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Traversées christiques - Page 18

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (1)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    10 jours aux Saintes avec Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     11

    Sur un chemin de pierres sèches, à l'ombre d'un bosquet, les caravanes se sont arrêtées. Vu de la route nationale, elles doivent ressembler à trois escargots blanchâtres posés sur une touffe de verdure. Yanko le Manouche a détaché sa vieille 404. Les frères, les neveux, les cousins sortent des autres voitures, pour se dégourdir les jambes, tandis que les femmes s'en vont chercher du bois mort pour le feu du soir.

    - On a bien roulé, dit Yanko. A ce train-là, on sera aux Saintes demain avant midi.

    En un rien de temps, la vie de campement s'organise. On a sorti les tables et les chaises pliantes. Un garçon gratte de la guitare tandis que les filles plument un poulet tout en échangeant, en manouche, des propos dont le sens m'échappe. Et quand, enfin, s'allument les branchages accumulés au centre de la 12 clairière, tout le monde s'approche, le cercle de famille se resserre. Étonnante faculté qu'ont ces nomades impénitents de recréer, où qu'ils se trouvent, leur petit univers pittoresque et chaleureux, qui ne ressemble à aucun autre.

    Il n'est pas de campement bohème sans un grand feu. C'est lui qui accompagne et rythme toute la vie des Fils du Vent. C'est le feu de bois qui imprègne toute la cuisine manouche ; le feu du soir, qu'on allume même en plein été, pour le plaisir, à l'heure où s'éveillent les souvenirs ; et le grand feu de deuil, qui ne s'éteint pas de la nuit, près duquel les hommes restent graves et silencieux, à veiller le défunt qu'entoure le grésillement des cierges. 

    Ce soir, quelque part au sud de Montélimar, le clan de mon ami Yanko demeurera longtemps, mangeant, fumant, racontant des histoires du temps passé, version moderne mais étrangement ressemblante de la " Halte des Bohémiens " que grava Jacques Callot au temps lointain où, comme moi, il s’aventurait à voyager en compagnie des pèlerins du clair de lune.

    Loin des villes où une étrange humanité accepte de vivre captive, bien rangée dans des casiers superposés, nous sommes ceux qui dorment chaque nuit sous un ciel nouveau. Cet anachronisme, cette hérésie, ce scandaleux contraste : les nomades. Moi, pour quelques jours. Mes amis, pour toute leur vie, comme l'étaient les parents de leurs pères et comme le seront, si Dieu le veut, les enfants de leurs enfants.

    Ils n'ont pas, en ce monde, un seul pied carré dont ils puissent dire : " J'y suis chez moi." Pas, dans leur existence, un seul jour dont ils sachent à l'avance de quoi il sera fait. Ils sont le peuple errant, sans ambition, sans calcul, sans projets. Ils sont les Gitans, voilà tout.

    Chaque halte est un hasard, sa durée est imprévisible. si le village leur refuse du travail, si les gendarmes les chassent, ils s'en iront plus loin. Jusqu'où ? Ils l'ignorent. On verra. Leur vie ballottée, pourchassée est ainsi faite que, même installés à leur aise, ils semblent toujours guetter le signal d'un nouveau départ.

    13 Misérables aujourd'hui, ils seront peut-être riches demain. Mais ce ne sera pas pour longtemps. L'argent sitôt gagné, est dépensé, donné, jeté au vent. A chaque jour suffit sa peine. Ce soir, ils chantent. Mais qu'un étranger s'approche et ils se tairont soudain. Ne pas faire de bruit, passer inaperçus, se serrer entre soi en guettant le malheur qui rôde, telle est leur vie.

    Cet étrange destin, qui a imprégné leur âme et leur corps, ils voudraient parfois l'expliquer. Mais en vain. Leur seule certitude, c'est qu'ils appartiennent vraiment à un autre univers que le nôtre. (...)

    Le miracle est que, depuis cinq siècles qu'ils sillonnent notre pays, ils aient conservé leur langue ancestrale, leurs légendes transmises de père en fils, leurs traditions et jusqu'à leur recette de cuisine !

    Et moi, qu'est-ce que je fais avec eux ? Rien. Je suis. Nulle merveille là-dedans. Ils sont accueillants jusqu'à l'imprudence. Tout homme traqué, errant, désemparé trouve chez eux une hospitalité sans curiosité importune. Il entre dans la famille, et y reste aussi qu'il s'y trouve bien.

    Bianca, la femme de Yanko, explique en attisant les braises :

    - Chez nous, tu sais, les caravanes sont toujours ouvertes. Un voyageur ne veut pas être enfermé. Il ne veut pas non plus enfermer les autres au dehors. Dans certaines régions, on voit des écriteaux à l'entrée des maisons : " Chien méchant " ou " Défense de pénétrer ". Est-ce que les gens qui habitent là-dedans tiennent tellement à être toujours seuls ? On ne le envie pas. On les plaint.

    Le frère de Bianca approuve. Il est marchand forain et, pour se mettre en règle avec la loi, il a acheté un terrain et y a fait bâtir une maison. Il a entreposé ses marchandises dans les belles pièces toutes neuves ; lui continue à habiter dans sa caravane, au fond du jardin !

    Je suis, depuis dix ans " adopté " par cette famille ; des Manouches comme je les aime, où se côtoient des musiciens 14 réputés, des gens du cirque, des rémouleurs et d'humbles vanniers. Nous avons pèleriné ensemble, bien des fois, du joli petit sanctuaire de la Sainte Aubierge, près de Coulommiers, aux grandes processions gitanes de Lourdes. D'avoir tant prié côte à côte, nous sommes devenus frères et secrètement complices.

    Avant de connaître les Gitans, on imagine volontiers qu'ils sont païens, ou professent quelques croyances bizarres. Mais, dès le premier contact, on s'aperçoit qu'ils ont une âme profondément religieuse, qu'ils prient souvent, à leur manière, et qu'ils se veulent, à leur manière aussi, fervents catholiques.

    On les voit rarement à l’Église, c'est vrai. Les aléas du nomadisme y concourent avec la mauvaise volonté des curés, souvent plus empresser à les chasser du sanctuaire qu'à leur parler du bon Dieu. A ce peuple sans paroisses, il reste les pèlerinages. C'est chez eux une vieille tradition. Les premiers qui arrivèrent chez nous, en 1419, se présentèrent comme " pauvres pèlerins ". ils étaient munis de lettres du pape Martin V (authentiques ou non) qui leur ouvrirent un temps les portes des couvents et des châteaux. Tout chrétien se crut tenu de leur apporter aide et protection. 

    Pendant tout le Moyen-Age, ils participèrent au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Au XVIe siècle, on les vit se rendre en troupes au Mont-Saint-Michel. En 1594, une petite " Bohémienne " fut miraculeusement guérie à Notre-Dame-des-Ardilliers, à Saumur. Et, au XVIIIe siècle, beaucoup fréquentèrent le sanctuaire d' Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne.

    Voyageurs impénitents, ils ont aujourd'hui, en France, une bonne vingtaine de pèlerinages bien à eux, hauts en couleurs et riches en ferveur, qui sont autant de haltes bienfaisantes sur leur route sempiternelle. Il ne me manquait, avec le clan de Yanko, que d'avoir fait la route vers les Saintes-Maries-de-la-Mer. Nous y voici. J'en marque quelque étonnement, car la vieille église camarguaise, familière aux Gitans du Midi, n'est que peu fréquentée par les Manouches, venus des pays germaniques. 

     

     

    A suivre... 

     

     

  • Année A - Cinquième dimanche de Pâques

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche  : Ac 6, 1-7 - 1 P 2, 4-9 - Jn 14, 1-12

    Texte (i-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    135 Nous habitons un monde de violence. Elle s'appuie sur le mensonge. Nous en sentons-nous responsables ? Vous savez combien le Christ insiste sur la liberté qui nous fait adhérer à la vérité : " Celui qui fait la vérité vient à la lumière " (Jn 3,21). Nous avons besoin de faire la vérité et de découvrir en même temps la violence qui est au fond de notre cœur. Ne nous trompons pas : nous sommes tous des violents à moins que la douceur du Christ ne vienne nous transformer et que l'Esprit Saint fasse de nos cœurs de pierre des cœurs de chair.

    Aujourd'hui, le Christ nous dit : " Moi je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père sans passer par moi ". Quelle parole étonnante et merveilleuse : c'est la parole de celui qui est innocent, qui participe du mystère du Père, de celui qui est à l'image de son Père et qui nous ouvre le chemin. Le Christ est le seul chemin : " Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés " nous disent les Actes des apôtres (4,12).

    Si nous suivons celui qui est le chemin, nous choisirons le chemin de la vérité et de la vie. Le Seigneur pénètre nos vies et les bouleverse. Il fait de nous des êtres qui devront passer par la mort et la résurrection. Quelquefois, nous n'accordons pas toute sa valeur au texte de l’Évangile, quand Jésus-Christ nous dit : " Suis-moi " (Lc 5,27), " Si quelqu'un veut me suivre, qu'il prenne sa croix " (Lc 9,23). Des études récentes nous disent que tous les hommes et les apôtres en particulier pouvaient voir autour de Jérusalem des croix sur lesquelles les brigands ou les mauvais esclaves étaient crucifiés : ce ne sont donc pas des  136 paroles en l'air que les disciples appelés par Jésus entendent ! C'est cette voie-là que le Seigneur a choisie pour lui. Il s'est identifié à tous les pauvres, à toutes les victimes innocentes, et c'est pour cela qu'il nous révèle le Père et son amour : " Celui qui m'a vu a vu le Père. "

    Nous avons à demeurer dans cet amour merveilleux que le Seigneur nous donne. C'est un amour qui brise nos faiblesses, qui panse nos blessures et les ouvre à l'amour du Père. C'est ainsi que se construit l’Église. Pierre nous dit : " Frères, allez vers le Seigneur Jésus : il est la pierre vivante que les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie parce qu'il en connaît la valeur. Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. " Il nous faut en prendre conscience pour annoncer les merveilles  de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. La foi nous demande de croire à cette lumière dans un monde de cruauté et de violence. Par contraste nous avons à être " doux et humbles de cœur ", semblables au Christ pauvre, humble, livré à l'amour de Dieu, livré pour tous les hommes. Il n'y a pas d'autre route : il est la voie  et son chemin est notre chemin sur lequel il nous demande de marcher à sa suite.

    Nous construisons le temple de Dieu en offrant des offrandes spirituelles, c'est-à-dire en nous offrant tout entiers dans le sacrifice du Christ pour qu'il fasse de nous de véritables offrandes au Père. Alors nous éliminerons la violence de nos vies, car ce qui doit être au cœur du chrétien, c'est la douceur. Être doux, humbles pour aimer toujours davantage, ce sont des vertus sur lesquelles les Pères de l’Église ont parlé ; elles sont capitales. Douceur infinie, compréhension infinie, pardon infini, charité dans la patience, dans l'ouverture aux autres.

    Demandons au Seigneur de regarder son visage et de voir en transparence le visage du Père. Tout repose sur 137 cela. Le Père demeure dans le Christ, ses paroles, ses actes, ses œuvres sont celles du Père.

    Demandons au Seigneur d'entrer dans ce mystère, que nous habitions ce mystère de demeure du Fils dans le Père et du Père dans le Fils. Nous sommes appelés à y communier ; c'est la douceur suprême, mais elle ne se conquiert que si l'on prend des épines dans ses mains et si on les serre avec amour : que le sang jaillisse, que l'amour jaillisse !

    Demandons au Seigneur d'entrer dans ce mystère d'amour suprême du témoignage de l'innocence, de l'innocence apparemment vaincue par le mal mais qui triomphe dans la vérité de Dieu, dans la splendeur de Dieu. Amen !

     

  • Fatima - 13 mai 1917

    Apparitions de la Vierge reconnues par l’Église à ses enfants - Éditions Saint Jude

     

    PREMIÈRE APPARITION DE LA VIERGE

    Cova da Iria, midi. Les petits bergers (Lucie, Jacinte et François) récitent leur chapelet, puis reprennent leurs jeux. Tout à coup, un éclair déchire le ciel, puis un second. Levant les yeux, ils voient une jeune femme ravissante, resplendissante de lumière. Elle porte une robe et un manteau blanc brodé d'or qui couvre sa tête et descend jusqu'à ses pieds. Ses mains jointes retiennent un chapelet...

    - N'ayez pas peur. Je ne vous veux aucun mal.

    - D'où êtes-vous ? lui demandai-je (C'est Lucie qui raconte, c'est aussi elle qui parle à la Vierge lors de chacune des apparitions).

    - Je suis du Ciel

    - Et que voulez-vous de moi ?

    - Je suis venue pour vous demander que vous veniez ici les six prochains mois, le 13 de chaque mois, à cette même heure. Par la suite, je dirai qui je suis et ce que je veux. Ensuite, je reviendrai encore ici une septième fois.

    - Et moi, est-ce que j'irai également au Ciel ?

    - Oui, tu iras.

    - Et Jacinta ?

    - Elle aussi.

    - Et Francisco ?

    - Lui aussi, mais il doit réciter beaucoup de chapelets.

    - Est-ce que Maria des Neves est déjà au Ciel ?

    - Oui, elle y est.

    - Et Amélia ?

    - Elle restera au purgatoire jusqu'à la fin du monde. Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu'il voudra vous envoyer, en acte de réparation pour les péchés dont Il est offensé et de supplication pour la conversion des pécheurs ?

    - Oui, nous le voulons.

    - Vous allez donc avoir beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu sera votre réconfort.

    - O, Très Sainte Trinité, je Vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je Vous aime dans le Très Saint Sacrement.

    - Récitez le chapelet tous les jours pour que le monde puisse obtenir la paix et la fin de la guerre.

     

     

     

     

  • Année A - Quatrième dimanche de Pâques

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche  : Ac 2, 14-41 - 1 P 2, 20-25 - Jn 10, 1-10

    Texte (i-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    129 En ce dimanche du Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis afin qu'elles aient la vie en abondance, l’Église nous demande avec insistance de prier pour les vocations, spécialement pour les vocations sacerdotales et religieuses. C'est en effet une nécessité fondamentale de prier car, pour que les chrétiens vivent, les communautés ont besoin de vocations sacerdotales qui les construisent et qui leur permettent de se développer. C'est un problème qui se pose de façon aiguë en notre temps car il y a une crise des vocations qui se résoudra en premier par la prière.

    Nous demanderons au Seigneur, du plus profond de notre cœur, des bons bergers qui donnent la vie au peuple de Dieu, marqués du sceau de l'Esprit, à l'image du Christ. Vous me direz peut-être : qu'y puis-je, en quoi cela me regarde-t-il ? Il est vrai qu'une vocation est toute gratuite, d'une gratuité comme il n'en est pas. Tout homme appelé à devenir prêtre en a fait l'expérience : il se demande souvent pourquoi il a été appelé et pas tel autre. C'est le Seigneur qui choisit, voilà pourquoi toute vocation est un don gratuit. C'est le Seigneur qui appelle dans l’Église. Il appelle des hommes à se consacrer à l'annonce de la Parole, au rassemblement de la communauté dans la célébration de l'Eucharistie, à la prière et à la vie fraternelle. Il est là " in persona Christi ", en lieu et place du Christ pour appeler les hommes à le connaître plus totalement, plus profondément, plus réellement.

    Le prêtre représente la tête du Corps c'est-à-dire le Christ. Ce n'est pas de lui-même qu'il re-présente le Christ, c'est parce qu'il a été appelé par l’Église qui l'a 130 consacré. Nous avons à demander au Seigneur que de nombreux jeunes se sentent appelés au sacerdoce. Cela ne germe pas tout seul : cela nous concerne tous. Il faut le demander dans la prière et le Seigneur nous exaucera comme il nous le dit lui-même : " La moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson " (Lc 10,2).

    Il y a dans le monde une recherche de Dieu, un besoin de découvrir le mystère de Dieu que les prêtres devraient pouvoir satisfaire. Il y a un appel de Dieu dans de nombreuses vies, même dans la plupart des vies à des moments différents : il faudrait qu'il y ait des hommes consacrés qui détectent et qui aident ceux qui ont reçu un appel à cette vocation. Bien sûr, nous n'avons rien dans les mains. Un prêtre est un homme qui n'a rien dans les mains. Rien, si ce n'est la puissance de l'amour de Dieu. Là, tout nous est donné. Là tout peut se faire mais je crois qu'il faut que l’Église découvre plus profondément que jamais que le sacerdoce est un don dont personne ne peut s'attribuer le mérite mais qui témoigne de la plénitude de la gratuité de l'amour de Dieu. Rassembler les hommes dans l'unité, dans la vérité, les rassembler dans la charité fraternelle, les rassembler au plus profond de leur être. Il faut des vocations sacerdotales, il faut qu'elles soient nombreuses. A la mesure où nous y croirons, elles nous seront données plus largement que nous l'imaginons.

    Le Seigneur appelle les apôtres qui seront pêcheurs d'hommes. Prions le Seigneur de nous donner de nombreux pêcheurs d'hommes qui en prennent dans leurs filets pour les donner au Seigneur afin qu'ils vivent de sa vie. " Moi je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu'ils l'aient en abondance." Remarquez combien tout est centré sur la vie en abondance. Nous avons à vivre du mystère du Christ mais à en vivre au plus profond de notre être avec joie, dans la paix, dans la lumière. Ce mystère est 131 sur nos vies, c'est un don qui est fait à tous car le sacerdoce n'est pas donné à un seul, il est donné à quelques uns pour le profit et le bénéfice de tous.

    Je voudrais vous dire un mot des vocations religieuses : ce sont des vocations de témoignage. L'absolu de l'amour de Dieu réclame tout, demande tout, demande qu'on lui consacre toute sa vie au point de le suivre dans le célibat, dans la pauvreté, dans l'obéissance. Il y a là un appel spécial, un appel qui s'origine à la vie baptismale commune à tous mais manifestée plus profondément comme un signe vivant, un signe eschatologique : l'amour de Dieu est là présent. Les communautés religieuses sont au cœur de l’Église des témoignages de l'absolu de l'amour de Dieu. Consacrer tout au Seigneur, livrer tout au Seigneur, donner tout au Seigneur, c'est ce qu'Il demande à certains. Mais je voudrais souligner que s'il le demande, c'est pour que nous profitions tous de ses dons.

    Si le Seigneur nous donne d'avoir des communautés religieuses dans l’Église, c'est pour qu'elles témoignent en surabondance de l'amour qui les habite, de la charité fraternelle qui les construit. Nous avons à entrer dans ce mystère et il y a une complémentarité entre le sacerdoce, la vie religieuse et la vie laïque.

    Il y a aussi des vocations dans la vie laïque et nous devons prier pour elles, des vocations qui sont un appel à servir l’Église d'une façon ou d'une autre, humblement, chacun à notre place et nous aidant les uns les autres. Il faut que nous soyons fiers des vocations sacerdotales, il faut que nous soyons fiers des vocations religieuses. Il faut que nous soyons fiers des vocations qui naissent au sein du peuple de Dieu et  qui manifestent tel ou tel aspect de la miséricorde de Dieu.

    Je voudrais souligner ici que les vocations sacerdotales ou religieuses ne nous sont données que dans la prière. C'est la prière qui est première car elle est toute puissante 132 sur le cœur de Dieu et dans le temps difficile au milieu duquel nous vivons, nous devons être des hommes  qui dans la prière portent le salut du monde. Le Seigneur a prié jusqu'à l'agonie. Nous devons rentrer dans sa prière jusque dans son agonie. Il faut se donner au Seigneur jusqu'au bout, il faut aimer comme le Seigneur, jusqu'au bout.

    Relisez le texte de la lettre de St Pierre : il dit qu'il obéit au berger qu'est le Christ. Il nous prévient  qu'il faut vivre à son exemple: " Frères, si l'on vous fait souffrir alors que vous avez bien agi, vous rendrez hommage à Dieu en tenant bon. C'est bien à cela que vous avez été appelés., puisque le Christ lui-même a souffert pour vous  et vous a laissé son exemple afin que vous suiviez ses traces ".  C'est toute l'image du Serviteur souffrant que Pierre donne ici. C'est le cœur de la vie du Christ. C'est cela que nous avons à prêcher. C'est cela que nous avons à annoncer au monde, tous, que nous soyons prêtres, religieux ou laïcs : nous avons à annoncer cette entrée dans le mystère de Dieu. C'est vraiment à cela que nous avons été appelés. C'est parce que le Christ a souffert pour nous qu'il est devenu notre berger.

    Je pense qu'il faut lier la prière à la souffrance : l'accepter dans l'amour de Dieu, parce que le Seigneur comble son Église de façon à ce que nous formions un seul corps et que nous vivions dans la justice, dans la charité, que nous vivions dans l'amour de Dieu, que nous ne soyons pas errants mais que nous demeurions dans la main du bon berger. L'image du bon berger est une des images les plus anciennes. On la trouve dans les catacombes et dans les très anciennes églises. Le bon berger, c'est vraiment le mystère du Christ tout entier et c'est en lui que nous devons demeurer

    Demandons ensemble au Seigneur qu'il nous comble de vocations de toutes natures. Que les prêtres soient comme 133 des radars qui détectent des vocations, qui les aident à grandir et que nous soyons fidèles à obéir à cet appel. Je sais qu'il y a parmi vous certains qui sont touchés par la grâce de Dieu. Ils ont à laisser grandir en eux cet appel. Que le Seigneur fasse grandir en chacun de nous notre vérité  pour que nous entrions dans le mystère de Dieu à la suite du Christ dans la joie, la paix et la lumière. Laissons le Seigneur nous guider, laissons le Saint-Esprit être notre lumière. Confions-lui notre cause, c'est lui qui nous défendra et c'est lui qui nous donnera tout ce dont nous avons besoin. Amen ! 

     

     

     

     

  • Marie, femme du silence

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    79 Parmi tant d'appellations adressées à Marie, dans lesquelles on ne sait s'il faut admirer davantage l'imagination des poètes ou la tendresse de la piété populaire, j'en ai trouvé une, particulièrement suggestive : Marie, cathédrale du silence. 

    Certes, il est difficile aujourd'hui de faire l'expérience du silence dans les cathédrales des métropoles. Mais celui qui y entre poussé par l'envie de prier y découvrira toujours un lieu favorable. En s'asseyant et en observant, il lui suffira d'élever son regard au-dessus du sol, et il trouvera le silence caché là-haut, dans les pénombres des arcades, dans les croisées des ogives. Et, s'il regarde encore plus haut, il se laissera séduire par la hauteur de la voûte, il s'imaginera lui aussi, comme le poète de L'infini, dans " les espaces illimités qui sont au-delà, et les silences surnaturels, et le calme profond..."

    Marie est justement comme une cathédrale gothique qui garde le silence. Jalousement. Elle ne le rompt pas, même quand elle parle. Comme le silence du temple qui, là-haut, joue avec les lumières colorées des fenêtres géminées, avec les mosaïques des chapiteaux et avec les courbes de l'abside. Silence qui n'est pas rompu mais exalté  par le gémissement de l'orgue ou par les cadences mystérieuses du chant grégorien, montant d'en bas.

    Mais pourquoi Marie est-elle la cathédrale du silence ?

    80 Avant tout parce qu'elle est une femme qui parle peu. Dans l’Évangile, elle parle à peine quatre fois. A l'annonce de l'ange. Quand elle chante le Magnificat. Quand elle retrouve Jésus au Temple. Et à Cana de Galilée.

    Puis, après avoir recommandé aux serviteurs des noces d'être à l'écoute de l'unique parole qui compte, elle se tait pour toujours.

    Mais son silence n'est pas seulement absence de voix. Il n'est pas vide de bruit. Ni même le résultat d'une ascèse particulière de la sobriété. C'est, au contraire, l'enveloppe théologique d'une présence. La coquille d'une plénitude. Le sein qui garde la Parole.

    L'un des derniers versets de la lettre aux Romains nous offre la clé d'interprétation du silence de Marie. Il parle de Jésus-Christ comme de la révélation du mystère gardé dans le silence durant des temps éternels (Rm 16,25). 

    Christ, mystère silencieux. Secret, c'est-à-dire caché. Littéralement enveloppé de silence. En d'autres termes, le Verbe de Dieu dans le sein de l'éternité était emmailloté de silence. En entrant dans le sein de l'histoire, il ne pouvait pas avoir d'autres langes. Et Marie les lui a offerts, en sa personne. 

    Elle est devenue ainsi le prolongement terrestre de ce mystérieux silence du ciel. Elle est devenue le symbole pour qui veut garder les secrets d'amour. Et pour nous tous, assourdis par le vacarme, elle est restée le tabernacle silencieux de la Parole : Elle gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur (Lc 2,51)

     

    Sainte Marie, femme du silence, ramène-nous aux sources de la paix. Permets que nous ne soyons pas 81 assaillis par les mots. Par les nôtres, avant tout. Mais aussi par ceux des autres.

    Fils du bruit, nous pensons dissimuler l'insécurité qui nous tourmente à travers le rabâchage de nos interminables discours. Fais-nous comprendre que c'est seulement lorsque nous nous serons tus que Dieu pourra nous parler. Solidaires du vacarme, nous sommes persuadés de pouvoir exorciser la peur en haussant le volume de nos transistors : fais-nous comprendre que Dieu parle à l'homme uniquement sur les sables du désert, et que sa voix n'a rien à voir avec les décibels de nos tapages. (...)

    82 Sainte Marie, femme du silence, admets-nous à ton école. Tiens-nous loin de la foire du vacarme dans laquelle nous risquons de nous assourdir, à la limite de la dissociation de notre personnalité. Préserve-nous de la volupté morbide des nouvelles, qui nous rend sourds à la " Bonne Nouvelle ". Rends-nous opérateurs de cette écologie acoustique qui nous redonne le goût de la contemplation même dans le tourbillon de la ville. Convaincs-nous que les grandes choses de la vie, la conversion, l'amour, le sacrifice et la mort, mûrissent seulement dans le silence.

    Mère très douce, nous voulons te demander une dernière chose. Toi qui, comme le Christ sur la croix, as expérimenté le silence de Dieu, ne t'éloigne pas de nous à l'heure de l'épreuve. Quand le soleil s'éclipse pour nous, quand le ciel ne répond plus à notre cri, quand la terre devient du sable mouvant sous nos pas et que la peur de l'abandon risque de nous désespérer, reste à nos côtés. dans ces moments-là, romps même le silence pour nous dire des paroles d'amour !

    (...)

     

     

     

  • Marie, femme en chemin

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    67 Si les personnages de l’Évangile avaient eu une sorte de compteur kilométrique incorporé, je pense que Marie aurait gagné le prix des marcheurs les plus infatigables.

    Jésus mis à part, naturellement.

    Mais lui, on le sait, s'était tellement identifié avec le chemin qu'il confia un jour aux disciples qu'il avait invités à le suivre : Je suis le chemin.

    Le chemin. Pas le voyageur !

    Comme Jésus est donc hors concours, c'est sans aucun doute Marie qui se retrouve en tête, dans la classification des pèlerinages évangéliques.

    On la trouve toujours en chemin, d'un côté à l'autre de la Palestine et même jusqu'à l'étranger.

    Voyage aller et retour à Nazareth aux montagnes de Judée, pour aller voir sa cousine, avec cette espèce de supplément rapide cité par Luc, assurant qu'elle rejoignit la ville en hâte. Voyage jusqu'à Bethléem. De là, à Jérusalem pour la présentation au Temple. Expatriation clandestine en Égypte. Retour prudent en Judée avec le laissez-passer délivré par l'ange du Seigneur, puis de nouveau à Nazareth. Pèlerinage à Jérusalem avec une " réduction de groupe " et double parcours avec excursion dans la ville à la recherche de Jésus. On la trouve encore au milieu de la foule, où elle le rencontre en Galilée, errant de village en village, peut-être avec un peu l'idée de le faire rentrer à la maison. Finalement, elle est sur les sentiers du Calvaire, au pied de la croix, 68 où l'étonnement de Jean prononçant le mot stabat exprime, plutôt que la pétrification douloureuse d'une course perdue, l'immobilité de statue de qui attend sur le podium le prix de la victoire !

    Icône de la marche sans répit, on ne la trouve assise qu'au festin du premier miracle. Assise, non pas immobile. Elle ne sait pas rester au repos. Elle ne court pas avec le corps, mais avec l'âme. Et si ce n'est pas elle qui va vers l'heure de Jésus, elle fait venir cette heure à elle, en faisant tourner à l'envers les aiguilles de la montre, jusqu'au moment où la joie de Pâques fait irruption sur la table des hommes.

    Elle est toujours en chemin. Et, de plus, sur un chemin qui monte.

    Depuis qu'elle s'est acheminée vers la montagne, jusqu'au jour du Golgotha, ou même jusqu'au crépuscule de l'Ascension, lorsqu'elle monta avec les disciples dans la Chambre haute, dans l'attente de l' Esprit, ses pas sont toujours scandés par l’essoufflement des altitudes.

    Elle aura fait aussi les descentes. Jean en mentionne une, lorsqu'il dit qu'après les Noces de Cana, Jésus descendit vers Capharnaüm avec sa mère. Mais l'insistance avec laquelle l’Évangile accompagne du verbe " monter " ses voyages à Jérusalem non seulement fait allusion à la poitrine qui s'essouffle ou aux pieds  qui gonflent, mais plus encore indique que le pèlerinage de Marie sur la terre est symbole de toute la fatigue d'un exigeant itinéraire spirituel. 

     

    Sainte Marie, femme de la route, comme nous voudrions te ressembler pendant nos courses haletantes, mais nous n'avons pas de but. Nous sommes 69 des pèlerins comme toi, mais sans sanctuaire où aller. Nous sommes plus rapides que toi, mais le désert engloutit nos pas. Nous marchons sur l'asphalte, mais le bitume efface nos traces.

    Forçats du " marche ou crève ", il manque dans notre sac du pèlerin la carte routière qui donne un sens à nos voyages. Et, avec toutes les voies de raccordement que nous avons à notre disposition, notre vie ne se rattache à aucune bretelle constructive, nos roues tournent à vide sur les boulevards circulaires de l'absurde et nous nous retrouvons inexorablement à contempler les mêmes panoramas.

    Donne-nous, nous t'en prions, le goût de la vie. Fais-nous savourer l'ivresse des choses. Offre des réponses maternelles aux questions que nous posons à propos du sens de notre marche interminable. Et, si, sous nos pneus violents, les fleurs ne poussent plus comme autrefois sous tes pieds nus, fais que nous ralentissions au moins nos courses effrénées pour jouir de leur parfum et admirer leur beauté.

    Sainte Marie, femme en chemin, fais que nos sentiers soient des instruments de communication avec les autres, comme les tiens le furent, et non pas des rubans isolants à l'aide desquels nous assurons notre solitude aristocratique.

    Libère-nous de l'anxiété de la métropole et donne-nous l'impatience de Dieu.

    L'impatience de Dieu nous fait marcher plus vite pour rejoindre nos compagnons de route. Le stress de la métropole, au contraire, nous rend spécialistes du dépassement. Elle nous fait gagner du temps, mais nous fait perdre le frère qui marche à côté de nous. Elle met dans nos veines la frénésie de la vitesse, mais elle vide nos journées de tendresse. Elle nous fait appuyer sur l'accélérateur, mais elle ne 70 donne pas à notre hâte, comme à la tienne, des saveurs de charité. (...)

    Sainte Marie, femme en chemin, " signe d'espérance sûre et de consolation pour le peuple de Dieu en marche ", fais-nous comprendre que nous devons chercher sur le tableau de l'histoire, plus que sur les cartes géographiques, les chemins de nos pèlerinages. C'est sur ces itinéraires que croîtra notre foi. (...)

    Si tu nous vois égarés au bord de la route, arrête-toi, ô douce Samaritaine, et verse sur nos plaies l'huile de la consolation et le vin de l'espérance. Et remets-nous ensuite sur la bonne voie. Des brouillards de cette " vallée de larmes ", où se consument nos afflictions, fais-nous tourner les yeux vers les monts d'où viendra le secours. Alors sur nos chemins fleurira l'exultation du Magnificat.

    Comme en ce lointain printemps, lorsque tu es montée sur les hauteurs de Judée.

     

     

     

     

  • Marie, femme courageuse

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    63 C'est peut-être une conséquence du Ne crains pas prononcé par l'ange de l'Annonciation. En tout cas, depuis ce moment-là, Marie a affronté la vie avec une force d'âme incroyable, et elle est devenue le symbole des " Mères Courage " de tous les temps.

    C'est clair : elle aussi a eu à compter avec la peur.

    Peur de ne pas être comprise. Peur de la méchanceté des hommes. Peur de ne pas y arriver. Peur pour la santé de Joseph. Peur pour le destin de Jésus. Peur de rester toute seule... Combien de peurs !

    S'il n'y avait pas encore de sanctuaire consacré à la "  Madone de la peur ", il faudrait le bâtir. Nous nous réfugierions dans ses nefs. Car nous tous, comme Marie, nous sommes traversés par ce sentiment très humain qui est le signe le plus clair de notre limite.

    Peur du lendemain. Peur qu'un amour cultivé depuis longtemps puisse prendre fin tout à coup. Peur pour un fils qui ne trouve pas de travail et qui a dépassé la trentaine. Peur pour l'avenir de la plus jeune de la maison qui rentre toujours après minuit, même en hiver, et à qui on ne peut rien dire, car elle répond mal. Peur pour la santé qui décline. Peur de la vieillesse. Peur de la nuit. Peur de la mort...

    Alors, dans le sanctuaire consacré à la " Madone de la peur " devenue " Madone de la confiance ", chacun de nous pourrait retrouver la force d'avancer, en redécouvrant les versets d'un psaume que Marie 64 aura prononcé à mi-voix qui sait combien de fois : Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi...tous les jours de ma vie (Ps 23,4)

    Madone de la peur, donc. Non pas de la résignation. Car elle n'a jamais baissé les bras en signe de résignation, et elle ne les a jamais levés pour dire qu'elle se rendait. Une seule fois elle s'est rendue : quand elle a prononcé son fiat et s'est constituée prisonnière de son Seigneur.

    A partir de ce moment-là, elle a toujours réagi avec une détermination incroyable, allant à contre-courant et dépassant les difficultés inouïes devant lesquelles tout le monde aurait capitulé. De la gêne de l'accouchement dans une étable jusqu'à l'expatriation forcée pour échapper à la persécution d'Hérode. Des jours amers de l'asile politique en Égypte, à la prise de conscience des prédictions menaçantes de la prophétie de Siméon.  Des sacrifices d'une vie peu aisée, pendant trente années de silence, au jour amer où la boutique du charpentier, parfumé de vernis et de souvenirs, fut fermé pour toujours. Des serrements de cœur provoqués  par certaines nouvelles qui circulaient sur son fils, au moment du calvaire quand, défiant la violence des soldats et le ricanement du peuple, elle se dressa courageusement au pied de la croix.

    Son épreuve à elle était difficile. Marquée, comme pour son fils mourant, par le silence de Dieu. Une épreuve sans mise en scène et sans aucune réduction sur le prix de la souffrance, qui fait comprendre le sens de cette antienne résonnant dans la liturgie du Vendredi Saint : " O vous tous qui passez, arrêtez-vous et voyez s'il existe une douleur semblable à la mienne. "

    65 Sainte Marie, femme courageuse, dans une célèbre homélie prononcée il y a quelques années à Zapopan, au Mexique, Jean-Paul II [le 30 janvier 1979] a dressé le plus beau monument que le magistère de l’Église ait jamais élevé à ta fierté humaine, en disant que tu te présentes comme un modèle pour " ceux qui n'acceptent pas passivement les circonstances adverses de leur vie personnelle et sociale, ni ne sont victimes de l'aliénation ". 

    Ainsi, tu ne t'es pas résignée à subir l'existence. Tu as combattu. Tu as affronté les obstacles à visage découvert. Tu as réagi face à tes difficultés personnelles et tu t'es rebellée contre les injustices sociales de ton temps. Tu n'as donc pas été cette femme entièrement consacrée à sa maison et à son église, comme certaines images pieuses voudraient nous le faire croire. (...)

    Ainsi, sainte Marie, femme courageuse, toi qui pendant les trois heures d'agonie au pied de la Croix as absorbé, comme une éponge, les afflictions de toutes les mères de la terre, donne-nous un peu de ta force d'âme. (...) Soulage les souffrances de toutes les victimes des injustices. apaise les larmes cachées de tant de femmes qui, dans l'intimité de leurs maisons, sont systématiquement et abusivement opprimées par les hommes. (...)

    66 Sainte Marie, femme courageuse, toi qui sur le Calvaire as gagné toi aussi la palme du martyre, encourage-nous par ton exemple à ne pas nous laisser abattre par l'adversité. Aide-nous à porter le fardeau des tribulations quotidiennes, non pas avec l'esprit des désespérés, mais avec la sérénité de celui qui se sait blotti dans le creux de la main de Dieu. Et, si la tentation d'en finir nous effleure parce que nous n'en pouvons plus, tiens-toi auprès de nous. Assieds-toi sur nos trottoirs désolés. Redis-nous des paroles d'espérance.

    Alors, réconfortés par ton souffle, nous t'invoquerons par la prière la plus ancienne qui ait jamais été écrite en ton honneur : " Nous nous réfugions sous ta protection, Sainte Mère de Dieu ; ne méprise pas les supplications que nous t'adressons dans l'épreuve ; mais délivre-nous sans cesse de tout péril, ô Vierge comblée de gloire et de bénédictions."

     

  • Marie, femme du premier pas

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    39 Il me faut le demander aux spécialistes. Je ne peux pas comprendre, en effet, pourquoi ce mot qui me semble dans le texte grec si rempli d'allusions, n'est pas passé dans les traductions. Je m'explique.

    Au premier chapitre de son Évangile, Luc dit que, lorsque l'ange fut parti de Nazareth, Marie partit en hâte vers la montagne pour se rendre dans une ville de Juda (Lc 1,39). Dans le texte original, après le mot Marie il y a un participe : anastasa. Cela signifie à la lettre " s'étant levée ". Cela pourrait être une locution stéréotypée, c'est-à-dire un de ces nombreux termes qui reviennent si souvent et qui, dans nos discours, servent de transition entre un récit et un autre. S'il en était ainsi, étant donné son manque de sens, son omission dans les traductions serait pleinement justifiée.

    Mais la parole anastasa, à bien l'examiner, a la même racine que le substantif anastasis, mot classique qui indique l'événement central de notre foi, à savoir la résurrection du Seigneur. Si bien qu'on pourrait tranquillement la traduire par " ressuscitée ".

    Et, tenant compte alors du fait que Luc relit l'enfance de Jésus à la lumière des événements de Pâques, est-il hors de propos de supposer que le mot anastasa soit plus qu'un stéréotype inexpressif ? Est-il trop risqué de penser que cela veut être une allusion à Marie comme symbole de l’Église " ressuscitée ", partant en hâte porter la bonne nouvelle au monde ? Est-ce trop d'affirmer que ce mot contient la tâche missionnaire de l’Église qui, après la résurrection 40 du Seigneur, a le devoir de porter dans son sein Jésus Christ afin de l'offrir aux autres, comme le fit justement Marie avec Élisabeth ?

    Là, je me risque.

    Une conclusion me semble de toute façon évidente : même si le mot anastasa n'a pas l'ampleur théologique dont j'ai parlé, il souligne toutefois au moins une chose, la détermination de Marie.

    C'est elle qui décide de se déplacer la première : elle n'est sollicitée par personne. C'est elle qui s'invente ce voyage : elle ne reçoit de conseils de personne. C'est elle qui décide de faire le premier pas : elle n'attend pas que les autres prennent l'initiative.

    Des allusions si discrètes de l'ange, elle a conclu que sa cousine devait se trouver dans de sérieuses difficultés.

    Aussi, sans différer la chose et sans se demander si c'était à elle de décider ou non, elle a fait ses bagages et est partie à travers les montagnes de Judée. " En hâte " de surcroît. Ou, selon une traduction : " avec préoccupation ".

    IL y a tous les éléments pour lire, à travers ces rapides échappées verbales, le caractère entreprenant de Marie. Mais sans déranger. Caractère confirmé d'ailleurs au moment des noces de Cana, quand, après s'être rendue compte de l'embarras des époux, et sans en avoir été priée par eux, elle joua le premier coup et fit échec et mat au roi. 

    Dante Alighieri avait bien raison d'affirmer que la bonté de la Vierge ne secourt pas seulement celui qui se tourne vers elle, mais que " souvent elle prévient les désirs avec libéralité ". 

     

    Sainte Marie, femme du premier pas, ministre très douce de la grâce prévenante de Dieu, " lève-toi " encore une fois en toute hâte, et viens nous aider avant qu'il ne soit trop tard. Nous avons besoin de toi. N'attends pas nos supplications. Préviens chacun de nos gémissements de pitié. (...)

    Quand le péché nous entraîne et paralyse notre vie, n'attends pas notre repentir. Préviens notre appel au secours. Cours tout de suite auprès de nous et organise l' espérance autour de nos défaites. Si tu ne vas pas plus vite que nous, nous serons incapables même de remords. Si tu ne prends pas l'initiative, nous resterons dans la boue. Et, si ce n'est pas toi qui creuses dans notre cœur des citernes de nostalgie, nous ne sentirons même plus le besoin de Dieu.

    Sainte Marie, femme du premier pas, qui sait combien de fois, dans ta vie terrestre, tu auras étonné les gens pour avoir toujours devancé les autres aux rendez-vous du pardon. Qui sait avec quelle sollicitude, après avoir reçu un affront de ta voisine d'en face, tu t'es " levée " la première et tu as frappé à sa porte, en la libérant de l'embarras, sans refuser son étreinte ? Qui sait avec quelle tendresse, dans la nuit de la trahison, tu t'es " levée " pour recueillir dans ton manteau les larmes amères de Pierre ? Qui sait avec quel battement de cœur, tu es sortie de la maison pour détourner Judas du chemin du suicide ? Quel dommage que tu ne l'aies pas trouvé. Mais on peut gager qu'après avoir déposé Jésus, tu sois allée le descendre de l'arbre lui aussi et que tu lui aies placé les membres dans la paix de la mort. 

    42 Donne-nous, nous t'en prions, la force de nous mettre en route les premiers chaque fois qu'il faut pardonner. Empêche-nous de renvoyer à demain une rencontre de paix que nous pouvons conclure aujourd'hui. Brûle nos indécisions. Détourne-nous de nos perplexités calculées. Libère-nous de la tristesse de notre attentisme épuisant. Et aide-nous afin qu'aucun de nous ne laisse son frère sur les charbons ardents en répétant avec mépris : " C'est à lui de bouger le premier !" 

    Sainte Marie, femme du premier pas, experte comme aucune autre de la méthode préventive, habile à donner la réplique avant tout le monde, très rapide à jouer d'avance dans les matchs du Salut, joue aussi par avance sur le cœur de Dieu.

    Afin que, lorsque nous frapperons à la porte du ciel et paraîtrons devant l’Éternel, tu préviennes sa sentence. " Lève-toi " pour la dernière fois de ton trône de gloire et viens à notre rencontre. Prends-nous par la main et couvre-nous de ton manteau. Avec un éclair de miséricorde dans les yeux, préviens son verdict de grâce. Ainsi nous serons sûrs du pardon. 

    (...)

     

  • Année A - Troisème dimanche de Pâques

    Textes de la liturgie du jour : Ac 2, 14-28 - 1 P 1, 17-21 - Lc 24, 13-35

    Textes : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Ed : Parole et Silence, 1998

     

    125 Nous sommes tous semblables aux pèlerins d'Emmaüs. Nous rêvons tous et sans doute nous rêvons encore du triomphe d'un Messie qui se serait manifesté dans humilité et la souffrance mais qui serait glorieux, triomphant, nous entraînant dans son triomphe et nous faisant passer ainsi dans le mystère de Dieu. Oui, nous avons d'autant plus ce sens d'un Messie triomphant que notre image de Dieu nous paraît plus belle, plus grande, plus transcendante. Comment est-il possible que cela arrive ? Nous sommes déçus de ce qui se passe dans le monde et que nous attribuons au Seigneur. Alors, comme les disciples d'Emmaüs, " nous espérions qu'il serait le libérateur d'Israël ! Avec tout cela, voici le troisième jour qui passe depuis que c'est arrivé... lui, ils ne l'ont pas vu ". Nous sommes les pèlerins d'Emmaüs dans la mesure où nous ne reconnaissons pas le visage du Messie dans le visage du Ressuscité. En effet, il nous est nécessaire de reconnaître le visage du Seigneur qui bien sûr nous fera connaître la gloire. Mais le chemin par lequel il passe n'est pas du tout celui que nous aurions imaginé. Il en va de même pour chacune de nos vies. 

    Il faut que le Seigneur éclaire nos vies ; il faut qu'il vous éclaire en vous montrant et en vous découvrant combien vos cœurs sont lents à croire. Pour découvrir le visage du Seigneur, il n'y a qu'un moyen : écouter le Christ, le laisser lui-même nous expliquer les Écritures et nous montrer que la volonté du Père est que la réalisation de son dessein d'amour passe par la croix. " Ne fallait-il pas que le Messie souffrît pour entrer dans la gloire ? " C'est ce que nous avons du mal à comprendre. Cette formule signifie 126 qu'il s'agit bien du dessein de Dieu. Dieu lui-même à voulu que la manifestation de son amour se dévoile de cette façon. Nous aurions facilement imaginé une autre façon de sauver le monde ! Le Seigneur nous introduit par sa croix dans l'intelligence de sa Parole, dans l'intelligence du Mystère de Dieu et il nous y fait participer par l'Eucharistie.

    Laissons le Seigneur nous expliquer l’Écriture. Elle s'illumine à partir de la Résurrection et, si je puis m'exprimer ainsi, les évangiles sont à lire à l'envers, c'est-à-dire à partir de la Résurrection du Christ parce que c'est le lieu de la lumière, c'est le lieu de l'éclatement du mystère de Dieu. Plus classiquement, il faut lire les Écritures en partant de Moïse et des prophètes pour constater que tout conduit à Jésus-Christ, centre du monde, pivot du monde.

    L'heure essentielle de toute l'histoire du monde, c'est l'heure de la croix. Le visage du Seigneur se dévoile alors ; c'est le visage de celui qui est doux et humble de cœur, le visage de celui qui est venu sauver les hommes par son humilité, par sa pauvreté, et nous dévoiler sa présence incessante à son Père. Nous avons à écouter le Christ non pas tel que nous l'imaginons, non pas tel que nous le voudrions, mais tel qu'Il est.

    Nous le découvrons dans l'Eucharistie. Les disciples d'Emmaüs le reconnaissent à la façon dont il rompt le pain. Qu'est-ce que cela signifie pour nos vies ? Cela implique que nous soyons prêts à nous laisser transformer par le mystère de Dieu, par sa façon déconcertante de se révéler. Le Christ entre dans nos vies de façon déroutante. Nous voulons trop souvent construire nos propres vies. Mais Jésus Christ ne construit pas sa vie, c'est son Père qui la lui donne et nous n'avons pas à construire nos vies mais bien au contraire à laisser le Seigneur les construire. Il ne s'agit pas d'être passifs, il convient de faire tout ce qu'il faut, mais en même temps, il faut se laisser prendre 127 par le visage du Seigneur tel qu'il se dévoile dans les Écritures et dans les Évangiles.

    " Reste avec nous " disent les disciples d’Emmaüs. Pour cela, lisez-vous l’Évangile ?  Lisez-vous quelquefois un évangile d'un bout à l'autre sans vous arrêter pour vous entraîner à reconnaître le visage du Christ ? Passez-vous un temps de prière plus ou moins long pour rencontrer le Christ  ? Pensez-vous que l'Eucharistie soit cet acte par lequel le Christ nous fait entrer dans son propre mystère en nous dévoilant son visage et en nous faisant participer à la gloire de son Père ? Oui, Jésus-Christ nous fait participer au mystère de sa Résurrection. C'est pour cela, comme nous dit l'apôtre Pierre, que nous ne vivons pas comme des gens sans but, mais comme des gens dont le sens de la vie est éclairée, illuminé par le sang précieux du Christ, par l'Agneau sans défaut et sans tache, discerné dès avant la fondation du monde. Voyez comme tout est pris dans le mystère d'amour du Seigneur : tout est là !

    Dans l'Eucharistie, nous avons à découvrir que nous croyons en Dieu par le Christ dans l'Esprit Saint. Nous croyons que le Père a ressuscité Jésus d'entre les morts et qu' Il lui a donné la gloire. Cette gloire, nous la connaîtrons. Nous sommes pris dans un élan d'amour qui nous déborde de partout, qui nous dépasse. Le mystère du Seigneur est un mystère ineffable, étonnant, c'est un mystère qui devrait, à chaque instant nous émerveiller. Dieu est merveilleux : Il organise les choses infiniment mieux que nous les aurions imaginées, de tout autre façon. Le Seigneur fait irruption dans nos vies à sa manière qui lui est unique. Il nous connaît chacun par notre petit nom. Il nous connaît de l'intérieur et il guide, si nous nous laissons faire, chacun de nos pas.

    En ce jour où nous sommes avec les pèlerins d'Emmaüs, nous demanderons au Seigneur de découvrir le sens de nos vies à la lumière de Dieu, 128 dans l' Écriture et dans l'Eucharistie. Que nous ayons les yeux de notre cœur illuminés, alors nos yeux s'ouvriront et nous reconnaîtrons le Seigneur. Nous pourrons entrer dans le mystère de Dieu, non pas un petit moment, mais toute notre vie parce qu'il l'imprégnera. Nous sommes dans l'ordre lorsque nous sommes suspendus à Dieu, que nous tenons à Dieu et que nous le regardons. Laissons-nous faire et nous découvrirons le visage du Seigneur et celui de nos frères qu'il nous donne gratuitement pour que nous les aimions. Amen !

      

     

     

     

     

     

  • Marie, femme accueillante

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    35 Cette phrase, que l'on trouve dans un texte du concile, est magnifique par sa doctrine et sa concision. Elle dit qu'à l'annonce de l'ange, la Vierge Marie " accueillit dans son cœur et dans son corps le Verbe de Dieu ". 

    Dans son cœur et dans son corps.

    Elle fut donc disciple et mère du Verbe. Disciple, parce qu'elle se mit à l'écoute de la Parole et la conserva pour toujours dans son cœur. Mère, parce qu'elle offrit son sein à la Parole et qu'elle la garda pendant neuf mois dans l'écrin de son corps. Saint Augustin ose dire que Marie fut plus grande pour avoir accueilli la Parole dans son cœur que pour l'avoir accueilli dans son sein.

    Pour comprendre jusqu'au fond la beauté de cette vérité, les mots ne suffisent peut-être pas. Il faut recourir aux expressions visuelles. Le mieux est de remonter à une célèbre icône orientale représentant Marie, avec son divin Fils Jésus dessiné sur sa poitrine. Cette icône est appelée Vierge du signe, mais on pourrait l'appeler " Vierge de l'accueil " car, avec ses avant-bras levés vers le haut, dans l'attitude de celle qui s'offre ou qui se rend, elle apparaît comme le signe vivant de l'hospitalité la plus gratuite.

    Elle l'accueillit dans son cœur.

    C'est-à-dire qu'elle fit place, dans ses pensées, aux pensées de Dieu ; mais elle ne se sentit pas pour autant réduite au silence. Elle offrit volontiers le terrain vierge de son esprit à la germination du Verbe ; 36 mais elle ne s'estima expropriée en rien. Elle lui céda avec joie le sol le plus inviolable de sa vie intérieure ; mais sans avoir à réduire les espaces de sa liberté. Elle donna une demeure stable au Seigneur dans les lieux les plus secrets de son âme ; mais elle ne sentit pas sa présence comme une violation de domicile.

    Elle l'accueillit dans son corps.

    C'est-à-dire qu'elle sentit le poids physique d'un autre être qui prenait demeure dans son sein de mère. Elle adapta donc ses rythmes à ceux de son hôte. Elle changea ses habitudes en fonction d'une tâche qui ne lui facilitait certainement pas la vie. Elle consacra ses jours à la gestation d'une créature qui ne lui épargnerait ni préoccupations ni soucis. Et, puisque le fruit béni de ses entrailles était le Verbe de Dieu qui s'incarnait pour le salut de l'humanité, elle comprit qu'elle avait contracté "une dette d'accueil " envers tous les fils d'Eve, qu'elle aurait à payer de ses larmes. 

    Elle accueillit dans son cœur et dans son corps le Verbe de Dieu.

    Cette hospitalité fondamentale en dit long sur la façon d'être de Marie. Ses mille autres accueils, dont l’Évangile ne parle pas, nous pouvons les deviner facilement. Personne ne fut jamais repoussé par elle. Tous trouvèrent refuge sous son ombre. De ses voisines à ses anciennes compagnes de Nazareth. Des pauvres du quartier aux voyageurs de passage. De Pierre, en larmes après sa trahison à Judas, qui n'a peut-être pas réussi, cette nuit-là, à la trouver chez elle...

     

    37 Sainte Marie, femme accueillante, aide-nous à accueillir la Parole dans l'intimité de notre cœur. C'est-à-dire à comprendre, comme tu as su le faire, les irruptions de Dieu. Il ne frappe pas à notre porte pour nous sommer de déménager mais pour remplir de lumière notre solitude. Il n'entre pas dans notre maison pour nous passer les menottes, mais pour nous rendre le goût de la vraie liberté. 

    Nous le savons, c'est la peur du nouveau qui nous rend souvent inhospitaliers envers le Seigneur qui vient. Les changements nous dérangent. Et, comme il bouleverse toujours nos pensées, remet en question nos programmes et met en crise nos certitudes, chaque fois que nous entendons ses pas, nous évitons de le rencontrer, en nous cachant derrière une haie, comme Adam parmi les arbres de l’Éden. Fais-nous comprendre que, si Dieu dérange nos projets, il ne gâche pas notre fête. S'il trouble notre sommeil, il ne nous ôte pas la paix. Et, une fois que nous l'aurons accueilli dans notre cœur, notre corps aussi  brillera de sa lumière. 

    Sainte Marie femme accueillante, rends-nous capable de gestes d'hospitalité envers nos frères. (...) 38 Dissipe, nous t'en prions, nos défiances. Fais nous sortir de la tranchée de nos égoïsmes corporatifs. Romps les ceintures de nos coalitions. Relâche nos fermetures hermétiques envers qui est différent de nous. Abats nos frontières : les frontières culturelles avant les frontières géographiques. Ces dernières cèdent désormais sous le choc des " autres peuples ", mais les premières restent imperméables. Puisque nous sommes contraints à accueillir les étrangers à l'intérieur de notre terre, aide-nous à les accueillir aussi au cœur de notre civilisation.  (...)

     

     

     

     

     

     

  • Marie, femme de l'attente

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    23 La véritable tristesse, ce n'est pas que le soir, en rentrant chez toi, tu ne sois attendu par personne. Mais c'est lorsque tu n'attends plus rien de la vie. Et la solitude la plus sombre, ce n'est pas lorsque tu trouves ton foyer éteint, mais c'est quand tu n'as plus envie de l'allumer, même pour un éventuel hôte de passage.

    Bref, quand tu penses que pour toi la musique est finie. Que désormais les jeux sont faits. Qu'aucune âme vivante ne viendra frapper à ta porte. Qu'il n'y aura plus ni sursaut de joie, ni tressaillement de stupeur. Pas même  un frémissement de douleur pour une tragédie humaine, puisqu'il ne te reste plus personne pour qui tu t'inquiètes.

    La vie, alors, s'écoule insipide vers un épilogue qui n'arrive jamais, comme une bande magnétique qui a fini trop tôt sa chanson, et qui se déroule interminablement, en silence, jusqu'à son extrémité.

    Attendre... ou bien expérimenter le goût de vivre.

    On a souvent dit que la sainteté d'une personne se mesurait à l'épaisseur de ses attentes. Peut-être est-ce vrai ?

    Si c'est ainsi, il faut en conclure que Marie est la plus sainte des créatures, justement parce que sa vie apparaît scandée par les rythmes joyeux de l'attente.

    Déjà le pinceau de Luc l'identifie avec une marque initiale chargée d'attente : accordée en mariage à un homme de la maison de David (Lc 1,27). C'est-à-dire : fiancée.

    24 Il n'échappe à personne quelle moisson d'espérances et de battements de cœur suggère ce mot, que chaque femme expérimente comme un prélude à de mystérieuses tendresses.

    Avant même que son nom ne soit prononcé dans l’Évangile, on dit de  Marie qu'elle était fiancée. Vierge dans l'attente. Dans l'attente de Joseph. A l'écoute du bruissement de ses sandales quand le soir descend, lorsque, sentant le bois et le vernis, il allait venir lui parler de ses rêves.

    Mais jusque dans la dernière image avec laquelle Marie prend congé des Écritures, elle est saisie par l'objectif dans une attitude d'attente.

    Là, dans le Cénacle, à l'étage supérieur, en compagnie des disciples, dans l'attente de l'Esprit. Écoutant le bruit de son aile, au point du jour, quand parfumé d'onctions et de sainteté, il allait descendre sur l’Église pour lui indiquer sa mission de salut.

    Vierge en attente, au début.

    Mère en attente, à la fin.

    Et, dans la voute soutenue par ces deux états, l'un si humain et l'autre si divin, il y a cent autres attentes brûlantes.

    L'attente de Lui, pendant neuf mois si longs. L'attente d'accomplissements légaux qu'elle a fêtés entre les restrictions imposées par sa pauvreté et les réjouissances partagées avec sa parenté. L'attente du jour, le seul qu'elle aurait voulu repousser à jamais, le jour où son fils quitterait la maison pour ne plus y revenir. L'attente de l'Heure : la seule pour laquelle elle ne pouvait freiner son impatience, et dont elle aurait voulu faire déborder immédiatement, le poids de la grâce sur la table des hommes. L'attente du dernier râle de son fils unique cloué sur  25 le bois. L'attente du troisième jour, vécu en veille solitaire, devant le rocher.

    Attendre, c'est l'infini du verbe aimer. Dans le vocabulaire de Marie, c'est plutôt aimer à l'infini.

     

    Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous de ton huile, parce que nos lampes s'éteignent. Vois : nos réserves se sont consumées. Ne nous envoie pas chez d'autres marchands. Allume à nouveau dans nos âmes les anciennes ardeurs qui nous brûlaient de l'intérieur, quand il suffisait d'un rien pour nous faire tressaillir de joie : l'arrivée d'un ami lointain, le rouge du soir après l'orage, le crépitement de la bûche qui en hiver surveillait les retours à la maison, le son des cloches carillonnant les jours de fête, l'arrivée des hirondelles au printemps, l'odeur âcre qui sortait des pressoirs à huile, les chants d'automne qui montaient des moulins l'arrondi tendre et mystérieux du ventre maternel, le parfum de lavande qui faisait irruption quand on préparait un berceau. 

    Si aujourd'hui nous ne savons plus attendre, c'est parce que nous sommes à court d’espérance. Ses sources se sont asséchées. Nous souffrons d'une crise profonde du désir. Et, désormais satisfaits des mille succédanés qui nous assaillent, nous risquons de ne plus rien attendre, pas même de ces promesses surnaturelles qui ont été signées avec le sang du Dieu de l'Alliance.

    Sainte Marie, femme de l'attente, soulage la douleur des mères souffrant pour leurs fils qui, sortis un jour de la maison, n'y sont jamais revenus, tués dans un accident ou séduits par les appels de la jungle ; dispersés par la fureur de la guerre ou aspirés par le tourbillon des passions ; engloutis par la 26 fureur de l'océan ou bouleversés par les tempêtes de la vie.  (...)

    Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous une âme de veilleur.

    (...)

    Fait-nous comprendre qu'il ne suffit pas d'accueillir : il faut attendre. Accueillir est parfois un signe de résignation. Attendre est toujours un signe d’espérance. Rends-nous pour cela ministres de l'attente. Quand le Seigneur viendra, ô Vierge de l' Attente, qu'il nous surprenne, grâce à ta complicité maternelle, la lampe à la main.  

     

  • Marie, femme de tous les jours

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    16 Qui sait combien de fois je l'ai lue, sans éprouver d'émotion. L'autre soir toutefois, cette phrase du concile, citée sous une image de la Vierge, m'apparut si audacieuse que je suis allé à la source pour en vérifier l'authenticité.

    C'est en effet au quatrième paragraphe du Décret sur l'apostolat des laïcs, qu'il est écrit textuellement : " Marie menait sur la terre une vie semblable à celle de tous, remplie par les soins et les labeurs familiaux."

    " Marie vivait sur la terre ", non dans les nuages. Ses pensées n'étaient pas éthérées. Ses gestes portaient la marque du concret.

    Même si Dieu l'appelait souvent à la contemplation, elle ne se sentait pas dispensée de la fatigue d'avoir les pieds sur terre.

    Loin des abstractions des visionnaires, loin des évasions des mécontents ou des échappatoires des illusionnistes, elle tenait obstinément sa maison dans le terrible quotidien.

    Mais il y a plus encore. " Elle vivait une vie semblable à celle de tous." C'est-à-dire semblable à la vie de sa voisine. Elle buvait l'eau même du puits. Elle pilait le grain dans le même mortier. Elle s'asseyait à la fraîcheur de la même cour. Elle aussi rentrait fatiguée, le soir, après avoir glané dans les champs.

    A elle aussi, on a dit un jour : " Marie, tu commences à avoir des cheveux blancs." Elle s'est alors 17 regardée dans la fontaine et a éprouvé, elle aussi, un sentiment de vive nostalgie, comme toutes les femmes du monde, quand elles s'aperçoivent que la jeunesse vient à se faner.

    Mais on n'a pas fini d'être surpris, car apprendre que la vie de Marie fut, comme la nôtre, " remplie par les soins et les labeurs familiaux ", nous la rend si participante des fatigues humaines que cela nous fait entrevoir que notre pénible quotidien n'est peut-être pas aussi banal que nous le pensions.

    Oui, elle aussi a eu ses problèmes : de santé, d'argent, de relation, d'adaptation.

    Qui sait combien de fois elle est rentrée du lavoir avec un mal de tête ou perdue dans ses pensées parce que, depuis plusieurs jours, Joseph voyait les clients se faire plus rares à l'atelier.

    Qui sait à combien de portes elle a frappé en demandant quelques journées de travail pour son Jésus à la saison des olives.

    Qui sait combien de fois, en plein midi, elle s'est évertuée à retourner et à tailler dans la pelisse déjà usée de Joseph un manteau pour son fils afin qu'il ne fasse pas trop mauvaise figure au milieu de ses camarades de Nazareth.

    Comme toutes les épouses, elle aura eu des moments de crise avec son mari dont, taciturne comme il l'était, elle ne comprenait pas toujours les silences.

    (...)

    Comme toutes les femmes, elle aura souffert de l'incompréhension, même de la part de ses deux plus 18 grands amours sur la terre. Elle aura craint de les décevoir. Ou de ne pas être à la hauteur de son rôle.

    Et, après avoir épanché dans les larmes la peine d'une solitude immense, elle aura finalement trouvé dans la prière, faite en commun, le bonheur d'une communion située bien au-delà de la nature humaine.

    Sainte Marie, femme de tous les jours, tu es peut-être la seule à pouvoir comprendre que notre folie de te ramener dans les limites de notre expérience terre à terre n'est pas un signe de désacralisation.

    Si nous osons, pour un instant, enlever ton auréole, c'est parce que nous voulons voir combien tu es belle la tête découverte.

    Si nous éteignons les projecteurs dirigés sur toi, c'est qu'il nous semble ainsi pouvoir mieux mesurer la toute-puissance de Dieu qui, derrière les ombres de ta chair, a caché les sources de la lumière.

    Nous savons bien que tu as été destinée à naviguer en haute mer. Mais, si nous te contraignons à voguer près de la côte, ce n'est pas pour te réduire à pratiquer notre petit cabotage. C'est  pour que, en te voyant si proche des plages de notre découragement, nous puissions prendre conscience que nous sommes appelés aussi à nous aventurer sur les océans de la liberté.

    Sainte Marie, femme de tous les jours, aide-nous à comprendre que le chapitre le plus fécond de la théologie n'est pas celui qui te place au centre de la Bible ou de la patristique, de la spiritualité ou de la liturgie, des dogmes ou de l'art. Mais c'est celui qui te place à l'intérieur de la maison de Nazareth. Là 19 où, parmi les marmites et les métiers à tisser, au milieu des larmes et des prières, entre les pelotes de laine et les rouleaux de l’Écriture, tu as expérimenté dans la profondeur de ta féminité toute simple, des joies sans malice, des amertumes sans désespoirs, des départs sans retours. 

    Sainte Marie, femme de tous les jours, libère-nous des nostalgies de l'épopée et apprends-nous à considérer la vie quotidienne comme le chantier où se construit l'histoire du Salut.

    Libère-nous de nos peurs pour que nous puissions expérimenter comme toi, l'abandon à la volonté de Dieu, dans la monotonie du temps et dans la lente agonie des heures qui passent.

    Et reviens marcher discrètement à nos côtés, ô créature extraordinaire, amoureuse des choses ordinaires, toi qui, avant d'être couronnée Reine du Ciel, as avalé la poussière de notre pauvre terre.

     

  • Jean-Paul II et les jeunes : 01 - au Parc des Princes - juin 1980

    Réponses  de Jean-Paul II aux questions des jeunes rassemblés au Parc des Princes - Paris dimanche 1er juin 1980 (suite du post du 29/04). Jean-Paul II se révèle ici être un vrai guide spirituel. Ce dialogue avec la jeunesse allait se poursuivre tout au long de son pontificat en particulier par ces temps forts que furent les JMJ

    (Des livres pour aller plus loin avec Jean-Paul II  ici)

    La page de Jean-PaulII sur le site du Saint Siège ici

     

    11. Vous avez aussi posé la question - la quatrième -  sur la prière. Il y a plusieurs définitions de la prière. Mais on l'appelle le plus souvent un colloque, une conversation, un entretien avec Dieu. En conversant avec quelqu'un, non seulement nous parlons, mais aussi nous écoutons. La prière est donc aussi une écoute. Elle consiste à se mettre à l'écoute de la voix intérieure de la grâce. A l'écoute de l'appel. Et alors, comme vous me demandez comment le Pape prie, je vous réponds : comme tout chrétien : il parle et il écoute. Parfois, il prie sans paroles, et alors il écoute d'autant plus. Le plus important est précisément  ce qu'il "entend". Et il cherche aussi à unir la prière à ses obligations, à ses activités, à son travail, et à unir son travail à la prière. Et de cette manière, jour après jour, il cherche à accomplir son "service", son "ministère", qui lui vient de la volonté du Christ et de la tradition vivante de l’Église.

    12. Vous me demandez aussi comment je vois ce service maintenant que j'ai été appelé depuis deux ans à être Successeur de Pierre (question numéro six). Je le vois surtout comme une maturation dans le sacerdoce et comme la permanence dans la prière, avec Marie, la Mère du Christ, de la manière dont les Apôtres étaient assidus à la prière, dans le Cénacle de Jérusalem, quand ils ont reçu l'Esprit-Saint.

    En plus de cela, vous trouverez ma réponse à cette question à partir des questions suivantes. Et par-dessus tout celle concernant la réalisation du Concile Vatican II (question quatorze). Vous demandez si elle est possible. Et je vous réponds : non seulement la réalisation du Concile est possible, mais elle est nécessaire. Et cette réponse est avant tout la réponse de la foi. C'est la première réponse que j'ai donnée, au lendemain de mon élection, devant les cardinaux réunis dans la Chapelle Sixtine.

    C'est la réponse que je me suis donnée à moi-même et aux autres, d'abord comme évêque et comme cardinal, et c'est la réponse que je donne continuellement. C'est le problème principal. Je crois qu'à travers le Concile se sont réalisées pour l’Église à notre époque les paroles du Christ par lesquelles il a promis à son Église l' Esprit de vérité, qui conduira les esprits et les cœurs des Apôtres et de leurs successeurs, en leur permettant de demeurer dans la vérité et de guider l’Église dans la vérité, en réalisant à la lumière de cette vérité " les signes des temps ". 

    C'est justement ce que le Concile a fait en fonction des besoins de notre temps, de notre époque. Je crois que, grâce au Concile, l'Esprit-Saint " parle " à l’Église. Je dis cela en reprenant l'expression de saint Jean. Notre devoir est de comprendre de manière ferme et honnête ce que  " dit l'Esprit-Saint ", et de le réaliser, en évitant les déviations  hors de la route que le Concile a tracée à tant points de vue.

    (...)

    14. L’œuvre de l'unité des chrétiens, j'estime qu'elle est une des plus grandes et des plus belle tâches de l’Église pour notre époque.

    Vous voudriez savoir si j'attends cette unité et comment je me la représente ? Je vous répondrai la même chose qu'à propos de la mise en œuvre du Concile. Là aussi je vois un appel particulier de l'Esprit-Saint. Pour ce qui concerne sa réalisation, les diverses étapes de cette réalisation, nous trouvons dans l'enseignement du Concile tous les éléments fondamentaux. Ce sont eux qu'il faut mettre en œuvre, chercher leurs applications concrètes, et surtout prier toujours avec ferveur, avec constance, avec humilité. L'union des chrétiens ne peut se réaliser autrement que par une maturation profonde dans la vérité, et une conversion constante des cœurs. Tout cela, nous devons le faire dans la mesure de nos capacités humaines, en reprenant tous les " processus historiques " qui ont duré des siècles. Mais en définitive, cette union, pour laquelle nous ne devons ménager ni nos efforts ni nos travaux, sera le don du Christ à son Église. Tout comme c'est déjà un de ses dons que nous soyons entrés sur le chemin de l'unité.

    15. En poursuivant la liste de vos question, je vous réponds : j'ai déjà parlé très souvent des devoirs de l’Église dans le domaine de la justice et de la paix (quinzième question), prenant ainsi le relais de l'activité de mes grands prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI. demain en particulier, j'ai l'intention de prendre la parole au siège de l'UNESCO, à Paris.

    Je me réfère à tout cela parce que vous demandez : que pouvons-nous faire pour cette cause, nous les jeunes ? Pouvons-nous faire quelque chose pour empêcher une nouvelle guerre, une catastrophe qui serait incomparable, plus terrible que la précédente ? Je pense que, dans la formulation même de vos questions, vous trouverez la réponse attendue. Lisez ces questions. Méditez-les. Faites-en un programme communautaire, un programme de vie.

    Vous les jeunes, vous avez déjà la possibilité de promouvoir la paix et la justice, là où vous êtes, dans votre monde. Cela comprend déjà des attitudes précises de bienveillance dans le jugement, de vérité sur vous-mêmes et sur les autres, un désir de justice basé sur le respect des autres, de leurs différences, de leurs droits importants : ainsi se prépare pour demain un climat de fraternité lorsque vous aurez de plus grandes responsabilités dans la société. Si l'on veut faire un monde nouveau et fraternel, il faut préparer des hommes nouveaux.

    16. Et maintenant la question sur le Tiers-Monde (question numéro huit). C'est une grande question historique, culturelle, de civilisation. Mais c'est surtout un problème moral. Vous demandez à juste titre quelles doivent être les relations entre notre pays et les pays du Tiers Monde de l'Afrique et de l'Asie. Il y a là, en effet, de grandes obligations de nature morale. Notre monde " occidental " est en même temps " septentrional " (européen ou atlantique). Ses richesses et son progrès doivent beaucoup aux ressources et aux hommes de ces continents.

    Dans la nouvelle situation dans laquelle nous nous trouvons après le Concile, il ne peut pas ne chercher là-bas que les sources d'un enrichissement ultérieur  et de son propre progrès. Il doit consciemment, et en s'organisant pour cela, servir leur développement. Tel est peut-être le problème le plus important en ce qui concerne la justice et la paix dans le monde d'aujourd'hui et de demain. La solution de ce problème dépend de la génération actuelle, et elle dépendra de votre génération et de celles qui suivront. Ici aussi, il s'agit de continuer le témoignage rendu au Christ et à l’Église par plusieurs générations antérieures de missionnaires religieux et laïcs.

    17. La question: comment être aujourd'hui le témoin du Christ ? (numéro 18). C'est la question fondamentale, la continuation de la méditation que nous avons placée au centre de notre dialogue, l'entretien avec un jeune. Le Christ dit : " Suis-moi ". C'est ce qu'il a dit à Simon, le fils de Jonas auquel il a donné le nom de Pierre, à son frère André, aux fils de Zébédée, à Nathanaël. Il dit : " Suis-moi", pour répéter ensuite, après la Résurrection : " Vous serez mes témoins (Ac 1,8) "

    Pour être témoin du Christ, pour lui rendre témoignage, il faut d'abord le suivre. Il faut apprendre à le connaître, il faut se mettre, pour ainsi dire, à son école, pénétrer son mystère. C'est une tâche fondamentale et centrale. Si nous ne le faisons pas, si nous ne sommes pas prêts à le faire constamment et honnêtement, notre témoignage risque de devenir superficiel et extérieur. Il risque de ne plus être un témoignage. Si au contraire nous restons attentifs à cela, le Christ lui-même nous enseignera par son Esprit, ce que nous avons à faire, comment nous comporter, en quoi et comment nous engager, comment conduire le dialogue avec le monde contemporain, ce dialogue que Paul VI a appelé le dialogue du salut.

    18. Si vous me demandez par conséquent : " Que devons-nous faire dans l’Église, surtout nous les jeunes ? ", je vous répondrai : apprendre à connaître le Christ. Constamment. Apprendre le Christ. En Lui se trouvent vraiment les trésors insondables de la sagesse et de la science. En Lui l'homme sur lequel pèsent ses limites, ses vices, sa faiblesse et son péché, devient vraiment " l'homme nouveau ". Il devient l' homme " pour les autres ", il devient aussi la gloire de Dieu, parce que " la gloire de Dieu c'est l'homme vivant " comme l'a dit au deuxième siècle saint Irénée de Lyon, évêque et martyr. 

    L'expérience de deux millénaires nous enseigne que dans cette œuvre fondamentale, la mission de tout le peuple de Dieu, il n'existe aucune différence essentielle entre l'homme et la femme. Chacun dans son genre, selon les caractéristiques spécifiques de la féminité et de la masculinité devient cet " homme nouveau ", c'est-à-dire cet homme " pour les autres ", et comme homme vivant il devient la gloire de Dieu. Si cela est vrai, tout comme il est vrai que l' Église, au sens hiérarchique, est dirigée par les successeurs des Apôtres et donc par les hommes, il est certainement d'autant plus vrai que, au sens charismatique, les femmes la " conduisent " tout autant, et peut-être encore plus. Je vous invite à penser souvent à Marie, la Mère du Christ.

    19. Avant de conclure ce témoignage basé sur vos questions, je voudrais encore remercier très spécialement les nombreux représentants de la jeunesse française qui, avant mon arrivée à Paris, m'ont envoyée des milliers de lettres. Je vous remercie d'avoir manifesté ce lien, cette communion, cette coresponsabilité. Je souhaite que ce lien, cette communion et cette coresponsabilité se poursuivent, s'approfondissent et se développent après notre rencontre de ce soir.

    Je vous demande aussi de renforcer votre union avec les jeunes de l'ensemble de l’Église et du monde, dans l'esprit de cette certitude que le Christ est notre chemin, la vérité et la Vie (cf. Jn 14,6)

    Unissons-nous maintenant dans cette prière que Lui-même nous a enseignée, en chantant le " Notre-Père ", et recevez tous pour vous, pour les garçons et les filles de votre âge, pour vos familles et pour les hommes qui souffrent le plus, la bénédiction de l'évêque de Rome, successeur de saint Pierre.

    Notre Père qui êtes aux cieux...

     

    Le chrétien, dans  cette "méditation" de Jean-Paul II avec la jeunesse, se définit comme un être en dialogue avec le Christ. Le Pape invite à " apprendre à connaître le Christ... constamment " : condition nécessaire pour être un témoin authentique. C'est la pédagogie du Christ qui appelle ses apôtres à venir à sa suite avant d'être envoyés aux Nations,pour annoncer la Bonne Nouvelle du salut.

     

     

     

     

       

     

     

     

  • Jean-Paul II et les jeunes : - au Parc des Princes - juin 1980 (suite)

    Réponses  de Jean-Paul II aux questions des jeunes rassemblés au Parc des Princes - Paris dimanche 1er juin 1980 (suite du post du 28/04)

     

    (...)

    7. Revenons maintenant à notre sujet principal, au dialogue du Christ avec  le jeune homme.

    En réalité, je dirais volontiers que nous sommes restés tout le temps dans son contexte. 

    Le jeune homme demande donc : " Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ?"

    Or vous posez la question : Peut-on être heureux dans le monde d'aujourd'hui ? C'est votre douzième question. 

    En vérité, vous posez la même question que ce jeune ! Le Christ répond - à lui et aussi à vous, à chacun d'entre vous : on le peut. C'est bien en effet ce qu'il répond, même si ses paroles sont celles-ci : " Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements"  (Mt 19,17). Et il répondra encore  plus tard : " Si tu veux être parfait, va, vends, ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et suis-moi"  (Mt 19,21).

    Ces paroles signifient que l'homme ne peut être heureux que dans la mesure où il est capable d'accepter les exigences que lui pose sa propre humanité, sa dignité d'homme. Les exigences que lui pose Dieu.

    8. Ainsi donc, le Christ ne répond pas seulement à la question de savoir si on peut être heureux, mais il dit davantage, il dit comment on peut être heureux, à quelle condition. Cette réponse est tout à fait originale, et elle ne peut pas être dépassée, elle ne peut jamais être périmée. Vous devez bien y réfléchir, et vous l'adapter à vous-mêmes. La réponse du Christ comprend deux parties. Dans la première, il s'agit d'observer les commandements. Ici, je ferai une digression à cause d'une de vos questions sur les principes que l’Église enseigne dans le domaine de la morale sexuelle (c'est votre dix-septième question). 

    Vous exprimez votre préoccupation en voyant qu'ils sont difficiles, et que les jeunes pourraient, précisément pour cette raison, se détourner de l’Église. Je vous répondrai comme suit : si vous pensez à cette question de manière profonde, et si vous allez jusqu'au fond du problème, je vous assure que vous vous rendrez compte d'une seule chose : dans ce domaine, l’Église pose seulement les exigences qui sont étroitement liées à l'amour matrimonial et conjugal vrai, c'est-à-dire responsable

    Elle exige ce que requiert la dignité de la personne et l'ordre social fondamental. Je ne nie pas que ce ne soient des exigences. Mais c'est justement en cela que se trouve le point essentiel du problème, à savoir que l'homme se réalise lui-même seulement dans la mesure où il sait s'imposer des exigences à lui-même. Dans le cas contraire, il s'en va " tout triste ", comme nous venons de le lire dans l’Évangile. La permissivité morale ne rend pas les hommes heureux. La société de consommation ne rend pas les hommes heureux. Elles ne l'ont jamais fait.

    9. Dans le dialogue du Christ avec le jeune, il y a, comme je l'ai dit, deux étapes. Dans la première étape, il s'agit des commandements du Décalogue, c'est-à-dire des exigences fondamentales de toute moralité humaine. Dans la seconde étape, le Christ dit : " Si tu veux être parfait... viens et suis-moi".  (Mt 19,21)

    Ce " viens et suis-moi " est un point central et culminant de tout cet épisode. Ces paroles indiquent qu'on ne peut pas apprendre le christianisme comme une leçon composée de chapitres nombreux et divers mais qu'il faut toujours le lier avec une Personne vivante : avec Jésus-Christ. Jésus-Christ est le guide, il est le modèle. On peut l'imiter de diverses manières et dans des mesures diverses. On peut de diverses manières et dans des mesures diverses faire de Lui la " Règle " de sa propre vie.

    Chacun de nous est comme un " matériau " particulier dont on peut - en suivant le Christ - tirer cette forme concrète, unique et absolument singulière de la vie qu'on peut appeler la vocation chrétienne. Sur ce point, on a dit beaucoup de choses au dernier Concile, en ce qui concerne la vocation des laïcs.

    10. Ceci ne change rien au fait que ce "suis-moi" du Christ, dans le cas précis, est et demeure la vocation sacerdotale ou la vocation à la vie consacrée selon les conseils évangéliques. Je le dis parce que vous avez posé la question - la dixième - sur ma propre vocation sacerdotale. je chercherai à vous répondre brièvement, en suivant la trame de votre question.

    Je dirai donc d'abord : il y a deux ans que je suis Pape, plus de vingt ans que je suis évêque, et cependant, le plus important pour moi demeure toujours le fait d'être prêtre. Le fait de pouvoir chaque jour célébrer l' Eucharistie. De pouvoir renouveler le propre sacrifice du Christ, en rendant en lui toutes choses au Père : le monde, l'humanité et moi-même. C'est en cela, en effet, que consiste une juste dimension de l'Eucharistie. Et c'est pourquoi j'ai toujours vivant dans ma mémoire ce développement intérieur à la suite  duquel j'ai entendu l'appel du Christ au sacerdoce. Ce " viens et suis-moi" particulier.

    En vous confiant ceci, je vous invite à bien prêter l'oreille, chacun et chacune d'entre vous, à ces paroles évangéliques. C'est par là que se formera jusqu'au fond votre humanité, et que se définira la vocation chrétienne de chacun d'entre vous. Et peut-être à votre tour entendrez-vous aussi l'appel au sacerdoce ou à la vie religieuse. La France, jusqu'à il y a peu de temps encore, était riche de ces vocations. Elle a donné entre autres à l’Église tant de missionnaires et tant de religieuses missionnaires ! Certainement, le Christ continue à parler sur les bords de la Seine, et Il adresse toujours le même appel. Écoutez attentivement. Il faudra toujours qu'il y ait dans l' Église ceux qui "ont été choisi parmi les hommes"  (Heb 5,1), ceux que le Christ établit, d'une manière particulière, " pour le bien des hommes " et qu'il envoie aux hommes. 

     

    A suivre...

     

  • Jean-Paul II et les jeunes : 01 - au Parc des Princes - juin 1980

    A l'occasion des canonisations de Jean XXIII et Jean-Paul II, je vous propose un retour sur un événement important qui a marqué la jeunesse catholique française : la rencontre du Pape et des Jeunes au Parc des Princes. Après un mot d'accueil du chaleureux François Marty, alors archevêque de Paris, c'est au tour de Jean-Paul II.  Ce pape venu de l'Est donnait une impression de force. Un athlète de la foi dans un stade français...

    Écoutez plutôt :

     

    Chers Jeunes de France,

    1. Je vous remercie de cette rencontre que vous avez voulu organiser comme une sorte de dialogue. Vous avez voulu parler avec le Pape. Et ceci est très important pour deux raisons.

    La première raison est que cette manière de faire nous renvoie directement au Christ : en lui se déroule continuellement un dialogue : l'entretien de Dieu avec l'homme et de l'homme avec Dieu.

    Le Christ - vous l'avez entendu - est le Verbe, la Parole de Dieu. Il est le Verbe éternel. Ce Verbe de Dieu, comme l'Homme, n'est pas la parole d'un " grand monologue ", mais il est la Parole du " dialogue incessant " qui se déroule dans l'Esprit-Saint. Je sais que cette phrase est difficile à comprendre, mais je la dis quand même, et je vous la laisse pour que vous la méditiez.

    N'avons-nous pas célébré ce matin le mystère de la Sainte Trinité ?

    La deuxième raison est celle-ci : le dialogue répond à ma conviction personnelle que, être le serviteur du Verbe, de la Parole, veut dire " annoncer " au sens de " répondre ". Pour répondre, il  faut connaître les questions. C'est pour cela qu'il est bon que vous les ayez posées; autrement, j'aurais dû les deviner pour pouvoir vous parler, pour vous répondre ! C'est votre question numéro 21.

    Je suis arrivé à cette conviction, non seulement à cause de mon expérience d'autrefois comme professeur, à travers les cours ou les groupes de travail, mais surtout à travers mon expérience de prédicateur ; en faisant l'homélie, et surtout en prêchant des retraites. Et la plupart du temps, c'est à des jeunes que je m'adressais ; ce sont des jeunes que j'aidais à rencontrer le Seigneur, à l'écouter, et aussi à lui répondre.

    2. En m'adressant à vous maintenant, je voudrais le faire de manière à pouvoir répondre, au moins indirectement, à toutes vos questions.

    C'est pour cela que je ne peux pas le faire en les prenant l'une après l'autre. Forcément, mes réponses ne pourraient alors être que schématiques !

    Permettez-moi donc de choisir la question qui me semble la plus importante, la plus centrale, et de partir de celle-là. De cette manière, j'espère que vos autres questions apparaîtront peu à peu.

    Votre question centrale concerne Jésus-Christ. Vous voulez m'entendre parler de Jésus-Christ, et vous me demandez qui est pour moi, Jésus-Christ. C'est votre 13ème question.

    Permettez que je vous retourne aussi la question et que je dise : pour vous, qui est Jésus-Christ ? De cette manière, et sans esquiver la question, je vous donnerai aussi ma réponse en vous disant ce qu'Il est pour moi.

    3. L’Évangile tout entier est le dialogue avec l'homme, avec les diverses générations, avec les nations, avec les diverses traditions...mais il est toujours continuellement un dialogue avec l'homme, avec chaque homme, un, unique, absolument singulier.

    En même temps, on trouve beaucoup de dialogues dans l’Évangile. Parmi ceux-ci, je retiens comme particulièrement éloquent le dialogue du Christ avec le jeune homme.

    Je vais vous lire le texte, parce que vous ne vous le rappelez peut-être pas tous très bien. C'est au chapitre dix-neuvième de l'évangile de Matthieu.

    " Voici qu'un homme s'approcha de Jésus et lui dit :

    - Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ?

    Il lui dit :

    - qu'as-tu à m'interroger sur ce qui est bon ? Nul n'est bon que Dieu seul. Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.

    - Lesquels ? lui dit-il.

    Jésus reprit :

    - Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ".

    - Tout cela, lui dit le jeune homme, je l'ai observé depuis ma jeunesse ; que me manque t-il encore ?

    Jésus lui déclara :

    - Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, et suis-moi.

    Entendant cette parole, le jeune homme s'en alla tout triste, car il avait de grands biens."

     

    Pourquoi le Christ dialogue t-il avec ce jeune homme ? La réponse se trouve dans le récit évangélique. Et vous, vous me demandez pourquoi, partout où je vais, je veux rencontrer les jeunes. C'est même votre première question.

    Et je vous réponds : parce que " le jeune " indique l'homme qui, d'une manière particulière, d'une manière décisive, est en train de se former. Cela ne veut pas dire que l'homme ne se forma pas durant toute sa vie : on dit que l'éducation commence déjà avant la naissance et dure jusqu'au dernier jour. Cependant la jeunesse, du point de vue de la formation, est une période particulièrement importante, riche et décisive. Et si vous réfléchissez au dialogue du Christ avec le jeune homme, vous trouverez la confirmation de ce que je viens de dire. 

    Les questions du jeune homme sont essentielles. Les réponses le sont aussi.

    4. Ces questions et ces réponses ne sont pas seulement essentielles pour le jeune homme en question, importantes pour sa situation d'alors ; elles sont également de première importance et essentielles pour aujourd'hui, c'est votre neuvième question. Je réponds : non seulement "il en est capable ", mais il faut aller bien plus loin : Lui seul donne une réponse totale qui va jusqu'au fond des choses et complètement.

    J'ai dit en commençant que le Christ est le Verbe, la Parole d'un dialogue incessant. Il est le dialogue, le dialogue avec tout homme, bien que certains ne le fassent pas, que tous ne sachent pas comment le conduire - et il y en a aussi qui refusent explicitement ce dialogue. Ils s'éloignent... Et pourtant... peut-être ce dialogue est-il en cours avec eux aussi. Je suis convaincu qu'il en est ainsi.

    Plus d'une fois ce dialogue " se dévoile " d'une manière inattendue et surprenante.

    5. Je retiens aussi votre question de savoir pourquoi, dans les divers pays où je vais, et aussi à Rome, je parle avec les divers chefs d’État, c'est votre question numéro deux.

    Simplement parce que le Christ parle avec tous les hommes, avec tout homme. En outre je pense, n'en doutez-pas,qu'il n'a pas moins de choses à dire aux hommes qui ont de si grandes responsabilités sociales qu'au jeune homme de l’Évangile, et qu'à chacun d'entre vous.

     

    A suivre...

     

  • Homélie - Messe des Quatre Papes

    Homélie du pape François - Messe du dimanche de la Miséricorde au cours de laquelle ont été canonisés les Papes Jean XXIII et Jean-Paul II - Rome, dimanche 27 avril 2014

     

    Au centre de ce dimanche qui conclut l'octave de Pâques, et que Jean-Paul II a voulu dédier à la divine Miséricorde, il y a les plaies glorieuses de Jésus ressuscité.

    Il les montre dès la première fois qu'il apparaît aux Apôtres, le soir même du jour qui suit le sabbat, le jour de la Résurrection. Mais ce soir-là Thomas n'est pas là ; et quand les autres lui disent qu'ils ont vu le Seigneur, il répond que s'il ne voyait pas et ne touchait pas les blessures, il ne croirait pas. Huit jours après, Jésus apparut de nouveau au Cénacle, parmi les disciples, et Thomas aussi était là ; il s'adresse à lui et l'invite à toucher ses plaies. Et alors cet homme sincère, cet homme habitué à vérifier en personne, s'agenouille devant Jésus et lui dit : " Mon Seigneur et mon Dieu ". ( Jn 20,28)  

    Les plaies de Jésus sont un scandale pour la foi, mais elles sont aussi la vérification de la foi. C'est pourquoi dans le Corps du Christ ressuscité les plaies ne disparaissent pas, elles demeurent, parce qu'elles sont le signe permanent de l'amour de Dieu pour nous, et elles sont indispensables pour croire en Dieu. Non pour croire que dieu existe, mais pour croire que Dieu est amour, miséricorde, fidélité. Saint Pierre, reprenant Isaïe, écrit aux chrétiens : " Par ses plaies vous avez été guéris " ( 1 P 2,24 et cf. Is 53,5)

    Jean XXIII et Jean-Paul II ont eu le courage de regarder les plaies de Jésus, de toucher ses mains blessées et son côté transpercé. Ils n'ont pas eu honte de la chair du Christ, ils ne se sont pas scandalisés de lui, de sa croix ; ils n'ont pas eu honte de la chair du frère (cf Is 58,7), parce qu'en toute personne souffrante ils voyaient Jésus. Ils ont été deux hommes courageux, remplis de la liberté et du courage (parresia) du Saint-Esprit, et ils ont rendu témoignage à l’Église et au monde de la bonté de Dieu, de sa miséricorde.

    Ils ont été des prêtres, des évêques, des papes du XXème siècle. Ils en ont connu les tragédies, mais n'en ont pas été écrasés. En eux, Dieu était plus fort ; plus forte était la foi en Jésus-Christ rédempteur de l'homme et Seigneur de l'Histoire ; plus forte était en eux la miséricorde de Dieu manifestée par les cinq plaies ; plus forte était la proximité maternelle de Marie.

    En ces deux hommes, contemplatifs des plaies du Christ et témoins de sa miséricorde, demeurait une " vivante espérance ", avec une " joie indicible et glorieuse " (1P 3,8). L'espérance et la joie que le  Christ ressuscité donne à ses disciples et dont rien ni personne ne peut les priver. L'espérance et la joie pascales, passées à travers le creuset du dépouillement, du fait de se vider de tout, de la proximité avec les pécheurs jusqu'à l'extrême, jusqu'à l’écœurement pour l'amertume de ce calice. Ce sont l'espérance et la joie que les deux saints papes ont reçues en don du Seigneur ressuscité, qui à leur tour les ont données au peuple de Dieu, recevant en retour une éternelle reconnaissance.

    Cette espérance et cette joie se respiraient dans la première communauté des croyants, à Jérusalem, dont nous parlent les Actes des Apôtres (cf. 2,42-47). c'est une communauté dans laquelle se vit l'essentiel de l’Évangile, c'est-à-dire l'amour, la miséricorde, dans la simplicité et la fraternité. 

    C'est l'image de l’Église que le Concile Vatican II a eu devant lui. Jean XXIII et Jean-Paul II ont  collaboré avec le Saint-Esprit pour restaurer et actualiser l’Église selon sa physionomie d'origine, la physionomie que lui ont donnée les saints au cours des siècles. N'oublions pas que ce sont  justement les saints qui vont de l'avant et font grandir l’Église. Dans la convocation du Concile, Jean XXIII a montré une délicate docilité à l'Esprit-Saint, il s'est laissé conduire et a été pour l’Église un pasteur, un guide guidé. Cela a été le grand service qu'il a rendu à l’Église ; il a été le Pape de la docilité à l'Esprit.

    Dans ce service du Peuple de Dieu, Jean-Paul II a été le Pape de la famille. Lui-même a dit un jour qu'il aurait voulu qu'on se souvienne de lui comme du Pape de la famille. cela me plaît de le souligner alors que nous vivons un chemin synodal sur la famille et avec les familles, un chemin que, du Ciel, certainement il accompagne et soutient.

    Que ces deux nouveaux saints pasteurs du peuple de Dieu intercèdent pour l’Église, afin que, durant ces deux années de chemin synodal, elle soit docile au Saint-Esprit dans son service pastoral de la famille. Qu'ils nous apprennent à ne pas nous scandaliser des plaies du christ, et à entrer dans le mystère de la miséricorde divine qui toujours espère, toujours pardonne, parce qu'elle aime toujours. 

     

     

  • Jean-Paul II et Thérèse : les saints ne vieillissent jamais

    A l'occasion de la canonisation de Jean-Paul II, j'ai choisi de retranscrire cette homélie de Jean-Paul II donnée à Lisieux le lundi 2 juin 1980 à l'occasion de son voyage apostolique en France du 30 mai au 2 juin 1980.

     

    1. Je suis heureux qu'il me soit donné de venir à Lisieux à l'occasion de ma visite dans la capitale de la France. Je suis ici en pèlerinage avec vous tous, chers Frères et sœurs, qui êtes venus vous aussi de bien des régions de France, auprès de celle que nous aimons tant, la " petite Thérèse ", dont la voie vers la sainteté est étroitement liée au Carmel de Lisieux. Si les personnes versées dans l'ascèse et la mystique, et ceux qui aiment les saints, ont pris l'habitude d'appeler cette voie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus " la petite voie ", il est tout à fait hors de doute que l'Esprit de Dieu, qui l'a guidée sur cette voie, la fait avec la même générosité que celle par laquelle il a guidé autrefois sa Patronne la " grande Thérèse " d'Avila, et par laquelle il a guidé - et continue de guider - tant d'autres saints dans son Église. Gloire Lui soit donc rendue éternellement.

    L’Église se réjouit de cette merveilleuse richesse des dons spirituels, si splendides et si variés, comme le sont toutes les œuvres de Dieu dans l'univers visible et invisible. Chacun d'eux reflète à la fois le mystère intérieur de l'homme, et il correspond aux besoins des temps dans l'histoire de l’Église et de l'humanité. Il faut le dire de sainte Thérèse de Lisieux qui, jusqu'à une époque récente, fut en effet notre sainte " contemporaine ". C'est ainsi que je la vois personnellement, dans le cadre de ma vie. Mais est-elle toujours la sainte " contemporaine " ? N'a-t-elle pas cessé de l'être pour la génération qui arrive actuellement à maturité dans l’Église ? Il faudrait le demander aux hommes de cette génération. Qu'il me soit toutefois permis de noter que les saints ne vieillissent pratiquement jamais, qu'ils ne tombent jamais dans la " prescription ". Ils restent continuellement les témoins de la jeunesse de l’Église. Ils ne deviennent jamais des personnages du passé, des hommes et des femmes d'hier. Au contraire : ils sont toujours les hommes et les femmes du " lendemain ", les hommes de l'avenir évangélique de l'homme et de l’Église, les témoins " du monde futur ".

    2. " En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! " (Rom 8, 14-15)

    Il serait peut-être difficile de trouver paroles plus synthétiques, et en même temps  plus saisissantes, pour caractériser le charisme particulier de Thérèse Martin, c'est-à-dire ce qui constitue le don tout à fait spécial de son cœur, et qui est devenu, par son cœur, un don particulier pour l’Église. Le don merveilleux dans sa simplicité, universel et en même temps unique. De Thérèse de Lisieux, on peut dire avec conviction que l'Esprit de Dieu a permis à son cœur de révéler directement, aux hommes de notre temps, le mystère fondamental, la réalité de l’Évangile : le fait d'avoir reçu réellement " un esprit de fils adoptif qui nous fait  nous écrier : Abba ! Père ! ". La " petite voie " est la voie de la " sainte enfance ".  Dans cette voie, il y a quelque chose d'unique, un génie de sainte Thérèse de Lisieux. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci : Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants ?

    Cette vérité la plus universelle qui soit, cette réalité, a été également " relue " de nouveau avec la foi, l’espérance et l'amour de Thérèse de Lisieux. Elle a été en un certain sens redécouverte avec l'expérience  intérieure de son cœur et la forme prise par toute sa vie, seulement vingt-quatre années de sa vie. Lorsqu'elle mourut ici, au Carmel, victime  de la tuberculose dont elle portait depuis longtemps les bacilles, c'était presque un enfant. Elle a laissé le souvenir de l'enfant : de la sainte enfance. Et toute sa spiritualité a confirmé encore  une fois la vérité de ces paroles de l'Apôtre : " Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte  ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs..." Oui, Thérèse fut l'enfant. Elle fut l'enfant " confiant " jusqu'à l'héroïsme, et par conséquent " libre " jusqu'à l' héroïsme ". Mais c'est justement parce que ce fut jusqu'à l'héroïsme, qu'elle seule connut la saveur intérieure et aussi le prix intérieur de cette confiance qui empêche de " retomber dans la crainte " ; de cette confiance qui, jusque dans les obscurités et les souffrances les plus profondes de l'âme, permet de s'écrier : " Abba ! Père !"

    Oui, elle a connu cette saveur et ce prix. Pour qui lit attentivement son Histoire d'une âme, il est évident que cette saveur de la confiance filiale provient, comme le parfum des roses, de la tige  qui porte aussi des épines. Si en effet " nous sommes enfants, nous sommes donc héritiers ; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui  pour être aussi glorifiés avec Lui "  (Rom 8,17). C'est pour cela précisément, que la confiance filiale de la petite Thérèse, sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus mais aussi " de la Sainte-Face", est si "héroïque ", parce qu'elle provient de la fervente communion aux souffrances du Christ

    Et quand je vois devant moi tous ces malades et infirmes, je pense qu'ils sont associés eux aussi , comme Thérèse de Lisieux, à la passion du Christ, et que, grâce à leur foi en l'amour de Dieu, grâce à leur propre amour, leur offrande spirituelle obtient mystérieusement pour l’Église, pour tous les autres membres du Corps mystiques du Christ, un surcroît de vigueur. Qu'ils n'oublient jamais cette belle phrase de sainte Thérèse : " Dans le cœur de l’Église ma Mère je serai l'amour ". Je prie Dieu de donner à chacun de ses amis souffrants, que j'aime avec une affection toute spéciale, le réconfort et l'espérance.

    3. Avoir confiance en Dieu comme Thérèse de Lisieux veut dire suivre la " petite voie " où nous guide l'Esprit de Dieu : il guide toujours vers la grandeur à laquelle participent les fils et les filles de l'adoption divine. Déjà comme enfant, comme enfant de douze ans, le Fils de Dieu a déclaré que sa vocation était de s'occuper des affaires de son Père (cf. Lc 2,49). Être enfant, devenir comme un enfant, veut dire entrer au centre même de la plus grande mission à laquelle l'homme ait été appelé par le Christ, une mission qui traverse le cœur même de l'homme.  Elle le savait parfaitement, Thérèse.

    Cette mission tire son origine de l'amour éternel du Père. Le Fils de Dieu comme homme, d'une manière visible et " historique", et l'Esprit Saint, de façon invisible et " charismatique", l'accomplissent dans l'histoire de l'humanité.

    Lorsque, au moment de quitter le monde, le Christ dit aux Apôtres : " Allez dans le monde entier, et enseignez l’Évangile à toute créature "  (Mc 16,15), il les insère, par la force de son mystère pascal, dans le grand courant de la Mission éternelle. A partir du moment où il les a laissés pour aller vers le Père, il commence en même temps à venir " de nouveau  dans la puissance de l'Esprit Saint " que le Père envoie en son nom. Plus profondément que toutes les vérités sur l’Église, cette vérité a été mise en relief dans la conscience de notre génération par le Concile Vatican II. Grâce à cela,  nous avons tous beaucoup mieux compris que l’Église est constamment " en état de mission ", ce que veut dire le fait que toute l’Église est missionnaire. Et nous avons également mieux compris ce mystère particulier du cœur de la petite Thérèse de Lisieux, laquelle, à travers sa " petite voie ", a été appelée à participer aussi pleinement et aussi fructueusement à la mission la plus élevée. C'est justement cette  " petitesse" qu'elle aimait tant, la petitesse de l'enfant, qui lui a ouvert largement toute la grandeur de la Mission divine du salut, qui est la mission incessante de l’Église. 

    Ici dans son Carmel, dans la clôture du couvent de Lisieux, Thérèse s'est sentie spécialement unie à toutes les missions et aux missionnaires de l’Église dans le monde entier. Elle s'est sentie elle-même missionnaire, présente par la force et la grâce particulières de l'Esprit d'amour à tous les postes missionnaires, proche de tous les missionnaires, hommes et femmes, dans le monde. Elle a été proclamée par l’Église la patronne des missions, comme saint François-Xavier, qui voyagea inlassablement en Extrême-Orient : oui, la petite Thérèse de Lisieux, enfermée dans la clôture carmélitaine, apparemment détachée du monde. (...)

    4. " Le beau existe afin qu'il nous enchante pour le travail ", a écrit Cyprian Norwid, l'un des plus grands poètes et penseurs qu'ait donné la terre polonaise, et qu'a reçu - et conservé au cimetière de Montmorency - le terre française...

    Rendons grâces au Père, au Fils et au Saint-Esprit pour les saints. Rendons grâces pour sainte Thérèse de Lisieux. Rendons grâces pour la beauté profonde, simple et pure, qui s'est manifestée en elle à l’Église et au monde. Cette beauté enchante. Et Thérèse de Lisieux a un don particulier pour enchanter par la beauté de son âme. Même si nous savons tous que cette beauté fut difficile et qu'elle a grandi dans la souffrance, elle ne cesse de réjouir de son charme particulier les yeux de nos âmes.

    Elle enchante, donc, cette beauté, cette fleur de la sainteté qui a grandi sur ce sol ; et son charme ne cesse de stimuler nos cœurs à travailler : " Le beau existe afin qu'il nous enchante pour le travail ". Pour le travail le plus important, dans lequel l'homme apprend à fond le mystère de son humanité. Il découvre en lui-même ce que signifie avoir reçu " un esprit de fils adoptif ", radicalement différent d'un esprit d'esclave, et il commence à s'écrier de tout son être : " Abba ! Père !" (Rom 8,15)

    Par les fruits de ce magnifique travail intérieur se construit l’Église, le Règne de Dieu sur la terre, dans sa substance la plus profonde et la plus fondamentale. Et le cri " Abba ! Père ! " qui résonne largement dans tous les continents de notre planète, revient aussi par son écho dans la clôture carmélitaine silencieuse, à Lisieux, vivifiant toujours de nouveau le souvenir de la petite Thérèse, laquelle, par sa vie brève et cachée mais si riche, a prononcé avec une force particulière : " Abba ! Père ! ". Grâce à elle, l’Église entière a retrouvé toute la simplicité et toute la fraîcheur de ce cri, qui a son origine et sa source dans le cœur du Christ lui-même.

     

               

  • L'amour sans limites

    Textes tirés du livre " Amour sans limites " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1971

     

    16

    Mon enfant, tu as vu le Buisson qui brûle sans se consumer. Tu as reconnu l'Amour qui est un feu dévorant et qui te veut tout entier. La " grande vision " du Buisson Ardent peut t'aider à me donner un nom en quelque sorte nouveau ; il n'abolit pas celui ou ceux dont tu t'es surtout servi jusqu'à présent, et, pourtant comme un éclair dans la nuit, il peut, de sa vive lumière, renouveler tout le paysage.

    Souvent tu m'as appelé d'un nom qui n'était pas le mien. Ou, plutôt, ce nom éternel était bien le mien, mais il n'exprimait pas avec clarté ce que la vie divine manifeste de plus intense, ni il ne traduisait ce que j'aurais voulu te révéler de moi-même au moment de ta prière, - cet aspect particulier de mon être sous lequel tu aurais alors dû t'adresser à moi.

    Vous m'appelez Dieu. Ce nom traditionnel a été adoré et béni par des âmes innombrables.

    17 A ces âmes il a donné, il ne cesse de donner émotion et force. Insensé est celui qui voudrait le déprécier. Impie celui qui voudrait l'éliminer. Adore-moi comme ton Dieu. Vénère ce nom qui me désigne.

    Tu ne manqueras pas à cette vénération en observant que, pour ce qui est du langage, ce même nom n'a pas de contenu évidemment certain. Il manque de précision. Celles qu'on lui a données plus tard n'étaient pas nécessairement liées au mot. Mot si vaste, susceptible d'une extension telle qu'il peut parfois, et par suite de l'humaine faiblesse, sembler en quelque sorte vide...

    Et puis un usage mécanique, routinier, a souvent été fait de mon nom. Beaucoup ont gardé la formule. Ils ne savent plus lui donner un sens.

    Vous dites : Dieu, mon Dieu, Toi qui es Dieu, Seigneur Dieu. Et, à la source ancienne, dans le vocable consacré, vous pouvez assurément puiser des forces nouvelles. Mais, à essayer de particulariser mon nom selon l'instant ou le besoin présent, vous pourriez trouver un stimulant réel. 

    Vous pourriez alors vous tourner vers celui de mes aspects que la circonstance donnée vous révèle. 18 Vous me diriez alors, selon les cas : Toi qui es Beauté, ou : Toi qui es Vérité, ou : Toi qui es ma Pureté, ou : Toi qui est ma Lumière, ou : Toi qui es ma Force. Vous pourriez dire : Toi qui es Amour.

    Cette dernière expression rapprocherait plus étroitement de mon Cœur votre langage. Vous pourriez me dire : Seigneur Amour. Ou, plus simplement encore : Amour.

    Et c'est ici que je placerai devant votre réflexion, devant votre piété, un terme qui pourrait, si vous le vouliez, devenir le soleil, le soleil sans soir, de votre vie. Mes bien-aimés, je suis l'Amour sans limites.

    Amour sans limites... Je suis au-delà, au-dessus de tous les noms. Mais justement le qualificatif "sans limites " exprime que ma Personne et mon Amour échappent à toutes les catégories auxquelles est habituée la pensée humaine. Je suis l'Amour suprême, l'Amour universel, l'Amour absolu, l'Amour infini.

    Si, en ce moment, j'insiste plutôt sur les mots " sans limites ", c'est pour évoquer à votre esprit  l'image visuelle des barrières renversées. C'est pour faire lever devant vous la perception d'un " illimité ", d'un Amour qui, comme un vent violent, comme un ouragan, vient briser 19 tous les obstacles. Je suis l'Amour que rien ne peut arrêter, que rien ne peut contenir, que rien ne peut retenir.

    L'ennemi à vaincre n'est pas la mort. C'est la négation que l'homme peut opposer à mon Amour. Mais rien ne peut détruire ou diminuer l'intention et l'action d'amour du Dieu fort. 

    Mes aimés, je ne vous apprends ici rien de nouveau. Je ne vous apporte pas une définition ou une doctrine. Je ne fais que redire ce qui a été dit dès le commencement. J'indique une vois d'accès. Mais toutes les voies sont bonnes qui mènent jusqu'à moi.

  • Cette grande vision

    Textes tirés du livre " Amour sans limites " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1971

     

    13

    Le feu jaillit du buisson qui brûle, sans que pourtant la flamme anéantisse le buisson. 

    Approche-toi du Buisson Ardent, mon enfant, et considère la grande vision et pourquoi le buisson brûle et n'est point consumé.

    Le feu qui brûle le buisson sans le consumer est un feu qui ne se nourrit d'aucun apport étranger. Par lui-même il subsiste. Et de lui-même il se propage, à l'infini.

    Ce feu ne détruit pas le bois du buisson. Il purifie le bois. Il fait disparaître ce qui, dans le buisson, est seulement ronce ou épine. Mais il ne déforme pas. Il respecte les structures originelles, lors même que s'évanouissent les excroissances. Il renouvelle sans tuer. Il rend feu le bois lui-même, et ce feu dure.

    Sans doute, selon l'interprétation la plus simple, la plus élémentaire, tu peux voir dans le Buisson Ardent l'expression d'une protection 14 divine qui, à travers toutes les brûlures et toutes les douleurs, maintient l'existence. Tu peux y voir, mon enfant, l'affirmation d'une Pitié suprême, d'une Miséricorde préservatrice. Tu peux y voir aussi le signe d'une Purification divine douloureuse, mais qui libère.

    Le Buisson Ardent a cependant un sens plus profond. Il apporte une Révélation relative à ton Dieu, à ton Seigneur lui-même.

    Le Buisson Ardent est une expression de la nature divine. Dans la flamme du buisson, tu peux entrevoir ce que je suis. Ton Seigneur, le Seigneur Amour, n'est-il pas un feu dévorant ?

    Comme la flamme du Buisson, je suis l'Amour qui se donne sans jamais s'épuiser. Je suis la générosité qui ne connaît aucune mesure. On ne peut dire à mon Amour : jusque-là et non plus loin.

    Je suis l'Amour qui toujours tend à incorporer et assimiler tous les éléments humains qu'il rencontre (et à l'origine desquels il est). Pas plus que le feu ne détruit le bois du buisson, je ne détruis les hommes que j'ai créés. Je veux seulement faire disparaître ce qui, dans un homme, contredit l'essence de l'Amour.

    Je prends et je fais mien. Je transforme et je transfigure. Je vivifie. Je transpose sur un autre plan, sur un plan plus haut.

    15 Celui qui aime s'unit à ceux qu'il aime. Je m'unis à vous, mes bien-aimés. Et cependant il ne peut y avoir de confusion entre moi, qui suis l'Amour, et vous, qui avez l'Amour.

    Oh, vois-tu maintenant la grande vision ? Vois-tu la flamme que personne n'allume, mais qui jaillit de mon Cœur même, la flamme qui est moi ? Vois-tu l'incendie divin s'étendre sur le monde ? L'univers entier est le Buisson Ardent.

     

  • Une création nouvelle

    Textes tirés du livre " Amour sans limites " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1971

     

    12

    Mon enfant, n'attends pas une Révélation nouvelle. Je ne te parlerai que des choses qui vous ont été dites dès le commencement.

    Ce qui pourrait être nouveau, ce serait une attention spéciale donnée à certains aspects de la vérité éternelle.

    Le temps viendra où l'approfondissement de l'Amour fera un appel irrésistible à la piété de beaucoup d'hommes.

    Ils découvriront l'Amour, le Seigneur-Amour, l'Amour universel et sans limites. Ce ne sera pas un message nouveau, une autre Révélation. Mais ceux qui s'ouvriront à cette vision en y mettant tout leur cœur m'aideront à former les cieux nouveaux et la terre nouvelle auxquels je ne cesse de travailler. 

    Et ainsi la découverte de l'Amour, la réception en nous de l'Amour infini sera une création nouvelle. L'Amour veut, à chaque instant, créer parmi vous plus d'amour.