Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.
"La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)
Dix jours aux Saintes...
Texte extrait du livre de Maurice Colinon : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6
Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.
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L'arbre si chargé soit-il de fleurs rares et de fruits abondants, ne doit pas nous masquer la forêt. Cent fois répercuté, amplifié, magnifié par la radio, le cinéma, la télévision, le pèlerinage gitan des 24 et 25 mai ne saurait nous faire oublier que Les Saintes-Maries-de-la-Mer sont, depuis plus de dix siècles, d'abord un pèlerinage languedocien et provençal. Ni sa légende ni son histoire ne font la moindre place aux Bohémiens jusqu'à une date relativement récente. Il nous faudra donc quitter le peuple du Voyage avant d'aborder la tradition camarguaise, bien antérieure à son apparition sur les bords du Petit Rhône. Que ce ne soit pas sans avoir tenté, cependant, de comprendre sa présence en ce delta où la terre, le ciel et la mer se confondent.
Il est entendu, une fois pour toutes, que les Gitans viennent aux Saintes-Maries-de-la-Mer " depuis un temps immémorial". Ce n'est qu'une façon de dire qu'on ignore à quelle date ils ont commencé à fréquenter le sanctuaire. Chantre inspiré de la 54 Camargue dont il reste une figure inoubliable, le marquis de Baroncelli avait résolu l'énigme en poète épris du mythe atlantéen. Selon lui, les Gitans étaient, avec les Peaux-Rouges, les Basques, les Égyptiens et les Bretons, des survivants de l'Atlantide. Fuyant devant les invasions ibères, ils seraient arrivés en Camargue, y important ainsi les derniers chevaux sauvages. Ce seraient donc, en quelque sorte, des autochtones, les "plus vieux Européens" comme les Peaux-Rouges sont "les plus vieux Américains".
Ce curieux amalgame s'explique assez aisément : le marquis était fasciné par les Indiens d'Amérique, dont une délégation avait séjourné en Camargue. Il entretint une correspondance très suivie avec le chef White Horse, le seul qui écrivait à peu près correctement en anglais. On assure qu'il conduisit même, certain jour de mai, plusieurs Peaux-Rouges à la procession de Sara.
Pour lui, l'étrange attirance des Gitans pour le pays des salicornes s'expliquait donc aisément : " Bien longtemps avant le christianisme, lorsqu'ils erraient librement sur tous les rivages de la Méditerranée, ils avaient déjà ici leur port d'attache, leur temple vers lequel ils revenaient périodiquement, probablement à l'époque où le soleil monte le plus haut dans le ciel. Mais un rameau de la race est demeuré sur place depuis les origines, gardien du temple et du pèlerinage. Et c'est l'une d'elles, Sara, qui fera la liaison avec le christianisme. C'est pourquoi ils viennent toujours. Ici a été baptisée leur race." ("Les bohémiens et Les Saintes-Maries-de-la-Mer" Revue d'Arles, 1941)
Toute une lignée de poètes provençaux a chanté l'histoire de Sara, prêtresse de Mithra et princesse bohémienne, qui se serait rendue au-devant de la barque des Saintes "commandant un bateau de trente rames" et l'aurait remorquée jusqu'au rivage. (...)
55 ... la tradition provençale assure que Sara et les siens furent les premières personnes converties au christianisme par la cohorte des exilés de Terre sainte. Elle trouve une justification dans le fait, historiquement attesté, que l'oppidum Râ, qui s'élevait à l'emplacement actuel des Saintes-Maries, était habité par des Égyptiens, des Crétois, des Phéniciens et des Grecs qui, par le fleuve, pénétraient à l'intérieur des terres. Mais des Gitans ?
L'origine du peuple gitan demeura longtemps une énigme. Les noms qu'ils se donnèrent eux-mêmes au moment de leur arrivée en Europe occidentale prêtèrent longtemps à confusion. Ils se disaient "Égyptiens" et on les prit pour tels. Mais ils étaient également porteurs de lettres de recommandation de Sigismond, roi de Bohême ; et l'usage s'établit de les appeler "Bohémiens".
On sait maintenant que la vérité est tout autre. L'étude attentive des divers dialectes tsiganes a permis d'établir que tous avaient une origine commune ; et qu'elle était indienne. On localise aujourd'hui le départ de leurs migrations entre les rives de l'Indus et les confins de l'Afghanistan. La "préhistoire" du peuple gitan n'en présente pas moins encore un certain nombre d'obscurités. On ne sait ni quand ni pour quelles causes il a quitté sa patrie d'origine, pour s'enfoncer toujours plus loin vers l'Ouest.
On les trouve en Grèce en 1322, en Valachie à partir de 1370. 56 Et, en 1419, la première troupe atteint la France. Le 22 août, elle se présente devant la petite ville de Châtillon-sur-Chalaronne, où elle reçoit un accueil généreux. Les archives de la ville d'Arles gardent la trace de leur passage dans la cité provençale en avril 1438. Ce qui les situe à dix lieues des Saintes-Maries-de-la-Mer dix ans avant la découverte des reliques des saintes et de celles de Sara (...)
Il est probable, en revanche, que dès le XVe siècle certains groupes tsiganes se rendaient aux célèbres foires de Beaucaire. On peut supposer qu'ils "descendaient" jusqu'en Camargue à l'occasion des pèlerinages. Mais de ces visites, il ne subsiste aucune trace. Le fait est d'autant plus insolite que leur présence est mentionnée, vers la même époque, en d'autres lieux de dévotion. On sait que les premiers Tsiganes arrivèrent en Europe occidentale avec le titre, usurpé ou non, de pénitents et de pèlerins. Ils participèrent pendant plus d'un siècle au grand pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Un mandement de 1508 les autorise à traverser le duché de Bretagne pour aller prier au Mont-Saint-Michel et, en 1594, une petite bohémienne est miraculeusement guérie à Notre-Dame des Ardilliers, près de Saumur. On trouve encore plusieurs documents montrant des " gens de Bohème " en route vers le sanctuaire de sainte Reine, en Bourgogne. Comment croire qu'aux Saintes-Maries-de-la-Mer, leur venue n'eût pas attiré l'attention ?
Comme on voudrait être démenti ! Mais, aux archives paroissiales, aucun acte ne laisse deviner, avant le début du XIXe siècle, une appartenance au groupe gitan. Et les premiers qui attirent l'attention sont pour le moins douteux. (...)
57 Le premier témoignage écrit que nous possédions sur leur participation aux festivités saintaises est de Frédéric Mistral. Racontant sa visite en Camargue en 1855, il écrit : "L'église était bondée de gens du Languedoc, de femmes du pays d'Arles, d'infirmes, de bohémiennes, tous les uns sur les autres. Ce sont d'ailleurs les bohémiens qui font brûler les plus gros cierges, mais exclusivement à l'autel de Sara qui, d'après leur croyance, serait de leur nation" (Mémoires et Récits, 1906)
Le "Journal" soigneusement tenu à jour par les curés des Saintes de 1861 à 1939, et conservé au presbytère, ne nous est pas d'un plus grand secours. En 1862 cependant, le desservant, relatant la bénédiction des nouvelles statues des Saintes Maries, note en passant : " Les Bohémiens, qui ont été en trop grand nombre peut-être, ont fait éclater des transports de joie qui ont surpris tout le monde."
A suivre...