Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Traversées christiques - Page 17

  • Année A - 18e dimanche du temps ordinaire

     Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche 

    Isaïe 55, 1-3  / Romains 8, 35-39

    Évangile selon st Matthieu chapitre 14 versets 13 à 21

    Texte tiré de (ci-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    "Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l'écart. Les foules l'apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de pitié."

    Cette douce pitié est merveilleuse dans l'évangile. Elle n'est pas, comme trop d'hommes l'imaginent, une pitié qui se déverse sur l'autre en raison de sa supériorité. Cette pitié, au contraire, nous met sur le même plan, elle nous met au cœur de l'amour de Dieu et nous l'offre. La pitié de Dieu n'est pas une condescendance qui nous détruirait, qui nous empêcherait d'être nous-mêmes, ou qui nous empêcherait  de devenir ce que nous devons devenir. La pitié de Dieu au cœur de notre vie est l'appel de Dieu donnant tout ce qu'il est, tout ce qu'il a et voulant toujours se donner davantage, toujours plus gratuitement. La pitié de Dieu n'a pas une note d'apitoiement . C'est un amour qui va jusqu'au bout un amour qui veut partager la misère et la détresse pour mieux nous en faire sortir. C'est bien dans cette perspective qu'a lieu la multiplication des pains. 

    "Tous mangèrent à satiété." La scène est une préfiguration de l'institution de l'Eucharistie. Matthieu emploie les termes que Jésus emploiera et note les gestes que Jésus fera. Les disciples ne comprennent pas ce que Jésus veut faire. Ils lui disent : " Nous n'avons là que cinq pains et deux poissons". Jésus dit : "Apportez-les moi ici." Puis, ordonnant à la foule de s'asseoir sur l'herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction : il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule". Jésus fait preuve ici d'une pitié pleine d'amour qui veut se jeter aux pieds de ses frères et les sauver. 

    Cette pitié veut donner la vie de Dieu gratuitement. Vous avez entendu Isaïe nous dire : " Même si vous n'avez pas d'argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer". Dieu donne son amour gratuitement, il se révèle gratuitement et il ne demande qu'à se révéler à nous tout entier. "Prêtez l'oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez". Le Seigneur nous rassasie de cette nourriture qu'il est lui-même. " Je ferai avec vous une alliance perpétuelle, qui confirmera ma bienveillance envers David." Cette alliance nous nourrit jusqu'au plus profond de nous-mêmes, comble nos besoins et nous appelle à entrer toujours plus dans le mystère de Dieu. Jésus a soif, soif de notre soif, soif que nous soyons ouverts à la réalité du mystère qu'il annonce. En effet, ce mystère de la multiplication des pains est le mystère de la croix et de la résurrection. Il vient  se donner pour toujours, se donner pour nourrir le monde, se donner pour nous ouvrir à son amour et qu'ainsi nous vivions de son propre amour. 

    C'est une joie ineffable qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, une joie qui est capable de triompher de tout comme Paul nous le crie : " Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? La détresse ? l'angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le supplice ? Non, car en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. j'en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l'avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur."

    Aujourd'hui, l’Église nous appelle à nous nourrir de la Parole du Seigneur qui transforme, de cette Parole que le Seigneur nous donne, jour après jour, et qui est vraie nourriture. Nous allons recevoir l'Eucharistie dont la multiplication des pains n'est qu'une figure. Celle-ci se transforme en don véritable dont nous avons à vivre et dont nous avons à être les témoins. Le Seigneur nous demande d'aimer comme il a aimé, d'avoir pitié de nous-mêmes et d'avoir pitié de nos frères, dans une compréhension infinie, dans une compréhension qui nous fait nous mettre à genoux aux pieds de nos frères, comme le Christ s'est mis aux pieds de ses disciples : " Jésus, sachant que son heure  était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde les aima jusqu'à la fin. Au cours d'un repas... Jésus se lève de table, dépose ses vêtements et, prenant un linge, il s'en ceignit...il commença à laver les pieds de ses disciples " (Jn 13,1-5). Le lavement des pieds évoque l'Eucharistie dont nous vivons.

    Demandons au Seigneur de découvrir que nous recevons l'Esprit Saint dans l'Eucharistie. Car l'Esprit Saint nous transforme et fait que nous avons en nous la certitude de la victoire finale. Nous croyons que l'amour de Dieu triomphera de tout, il n'y a rien de comparable à cela. C'est la révélation de l'amour de Dieu : l’Évangile n'est que cela. L'amour qui s'abaisse jusqu'à l'extrême et se met à la dernière place, peut tout. Il peut nous demander de le suivre sur ce chemin pour l'aimer véritablement et aimer de cet amour même nos frères.

    Demandons au Seigneur d'être enveloppés par son amour et de dire un oui profond à l'amour de Dieu qui triomphe de tout, même de ce qui le contredit apparemment. Le Seigneur est l'amour, il fait de nous des grands vainqueurs dans le Christ. Notre victoire c'est notre foi nous est-il dit dans la première épître de St Jean. C'est aussi ce que nous dit aujourd'hui St Paul : nous sommes les grands vainqueurs dans le Christ. Amen !

     

  • Commentaire du Notre Père (3)

    Extrait du livre : "Toi, notre Père" P. Thomas DEHAU (1870-1956) - Ed Saint Paul 1992

     

    21

    Que ton règne vienne

     

    Nous avons vu que la première chose à désirer et à demander est la sanctification du Nom de Dieu ; le ciel, disions-nous, n'est pas autre chose qu'un immense  instrument vivant de la louange divine. Nous avons essayé d'écouter cette musique qui berce pour ainsi dire au sein de l'éternité la vie de la Trinité bienheureuse, puis nous avons écouté le cri qui domine sur notre pauvre terre : le blasphème. Toute la question est de chercher l'une de ces quelques âmes, de ces quelques paillettes d'or, qui quêtent des louanges pour Dieu, car Dieu a besoin de louanges.  Dieu est esprit, il a besoin d'être adoré en esprit et en vérité.

    Dieu est esprit, sans doute, mais il s'est fait homme. Il lui a plu d'ouvrir les trésors de sa miséricorde. Après le mystère du Nom trois fois saint, voilà 22 le mystère de l'Incarnation, voilà Dieu se faisant chair pour venir habiter parmi nous. Or, Dieu ne vient pas pour être inactif: il vient pour régner. Le Royaume de Dieu vient à nous. Le désir qui doit brûler le cœur des chrétiens  est celui-ci : " Père, que votre règne arrive." Voilà deux mille ans depuis l'Incarnation, et tout est toujours à refaire; c'est notre prière suivie de notre action qui doit ressaisir ce Royaume de Dieu qui, à chaque instant, menace ruine. Nous sommes ici dans la bataille.

    Il faut que Jésus règne ; c'est une vérité de bons sens. Si Dieu est venu en ce monde, s'il reste dans ce monde, il faut qu'il y soit Roi ; il faut qu'il règne même dans cette chair, qu'il a prise par amour pour nous en cette merveilleuse Humanité ornée par l'Esprit de Dieu de toutes les splendeurs humaines possibles : les splendeurs de l'intelligence, de la volonté, de la beauté, toutes les perfections humaines se trouvent en leur plénitude  dans le Christ Jésus. Il est du plus élémentaire bon sens, et de toute justice, de mettre à notre tête celui qui est infiniment au-dessus de nous par les dons de la nature  et de la grâce. Celui qui est incomparablement au-dessus des autres doit de toute évidence les dominer. Jésus, étant Dieu, et étant cet homme que nous venons de dire, doit régner.

    23 En face de cette volonté profonde des choses, se dresse une autre volonté, une autre clameur, celle que Jésus dénonçait dans la parabole rapportée par saint Luc : " Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous".  (Lc 19,14) Et quand les Juifs, devant Pilate leur présentant Jésus et proclamant sa royauté , protesteront : "Nous n'avons d'autre roi que César" (Jn 19,15), ils ne feront que répéter la même affirmation. Voilà la réponse, non seulement des Juifs, mais par eux, de l'humanité tout entière. C'est la volonté libre  de l'homme se dressant contre la volonté des choses, et écartant la royauté de Jésus. Notre volonté, même à nous autres chrétiens, n'est pas complètement conquise. Il y a, dans les recoins de notre volonté, dans nos passions, dans notre amour-propre, une infinité de voix plus ou moins distinctes qui répètent : nous ne voulons pas qu'Il règne sur nous. 

    Nous ne voulons pas de "celui-ci ", tel qu'il est. Ah ! s'il consentait à écarter un peu sa Croix, à ne pas étaler comme il le fait le mystère de sa douleur, enfin, à être un peu autrement, nous l'admettrions. Les Juifs auraient acclamé le Messie annoncé par les Prophètes  s'il s'était présenté à eux dans sa gloire et sa puissance. Mais tout en Jésus allait contre cette idée qu'ils se faisaient du Sauveur d'Israël.

    24 Ne nous faisons pas d'illusions, il en est de même pour nous. Nous voudrions bien écarter tel ou tel détail de Jésus par rapport à nous. Tel qu'il est, nous n'en voulons pas ; nous en avons peur, parce que nous savons que son règne c'est la sainteté, c'est la pureté absolue, c'est l'humilité. A nous de l'accepter tel qu'il est, il n'y a pas à la changer ; c'est tout ou rien.

    Voilà donc le conflit profond qui explique tous les autres : cette sorte de heurt  entre la volonté de choses qui impose la royauté de Jésus, et la volonté des hommes qui la refuse. Qu'est-ce qui va sortir de ce conflit ? C'est l' Ecce homo, " voici votre Roi ", couronné, et couronné d'épines par nos propres  mains. Tel est le mystère qu'il faut chercher à bien pénétrer. Toute volonté humaine coopère à la royauté de ce Roi couronné d'épines. C'est la seule couronne qui lui convienne. Vous savez que, lorsque les Juifs le poursuivaient pour lui en proposer une autre, il se cachait et allait passer ses nuits dans la solitude de l'oraison. La couronne d'épines était la seule  qui lui permit de se présenter à nous tel que Dieu le voulait. 

    Le rôle des volontés mauvaises est de continuer à tresser des épines sur le front de Notre-Seigneur ; c'est de renouveler sans cesse ce côté douloureux de la royauté divine afin que, pour ce nouvel Adam, 25 s'accomplisse la parole de malédiction : cette misérable terre lui germera sans cesse des épines (cf. Gn 3,18). Voilà ce que fait  toute volonté qui ne veut pas que Jésus  règne sur elle. Elle écarte la couronne d'or et met à sa place la couronne d'épines ; et puisque cette royauté du Fils de Dieu doit être douloureuse, les volontés mauvaises ne font que promouvoir à leur façon la royauté du Christ.

    Pour nous, dans la mesure où nous voulons bien nous soumettre à la royauté du Christ, nous disons : " Que votre règne arrive en moi et par moi ; que je sois le sujet de ce règne, et l'instrument de ce règne."

    D'abord : " Que votre règne arrive en moi". Je sais ce que me coûtera l'établissement de ce royaume. Si je veux que le sceptre de mon amour-propre passe entre vos mains divines, je sais qu'il me faudra capituler ; je sais qu'entre la royauté de mon amour-propre et la vôtre, ô Jésus, il n'y a aucun pacte possible; il faut que la Croix vous suive jusqu'au bout. J'abdique entre vos mains, Seigneur, et je recueille  les paroles jaillissant de votre Cœur meurtri, ces paroles qui transformeront ma vie. Ne nous y trompons pas, voilà le sens que doit avoir cette demande.

    26 Il est une ambition pour nous, chrétiens, plus sublime encore que de voir arriver le règne de Dieu en nous, c'est de le voir arriver par nous, de hâter en quelque sorte l'avènement de ce règne. Être l'instrument du règne de Dieu, c'est régner soi-même , c'est la seule vraie façon de régner sur cette pauvre terre. Dans la mesure où vous vous ferez esclaves  de cette royauté divine, dans cette mesure-là vous serez des rois vous-mêmes. Je suis le fils de Celle qui a dit : " Je suis la servante du Seigneur " et n'a plus été qu'un fiat vivant. Il faut laisser l'action de Dieu s'emparer de nous. Voyez l'instrument de l'artiste; il n'est plus rien entre ses mains ; c'est l'âme même de l'artiste qui peut alors chanter par lui. Il s'agit de renoncer à nous, mais pour  qu'une vie infiniment plus vivante, pour qu'une activité  infiniment plus active passe par nous. Dans la vie des saints, à chaque page un nouveau fait nous montre qu'ils ne s'appartiennent plus ; ils ont laissé venir à eux la toute-puissance-divine qui les manie, s'empare d'eux et agit par eux. La seule ambition à notre taille, à nous chrétiens, c'est que le royaume de Dieu arrive en nous et arrive par nous. 

    "Dans cette humanité divisé en deux camps - le camp du bien et le camp du mal - je veux porter votre étendard, Seigneur ! " Mais il faut savoir où nous nous engageons  : si nous voulons être les premiers, il s'agit d'être les derniers; si nous voulons la gloire, il s'agit d'être couverts de blessures ; si nous voulons 27 vivre plus que personne, il s'agit de mourir plus que personne. C'est la loi de toute bataille. Nous nous avançons devant Dieu, et nous nous livrons au Père qui est dans les cieux, pour que cette effroyable volonté, qui se dressait contre la sienne, capitule.

    "Seigneur, nous nous remettons entre vos mains pour être l'arme de vos grandes victoires, non seulement  en nous, mais aussi par nous, à force d'humilité  et de renoncement". C'est notre seule raison de vivre, de souffrir et de mourir. 

     

  • Année A - 17e dimanche du temps ordinaire

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche 

    1 Rois 3, 5. 7-12    Rm 8,28-30

    Evangile selon st Matthieu chapitre 13 versets 44 à 52 (Mt 13, 44-52)

    Texte tiré de (ci-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

     

    Nous sommes dépassés par la phrase de St Paul soulignant un paradoxe inouï : " tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu ".

    "Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu". C'est une folie d'affirmer cela dans le monde d'aujourd'hui, monde d'atrocités, de guerres et de souffrances, de malheurs et d'agonie. Pourtant St Paul exprime ici la réalité la plus profonde qui soit. Nous le savons, "tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu". Tout, absolument tout.

    Il faut le réaliser dans nos vies par-delà toutes les apparences, par-delà tout ce qui peut sembler contraire à cette affirmation. Qu'est-ce que veut dire cette réalité fondamentale ? Le Seigneur nous aime et nous guide sur son chemin. Il nous enveloppe dans le dessein de son amour pour que nous soyons à l'image de son Fils des enfants du Père céleste qui est dans les cieux.

    " Tout concourt..." Je voudrais insister sur ce petit mot " tout " car il se retrouve dans la parabole que nous rapporte St Matthieu, en particulier celle de la perle fine : " Le royaume des cieux est  comparable à un négociant  qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu'il possède et il achète la perle ". Le royaume des cieux est comparable  à une perle. Il faut trouver la perle et il faut tout vendre pour  l'obtenir. Il y a dans cette parabole quelque chose  d'extrêmement  étonnant : la perle est si chère qu'il faut tout vendre pour elle. Pour égaler la valeur de cette perle, il faut tout donner, il faut tout livrer. De plus, pour découvrir cette perle, il faut être un fin connaisseur. Il est très difficile de distinguer les perles les unes des autres : on peut payer très cher pour n'avoir que du "toc" et penser qu'on a obtenu une chose extraordinaire. En réalité il faut avoir confiance dans le marchand : celui-ci nous demande de tout lâcher.

    Le Seigneur nous demande d'avoir le cœur assez ouvert pour nous laisser prendre  par le Seigneur et l'entendre nous dire : " tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu". Cette affirmation transforme nos cœurs et les place dans la vérité , dans la plénitude qu'est la perle, c'est-à-dire Jésus Christ.

    Pourquoi, finalement cette perle vaut elle tout ? C'est parce qu'elle est donnée dans la croix et la résurrection de Jésus Christ. C'est là qu'est le "tout". " "Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu " : cette parole est manifestée dans sa vérité dans la croix du Christ, dans le don total que Jésus Christ fait de lui-même aux hommes, don qui va jusqu'au bout. Celui qui trouve la perle doit accepter du fond du cœur la croix et la résurrection de Jésus  et accepter de tout vendre  pour vivre avec le Christ. St Paul, dans l'épître aux Philippiens (ch.3), dit qu'il a tout quitté pour gagner le Christ et un peu plus tard, St Ignace  d'Antioche n'aura qu'une parole à la bouche : "Saisir le Christ". Voilà ce qu'est notre vie chrétienne.

    En effet, notre vie n'a de sens que dans le don total que nous faisons de nous-mêmes au Seigneur, ce don qui fait que nous nous perdons nous-mêmes pour gagner le Christ. La seule chose qui compte dans notre vie, c'est la perle, c'est-à-dire la croix et la résurrection de Jésus Christ, ou, si vous préférez, le mystère du royaume ou bien encore le mystère de Dieu.

    Nous croyons que "tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu". Je voudrais  que cette affirmation solennelle soit comme un chant  dans votre cœur. Toutes les apparences  sont contraires. La mort est toujours là, les souffrances de toutes sortes sont toujours là, cependant  il y a quelque chose de radicalement changé dans le monde : ce sont les cieux nouveaux et les cœurs nouveaux que le Seigneur est en train de créer. Il nous faut découvrir cette présence de Dieu à nulle autre pareille. "Ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a justifiés, il leur a donné la gloire".

    Demandons au Seigneur de nous laisser prendre par ce don car trouver le royaume de Dieu, c'est se donner  jusqu'au tréfonds de soi-même et s'ouvrir à la vérité de Dieu. Le trésor est la chose la plus cachée, au fond de notre  cœur, qu'il nous faut découvrir. Et la perle est cette  parole d'une valeur infinie, à nulle autre comparable, qui nous donne d'avoir tout, le tout de Dieu  dans le tout de l'homme. C'est cela le mystère de Dieu. Il nous veut tout entiers parce qu'il se donne tout entier, parce qu'il n'est que don.

    Le mystère de Dieu est un mystère  de don, de vérité, d'amour. Toutes les paraboles n'ont pas d'autre but que de manifester  que tout est organisé dans le monde  pour que nous découvrions  cette plénitude de l'amour. Je voudrais que cette messe soit un cri pour demander au Seigneur cette plénitude de don qui nous transforme, qui fait  de nous des êtres à la recherche de la vérité pour eux-mêmes et pour les hommes leurs frères. Le Seigneur  nous demande d'être libres, dans la sagesse qui nous fait tout regarder dans la lumière de Dieu.

    Demandons au Seigneur de tout perdre pour qu'il se donne à nous et que nous nous donnions à Lui. Alors notre vie aura son sens, son véritable sens, celui qui est le seul vrai, le seul véritable. Amen ! 

  • L'Eglise et l'Islam 1/5

    Je vous propose les réflexions d'Alain Besançon, extraites de son livre : "Trois tentations dans l’Église" paru en 2002 aux éditions Perrin (ISBN : 2-262-01952-5). Voici des extraits tirés des pages 145 à 222 (livre format poche). A titre de rappel ce site n'est pas là pour que je vous livre ma réflexion personnelle, mais pour éclairer votre réflexion et la mienne à la lumière du travail de personnes qualifiées en théologie, en exégèse, en histoire etc...c'est peut-être la marque propre de "Traversées christiques", à savoir mettre en valeur le travail (de l'ombre) de personnes compétentes qui ont quelque chose à nous dire. Merci à eux.

     

    Lire la suite

  • "Des malheurs vont fondre sur la France"

    Extrait de " Apparitions de la Vierge reconnues par l’Église"  Ed St Jude 2011

     

    Paris - rue du Bac. Couvent des Filles de la Charité. 18 juillet 1830, 23h30.

    Sœur Catherine Labouré, Fille de la Charité, 24 ans,  est réveillée par un enfant qui lui dit :

     - Ma sœur, tout le monde dort bien ; venez à la chapelle ; la Sainte Vierge vous attend.

    Croyant rêver, Catherine se lève, s'habille et suit l'enfant. Arrivée à la chapelle, elle entend bientôt le froufrou d'une robe de soie. La Sainte Vierge est là, resplendissante. N'écoutant que son cœur, la sœur se précipite aux pieds de Marie et pose familièrement les mains sur ses genoux.

    " En ce moment, écrit-elle, je sentis l'émotion la plus douce de ma vie, et il me serait impossible de l'exprimer. La Sainte Vierge m'expliqua comment je devais me conduire dans les peines, et, me montrant de la main gauche le pied de l'autel, elle me dit de venir me jeter là et d'y répandre mon cœur, ajoutant  que je recevrais là toutes les consolations dont j’aurais besoin. "

    - Mon enfant, dit Marie, je veux vous charger d'une mission. Vous y souffrirez bien des peines, mais vous surmonterez à la pensée que c'est pour la gloire du Bon Dieu. Vous serez contredite, mais vous aurez la grâce, ne craignez point. Dites tout ce qui se passe en vous, avec simplicité et confiance. Vous verrez certaines choses ; vous serez inspirée dans vos oraisons, rendez-en compte à celui qui est chargé de votre âme. Mon enfant, les temps sont très mauvais ; des malheurs vont fondre sur la France ; le trône sera renversé, le monde entier sera bouleversé par des malheurs de toutes sortes. Mais venez au pied de cet autel : là les grâces seront répandues sur toutes les personnes qui les demanderont, sur les grands et les petits. Un moment viendra où le danger sera grand ; on croira tout perdu. Je serai avec vous, ayez confiance ; vous reconnaîtrez ma visite, la protection de Dieu et celle de saint Vincent de Paul sur les deux communautés. Ayez confiance, ne vous découragez pas, je serai avec vous. (...)

     

    "Je ne saurais dire,  ajoute Catherine, combien de temps je suis restée auprès de la Sainte Vierge ; tout ce que je sais, c'est qu'après m'avoir parlé longtemps, elle s'en est allée, disparaissant comme une ombre qui s'évanouit."

    Catherine Labouré est ensuite reconduite à son lit par l'enfant, en fait son "ange gardien".

     

  • Commentaire du Notre Père (2)

    Extrait du livre : "Toi, notre Père" P. Thomas DEHAU (1870-1956) - Ed Saint Paul 1992

     

    15

    Que ton Nom soit sanctifié

     

    Nous l'avons vu, le Pater  nous enseigne non seulement ce que nous devons demander, mais ce que nous devons désirer. Quels sont les objets que nous devons mettre dans nos désirs avant les autres ? Ceci est très pratique, car, n'étant pas assez spirituels, il nous arrive de ne pas mettre Dieu avant tout. Or, c'est Dieu même que nous devons demander premièrement.

    Il semble que demander son pain soit bien permis à un mendiant. Et pourtant, Jésus nous apprend ici à demander bien d'autres choses avant notre pain. Nous avons toujours tendance à désirer qu'il s'agisse d'abord de nous, alors que, comme le disait sainte Jeanne d'Arc, il faut qu'il s'agisse d'abord de Dieu : " Messire Dieu premier servi."

    Avant de demander notre pain, c'est le pain de Dieu qu'il faut demander ; le pain de Dieu, c'est son 16 règne, c'est sa volonté. Il faut demander ce pain éternel. Une âme ardente désire surtout le règne de Dieu.

    Cette première demande regarde Dieu en lui-même. Il y est question de la gloire essentielle de Dieu. Souvenons-nous que toute activité, même au service de Dieu, doit passer après cette chose, la plus importante de toutes, qui est la sanctification du Nom de Dieu.

    Vous me direz : le Nom de Dieu est infiniment sanctifié ; il y a le ciel, le ciel que le prêtre entrouvre au commencement du Canon [c'est la Prière eucharistique] qui se termine par le Pater ; le prêtre passe la revue des hiérarchies angéliques, des chœurs des bienheureux, des saints, c'est une lyre merveilleuse, une harpe sans fin. Tous sanctifient le Nom du Seigneur ; de tous ces saints monte une louange immaculée ; toutes ces voix sont autant de flammes d'amour, elles célèbrent la grandeur de Dieu dans une "allégresse sociale", socia exultatione. Le prophète Isaïe a entendu les Séraphins crier les uns aux autres la sainteté de ce nom, Sanctus, sanctus, sanctus (Is 6,3); et ils se voilaient la face et les pieds de leurs ailes ; ils s'abîmaient dans une humilité sans bornes devant la gloire de leur Dieu.

    17 Mais ce ne sont pas seulement les anges qui rendent gloire ainsi ; l'homme qui, par sa nature, est inférieur à l'ange, peut s'élever par la sainteté au-dessus des hiérarchies angéliques. Voyez la Très Sainte Vierge ! tous les concerts angéliques n'égalent pas le Magnificat de la Mère de Dieu.

    Voilà donc la musique qu'a Dieu à sa disposition : c'est une louange qui correspond adéquatement à la gloire de son Nom.

    Après avoir essayé d’entrouvrir le voile qui nous cache ces merveilles, si nous redescendons vers notre petite planète, écoutez ce cri de l'humanité, ce cri qui monte des abîmes ; c'est le contrepied absolu de ce que nous venons d'entendre. Qu'est-ce que les hommes se crient entre eux ? Certes, il y a divers cris ; mais je fais la moyenne, et je dis : ce que les abîmes de l'humanité crient, c'est le blasphème. Un petit nombre de voix chantent la gloire de Dieu ; elles la chantent mal en comparaison du chœur des anges et des saints. Mais tant d'hommes crient le blasphème ; ce qui résout toutes les cacophonies, c'est le blasphème, quelle que soit la manière dont il se décore ou se barbouille : blasphème élégant, littéraire, artistique, blasphème grossier, fangeux ; c'est toujours lui, et tout le blasphème volontaire, si Dieu n'écoutait que sa colère et sa justice, mériterait l'anéantissement du monde.

    18 Ce qui importe pour nous c'est de ramasser ce Nom divin pour lui rendre un peu de cet honneur infini que lui dérobe follement l'humanité. Il faut que, sur notre pauvre terre, il y ait un hosanna qui monte aussi haut que possible des abîmes non plus du mal, mais de l'humilité. L'abîme du mal est un abîme qui se voile d'orgueil, tandis que l'abîme d'humilité s'épanouit. Humilité des saints, humilité de la Très Sainte Vierge, de Notre-Seigneur lui-même, c'est de cet abîme-là que monte la réponse au cri de blasphème universel. Sans la sonorité de cet abîme, la louange n'aurait ni élan ni écho.

    Que faut-il donc demander avant tout à ce Dieu qui est notre Père ? " Seigneur ! qu'il y ait dans notre pauvre humanité quelques voix très pures qui vous fassent oublier la voix du blasphème. Seigneur ! qu'il y ait des âmes contemplatives qui soient votre louange du jour et de la nuit ; qu'il y ait des prédicateurs qui annoncent la sainteté de votre Nom ; qu'eux aussi soient saints." Le prédicateur est l'homme des foules, mais il faut qu'en même temps il reste l'homme de la solitude, pour apporter aux foules le parfum du désert. Il faut prier, afin que le Seigneur trouve des adorateurs en esprit et en vérité, des prédicateurs de l'esprit et de la vérité.

    Le Père cherche des adorateurs qui l'adorent en 19 esprit et en vérité. Ce Dieu, qui a à sa disposition les instruments d'harmonie ineffable que nous venons de dire, cherche cependant ; il y a des êtres que Dieu recherche. 

    Dieu cherche t-il des intelligences, des volontés ? Certes, nous en aurions besoin à l'heure actuelle ; mais non, ce que Dieu cherche, ce sont des âmes qui l'adorent en esprit et en vérité. C'est ce que dit notre Seigneur à la Samaritaine après lui avoir révélé le don de Dieu. Toutes les fois que Dieu guérit et convertit une âme, c'est pour l'amener devant les mêmes horizons, c'est pour lui faire comprendre que l'essentiel est de procurer à Dieu la gloire de son Nom, de faciliter la victoire de son Nom.

    Il faut ajouter ici que, dans cette première demande du Pater, nous prions pour que le Nom de Dieu soit sanctifié, sans excepter tout ce qui porte le reflet de ce Nom.

    D'abord l’Église : notre Mère la sainte Église, et nos églises, les temples. Nous devons avoir un respect infini pour nos églises, selon la parole de Jacob : " Ce lieu est terrible, car c'est ici la maison de Dieu 20 et la porte du ciel". Il est un autre temple : nous-mêmes, car, nous dit saint Paul, l' esprit de Dieu habite en nous (1 Co 3,16) Nous devons avoir un très grand respect pour nous-mêmes ; respect pour notre corps : notre corps est le ciboire définitif. Vous savez que l'Eucharistie a été instituée pour nous, et que toute hostie consacrée est destinée à nourrir un corps humain. Respect pour notre âme qui est l'image du Seigneur et qui peut, qui doit être le réceptacle de la sainteté. Aucune âme, même celle du plus grand pécheur, du plus grand criminel, n'a le droit de désespérer de la sainteté.

    Voilà donc, mes frères, tout ce que nous devons demander quand nous demandons la sanctification du Nom de Dieu. Plus que jamais nous avons besoin de prier. Les contemplatifs ne prient pas assez dans leur cloître, et nous surtout, ne prions pas assez.  

  • Commentaire du Notre Père (1)

    Extrait du livre : "Toi, notre Père" Thomas DEHAU - Ed Saint Paul 1992

     

     

    Notre Père, qui es aux cieux

     

    9 Dieu est le Père de toute créature, et c'est pourquoi il y a en tout être un mouvement et un appel vers l'Etre infini. Toute créature qui possède une voix en fait hommage à Dieu. Cependant, si Dieu est Père de toute créature, il est, de façon plus excellente encore, le Père des esprits, le Père des créatures faites à son image et  ressemblance. Nous sommes, nous autres hommes, des esprits, mais engagés dans la matière. Au fond de nos intelligences et de nos volontés, nous avons aussi un mouvement spécial qui nous porte vers Dieu. Mais ce mouvement est libre, car Dieu, en nous créant, nous a fait don de sa liberté. Ceci explique pourquoi, dans l'humanité, l'hommage des intelligences et des libertés à Dieu n'est pas universel. 

    Dieu est notre Père d'une façon plus excellente encore. Nos vies, tant qu'elles restent purement naturelles 10, ne sont pas des copies de la vie intime, de la vie interne de Dieu ; cette vie d'amour et de lumière qu'est celle de la Très Sainte Trinité, n'est pas reproduite en nous par cela seul que nous sommes des esprits, car nous sommes des esprits créés et nous n'avons aucun droit à la vie surnaturelle. 

    Il faut que naisse et se développe en nous une vie nouvelle : la vie de la grâce ; alors, nous devenons les fils de Dieu. Cette vie de la grâce est une participation à la vie même de Dieu et nous ne pouvons la posséder que par une aumône. La grâce est ce qui peut être donnée de plus grand à une créature, mais nous ne pouvons la posséder qu'à titre de pur don. Elle provoque donc en nous, d'un côté une fierté, une noblesse - et jamais l'expression "noblesse oblige" n'a trouvé mieux sa place -, un élan plein d'allégresse et d'enthousiasme ; et, de l'autre côté, elle nous situe dans une attitude d'humilité profonde. Il nous faut sans cesse tendre la main et tendre nos cœurs. 

    La grâce est une aumône ; il y a un art de mendier. Mendier à une créature est un acte humiliant, mais quand il s'agit de tendre la main, ou plutôt le cœur à Dieu, cette mendicité devient sublime. Saint Jacques nous avertit que si nous ne recevons pas, c'est que nous ne savons pas demander (cf Jc 4,3). Dieu ne nous 11 donnera que si nous savons prendre devant lui l'attitude de la créature. 

    Ces vérités sont tellement au-dessus de nous que, si Notre-Seigneur ne nous prend pas la main, nous ne pourrons pas nous débrouiller dans le chaos de difficultés qui nous entourent. Les Apôtres sentaient bien que la lumière était là, mais ils voyaient surtout une nuée ; c'est pourquoi ils s'adressent au divin Maître : " Seigneur, apprends-nous à prier" (Lc 11,1), "nous savons bien, Seigneur, qu'une prière qui ne serait pas fabriquée par Vous, la Personne du Verbe, ne vaudrait pas grand'chose". Il faut répéter sans cesse cette parole des Apôtres. Plus une âme avance, plus elle sent s'allumer en elle le besoin de la prière, le désir de l'oraison la plus ardente, la plus continue possible. Plus une âme s'accoutume aux choses de la prière, plus elle éprouve la nécessité de s'aboucher directement avec le Docteur et le Maître : "apprends-nous à prier". 

    Quelle a été la réponse à cette humble demande ? Le cadeau que Notre-Seigneur nous a fait du Pater. Cette prière divine règle non seulement l'ordre de la demande (ordo petendi), mais aussi l'ordre du désir 12 (ordo appetendi) ; non seulement elle rectifie notre pétition, mais notre "appétition". J'emploie à dessein ces termes scolastiques, si savoureux et si expressifs. Il nous suffirait de bien comprendre ce que Jésus nous enseigne dans le Pater pour que l'ordre de nos désirs soit mis en place. "Vous prierez ainsi" (Mt 6,9) ; en répétant les paroles de cette prière, nous harmonisons tout l'ordre de nos désirs et de nos volontés. 

    Faisons quelques remarques sur le nom du Père ; il est celui que nous donnons le plus volontiers à Dieu. Le prêtre, pendant la sainte Messe, l'emploie lorsque le Corps de Notre-Seigneur est à quelques centimètres de son cœur. Nous ne craignons pas de le faire, et de le faire souvent, malgré l'énormité de cette audace : nous osons dire (audemus dicere). Il est vrai que, dans l'Ancien Testament, nous trouvons des textes qui témoignent déjà d'une familiarité très grande avec le Père des cieux. Et tel peuple païen pourrait aussi nous en fournir quelques exemples ; ne citons que le peuple japonais. Mais cette familiarité, cette liberté de langage avec Dieu, cette attitude déjà filiale, quelle est-elle, en comparaison de celle que nous demande Jésus lorsqu'il veut faire de chacun de nous un tout petit enfant dans le Royaume du Père ?

    13 "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur" (Dt 6,5), ordonne la Loi de Moïse ; ceci place déjà la Loi ancienne à une singulière hauteur. Moïse dit encore : " Honore ton père et ta mère". Rapprochés l'un de l'autre, ces deux commandements nous paraissent presque étranges. Il nous eût semblé plus normal de dire : " Honore Dieu", et " Aime ton père et ta mère." Dieu, d'ailleurs, par son prophète Malachie, réclame pour lui-même " l'honneur qui lui appartient" ainsi que "la crainte qui lui est due". C'est que Dieu veut de nous l'une et l'autre attitude. Malgré la distance immense que nous croyons voir entre le premier et le quatrième commandement   dans la Loi mosaïque, déjà ceux-ci s'attirent l'un l'autre. Dans le Nouveau Testament, ils se fondent davantage encore en un seul. Afin d'aimer Dieu comme un père, prenons pour point de départ l'affection que la nature a déjà mise au fond de nos cœurs envers nos parents ; et de même honorons nos pères et nos mères comme Dieu lui-même ; mais il faut que toutes les influences terrestres deviennent diaphanes pour laisser passer la grâce divine.

    Pour saint François d'Assise, le monde entier devenait une famille ; c'était la charité et l'amour 14 infini que le saint retrouvait partout ; c'est pourquoi il enveloppait chaque créature d'une telle tendresse. Ce que signifie le mot "notre", dans le "Notre Père", c'est le monde entier quand nous le mettons sous la paternité de Dieu. Le ciel lui-même n'est pas trop grand pour le couvrir. Quand il s'agit de la paternité humaine, deux êtres sont nécessaires pour en remplir le rôle. Quant à la paternité spirituelle, ce programme de tendresse qui dépasse les possibilités humaines ne dépasse pas les possibilités divines : Dieu est en même temps père et mère. La maternité de Marie ne peut être qu'une participation de la maternité de Dieu. Ceci est tellement vrai que, pour désigner les attentions maternelles de Dieu envers nous, nous employons un vocable féminin : la Providence. Il nous est dit dans l’Évangile : "Chacun de vos cheveux est compté". Les attentions d'une mère vont dans cette direction, mais, certes, elles ne vont pas jusque-là. Nous retrouvons encore le quatrième commandement : ce Père et cette Mère qui est Dieu, honore-les, afin de vivre longuement.

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (11)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes... : au bout de la route

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    166

    On n'écoute pas assez les cantiques. Il faut pourtant bien, pour que la foule ait tant de cœur à les reprendre inlassablement, que leurs grâces naïves expriment quelque chose de l'âme d'un peuple. Ceux que chantent les gitans lors de la veillée du 23 mai ont un leitmotiv, et c'est la route. Non pas la " route enchantée " de Charles Trenet, mais celle où les pauvres cheminent entre les maisons des riches, celle où les fils de paysans rejettent dédaigneusement les fils de nomades, celle de la souffrance et de l'humiliation quotidiennes. La route, patrie de ceux qui demeurent, que nous le sachions ou non, le tiers-monde parmi nous.

    Ils disent, les cantiques gitans, que quand les nomades sont relégués sur les décharges communales, le Christ campe avec eux sur les immondices. Que, quand le " gadjo " lance ses chiens contre une pauvre gitane venue proposer à sa porte quelque mercerie dérisoire, le Christ est avec elle et saigne de leurs morsures. Que, aussi, lorsqu'une humble joie, un sourire amical, un air de guitare vient leur réchauffer l'âme et le cœur d'éternels voyageurs, le Christ - ils n'en doutent pas - est encore là pour sourire et chanter avec eux. 

    Le voyage, c'est toute leur vie et toute leur histoire, aussi loin que peut remonter la mémoire d'un peuple qui n'a pas appris l'écriture et qui n'eut jamais d'archives. Nulle population au monde n'a connu une aussi interminable migration.

    Depuis cinq siècles et demi qu'ils parcourent nos pays de vieille chrétienté, leur histoire est celle d'un long martyre. Le mot " racisme " n'était pas encore inventé que la méfiance et la haine s’exerçaient cruellement à l'égard de " l'autre ", celui qui était inexplicablement différent, corps étranger, épine et problème. Les civilisations n'ont jamais toléré que l'on vive en leur sein autrement que suivant leurs normes. "Comment peut-on être Gitan ?" Et malheur à celui par qui ce scandale arrive.  

    La Suisse, l'Italie, les Pays scandinaves, la Hollande décrètent leur bannissement. Le roi très chrétien Philippe V d'Espagne ordonne d'abattre sans sommation tout Gitan trouvé errant dans le royaume. Quand on ne les massacre pas, on les condamne à avoir 167 les oreilles coupées ou, comme Louis XIV, à ramer aux galères à perpétuité. En Valachie-Moldavie, on les réduit à l'esclavage et, comme du bétail, ils porteront le joug jusqu'à la fin du XVIIe siècle. En Roumanie, des boyards leur font mettre des crocs de fer autour du cou. Un règlement de 1835 fixe encore le prix auquel ils seront mis aux enchères publiques. On ne les affranchira qu'en 1865, il y a à peine un siècle... Il y a, parmi les Gitans en pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, des hommes et des femmes dont le grand-père était encore esclave.

    Le " despotisme éclairé ", puis le romantisme, tempèrent ces rigueurs mais au prix de nouvelles souffrances. On interdit aux Gitans l'usage de leur langue et de leurs activités traditionnelles, y compris la musique et la danse ; on enlève leurs enfants pour leur donner, aux frais de l’État, une éducation " décente "; on continue, avec ou sans textes juridiques à l'appui, à les traiter en parias. 

    Ces pages douloureuses semblaient définitivement tournées quand, au premier tiers du XXe siècle, le nazisme déferla sur l'Europe. Le monde entier sait que six millions de Juifs ont péri dans les camps d'extermination allemands. Mais qui se souvient que les tsiganes subirent le même sort atroce ? Ce peuple analphabète n'a pas publié le récit de sa lente agonie. Aucun monument ne rappelle la mémoire de ses martyrs. Et pourtant ...

    Himmler décide, dès décembre 1938, l'anéantissement des Tsiganes (...). A partir de 1942, on les entasse à Auschwitz où plus de vingt mille vont périr dans les chambres à gaz. On estime à deux cent mille le nombre des " Fils du Vent " exterminés dans les  camps de concentration. 

    Aux camps de la mort s'ajoutèrent les massacres. Trois ou quatre mille Tsiganes furent abattus dans les forêts de Pologne orientale où ils avaient cherché refuge. Les adultes furent fusillés, les enfants eurent la tête fracassée contre le tronc des arbres. En Serbie, ils servirent d'otages : pour un Allemand abattu par les partisans on exécutait cent Tsiganes. 168 Une commission d'enquête instituée - après la Seconde guerre mondiale - par le gouvernement yougoslave établit que, dans la seule Croatie, vingt-huit mille Tsiganes étaient tombés victimes des " Oustachis " d'Ante Pavelich. Cette tragédie, venant après tant d'autres, les Gitans ne l'ont pas oubliée. Pour certains, elle demeure marquée dans leur chair, où est gravée la lettre infamante : Z (Zigeuner) et le chiffre matricule du déporté.

    Quand en septembre 1965, les Gitans venus de toute l'Europe reçurent près de Rome la visite du pape Paul VI, chaque délégation eut à cœur d'offrir au Saint-Père un cadeau symbolique. Celui des Tsiganes allemands ne fut ni un tableau, ni une roulotte finement ciselée, ni une statut, mais un ostensoir fait de fils de fer barbelé.

    Il faut savoir cela pour comprendre tout le sens d'un rassemblement comme celui des Saintes-Maries-de-la-Mer, havre de paix, refuge de grâce, instant de trêve toujours aimé et toujours menacé au carrefour des routes sans but et sans fin, jalonnées de plus de larmes que de rires, de plus de rejets que de fraternel accueil. Ce n'est pas formule de style. Le tires des Gitans de France sont encore totalement nomades. Un autre tiers tiennent la route sept ou huit mois par an, pour se tapir l'hiver dans quelque coin et repartir aux beaux jours. Et combien des autres, tristes hôtes des bidonvilles ou sédentaires malgré eux, gardent la nostalgie de l'époque où ils étaient, eux aussi des "Gens du Voyage"...

    Le nomadisme leur donne certes des défauts, dont le moindre n'est pas 169 une instabilité chronique; mais aussi d'immenses qualités, qui sont celles des peuples errants. Ils ont le respect des anciens, toujours écoutés avec déférence, et nous méprisent d'oser abandonner nos vieux parents en les plaçant dans des maisons de retraite. Ils gardent jalousement la vertu de leurs filles, en dépit de toutes les promiscuités. Ils ont le sens profond de l'hospitalité. Quiconque est dans la peine, perdu, voire traqué entrera dans la famille sans qu'on lui pose des questions et y restera tant qu'il voudra. Ils ont enfin l'esprit de solidarité, poussé jusqu'au partage absolu des biens. Qu'un gitan ait de l'argent, et tout le monde en profite. Qu'il ait à payer une forte amende ou qu'un deuil vienne le frapper, et l'on vendra jusqu'au nécessaire pour lui venir en aide. (...)

    Venir aux Saintes-Maries-de-le-Mer, c'est se réfugier auprès de protectrices dont on sait qu'elles ne vous trahiront pas, à qui l'on va confier ses détresses et ses espoirs. C'est trouver, en Sara-la-Kâli, une petite "sœur" toute-puissante, à la peau basanée, et qui entend sûrement votre langue. C'est tenir le voeu qu'on a fait, du fond d'un grand désespoir, et repartir justifié, avec un peu de joie au cœur.  

    ------------------------------------------------------------------------------

    si vous souhaitez en savoir plus sur les Tsiganes : lien ici

     

     

     

     

  • Marie, femme de la chambre haute

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    115 Icône. Par ce terme, on désigne les images sacrées peintes sur bois, que les Orientaux vénèrent avec une dévotion particulière. Enveloppées de lumière, elles renferment une étincelle de mystère divin. C'est pour cela justement que quelqu'un les a définies comme les fenêtres du temps, ouvertes dur l'éternité.

    Icône. Par ce terme, peut-être à cause de la netteté des traits qu'on emploie pour leur esquisse, on désigne aujourd'hui les scènes bibliques qui renferment un message important de salut, avec la force immédiate des images.

    Eh bien, le premier chapitre des Actes enregistre une de ces icônes d'une splendeur extraordinaire, lorsqu'il dit qu'après l'Ascension, les apôtres, qui attendaient l'Esprit Saint, montèrent à la chambre haute, où ils se tenaient habituellement (Ac 1,13). Et il y avait aussi avec eux Marie, la mère de Jésus.

    C'est le dernier épisode biblique où l'on voit apparaître Marie. Elle se soustrait définitivement de la sorte, aux feux de la rampe. Du haut de cet emplacement. De l'étage supérieur. Comme pour nous indiquer les niveaux spirituels sur lesquels  doit se dérouler l'existence de chaque chrétien.

    En vérité, toute la vie de Marie s'est développée, pour ainsi dire, à haute altitude.

    Non pas qu'elle ait méprisé le domicile des pauvres gens. Bien au contraire. Les femmes des bergers échangeaient avec elle des laines et des fromages contre un drap cousu de ses mains. Ses voisines 116 ne s'aperçurent jamais du mystère caché dans cette vie apparemment si simple. Les paysannes de Nazareth ne firent pas non plus avec elle l'expérience de cette distance avec laquelle souvent celui qui fait carrière mortifie ses amis d'autrefois. Elles allaient au marché ensemble. Elle marchandait comme elles. Elle sortait avec les autres dans la rue, après les averses de l'été, pour endiguer les torrents de pluie. Et, les soirs de mai, sa voix résonnait dans la cour, jointe aux chœurs des anciennes mélopées orientales, mais sans dépasser les autres.

    Bref, Marie, même consciente de son extraordinaire destin, n'a jamais voulu vivre dans les beaux quartiers. Elle ne s'est jamais élevée sur un piédestal de gloire. Elle a toujours refusé les pinacles qui l'auraient privée de la joie de vivre au même niveau que les gens communs.

    Toutefois elle s'est certainement réservée un très haut observatoire d'où elle pouvait contempler non seulement le sens ultime de son aventure humaine, mais aussi les longues trajectoires de la tendresse de Dieu. (...)

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, splendide icône de l’Église, tu avais déjà vécu ta propre Pentecôte au moment de l'annonce de l'Ange, quand l'Esprit Saint descendit sur toi et que la puissance du Très-Haut étendit sur toi son ombre (...)

    Donne à l’Église l'ivresse des hauteurs, la patience du long terme. (...) Préserve-la de la tristesse de s'enliser, sans issue, dans les périmètres étroits du quotidien. Fais-lui regarder l'histoire selon les perspectives du Royaume.

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, aide les pasteurs de l’Église à habiter ces régions élevées de l'esprit (...). Attendris leur esprit pour qu'ils sachent dépasser la froideur d'un droit sans charité, d'un syllogisme sans fantaisie, d'un projet sans passion, d'un rite sans illumination, d'une procédure sans génie, d'un logos sans sophia. (...)

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, fais-nous contempler de ta fenêtre les mystères joyeux, douloureux et glorieux de la vie (...) ce n'est qu'à cette hauteur que le succès ne donnera pas le vertige, et à ce niveau seulement les défaites nous empêcheront de nous laisser précipiter dans le vide (...) 

     

  • L'Ascension du Seigneur (année liturgique A)

    Références scripturaires de la liturgie de ce jour : Ac 1, 1-11 - Eph 1,17-23 - Mt 28,16-20

    homélie du P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  - " L'Amour du Père révélé dans sa Parole ", homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

    143

    Le début de l' évangile de Matthieu commence par la promesse de l'Emmanuel, Dieu avec nous, par l'annonce de l'évangile à la Galilée des païens. Dans le texte de la finale de Matthieu que nous avons aujourd'hui, il y a la correspondance exacte à ses annonces. Le Seigneur dit : " Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps." Et il demande à ses disciples d'aller en Galilée pour l'annoncer. Annoncer l’Évangile, annoncer le Mystère de de Dieu : " Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples." Cet universalisme des évangiles nous appelle à devenir chrétiens pour annoncer l' évangile à nos frères et pour en être de vrais témoins.

    En effet, la finale de saint Luc nous rappelle les paroles suivantes de Jésus : " Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour, et qu'en son Nom le repentir, en vue de la rémission des péchés, serait proclamer à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoin." Les disciples sont témoins du Christ, témoins de l'amour du Père, ils sont témoins dans la vie de l'Esprit Saint. Comme il est dit dans les Actes des apôtres : " Vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre ".

    Actuellement on parle beaucoup de témoignage. Mettons-nous dans ce mot la signification évangélique ? J'en doute très fort. On témoigne de tout et de rien, on témoigne en parlant, en partageant les expériences faites.

    144 Mais nous oublions que le mot témoignage a une autre ampleur : il s'agit d'être dans la puissance d'amour du Christ. Des hommes ont fait l'expérience du Christ, des hommes ont fait l'expérience de Dieu dans leur vie : la sagesse de Dieu les habite. 

    St Paul demande pour ses fidèles l'esprit de sagesse : " Que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment. Qu'il ouvre votre cœur à sa lumière pour vous faire comprendre l'espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l'héritage que vous partagez avec les fidèles, et la puissance infinie qu'il déploie pour nous, les croyants ". Le Père agit dans nos vies de la même manière qu'il a agi dans la vie du Christ. Puisse t-il agir dans vos vies avec la même puissance, celle de la résurrection. Car témoigner c'est faire l'expérience de cette résurrection en nous. Il faut d'abord croire. Croire que la puissance de Dieu est à l’œuvre dans nos vies. Croyons-nous en vérité que la puissance de Dieu qui a ressuscité Jésus Christ d'entre les morts est à l’œuvre dans nos vies ? Elle doit être première dans nos vies pour que nous puissions en être les témoins mais attention, témoins dans l'Esprit Saint. C'est la gratuité du don de Dieu qui est première dans nos vies. Dieu d'abord. Il faut faire l'expérience du mystère du Seigneur, de ce mystère si simple et si étonnant que saint Paul et les apôtres chantent dans tout leurs textes.

    Pour être témoins de l'espérance , il faut laisser la parole de Dieu entrer en nous, nous transformer et nous transfigurer. Cette parole doit faire de nous des disciples et cela dans l'obéissance ; le témoignage repose sur l'obéissance du Christ à son Père. Au cœur de notre témoignage, il y a donc cette obéissance au cœur de notre vie, ce don de nous-mêmes à Dieu qui peut tout transformer. 

    " Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. " Voilà ce que dit Jésus avant de se 145 séparer de ses disciples. Le commandement du Seigneur est au cœur même de l' évangile de Jean : " Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements " (Jn 14,15). Le Christ ne fait que ce qui plaît au Père ; si nous sommes pris dans le mystère de Dieu, il en sera de même pour nous. 

    A l'Ascension, le Christ disparaît aux yeux de ses apôtres. " Il vous est bon que je m'en aille " (Jn 16,7). Il disparaît pour être avec eux : " Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps ".  Le mystère du Seigneur, c'est le mystère de cette présence totale, enveloppante et décisive. " Et moi ". Nous connaissons l'ampleur de ce moi divin qui nous ramène au " Je Suis " de l' exode. Croyons-nous à cette parole du Seigneur ? Croyons-nous que " Je Suis " est avec nous jusqu'au bout, croyons nous qu'il nous mènera comme il a mené son propre Fils ? Le Seigneur nous demandera de prendre le même chemin, de le suivre jusqu'au bout, jusqu'au bout de l'amour. Il n'y a rien d'autre à demander si ce n'est de marcher à pas d'amour dans la foi et de se redire chaque qu'une difficulté se présente : " Moi, je suis avec vous ". Quelle intimité prodigieuse nous assure cette parole ! " Moi, je suis avec vous " définitivement pour vous guider, pour vous défendre, pour vous faire marcher dans les sentiers qui sont les miens  et cela jusqu'à la fin du monde. Cette parole transmise par Matthieu résume la toute-puissance dans laquelle le Christ est établi ; il est debout, à la droite du Père, il possède la même puissance que le Père et c'est lui qui nous donne l' Esprit.

    Dans l'Eucharistie, nous demanderons au Seigneur cette sagesse qui permet de comprendre la puissance de la Résurrection. Cette sagesse est au cœur de l'action de Dieu dans le monde. Certes, elle ne nous paraît pas très apparente, cependant nous savons bien que Dieu tourneboule le monde pour qu'une âme rencontre librement son propre mystère. Dieu n'a qu'un désir : se faire connaître à tous les 146 hommes. Si nous ne le connaissons pas, il faut le demander, il se donnera dans l'Esprit Saint. Dieu est prêt à tout pour que nous l'aimions du fond de notre cœur et que nous soyons ses témoins, c'est-à-dire des êtres illuminés par la présence de Dieu, des êtres qui s'adressent à leurs frères dans la simplicité du cœur et agissent conformément à l’ évangile. Témoigner, cela veut dire être, être témoin. Cela demande d'avoir une qualité de présence et d'écoute. Nous avons à demander cela au Seigneur avec joie, avec paix, avec certitude.

    " Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. " Si cette parole pénétrait définitivement dans votre cœur, tout serait changé. Qu'importe le reste, si nous sommes avec lui dans la sagesse de Dieu, dans cette puissance invraisemblable qui est la puissance de la résurrection. Nous sommes promis à la résurrection. Ce n'est pas une opinion comme une autre, c'est la vérité. La résurrection éclatera en nous comme elle a éclaté dans le Christ, avec la même force. La vie, c'est de participer à ce don de l'Esprit, ce don du Fils que le Père nous a fait. Nous vivons dans l'amour mutuel du Père et du Fils, c'est le Saint Esprit. " Moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde."  Que cette parole pénètre vos cœurs, qu'elle y demeure et qu'elle transforme votre vie. Amen ! 

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (10)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    61

    Depuis leur arrivée en Europe, les Gitans ont toujours trouvé des protecteurs éclairés parmi l'élite intellectuelle et dans l'aristocratie. En Camargue, ils conquirent l'amitié du dernier grand seigneur de Provence : Folco de Baroncelli-Javon. Celui-ci avait entrepris de rendre vie à cette pauvre terre camarguaise, qui sombrait dans la misère et l'oubli. Il avait permis, notamment, la sélection des races camarguaises de chevaux et de taureaux, et si bien chanté Les Saintes-Maries-de-la-Mer que chacun, dans l'antique cité, le tenait pour un sauveur providentiel. 

    Baroncelli se lia d'amitié avec un Gitan influent, Coucou, de son vrai nom Manuel Baptiste, à qui son exceptionnelle intelligence avait valu une grande autorité sur tous ses frères de race. Quand Coucou avait parlé, nul ne se permettait de discuter.

    62 Il était reçu au mas du marquis, le "Simbeu", en compagnie des belles dames de la région, naïvement flattées de partager la table d'un si intéressant personnage. Or Coucou souffrait de voir les Gitans, et surtout la pauvre Sara, tenus à l'écart des fêtes de mai. C'est ainsi qu'en 1935, le marquis de Baroncelli, le félibre José d'Arbaud et le peintre Hermann Paul firent le siège de l'archevêque d'Aix et obtinrent de haute lutte l'autorisation, pour les Gitans, de sortir Sara en procession jusqu'à la mer.

    Un petit Gitan, portant une croix trop lourde pour lui, précédait cet étrange défilé qu'escortaient la " Nation gardiane " à cheval et un groupe d'Arlésiennes en costume. Pas un prêtre n'y assistait car Sara, bien que la tradition la tienne pour la servante des Saintes Maries, ne figure pas au martyrologe romain et son culte n'a jamais reçu de consécration liturgique. La procession de Sara, si elle mit les Gitans à l'honneur, contribua encore un peu plus à les écarter des cérémonies officielles. " On allait voir défiler les Gitans ", reconnaît un vieux saintois, " comme les Blancs d'Afrique du Sud vont voir danser les Zoulous..." 

    Vint la guerre de 1940. Le racisme nazi fit périr dans les camps de concentration des centaines de milliers de Gitans. Entre les barbelés, des prêtres, des religieuses, des laïcs se glissèrent, au péril de leur vie, pour apporter aux internés un message de fraternité et d'espoir. Il en naquit, la paix revenue, une aumônerie catholique tout entière consacrée aux Gitans et aux Tsiganes qui , à partir de 1953, prit spirituellement en charge leur pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

    63 (...) Le plus récent historiographe du pèlerinage, le chanoine Mazel, ancien curé-doyen des Saintes-Maries en donne la version suivante : " Dans la crypte de l'église, on voit  la statue de sainte Sara, son autel, ses reliques ; les Bohémiens l'honorent comme leur patronne, spécialement le 24 mai. D'après eux, elle était une des leurs, originaire de la région, la première convertie par les saintes, et leur servante... Attirés par le célèbre pèlerinage des Saintes-Maries, ils y auraient trouvé des reliques de Sara l’Égyptienne, apportées là anciennement. Cette sainte, vierge et abbesse d'un grand couvent de Libye, est fêtée par l’Église  le 14 juillet. Ayant déjà connu en Orient la dévotion à sainte Sara, tout heureux de retrouver ses reliques, ils l'auraient adoptée comme patronne et auraient associé 64 son culte à celui qu'ils venaient rendre aux Saintes Maries." Le conditionnel est prudent car cette hypothèse ne résiste pas à l'examen. Ce qu'on appelle la "tradition gitane" n'est généralement que le reflet, répercuté par les Tsiganes, de ce qu'on vient de leur apprendre ! Sara est absolument inconnue dans le monde  et son nom n'évoque quelque chose que pour les Gitans qui ont séjourné en France, ou en Europe occidentale. Et comme il est plus que douteux que les Gitans soient jamais passés par l’Égypte, leur dévotion pour Sara demeure inexpliquée.

    La présence de Sara aux côtés des Saintes Femmes connaît, selon les auteurs, deux versions. Pour les uns, elle était la servante des deux Marie et aurait volontairement partagé leur exil. Pour d'autres (dont  " l'école " de Baroncelli), c'était une autochtone, Gitane ou non, établie avec les siens sur les rivages de la Camargue. La Bible n'en fait pas mention, bien que le nom apparaisse à diverses reprises. (...)

    65 Ce que l'on sait de certain, c'est que la dévotion à Sara commença, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, bien avant que les Gitans ne la fassent leur. Jean de Venette, carme de Paris, termina en 1357 un poème de plus de seize mille vers intitulé : " histoire des Trois Maries "

    A suivre...

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (9)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    53

    L'arbre si chargé soit-il de fleurs rares et de fruits abondants, ne doit pas nous masquer la forêt. Cent fois répercuté, amplifié, magnifié par la radio, le cinéma, la télévision, le pèlerinage gitan des 24 et 25 mai ne saurait nous faire oublier que Les Saintes-Maries-de-la-Mer sont, depuis plus de dix siècles, d'abord un pèlerinage languedocien et provençal. Ni sa légende ni son histoire ne font la moindre place aux Bohémiens jusqu'à une date relativement récente. Il nous faudra donc quitter le peuple du Voyage avant d'aborder la tradition camarguaise, bien antérieure à son apparition sur les bords du Petit Rhône. Que ce ne soit pas sans avoir tenté, cependant, de comprendre sa présence en ce delta où la terre, le ciel et la mer se confondent.

    Il est entendu, une fois pour toutes, que les Gitans viennent aux Saintes-Maries-de-la-Mer " depuis un temps immémorial". Ce n'est qu'une façon de dire qu'on ignore à quelle date ils ont commencé à fréquenter le sanctuaire. Chantre inspiré de la 54 Camargue dont il reste une figure inoubliable, le marquis de Baroncelli avait résolu l'énigme en poète épris du mythe atlantéen. Selon lui, les Gitans étaient, avec les Peaux-Rouges, les Basques, les Égyptiens et les Bretons, des survivants de l'Atlantide. Fuyant devant les invasions ibères, ils seraient arrivés en Camargue, y important ainsi les derniers chevaux sauvages. Ce seraient donc, en quelque sorte, des autochtones, les "plus vieux Européens" comme les Peaux-Rouges sont "les plus vieux Américains".

    Ce curieux amalgame s'explique assez aisément : le marquis était fasciné par les Indiens d'Amérique, dont une délégation avait séjourné en Camargue. Il entretint une correspondance très suivie avec le chef White Horse, le seul qui écrivait à peu près correctement en anglais. On assure qu'il conduisit même, certain jour de mai, plusieurs Peaux-Rouges à la procession de Sara.

    Pour lui, l'étrange attirance des Gitans pour le pays des salicornes s'expliquait donc aisément : " Bien longtemps avant le christianisme, lorsqu'ils erraient librement sur tous les rivages de la Méditerranée, ils avaient déjà ici leur port d'attache, leur temple vers lequel ils revenaient périodiquement, probablement à l'époque où le soleil monte le plus haut dans le ciel. Mais un rameau de la race est demeuré sur place depuis les origines, gardien du temple et du pèlerinage. Et c'est l'une d'elles, Sara, qui fera la liaison avec le christianisme. C'est pourquoi ils viennent toujours. Ici a été baptisée leur race." ("Les bohémiens et Les Saintes-Maries-de-la-Mer"  Revue d'Arles, 1941)

    Toute une lignée de poètes provençaux a chanté l'histoire de Sara, prêtresse de Mithra et princesse bohémienne, qui se serait rendue au-devant de la barque des Saintes "commandant un bateau de trente rames" et l'aurait remorquée jusqu'au rivage. (...)

    55 ... la tradition provençale assure que Sara et les siens furent les premières personnes converties au christianisme par la cohorte des exilés de Terre sainte. Elle trouve une justification dans le fait, historiquement attesté, que l'oppidum Râ, qui s'élevait à l'emplacement actuel des Saintes-Maries, était habité par des Égyptiens, des Crétois, des Phéniciens et des Grecs qui, par le fleuve, pénétraient à l'intérieur des terres. Mais des Gitans ?

    L'origine du peuple gitan demeura longtemps une énigme. Les noms qu'ils se donnèrent eux-mêmes au moment de leur arrivée en Europe occidentale prêtèrent longtemps à confusion. Ils se disaient "Égyptiens" et on les prit pour tels. Mais ils étaient également porteurs de lettres de recommandation de Sigismond, roi de Bohême ; et l'usage s'établit de les appeler "Bohémiens".

    On sait maintenant que la vérité est tout autre. L'étude attentive des divers dialectes tsiganes a permis d'établir que tous avaient une origine commune ; et qu'elle était indienne. On localise aujourd'hui le départ de leurs migrations entre les rives de l'Indus et les confins de l'Afghanistan. La "préhistoire" du peuple gitan n'en présente pas moins encore un certain nombre d'obscurités. On ne sait ni quand ni pour quelles causes il a quitté sa patrie d'origine, pour s'enfoncer toujours plus loin vers l'Ouest. 

    On les trouve en Grèce en 1322, en Valachie à partir de 1370. 56 Et, en 1419,  la première troupe atteint la France. Le 22 août, elle se présente devant la petite ville de Châtillon-sur-Chalaronne, où elle reçoit un accueil généreux. Les archives de la ville d'Arles gardent la trace de leur passage dans la cité provençale en avril 1438. Ce qui les situe à dix lieues des Saintes-Maries-de-la-Mer dix ans avant la découverte des reliques des saintes et de celles de Sara (...)

    Il est probable, en revanche, que dès le XVe siècle certains groupes tsiganes se rendaient aux célèbres foires de Beaucaire. On peut supposer qu'ils "descendaient"  jusqu'en Camargue à l'occasion des pèlerinages. Mais de ces visites, il ne subsiste aucune trace. Le fait est d'autant plus insolite  que leur présence est mentionnée, vers la même époque, en d'autres lieux de dévotion. On sait que les premiers Tsiganes arrivèrent en Europe occidentale avec le titre, usurpé ou non, de pénitents et de pèlerins. Ils participèrent pendant plus d'un siècle au grand pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Un mandement de 1508 les autorise à traverser le duché de Bretagne pour aller prier au Mont-Saint-Michel et, en 1594, une petite bohémienne est miraculeusement guérie à Notre-Dame des Ardilliers, près de Saumur.   On trouve encore plusieurs documents montrant des " gens de Bohème " en route vers le sanctuaire de sainte Reine, en Bourgogne. Comment croire qu'aux Saintes-Maries-de-la-Mer, leur venue n'eût pas attiré l'attention ? 

    Comme on voudrait être démenti ! Mais, aux archives paroissiales, aucun acte ne laisse deviner, avant le début du XIXe siècle, une appartenance au groupe gitan. Et les premiers qui attirent l'attention sont pour le moins douteux. (...)

    57 Le premier témoignage écrit que nous possédions sur leur participation aux festivités saintaises est de Frédéric Mistral. Racontant sa visite en Camargue en 1855, il écrit : "L'église était bondée de gens du Languedoc, de femmes du pays d'Arles, d'infirmes, de bohémiennes, tous les uns sur les autres. Ce sont d'ailleurs les bohémiens qui font brûler les plus gros cierges, mais exclusivement à l'autel de Sara qui, d'après leur croyance, serait de leur nation" (Mémoires et Récits, 1906)

    Le "Journal" soigneusement tenu à jour par les curés des Saintes de 1861 à 1939, et conservé au presbytère, ne nous est pas d'un plus grand secours. En 1862 cependant, le desservant, relatant la bénédiction des nouvelles statues des Saintes Maries, note en passant : " Les Bohémiens, qui ont été en trop grand nombre peut-être, ont fait éclater des transports de joie qui ont surpris tout le monde."

    A suivre...

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (8)

     

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

     47

     Le 25 au matin, le village a les traits tirés. On les aurait à moins. Mais les pèlerins sont parés pour la grand-messe quand, entre les créneaux du donjon, s'ébranle l'envolée des cloches. Des routes d'Arles et d'Aigues-Mortes convergent des centaines de voitures bondées de ferveurs nouvelles. Et l'église déborde de fidèles quand, la messe dite, le grand portail s'ouvre pour la procession à la mer.

    Ce n'est plus tout à fait la ruée d'hier. L'abondance des gardians à cheval y est sans doute pour quelque chose. La foule est aussi moins dense : peut-être un millier de personnes, où les Gitans sont en nette minorité. Ce sont pourtant quatre des leurs qui, traditionnellement portent sur leurs robustes épaules la barque d'où émergent à peine Marie-Jacobé et Marie-Salomé, engoncées jusqu'au cou des vêtures successives de la piété bohémienne. Et c'est le même long chemin que la veille, jusqu'à la plage où le clergé monte sur un bateau de pêcheurs décoré de rubans et de fleurs. 

    Mgr de Provenchères [1904-1984] s'avance jusqu'à la proue, d'où il domine l'arc-de-cercle des gardians sur leurs petits chevaux aussi blancs que l'écume, l'escorte des Gitans tenant haut la nef des Saintes, et la foule à peu près également répartie entre la mer qui lui vient à la ceinture et la plage où elle attend que les rites s'accomplissent. Le prélat lève très haut le "Saint Bras" qui renferme des reliques des Saintes Maries. Le reliquaire d'argent bénit la mer et l'assistance. La foule se signe, puis le cortège se reforme et reprend le chemin de l'église, où son retour est accueilli par le frémissement des cloches lancées à toute volée et le chant du "Magnificat". 

    A peine a-t-on pris le temps de déjeuner qu'on se retrouve bien vite à l'église pour la remontée des châsses. Quel Provençal, quel Languedocien de bonne race voudrait manquer pareil rendez-vous ? Des familles de Nîmes et de Lunel ont amené leurs fauteuils pliants et s'installent aux avant-postes. Des matrones 48 prévoyantes ont investi des rangées entières de bancs et montent bonne garde, écartant sans pitié les intrus. On s'interpelle d'une travée à l'autre : "Où elle est Ninette ?"..." Henri, viens ! Je t'ai gardé une place !"

    Les Gitans vont et viennent dans la nef, s'arrêtant devant le puits. Ils y plongent un seau muni d'une chaine, le remontent et en remplissent des bouteilles. En se dirigeant vers la crypte de Sara, ils embrassent poliment, sur les deux joues, les statues des Saintes déposées à l'entrée des marches. Certains posent sur leurs têtes une main respectueuse. On se tasse un peu pour faire place à un groupe d'étudiants qui arrive d'Avignon à pied. On se désigne du doigt deux cavaliers venus de Paris à cheval. Les conversations cessent cependant quand l'officiant  entonne les premiers cantiques : " O grandes Saintes Maries" et "Courons aux Saintes-Maries", que l'assistance  reprend avec ardeur, et dont l'intensité redouble à l'entrée de Monseigneur l' archevêque. L'allocution traditionnelle, dite " Adieu aux Saintes ", apporte un répit passage. Les matrones en profitent pour moucher les marmots et tirer d'incroyables boites métalliques des bonbons qu'elles font circuler à la ronde.

    A mesure que la cérémonie s'avance, un mouvement se dessine dans la foule. On se presse tout contre les châsses qui vont bientôt repartir, comme pour les protéger, les garder encore un peu avec soi. Pourtant, l'inéluctable arrive : les machinistes amorcent la descente des câbles, qu'on passe autour des coffres sacrés. Et la lente remontée commence. Les fidèles chantent à pleine voix, avec parfois comme des sanglots étouffés : 

              O Saintes de Provence

              Nous vous tendons les bras...

    et, dans le même instant, cent bras se dressent pour les toucher encore, caresser le bois enluminé, s'agripper au dernier rebord.

    49 C'est fini ; elles sont maintenant hors de portée. Sans respect humain, des femmes, des hommes même laissent couler leurs larmes. A mesure que les câbles gagnent la chapelle haute, les machinistes en détachent un à un les bouquets que les familles saintoises conserveront précieusement jusqu'à l'an prochain. Un Pater, un Ave Maria et les châsses ont atteint la haute fenêtre, devant laquelle elles s'immobilisent. Elles resteront là une semaine, au terme de laquelle le rideau de fer se refermera sur elles. 

    Mgr de Provenchères bénit maintenant les pèlerins. Il a une intention spéciale pour les Gitans, auxquels il s'adresse en ces termes : " Chers Gitans, tous les pèlerins des Saintes devraient être vos amis. Car vous avez droit au respect et à l'amitié. N'est-ce pas normal qu'au moins une fois par an, les Gitans se sentent à l'aise dans une église ? Tous les jours, j'évoque pour vous, avec vous votre patronne sainte Sara, en même temps que les saintes Maries Jacobé et Salomé "...

    Quelques matrones scandalisées murmurent : " Eh bé !... Eh bé ! "... Pour elles, quoi qu'on dise et qu'on fasse, les Fils du Vent ne seront jamais de la paroisse ! Mais, après être allées processionnellement embrasser le saint Bras, elles chanteront de tout leur cœur le vieux chant de ralliement : " Prouvençau e catouli " ! En souhaitant sans doute, secrètement, que les Grandes Saintes les protègent, entre autres malaventures, du mauvais œil des  " Romanichelles "...

     

      A suivre

  • Année A - Sixième dimanche de Pâques

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche  : Ac 8, 5-17 - 1 P 3, 15-18 - Jn 14, 15-21

    Texte (i-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    139

     

    Saint Pierre nous exhorte aujourd'hui à "rendre compte de l’espérance qui est en nous." Témoigner de notre espérance est vraiment la chose la plus importante qui soit puisque l'espérance habite notre cœur par le fait que Jésus est ressuscité. Nous avons à en rendre témoignage devant nos frères. Or saint Paul dit que le monde païen est un monde sans Dieu et sans espérance. C'est dans ce monde sans espérance que nous vivons : voilà pourquoi se dévoile la profondeur du mal, de la souffrance et de l'atrocité des choses.

    Rendre compte de l'espérance. Y réfléchissez-vous ? Nous sommes-nous demandés jusqu'où cela mène, témoigner de l'espérance ?  D'autant plus que Pierre nous rappelle " d'avoir une conscience droite, pour faire honte à vos adversaires au moment même où ils vous calomnient." Êtes-vous capables de témoigner de l'espérance de la résurrection ? Oui, l'espérance de ressusciter avec le Christ est déjà dans cette vie, l'espérance nous entraîne, c'est un mouvement qui part du cœur du Père par le Christ qui lui-même, dans l'Esprit Saint nous fait rejoindre le cœur du Père.

    "Le Christ est mort au péché une foi pour toutes" (Rm 6,10). Dans sa chair il a été mis à mort, selon l'esprit il a été rendu à la vie. Nous avons dans notre vie cette présence extraordinaire : il faut le réaliser. Car enfin, que se passe-t-il ? Il se passe que si nous aimons le Seigneur et si nous lui sommes fidèles, le Seigneur nous donne un défenseur, un avocat, un esprit de consolation ou plus fortement un esprit de vérité qui témoigne de l'amour du Père pour nous. 

    140

    Dans ce temps préparatoire à la Pentecôte, nous devons demander de découvrir l'Esprit Saint qui n'est pas une personne abstraite. C'est une personne, nous dit le Christ, que nous connaissons puisqu'il demeure en nous. Réalisez que l'Esprit Saint est là, au cœur de chacune de nos vies dans la communauté, dans l’Église entière. " Je ne vous laisserai pas orphelins." C'est cela qui est merveilleux. Au moment où il part, le Seigneur, qui va quitter ses disciples, leur dit : "Je reviens vers vous". Partir signifie venir et si le Christ part, c'est pour nous donner l'Esprit Saint. Si le Christ meurt sur la croix, c'est pour nous donner l'Esprit Saint. Si Jésus Christ est venu dans  notre monde, s'il a pris notre humanité, c'est pour qu'en nous donnant l'Esprit Saint  nous communions au mystère du Christ et que nous découvrions que nous sommes dans le Père, avec le Christ, et que nous sommes en lui. " Vous êtes en moi, et moi en vous."

    Nous avons à rendre compte de l'espérance en croyant vraiment que le Saint-Esprit nous habite, en croyant que nous sommes aimés de Dieu et qu'il nous appelle à l'aimer davantage. "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père." Il n'y a pas de parole plus étonnante dans l’Évangile que ces paroles d'amour, d'amour incessant, d'amour qui nous poursuit, d'amour qui nous met près de lui et qui se donne. 

    "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui". Nous avons à être des hommes debout face à la tourmente, face à la tempête. L’Évangile est vrai. Dieu n'a jamais biaisé devant l'atrocité du mal. Le mal est là et s'amplifie tous les jours. La vision que donne le Christ de l’Évangile n'est pas une vision facile ni commode. C'est une vision d'espérance.  

    "Je viens vers vous" et non je reviens car dans le départ du Christ, tout est déjà donné, tout, tout le mystère du Christ. Nous sommes entraînés dans son mystère et nous y communierons. Si Jésus a fait la volonté de son 141 Père, nous la ferons aussi. Vous voyez : si Jésus a été fidèle, nous devons être fidèle.

    "Je suis le Fidèle" dit le Christ dans l'Apocalypse [c'est le dernier livre de la Bible. Le terme "apocalypse" vient du grec qui signifie "dévoilement"]  Nous avons à être les fidèles au sens fort du mot c'est-à-dire que cet amour nous lie au Christ. C'est une alliance indissoluble qui nous emporte avec lui.

    Il faut demander les uns pour les autres l'espérance malgré toutes les tourmentes, malgré toutes nos faiblesses, malgré tous nos péchés. Le Seigneur est lumière et il est vérité. Nous n'avons qu'une chose à lui demander : qu'il se manifeste à nous. Nous sommes ses enfants, nous ne sommes pas orphelins. Nous sommes aimés, enveloppés d'amour, pris dans l'amour. Le monde ne peut pas savoir ce que cela signifie. Je dirai même que le chrétien qui ne se laisse pas prendre par la réalité du mystère du Christ ne peut comprendre de quoi il s'agit. Mais celui qui se laisse prendre découvre l'aventure que le Seigneur veut nous faire vivre avec lui. Je te connais personnellement, je te connais et je t'aime.

    Le monde est incapable de comprendre le mystère d'amour de Dieu qu'il nous donne librement. Demandons au Seigneur, dans l'Eucharistie, d'être pris dans la tornade de son amour. Il s'agit de se laisser emmener là où Il veut. Alors nous témoignerons de l'espérance d'être avec lui, un jour, ressuscités dans la gloire, dans la joie, dans la paix. Amen !

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (7)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

     43

    Nous voici  parvenus au bord de la mer. Les chevaux y entrent les premiers et forment un demi-cercle. Sara les suit, sur les épaules de ses porteurs. Puis, dans un élan irrésistible, la foule gitane entraînant les curieux sur son passage. Les jeunes Gitanes ont de l'eau jusqu'aux genoux, mais ne font pas un geste pour relever leurs longues robes. Comme les hommes, elles sautent joyeusement sur place, poussent des cris et frappent dans leurs mains, sans que personne puisse expliquer le sens de cette exaltation. Puis tout le cortège fait demi-tour et, sous l'ardent soleil de mai, reprend le chemin de l'église. Il s'effiloche tout au long du parcours, chacun s'écartant au moment où il passe devant ses caravanes. Quand Sara regagne la crypte, elle n'a plus autour d'elle qu'une centaine de fidèles, que deux heures de marche et de cris n'ont pas épuisés. Longtemps encore, elle recevra visites et hommages, l'humble servante devenue reine d'un peuple aussi étrange qu'elle. 

    Jusqu'à minuit, les gitans ne cesseront de pénétrer dans l'église, pour y accomplir une série de dévotions au déroulement presque immuable. La première halte s'effectue devant la barque des Saintes Maries, dont les statues jumelles commencent à ressembler à celle de Sara et à disparaître sous les vêtements dont les parent les Gens du Voyage. Une vieille Gitane, portant sur le bras deux somptueux manteaux brodés de paons bleus et or, est là depuis plusieurs minutes. Elle est trop âgée et trop faible pour se hisser sur la pierre d'autel et atteindre les saintes. Un jeune Boumian grimpe à sa place et attache les vêtements, prenant grand soin d'en arranger les plis avant de redescendre. La vieille tend la main, la pose sur chacune des Saintes puis la porte dévotement à ses lèvres.

    D'autres Gitans traversent la nef, les bras chargés de cierges énormes. arrivés devant les châsses, ils s'arrêtent, déposent leur fardeau et étreignent à pleins bras les coffres jumeaux. Longuement, ils y posent un bouquet de feuillages qu'ils remporteront avec eux. Puis ils gagnent, d'un pas assuré, la crypte de plus en plus enfumée.

    44 Leurs cierges allumés, ils s'approchent de la statue et, à tour de rôle, embrassent son visage bruni. Puis ils entreprennent  de se photographier mutuellement avec elle. Un tout jeune garçon, d'un geste spontané et touchant, saisit la robe de Sara et l'étreint contre son cœur. Quand c'est au père de poser, il passe un bras presque tendre autour du cou de Sara et son visage prend un air d'intense gravité. C'est vraiment la "photo de famille", et le plus sceptique s'avoue attendri et ému. 

    Avant de quitter la crypte, la mère de famille glisse subrepticement dans le coffret préparé à cet effet un objet invisible. Ce réceptacle des intentions laisse deviner, à travers une vitre jaunie, quelque-uns de ses secrets. Il y a là, entassés les uns sur les autres, des fragments de vêtements, des mouchoirs, des mèches de cheveux, beaucoup de petites photos, des pansements encore maculés de sang, des brassières d'enfants et des dizaines de messages, griffonnés sur un bout de papier déchiré ou soigneusement tracés au dos de cartes de visite. Et l'on a le cœur étreint à la pensée de toutes ces misères humblement confiées, de tant  de détresses et d'espoirs déposés là par tant de mains anonymes et ferventes, de tant de confiance et d'amour. 

    Au moment où j'émerge avec la famille de la fournaise souterraine, une étrange agitation attire tous les regards vers le fond de l'église. On entend des appels étouffés, des vagissements, des trépignements, sur lesquels se plaquent par instants des  accords de guitare. On tape dans ses mains, on rit sans retenue, on jacasse en dialecte. Impossible de s'y tromper : ce sont des Gitans rassemblés pour venir faire baptiser leurs nouveaux-nés. Qu'ils aient la foi démonstrative et joyeuse ne saurait que choquer que les chrétiens moroses !

    Le petit groupe s'approche du maître-autel et s'installe au premier rang des bancs du chœur. Entre deux invocations et deux gestes liturgiques, les guitares retentiront parfois encore, égrenant quelques notes en cascade. C'est que le baptême est, pour les Gitans, un acte essentiel. Avant d'avoir reçu l'onction sainte, l'enfant n'est pas tout à fait, à leurs yeux, un être humain ; 45 on n'est pas sûrs qu'il ait une âme. Le baptême, par une vertu quasi magique, va le préserver des maladies et le mettre à l'abri des ruses et des esprits mauvais. 

    Mais il faut très vite corriger cette interprétation primitive et utilitaire. Comme tous les pèlerinages gitans, celui des Saintes-Maries-de-la-Mer est aussi pour certains l'occasion d'un retour sur eux-mêmes et de secrètes conversions. Loin de la foule et du bruit, des prêtres, des religieuses, des laïcs s'en vont dans les caravanes faire le catéchisme et préparer le peuple errant à la réception vraie des sacrements. Que cela porte fruit, comment en douter devant une scène comme celle-ci ?

    Un papa gitan, moustaches en croc et regard de feu, contemple le cierge qu'il tient à la main, au-dessus de l'enfant baptisé. Comme pour lui-même, il commente : " Tu vois, on allume un cierge pour éclairer la route qui nous mène à Jésus." Et pour appuyer son affirmation, il ajoute d'une voix vibrante : " Que je meure à l'instant si je ne dis pas vrai !"

    Une religieuse, témoin de la scène, murmure à mon oreille :

    - Voilà la foi gitane en marche. A travers un peu de superstition, ils aiment les Saintes et Sara de tout leur cœur, un peu comme nous autrefois quand la Vierge masquait souvent le Christ. Combien de temps nous a-t-il fallu pour évoluer, à nous qui avons des paroisses ? Devant eux, qui sont à peine évangélisés, je me sens parfois bien tiède...

    Les Gitans, il est vrai, se sentent peu à l'aise à l'église, à moins qu'ils ne s'y retrouvent entre eux seuls. A la veillée de ce soir, qui est celle du pèlerinage régional, on en verra très peu se mêler aux gadjé. Peut-être, au fond de leur âme collective, subsiste-t-il quelque souvenir du temps où on les reléguait dans la crypte, eux les suspects, les malvenus, les inconnus dans la maison du Père...

    Pourtant, ce soir encore, l'église-forteresse est pleine. Ici et là, des Arlésiennes en costume jettent dans la grisaille anonyme de la foule une note claire et traditionnelle. Comme toujours aux Saintes, le pieux rassemblement prend tout de suite un air de 46 famille. On entre, on sort, on s'interpelle, on papote joliment avec le bel accent du cru. Ce devait déjà être ainsi jadis, quand la veillée du 24 mai durait toute la nuit. 

    A suivre...

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (6) : vers la mer

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du post du 23 mai

     

    39 Suspendues entre ciel et terre, les châsses descendent imperceptiblement. Quand les grands coffres enluminés sont enfin à trois mètres de la table, c'est la bousculade 40, la ruée. Le plus long des cierges les a touchés ! Puis un enfant, lancé à la volée, tente de s'y accrocher avant de retomber en riant dans les bras de son père extasié. Et je songe à la phrase de Jean-Louis Vaudoyer, spectateur fasciné de ces rites surprenants : " Est-il irrespectueux de croire une seconde, dans cette église nue comme une grange, qu'on est en train de descendre une malle de famille du grenier ? "

    Les châsses sont maintenant parvenues à portée des petits Gitans juchés sur les épaules ou tendus à bout de bras, qui s'aident des ferrures et des cordages pour se hisser jusqu'à elles. Un petit groupe de femmes vêtues de noir guide en tremblant la main d'un aveugle jusqu'à ce qu'à tâtons il effleure à son tour les coffres aux peintures naïves. Les Gitans ont définitivement investi la place et se bousculent pour gagner les premiers rangs dans un tumulte d'acclamations et de prières. Car, chez eux, la tradition veut que quiconque touche les châsses avant qu'elles ne se soient posées verra son vœu exaucé. Puis, la houle bohémienne déferle vers la table où désormais les Saintes reposent, jusqu'à demain.

    Pendant ces vingt-quatre heures où le ciel touchera la terre, ils ne cesseront de venir, par familles entières, embrasser les reliquaires enluminés, y frotter des objets divers, y déposer des bébés. Beaucoup s'arc-boutent tout contre les châsses, les étreignant de leurs bras, collant leur joue contre le bois peint, murmurant des prières naïves ou de douloureuses confidences, indifférents aux curieux, aux photographes, à tout ce qui n'est pas leur sublime et singulier colloque. Et l'on se surprend à marcher sur la pointe des pieds, saisi de respect devant cette foi gitane si directe, si abandonnée et qui ne se pose pas de questions.

    La cérémonie terminée, mille voix clament le vieux cantique " Prouvençau e catouli " et, quand s'ouvre enfin le grand portail, on aperçoit déjà sur place les gardians à cheval venus, comme chaque année depuis 1935, pour escorter jusqu’à la mer la procession de Sara. Sara, à son tour justifiée, réhabilitée, sortie pour quelques heures de son humble obscurité  et entraînant derrière elle, en grand tumulte et en grand apparat, son peuple éperdu 41 de fierté. Elle la servante, la trop brune, la suspecte, la voici exaltée sur un pavois de fleurs, portée à bras d'hommes à travers les rues écrasées de soleil, avec pour escorte d'honneur le clergé, les gardians et les Arlésiennes en costumes de fête. La longue marche commence. 

    On ose à peine parler de procession devant cette cohue qui s'engouffre dans les rues étroites aux pavés disjoints, avec des ralentissements imprévisibles et des galopades soudaines. On dirait bien plutôt une promenade de famille, comme si on avait voulu, par une attention délicate, emmener la grand-mère revoir tous ces lieux chargés pour elle d'attendrissants et très chers souvenirs.

    On a beaucoup dit de Sara qu'elle avait des allures d’idole païenne. Comment le savoir ? On la devine à peine, dissimulée qu'elle est sous l'accumulation des robes et des manteaux qui l'engoncent jusqu'aux yeux et lui donnent une obésité dont les Gitans semblent ravis. Elle en porte plus de cinquante dont chacun représente une offrande, un sacrifice, l'accomplissement d'un voeu. Robes de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, manteaux de soie, de lamé, de tissu broché rehaussé d'or et de dentelles, dont on la revêt un peu par ostentation sans doute, mais surtout pour être assuré qu'elle pensera à vous et exaucera votre voeu. La tête elle-même est couronnée d'un amoncellement de diadèmes. Ce sont ceux des jeunes Gitanes mariées dans l'année, et qui sont venues lui en faire offrande, dans un geste de piété filiale. 

    Le service d'ordre gitan, main dans la main, fait la chaîne pour contenir à grand-peine les curieux. Autour de la statue , qui oscille par-dessus une forêt de  têtes, des prêtres et des religieuses s'efforcent de créer une atmosphère de piété plus classique. On chante l'Ave Maria, on récite  des bribes de chapelet, on crie surtout à tue-tête : " Vive sainte Sara ! " La cohorte reprend aussi à sa manière un vieux cantique provençal, dont on a à peine modifié les paroles. " Prouvençau e catouli " 42 est devenu, pour la circonstance : " Li Gitan soun catouli " Folklore si l'on veut, mais folklore inoubliable. Il est impossible de douter que ce délire est, à sa manière, une façon de prier et qu'en marchant vers la mer, ce peuple marche aussi vers Dieu. 

    Ne nous abusons pas : tous les Gitans ne viennent pas aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour implorer Sara. Un certain snobisme de l'incroyance n'a pas épargné ceux des bidonvilles du Midi de la France, ni les "parvenus" insérés dans la vie sédentaire. Quand la procession de Sara passe entre les caravanes, il est des Boumians qui ne daignent même pas lever les yeux, et poursuivent ostensiblement leur partie de cartes. Je ne jurerais pas qu'il en va autrement des Saintois eux-mêmes, plus nombreux aux terrasses des cafés qu'aux cérémonies religieuses...

    (...) Il y a quelques années, un petit Gitan fut mortellement brûlé à Albaron, sur le chemin du pèlerinage. Le clan l'enveloppa dans une couverture et l'amena  jusqu'aux Saintes, où on le veilla toute la nuit, autour du grand feu de deuil, au milieu des plaintes et des lamentations. Quand passa la procession de Sara, toutes les femmes du clan se détournèrent et lui présentèrent le dos, pour montrer qu'elles la tenaient pour responsable de ce grand malheur.

     

    A suivre...

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (5)

     Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    (...)

     

    30 Vaisseau de haut bord échoué là depuis tant de siècles, forteresse sacrée dont les fenêtres sont des meurtrières et le clocher un donjon, citadelle au grand vent et vigile de la foi, l'église des Saintes-Maries-de-la-Mer dresse sa nef unique et nue à l'écart des habitations. Au temps des invasions sarrasines, toute la population  s'y réfugiait. Les hommes veillaient aux créneaux tandis que femmes, vieillards, enfants, serrés les uns contre les autres, priaient sous dix mille mètres cubes de bonnes pierres. Une patine les a peu à peu recouvertes et, comme au moyen âge, une pénombre propice au recueillement y règne en permanence.

    Les Gitans entrent là comme chez eux, sans excès de cérémonie, sans même toujours interrompre leurs bavardages, à l'aise comme partout où ils savent qu'une amitié vraie les attend. L'amie, ici - presque une parente en somme - c'est Sara, Sara-la-Kâli, comme ils la nomment, d'un mot romanès qui signifie à la fois " la Gitane " et " la Noire ". Cette apparente désinvolture pourrait choquer l'observateur superficiel. Mais écoutez... Devant la porte étroite et basse qui donne accès au sanctuaire, un couple de jeunes Gitans hésite, n'osant visiblement y pénétrer. Avisant une des Petites Sœurs, la femme, un bébé dans les bras, s'approche et demande timidement : " Est-ce que vous croyez qu'on peut entrer ? C'est que le petit n'est pas encore baptisé..." Quelle foi pudique et quel respect du lieu saint dans cette simple petite phrase !

    L'église est bondée de Gitans et de Manouches et c'est déjà une surprise car, entre la caravane et l'église, il y a tant de tentations : l'ami rencontré, la parente retrouvée, les guitares, les chants et les danses, que tel qui partait d'un bon pas à la veillée n'arrivera jamais jusqu'au bout...

    A gauche de l'entrée, dans une niche de pierre, les saintes Marie-Jacobé et Marie-Salomé se dressent sur leur barque, tenant en leurs bras les vases de parfum dont elles oignirent le corps supplicié du Christ. Les Gitans les ont revêtues de robes somptueuses, leur 31 donnant une parure de fête. Ceux qui arrivent s'approchent des statues avec dévotion, les touchent et les caressent d'une main assurée qu'ils portent ensuite à leurs lèvres. On hisse les enfants à bout de bras jusqu'à leurs visages, où ils déposent des baisers mouillés. 

    Puis toute la famille, par le bas-côté, gagne la crypte de sainte Sara. On y accède, sous le maître-autel, par un escalier abrupt que surmonte le trident du marquis de Baroncelli. C'est là que, suivant la tradition se trouvait l'habitation rustique des Saintes Maries et de leur servante. Depuis l'arrivée des Gitans, ces jours derniers, la crypte est embrasée par des centaines de cierges qui font régner sous sa voûte une chaleur presque insupportable. Dans cette pénombre enfumée, on distingue à peine - dressée contre un mur - la grande croix de bois que les Gitans porteront demain lors de la procession à la mer. Des Caraques de Port-de-Bouc sont arrivés il y a dix ans, cette croix sur leurs épaules ; ils avaient effectué le long trajet à pied, à la suite d'un vœu.

    La statue de Sara, au fond, à droite, est déjà revêtue de plusieurs dizaines de manteaux somptueux, tant bien que mal accumulés les uns sur les autres par la piété bohémienne, et qui dissimulent  presque son visage bruni. Les Gitans embrassent le bas de ces vêtements, qu'ils soulèvent respectueusement jusqu'à leurs lèvres. Les femmes les palpent longuement, puis leur main remonte jusqu'au visage de plâtre qu'elles caressent dévotement, en commençant par le front et en descendant le long des joues jusqu'au menton. Certaines y frottent furtivement des objets : mouchoirs, photos, brassière d'enfants...

    Toute la famille s'immobilise à quelques pas de la statue, priant et se recueillant en silence. Avant de partir, il en est qui posent encore les mains sur le coffret qui contient les reliques de la servante des saintes et dont les deux petites ouvertures sont devenues presque opaques, tant leur verre a été dépoli par les attouchements pieux. Quand ils remontent enfin dans la nef, les Gitans présentent des visages transfigurés, d'une gravité extatique. Les femmes ont les larmes aux yeux. Ces scènes se renouvelleront 32 tout le long du pèlerinage. C'est vraiment là, dans la crypte étroite et rougeoyante de la lueur tremblotante des cierges, que s'exprime une foi gitane farouche et confiante, à nulle autre pareille. 

     

    A suivre...

     

     

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (4)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du poste du 22/05

     

    (...) 27 Dans les rues du village maintenant envahi par les touristes, des nuées de petits Gitans mendigotent avec effronterie. Ils se composent des attitudes pour apitoyer le gadjo. Mais, munis ou non d'une nouvelle piécette, ils se remettent à rire et à chanter, en arpentant les trottoirs d'un air conquérant. On dira  ce que l'on voudra : c'est une rude race que celle-là ! 

    Pourtant, les vieux Saintois soupirent : " Le pèlerinage n'est plus ce qu'il était. Ce ne sont plus de vrais Gitans." Les " vrais " Gitans, à leurs yeux, c'étaient les Caraques, les Boumians, maquignons pour la plupart, que l'on connaissait et qui avaient pignon sur  rue dans la région ; les Maille, les Lombard, les Matthieu, les Baptiste, les Rey qui venaient chaque année en voisins et que le marquis de Baroncelli ne dédaignait pas de recevoir à sa table. Ceux aussi, à la rigueur, dont les roulottes multicolores et les attelages pittoresques composaient, pour les esthètes, un tableau à la Van Gogh le long de l'étang des Launes  ou sur les bords de la Méditerranée. Il n'y a plus jamais de roulottes aux Saintes. Ou plutôt si, il en reste une, mais bien cachée là-bas vers le bac du Sauvage, sur le terrain municipal où l'on parque, derrière le tombeau du Marquis, les nomades indésirables. Étrange roulotte, en vérité. Au-dessus de  la porte d'entrée, une pancarte porte cette inscription : " Fraternité  des Petites Sœurs de Jésus " - " Vannerie-Rempaillage ".

    Les Petites Soeurs nomades mettent, pour se distinguer des autres, un foulard rouge sur la tête. Autre signe caractéristique jeunes ou vieilles, sous le soleil ou sous la pluie, devant les gestes d'amitié comme en face des rebuffades, elles ne cessent jamais de rire.

    L'une des " anciennes " explique :

    - Celui que nous considérons comme notre fondateur, le frère Charles de Jésus (Père de Foucauld) a vécu en nomade toute une période de son existence. Il désirait la venue au Sahara 28 de sœurs demi-nomades allant de campement en campement, et vivant de préférence parmi les populations les plus pauvres et les plus abandonnées. C'est dans cette pensée que la Fraternité des Petites Soeurs fut fondée en 1939 auprès des nomades du Hoggar. Après eux, ce furent les Gens du Voyage qui attirèrent les Petites Soeurs. Et c'est ici, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, que nous prîmes le premier contact avec les Gitans lors du pèlerinage de mai 1948, présidé par Mgr Roncalli, le futur pape Jean XXIII.

    L'année suivante, elles revenaient. En roulotte ! Une robuste et rustique " verdine " passablement encombrante, avec ses six mètres de long, ses deux mètres cinquante de large et ses roues à bandages ! après un bref essai " sur le voyage ", il fallut se résigner à la laisser aux Saintes, où elle est toujours. La messe y fut célébrée pour la première fois le 25 mai 1949 par Mgr de Provenchères, archevêque d'Aix, qui laissa aux Petites Soeurs le saint sacrement. Il est revenu bien souvent, depuis, se mêler aux Rom et aux Sinti, aux Manouches et aux Gitans, ses paroissiens des printemps saintois...

    En 1957, une caravane plus petite, plus maniable, prit la relève. On l'a vue circuler un peu partout dans le Midi et le Sud-Ouest, suivant à la belle saison le circuit des travaux saisonniers et stationnant l'hiver aux abords des villes où des gitans " en panne " connaissent les conditions de vie les plus misérables : Montauban, Toulouse, Lézignan, Perpignan...

    Peu à peu, d'autres Petites Soeurs nomades ont partagé la vie des Gitans d'autres pays : les Manouches des camps de Hollande en 1958, les Gitans du lamentable bidonville de Malaga en 1959, les Sinti et les Tsiganes yougoslaves parcourant l'Italie en 1965, les Rom qui vivent sous la tente dans les faubourgs de Santiago-du-Chili en 1966, les "Voyageurs" d'Irlande (ou Tinkers) du camp municipal de Dublin en 1972.

    - Elles vivent comme nous, commente un vieux Manouche qui n'en revient pas. C'est leur foi qui commande çà et c'est bien !

    Dans la pureté de leur cœur, les Petites Soeurs n'ont pas voulu "jouer aux nomades", mais le devenir entièrement. 29 Elles vivent de la confection de corbeilles et de paniers qu'elles s'en vont vendre de porte en porte ou sur les marchés, comme leurs compagnes gitanes. Elles ont voulu, comme les plus pauvres des nomades, avoir l'infamant carnet anthropométrique que les itinérants partagent avec les repris de justice et qui, jusqu'en 1969, devait être visé dans chaque commune, à l'arrivée et au départ, c'est-à-dire pratiquement tous les jours alors que celui des criminels avérés n'était contrôlé que tous les deux mois. Il fallait voir l'embarras des policiers et des gendarmes devant ces religieuses devenues volontairement, comme leurs sœurs du Voyage, des parias légaux.

    Pauvres parmi les pauvres, nomades parmi les nomades, les Petites Soeurs de Jésus sont le perpétuel sourire de l’Église au milieu des déshérités, des mal-aimés, des éternels errants, les Fils de la Route et du Vent. Il leur arrive de rêver au jour où, du cœur du monde gitan, des Romnia ou des Manouches viendront rejoindre leur Fraternité, pour qu'elles puissent dire enfin en toute vérité : " Nous autres, filles du Voyage."

    Aux Saintes, les caravanes les plus misérables, celles des besogneux qui ont dû, pour arriver en ce bout du monde, travailler ou  mendier leur pain tout le long du chemin, viennent se blottir autour de la leur, comme pour quêter aide et protection. On prépare ensemble la soupe du soir, avec des légumes récupérés à la fin du marché des riches. On s'assied tous en rond pour conter  les épisodes, drôles ou tragiques, de la malaventure quotidienne. On écoute les grandes et belles histoires dont on ne sait même pas toujours qu'elles s'appellent : l’Évangile.

     

    A suivre...

     

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (3)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du poste du 21/05



    20 C'est en chantant que nous sommes entrés dans Les Saintes-Maries-de-la-Mer.

    21 Yako conduit très lentement, comme pour prolonger le cérémonial de notre entrée dans la Terre promise. Nos trois caravanes processionnent, laissant sur leur gauche la statue de Mireille, sur leur droite la masse moderne de la mairie, et le soleil de Camargue décalque sur le bitume leurs trois silhouettes trapues. Nous roulons lentement sur leur ombre.

    - Dans ma jeunesse, dit le vieux Béro, les Manouches occupaient le terrain vague qui est devenu depuis la place des Gitans. Il n'y avait alors aux Saintes que deux rues. Là où tu vois la mairie poussaient des vignes. Plus loin, c'était la campagne... Les Gitans ne venaient pas si nombreux, à cette époque. Peut-être un millier, guère davantage. C'étaient presque tous des maquignons de Saint-Gilles, de Lunel ou de Montpellier. Nous, les Manouches, on nous regardait un peu de travers, parce que nous n'étions pas du pays.

    Oui, Béro, Les Saintes ont bien changé ! Les Gitans aussi, à en 22 juger par les confortables caravanes, surmontées d'antennes de télévision (...)

    Yanko roule toujours au ralenti, hésitant aux carrefours, à demi penché hors de la portière. Je sais qu'il cherche, parmi ce fouillis de roulottes toutes pareilles, ceux de son clan, ceux de son sang, d'autres Yanko, d'autres Béro venus du polygone de Strasbourg ou du terrain de Laval, des pentes des monts d'Auvergne ou d'un village des Pyrénées où quelques-uns, maladroitement, s'essaient à la vie sédentaire. Et tous les autres aussi regardent, intensément, et vivent déjà  en pensée le moment si rare et si doux au cœur des retrouvailles.

    Ils se sont enfin trouvés, au creux d'un dernier terrain vague, là où le tissu serré des voitures et des roulottes s'effilochent, du côté de l'étang des Launes. Que de cris, de piaillements, d'embrassades ! Les tchavé (garçons) et les tchia (filles) sautent sur place de bonheur. Une vieille mâmi (grand-mère), clouée dans un fauteuil, laisse ses mains trembler d'émotion. Et cela dure, dure...

    (...)

    23 Pour le touriste pressé, tous les Gitans se ressemblent. Pour l'observateur attentif, il est clair que les voitures, roulottes et caravanes ne sont pas disposés au hasard. Cette cité éphémère n'a pas seulement ses avenues et ses venelles ; elle se compose, en réalité d'un certain nombre  de quartiers distincts. Car le peuple du Voyage n'est pas un, mais divers. Et si les violonistes de cette rue appartiennent, à l'évidence, au même groupe, ni leur visage ni leur musique ne ressemblent  à ceux des joueurs de flamenco qui, à deux pas de là, lancent les notes rauques du cante jondo. Et si toutes les femmes aux longues robes ont comme un air de famille, c'est précisément parce qu'elles sont différentes des autres.

    Ma première visite sera pour elles. Non pas à cause de leur  incontestable pittoresque, mais parce qu'elles sont, ces inquiétantes Sibylles, chargées de malédictions, les mal-aimées de ce pèlerinage où on ne les tolère qu'à contre-coeur. Elles débarquent ici chaque année de Montreuil ou de Bagnolet, de Lille, de Villeurbanne, arrogantes et splendides, traînant derrière elles une marmaille ébouriffée et une sourde réputation de sorcières. (...) Les Rom, répandus à travers le monde entier, grands nomades devant l’Éternel, ont réussi à préserver farouchement leur langue, proche du sanskrit, leurs traditions et leurs légendes. (...)

    24 Importunes et tenaces, aggrippeuses de touristes et exploiteuses des naïfs, les Romnia [féminin pluriel de Rom. Romni au féminin singulier] profitent sans vergogne du pèlerinage pour gagner le plus de lové (argent) possibles en lisant dans les lignes de la main. (...)

    Les Rom se mêlent peu aux cérémonies religieuses. Je les verrai pourtant s'arrêter devant l'église avant de reprendre la route, s'avancer au milieu de la nef et remplir de l'eau du puits d’invraisemblables ustensiles.  Chacun en boit une gorgée; le reste est emporté dans les caravanes à l'intention des malades. Certaines familles assurent qu'une petite Tsigane aveugle aurait recouvré la vue après avoir bu de cette eau sainte.

    (...) Devant un grand feu de bois où grillent des côtelettes, un petit orchestre s'est spontanément formé. Une fillette de six ou sept ans s'élance au milieu du cercle et se met à danser, comme pour elle seule, encore inexperte, mais empreinte déjà de cette grâce fougueuse qui fit la gloire de Carmen Amaya et de la Chounga. (...)

    27 Et, au milieu des rires, les claquements de mains reprennent, les guitares relancent la danse un instant interrompue.

                     
    A suivre...

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (2)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du poste du 20/05

     

    - Yanko, pourquoi ce pèlerinage aux Saintes ?

    15 C'est Bianca qui répond :

    - J'ai fait le vœu.

    Toute la famille incline la tête, en signe d'approbation. Quand le petit Polo a été si malade, cet hiver, sa mère a promis, pour obtenir sa guérison, d'aller mettre un cierge à Sara. Un tel engagement a quelque chose de sacré, et l'on y met en jeu son salut. Il faut le tenir coûte que coûte.

    J'admire, une fois encore, l'exemplaire efficacité qui préside aux rapports des Gitans avec la Providence. Leur vision du monde est lumineusement simple. Il y a le Baro Devel (littéralement : le grand Dieu) qui donne la " bonne chance " et les réussites de tout ordre. Face à lui se dresse le Beng (le diable) dont on évite de prononcer le nom, et qui dispense malheurs petits et grands. Il a sur la terre des suppôts : les hexi (sorcières), qui ne sont jamais des Gitanes, mais des sédentaires cuirassées de haine et de maléfices.

    Le monde invisible inclut aussi les redoutables mulé (revenants) dont on a un respect panique et qu'on se garde de provoquer, par crainte des représailles. Heureusement, contre tant de menaces, il y a les saints, qui sont des protecteurs puissants, dont on possède les statues, les médailles et auxquels on offre des cierges dans les  églises. Ainsi parés, les Gitans peuvent conserver une âme sereine. Et vivre en bons termes avec Dieu, un Dieu toujours disposé à tout comprendre et à tout pardonner.

    Le monde gitan a ses saints de prédilection, variables suivant les clans. Outre Sara, la palme revient à sainte Thérèse, à sainte  Rita et au curé d'Ars. La famille de Yanko leur a consacré, dans la caravane, un petit autel toujours fleuri. Curieusement, il y manque l'image de sainte Sara... Gageons qu'elle y sera demain.

    - Les autres, bien sûr, on les aime bien, dit Bianca. Tu te rappelles l'année où on est allés à Ars ensemble. Mais nous, les Manouches, on a toujours tellement à demander que çà en devient gênant, tu comprends? Quand j'ai eu si peur, pour le petit, j'ai tout de suite pensé à la sainte qui avait l'air si bonne et que j'avais vue sur un vitrail. Une vraie Manouche, comme 16 nous. Tu vois que j'avais raison, puisqu'elle a guéri mon Polo.

    - Où as-tu vu un vitrail de sainte Sara ?

    - Sur le tombeau des Bouglione, à Lizy-sur-Ourcq. C'est notre famille, et on y va tous les ans pour la Toussaint, à deux ou trois cents voitures. Je voudrais que tu voies ça ! Au-dessus du tombeau du grand-père, il y a une chapelle tout en marbre, et deux vitraux. L'un c'est sainte Thérèse, une rachani (religieuse) qui protège les voyageurs. L'autre, c'est sainte Sara. Les gens du cirque l'aiment bien. J'avais un cousin dompteur qui n'entrait jamais en cage  sans avoir sa médaille au cou. Et jamais une bête ne l'a attaqué. 

    Le vieux Béro, soixante-quinze ans, est resté jusqu'ici silencieux. C'est le patriarche. Lui seul est installé dans un fauteuil de toile et a gardé son chapeau sur la tête. Il préside dignement la soirée, en tirant doucement sur sa pipe. Il lève la main, et on l'écoute :

    - J'y suis allé bien des fois, aux Saintes, avec Sampion Bouglione, le grand-père de ceux d'aujourd'hui. Pour rien au monde, il n'aurait manqué son valfarta (pèlerinage). Le voyage était long, en ce temps-là. Comme Sampion ne savait pas lire, il se faisait écrire, sur des cartons, les noms de toutes les villes qu'on devait traverser, bien classées dans l'ordre de passage. Il comparaît ces dessins avec ceux des panneaux, sur les routes, et ne se trompait jamais !  (...)

    17

    - Kakou (oncle), dit le jeune Bâlo, parle-nous encore des Saintes-Maries.

    Le vieux ne demande pas mieux. N'est-ce pas le rôle des anciens de communiquer la vieille sagesse ? Et leur plaisir secret d'évoquer l'époque désormais révolue où l'on voyageait librement sur les routes, sans tous ces tracas, toutes ces lois qui vous accablent maintenant ?

    - Dans mon jeune temps, on mettait bien huit jours pour faire la route avec les chevaux.  Je ne sais pas pourquoi, mais c'était une tradition de faire la dernière étape dans la ville d'Arles, près d'un grand cimetière qu'on appelle les Alyscamps. Après, on entrait en Camargue, toute plate, avec des marais à perte de vue. En arrivant au hameau d'Astouin, on s'arrêtait au pied d'une croix. C'était le signal : à partir de là, on était en terre bénie. Tout le monde se déchaussait, et on faisait le reste à pied, par pénitence et par respect.

    - Les gens de la Camargue, en entendant le grelot des chevaux, accouraient au bord de le route en criant : " les Boumians arrivent ! " C'était comme le signal de la fête. Mais n'y venait pas beaucoup de Manouches, à cette époque-là. C'étaient surtout des Kalé (Gitanos) installés depuis longtemps dans la région. Parfois aussi, on voyait un groupe de Boïaches, des montreurs d'ours, qui venaient d'Europe centrale. Une année, ça devait être en 1898, mon père m'a raconté qu'il avait vu débarquer   une famille de Rom dans de grands chariots couverts de peaux d'ours. 18 Ils avaient une fille qui portait des bijoux splendides. Quand Mgr l'Archevêque est venu dans leur campement pour faire baiser son anneau, cette fille lui a doucement repoussé la main et lui a tendu la sienne à baiser. Ça a fait toute une confusion. Finalement, tout le monde a ri...

    - Il n'y avait pas de caravanes comme aujourd'hui, poursuit Béro sur sa lancée. Beaucoup de Gitans arrivaient par le train, et une partie allait dormir à l'église. Même après la dernière guerre, il y a avait des familles entières qui y campaient. La maman prenait une grande couverture, elle s'allongeait devant un autel et serrait ses enfants autour d'elle. Sur le matin, tout le monde se secouait, se frottait un peu, et on était prêt ! 

     

    A suivre...