de croire en lui restent à jamais partie intégrante de son histoire, et l'intérêt qu'on peut avoir de la raconter à nouveau n'est pas isolable du souci qu'elle soit encore croyable.

    Joseph MOINGT - L'homme qui venait de Dieu - Cerf 1993

     

  • Préliminaires à la prière - 07

    Les trois conditions requises pour prier :  seconde condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, [billets 1 à 6 ]

    - purifier son cœur,  [billets 7 à ... ]

    - invoquer l'Esprit Saint. [ billets ... à ... ]

     

    LA PURIFICATION DU CŒUR

    Dès que nous nous sommes pénétrés de la présence de Dieu, il est nécessaire de travailler à la purification de notre cœur. C'est, normalement, la deuxième activité à laquelle nous devons nous livrer, une fois entrés en prière. Cependant, comment s'appliquer sérieusement à cette besogne, si nous ne sommes intimement convaincus de son urgence et de sa nécessité.

     

    L'exemple de Moïse

    "Il ne s'est plus élevé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que Yahvé connaissait face à face" (Dt 34,10). Le Deutéronome résume par cette phrase la carrière de cet ami exceptionnel du Seigneur. Or, si ce géant d'Israël s'est confronté souvent avec l'Invisible, ces rencontres n'en ont pas moins connu des saisons, des rythmes, disons même des lois très spéciales. Au commencement, le libérateur des Hébreux n'est qu'un pâtre du désert de Madian lorsque l’Éternel, à l'affût dans un buisson l'interpelle : " l'Ange de Yahvé se manifeste à lui sous la forme d'une flamme de feu, jaillissant du milieu d'un buisson. Moïse se dit alors : " Je vais m'avancer pour considérer cet étrange spectacle et voir pourquoi le buisson ne se consume pas." (Ex 3,2 et suivant). Moïse affronte soudain un phénomène étrange. Des épines embrasées qui ne se consumaient pas. Flaire-t-il le mystère ? Veut-il en sonder la grandeur ?...

    " Yahvé le vit s'avancer pour mieux voir et Dieu l'appela du milieu du buisson :  Moïse, Moïse - Me voici, répondit-il." Au plus ardent de ces braises, une voix parle. Elle appelle Moïse par son nom. Moïse répond. Entre l'invisible interlocuteur et le berger de Jethro, un dialogue commence. Remarquez alors la suite. " N'approche pas d'ici !" Paradoxe de Dieu : il attire et il repousse. Il convoque et il renvoie. Entre la créature et Lui s'étend un espace, une zone sacrée qu'il ne doit pas franchir. "Autant le ciel est haut au-dessus de la terre." (Is 55,9)

    "Ôte les sandales de tes pieds, car le lieu que tu foules est une terre sainte" Partout où réside le Très-Haut, partout où tombe l'ombre de ses ailes, s'étale en même temps un lieu infiniment respectable. Nul n'y pénètre sans précaution, disons mieux, sans purification. Les sandales que le Voyant du Buisson doit retirer de ses pieds symbolisent cette révérence. Pour fouler la terre sainte où Dieu se manifeste, il faudra toujours se dépouiller, s'humilier [attention cependant aux contrefaçons de l'humilité : remarque de l'auteur de ce blog], s'abaisser. Nous pourrions maintenant évoquer d'autres rencontres de Moïse avec Yahvé. Elles révéleraient toujours, d'une manière ou d'une autre, cet instant de respect, d'humiliation totale que le Seigneur des Seigneurs impose à l'homme fragile et pécheur. Mais il est plus intéressant de saisir à d'autres moments de la Révélation biblique  des attitudes semblables pour mieux comprendre combien, de la part de Dieu, il y a une volonté continue de susciter chez ses adorateurs les mêmes comportements. 

                                                           A suivre...

                                       Pierre Lauzeral - Préliminaires à la prière

     

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