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Il n'y a pas que la parole de Jésus à avoir valeur de révélation salvifique. Tous les actes de toute sa vie, sa mort et finalement sa personne elle-même sont révélation de Dieu. C'est pourquoi le regarder, le contempler dans les mystères de son existence a pour nous valeur de salut. Car la révélation procède en Jésus à travers ce que l'on peut appeler, dans un vocabulaire plus tardif, "la cause exemplaire". Sans doute ce thème a-t-il été desservi dans la tradition par l'hérésie pélagienne et les théories d'Abélard et des Sociniens qui réduisaient l'acte de salut à la valeur d'un "bon exemple" à suivre. Mais ces excès ne doivent pas nous faire oublier de reconnaître l'exemplarité unique de la vie de Jésus. Il est exemple au sens le plus fort de ce mot, un exemple qui exerce une causalité de conversion qui lui est propre.
La réflexion du centurion au pied de la croix est déjà l'expression de cette valeur transformante et libérante de l'exemple : " Vraiment cet homme était Fils de Dieu" (Mc 15,39), ou : " Vraiment cet homme était juste" (Lc 23,47).
A travers la variante de deux formules, le centurion montre qu'il a été atteint par l'exemple de Jésus donné dans sa mort et que son cœur a été changé. Cette manière de mourir lui a révélé le mystère de Dieu et de la véritable justice, bien différente de celle dont il était l'exécuteur. La liberté du Christ a transformé sa propre liberté : son exemple a été pour lui grâce de salut. Le quatrième évangéliste, qui insiste beaucoup sur le "voir" et présente la passion selon un mode contemplatif, nous propose la scène du sang et de l'eau comme le [128] témoignage de ce qu'il a vu et y lit l'accomplissement de la prophétie de Zacharie : " Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé " (Jn 19,37 citant Za 12,10). Pour lui ce "voir" est ordonné au "croire".
Dans les épîtres, l'exemple du Christ est l'objet d'une invitation à l'imiter. Saint Paul introduit ainsi la grande hymne christologique de l'épître aux Philippiens : "Ayez entre vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus " (Ph 2,5). La geste d'abaissement et d'élévation du Christ, vécue dans la désappropriation complète, est ce que les chrétiens se doivent d'imiter. Dans un contexte analogue la première épître de Pierre est encore plus explicite dans son exhortation : " Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces " (1 Pi 2,21)
Bernard Sesboüé - Jésus-Christ l'unique médiateur - Ed Desclée - Paris 2003 - ISBN : 2-7189-0972-2