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Traversées christiques - Page 36

  • lectio 10 : lecture midrashique

    (...) cette page [de saint Grégoire le Grand]  [est] l'une des pages les plus pertinentes et pratiques qui aient jamais été écrites peut-être sur la lectio divina et le rapport à l'Ecriture qu'elle implique ; en même temps qu'elle conserve un étonnant accent de modernité, cette page rejoint aussi un thème important de la mystique juive : l'interprétation de la Merk(h)aba(h), du "char de Yahvé" au premier chapitre d'Ezéchiel :

    Et quand s'avançaient les Vivants, les roues également s'avançaient, à côté d'eux ; et quand les Vivants s'élevaient de terre, les roues en même temps s'élevaient (Ez 1,19).

    Les Vivants s'avancent quand les saints savent lire dans l'Ecriture Sainte ce que doit être leur conduite morale. Les Vivants s'élèvent de terre quand les saints se laissent ravir par la contemplation. Or, plus un saint progresse dans l'Ecriture sacrée, plus l'Ecriture même progresse avec lui. C'est pourquoi il est exact de dire : "Quand s'avançaient les Vivants, les roues également s'avançaient : et quand les Vivants s'élevaient de terre, les roues en même temps s'élevaient." C'est que les révélations divines croissent avec celui qui les lit : plus on dirige haut son regard, plus profond est le sens. Les roues ne s'élèvent pas si ne s'élèvent pas les Vivants. Si l'âme du lecteur ne monte pas, les paroles divines, incomprisent, restent pour ainsi dire au ras de terre. Quand le texte divin paraît sans chaleur à qui le lit, quand le langage de l'Ecriture sacrée ne met pas son âme en mouvement et ne jette aucun trait de lumière dans son intelligence, la roue est inactive et au sol, parce que le Vivant ne s'élève pas de terre. Mais que le Vivant s'avance, c'est-à-dire y cherche des jalons pour son progrès moral, et faisant un pas dans son coeur, découvre comment faire le pas de l'oeuvre bonne, alors les roues s'avancent également : vous trouvez à progresser dans le texte sacré à mesure que vous êtes devenus vous-mêmes meilleurs à son contact. Si le Vivant ailé prend son essor dans la contemplation, les roues aussitôt se soulèvent de terre, car vous comprenez qu'elles ne sont pas de la terre, ces réalités qui vous semblaient exprimées dans le texte sacré sur le registre terrestre. Vous en venez à sentir que les mots de l'Ecriture sont des mots du ciel, si vous vous laissez enflammer par la grâce de la contemplation et ravir vous-mêmes jusqu'aux réalités de là-bas. L'admirable et indicible vertu du texte sacré se fait connaître quand le coeur de qui le lit se pénètre de l'amour venu d'en-haut.

    (Grégoire le Grand, Homélie VII "sur Ezechiel", 8, SC 327, p. 245 trad Ch. Morel, s.j. Cf H. de Lubac, Exégèse médiévale, t.I, p. 653-656)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    pp. 56-57           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 9 theopneustos

     

    " Toute Ecriture, nous dit saint Paul, est inspirée par Dieu", "theopneustos" (2 Tm 3,16) (...) Cela veut dire que Dieu respire dans l'Ecriture, qu'il y respire toujours ; que le Pneuma divin habite aujourd'hui l'Ecriture.

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 55          

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 8

    (...) la lectio divina est une expérience matinale de résurrection et de vie. Et il n'est pas indifférent que Yahvé demande au prophète d'appeler lui-même l'Esprit sur les ossements, ni que ces derniers ne s'assemblent que sur le commandement d'un "fils d'homme" (Ez 37,9). Cela signifie que le Texte ne vivra pas pour moi aujourd'hui, que les consonnes desséchées ne se mettront pas à danser devant moi aujourd'hui, tant que je n'aurai pas invoqué moi-même l'Esprit dans une prière personnelle :

    C'est pourquoi j'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée, j'ai invoqué et l'Esprit de sagesse m'est venu (Sg 7)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 54           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

    ,7)

  • Lectio 7 - la lecture abyssale

    Isaac fut un creuseur de puits... Au sens littéral déjà, certes, la chose est d'importance : l'eau a tant de prix dans le pays biblique ! Mais notre Père Isaac, le puisatier, nous a appris, ce faisant, bien autre chose encore : à nous mettre en peine de trouver et de boire l'eau vive dont la Samaritaine sollicitera un jour le don auprès de Jésus. Oui , notre Père Issac, en fouillant la steppe, s'est fait notre modèle et notre maître ès lectio divina ! Citons Origène , dans son commentaire sur la Genèse :

    Quiconque d'entre nous administre la Parole de Dieu creuse un puits et cherche de l'eau vive dont il puisse réconforter ses auditeurs. Si donc je me mets, moi aussi, à expliquer les paroles des anciens, si j'y cherche un sens spirituel, si j'essaie d'enlever le voile de la loi et de montrer que ce qui est écrit a un sens allégorique, pour ma part je creuse des puits [...] Si nous sommes serviteurs d'Isaac, aimons les puits d'eau vive et les sources [...] Ne cessons jamais de creuser des puits d'eau vive ! [...] Creusons au point que les eaux du puits débordent sur nos places publiques, pour que la science des Ecritures ne nous suffisent pas à nous seuls, mais que nous enseignions les autres et les instruisions, pour que boivent les hommes, et que boivent aussi les troupeaux. ( Origène, Homélie XIII sur la Genèse (chap 26), 3 et 4, SC 7 bis, p. 319-321, trad. L. Doutreleau )

    (...)

    Quel que soit le verset dont nous entreprenions l'investigation, l'eau vive est cachée sous nos pas et il faut nous mettre en peine de creuser le puits qui nous permettra de l'atteindre (...)

    Descente progressive et laborieuse vers les profondeurs du Sens, la lectio divina tient du forage à travers les couches géologiques et de la spéléologie ; elle nous conduit de la croûte terrestre aux roches métamorphiques, et jusqu'au noyau incandescent, jusqu'au coeur, car la Parole est à la fois Eau et Feu (...) "Au cours de ma méditation un feu s'allume" (Ps 39, 4 Vulg.) Telle est donc la lecture que nous devons pratiquer à l'école d'Isaac le puisatier, le mineur : une lecture "abyssale".

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    pp. 45-47           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

     

  • Lectio 6

    (...)

    "Là où est l'Esprit de Dieu, là est la liberté " (2 Co 3,17). Laisse alors l'Esprit t'emmener très loin, de correspondances en correspondances, indéfiniment, à travers la "forêt des symboles", à travers le temple des Ecritures qui, comme celui de la Nature dont parle le poète, repose sur de "vivants piliers"... Ecoute le Maître divin du midrash t'instruire de rapprochements insoupçonnés, non seulement de toi, mais peut-être même de tout autre jusqu'à ce jour. L'Esprit n'est-il pas libre en effet de te révéler à toi, personnellement, aujourd'hui, dans le secret, quelque chose d'inouï ; de te faire apercevoir dans la Cité cohérente des Ecritures, "cuius participatio eius in idipsum" (où tout ensemble ne fait qu'un, Ps 122, 3 Vulg.), une proportion, une perspective jusque-là ignorée ; de te découvrir un trait de cette beauté multiforme que l'Architecte y a répandue ? Use de la liberté de l'Esprit dont le Christ t'a gratifié ; sois inventif ; sois poète ; réalise pour de bon le rêve extravagant de Rimbaud : " J'ai tendu des cordes de clocher à clocher, et je danse !"  (...)

    Non, il ne faut pas craindre d'être trop heureux en lisant l'Ecriture. (...)

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 43           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 5

    " Marie, nous dit Luc, conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son coeur " (Lc 2,19). Les deux verbes employés ici par l'évangéliste (sym-balleïn, syn-tèreïn)  contiennent tous deux la même idée de confrontation, d'assemblage, d'association, de comparaison. L'attitude intérieure de Marie face aux événements où elle savait découvrir sans cesse l'accomplissement des Ecritures, nous suggère alors à nous aussi une méthode de lecture : associative, comparative, symbolique (sym-balleïn).

    (...)

    Dans la mesure où elle nous fait ramasser, ressasser toutes choses, notre lectio divina est un exercice marial.

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 39           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 4

    Un disciple vint voir son maître qui lui demanda :

    " Qu'as-tu appris ? "

    Le disciple répondit : " J'ai traversé trois fois le Talmud "

    et le maître lui dit : "Mais est-ce que le Talmud t'a traversé ?"

    Nous avons traversé déjà peut-être plusieurs fois la Sainte Ecriture ; mais la Sainte Ecriture nous a-t-elle traversés ?

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 33           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 3

     

    Ephphata ! Ouvre-toi ! (Mc 7,34). Ouvre donc tous tes sens spirituels. Ouvre les yeux : l' Ecriture est lumière ; ouvre les oreilles : l'Ecriture est musique ; ouvre la bouche : l'Ecriture est eau vive.

     

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 25           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 2

     

    (...) et la lectio divina plus que tout autre - est un acte ; c'est un travail, et même un travail agricole ! Si la lectio divina ne t'a pas encore captivé, c'est que tu n'es pas encore devenu un laboureur...

     

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 20           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Lectio 1

    Chaque matin donc, tu peux te demander : " Ai-je vraiment faim de la Parole de Dieu ?" Si la simple perspective de la lectio divina n'éveille pas en toi l'appétit, c'est que tu es malade ; l'inappétence en effet est un symptôme de maladie.

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    p. 18           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

  • Au Jardin des Ecritures

    Il faut absolument acquérir et entretenir en nous, pour parvenir à la véritable lectio divina, une mentalité de destinataire, c'est-à-dire être bien persuadé que l'Ecriture nous est personnellement adressée. Tant qu'une telle persuasion ne s'est pas développée en nous, il n' y a pas de vraie lectio divina, ou celle-ci ne se dégage pas encore vraiment d'une lecture profane. La lectio divina en effet, comme la réception des sacrements, comme l'oraison mentale, quoique d'une façon qui lui est spécifique, est le lieu d'une rencontre personnelle avec "Celui-qui-te-parle" (Jn 4,26 ; 9,37). A la lecture livresque, superficielle, doit alors se substituer une lecture-contact, une lecture-rencontre. 

    "Ecrit pour moi", cela signifie donc trois choses. Premièrement que je suis le destinataire de l'Ecriture ; en termes d'anthropologie biblique, cela signifie que Dieu me "parle au coeur" :

    Je vais la séduire

    Je la conduirai au désert

    et Je parlerai à son coeur (Os 2,16)

    Et le texte se poursuit ainsi :

    elle répondra comme aux jours de sa jeunesse (Os 2,17) 

    La "lettre du Dieu tout-puissant à sa créature" appelle une réponse. Aux premiers jours de notre conversion, aux "jours de notre jeunesse", nous répondions peut-être avec émerveillement et enthousiasme ; la lectio divina était pour nous chose désirée et douce. Avec le temps peut-être est-elle devenue pour nous un exercice obligé, une formalité sans attraits. Celui qui nous avait écrit nous avertit alors secrètement : "J'ai contre toi que tu as perdu ton premier amour..." (Ap 2,4). Le Seigneur nous ouvre chaque matin le jardin de ses Ecritures et une voix intérieure nous y crie, comme à Augustin dans le jardin de Cassicianum : "Prends, lis ! Prends, lis !" Bien mieux encore que saint Benoît au Prologue de sa Règle, le Seigneur peut nous dire : " Ad te ergo nunc mihi sermo dirigitur..." Il quête de nous un regard d'attention : "C'est à toi que Je parle".    

     

    François Cassingena-Trévedy - "Quand la Parole prend feu"

    abbaye de Bellefontaine 1999/2007.    pp. 14-15           

     ISBN 978-2-85589-086-9 

    François Cassingena-Tréverdi est moine de Ligugé : www.abbaye-liguge.com

     

     

  • Autonomie et liberté

    (...) ce qui est très frappant, c'est que à la source de tout l'athéisme contemporain, c'est la confusion entre le Créateur et le Père qui est cause des oppositions si violentes à l'égard de Dieu. Pensons à Feuerbach, qui a joué un rôle décisif dans la genèse de l'athéisme contemporain ; pour lui, Dieu n'est qu'une projection des nostalgies humaines, de notre soif d'infini. La confusion radicale de Feuerbach consiste à confondre l'intentionnalité infinie de notre vie spirituelle et l'infini ontologique. Par le fait même, si nous sommes créés par Dieu, il n'y a pas d'autonomie possible, il ne peut pas y avoir de liberté. Feuerbach confond l'être et la vie, et en les confondant il voit une contradiction entre la dépendance dans l'être et l'autonomie du vivant, la liberté de l'esprit.

    La créature, comme créature, est dépendante de Dieu (c'est évident). Le vivant, comme vivant, est autonome, et l'homme libre, comme homme libre, a son autonomie. Feuerbach confond l'être et la vie (comme le fait toute pensée idéaliste) ; et après lui tous les autres ont répété cette confusion jusqu'à Sartre.

    Si on fait cette confusion, le Créateur devient insupportable, c'est clair. Or nous avons, au niveau humain, l'expérience de l'autonomie de notre vie, de l'autonomie de notre liberté, mais nous n'avons pas l'expérience de notre dépendance à l'égard du Créateur. C'est seulement dans la foi que nous adhérons à cette dépendance. dans la foi, en effet, nous reconnaissons que nous sommes une créature de Dieu ; mais au niveau philosophique, au niveau humain, nous n'avons pas l'expérience de notre dépendance à l'égard de Dieu - tout en ayant, encore une fois, celle de notre autonomie au niveau vital. C'est pourquoi on oppose les deux et la confusion se fait très facilement, et au nom de l'autonomie vitale on refuse la dépendance à l'égard d'un Dieu créateur.

     

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 239-240

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • du temps et de l'éternité

    En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé, celui-là a la vie eternelle.  Jn 5,24

    Voilà le grand mystère de la foi, qui nous met dans l'éternité. La foi, c'est vivre le mystère de l'éternité dans le temps, c'est faire que l'éternité assume chaque instant de notre vie. C'est par l'instant présent, et par lui seul, que l'éternité peut assumer le temps, et nous serons vraiment croyants que dans la mesure où l'éternité assumera réellement chaque instant de notre vie. Si nous vivons de l'instant présent dans la foi, nous vivons quelque chose d'éternel, nous sommes saisis par l'éternité : c'est le mystère de Dieu qui s'empare de nous. Le mystère de l' Incarnation, pour nous, c'est Dieu présent à l'intérieur de la succession du temps.

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. p 232

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Descendre le fleuve ou remonter à la source

    Qu'est-ce que le jugement ? C'est l'opération parfaite de l'intelligence (il s'agit en effet de l'intelligence, et non de la "raison" ou de "l ' entendement"), de l'intelligence qui saisit les principes, c'est-à-dire qui saisit la finalité. Une intelligence n'est vraiment intelligence, au sens le plus vital, que dans la mesure où elle remonte à la source. C'est l'intelligence qui découvre la source, comme l'exprime si bien Péguy quand il fait un discernement entre les hommes qui descendent le fleuve et ceux qui remontent à la source. La plupart d'entre eux descendent le fleuve, pour cela il n'est pas nécessaire d'être très intelligent : il suffit de faire comme tout le monde, de se laisser aller... même les cadavres descendent le fleuve. Celui qui veut être intelligent remonte le fleuve pour découvrir la source. Toute fécondité provient en fait, d'un retour à la source, mais remonter à la source est difficile ; il faut parfois accepter d'être seul.

    L'intelligence remonte donc à la source, et par là elle découvre ce qui donne sa signification profonde à toute notre vie. C'est par le jugement que nous sommes capables de distinguer l'unique nécessaire de toutes les choses secondaires. Le jugement est un discernement qui nous fait saisir ce qui est premier au sens profond (donc ultime) , ce qui est capable de nous attirer et d'ordonner toute notre vie. Le jugement, cette capacité de saisir ce qu'il y a d'ultime et ce qu'il y a de plus fondamental dans notre vie, de découvrir la source, est ce qui nous donne notre autonomie. Comprenons bien (car c'est très important) que l'autonomie d'un être vivant provient de son intelligence ; tant que nous n'avons pas fait nous-mêmes ce discernement, nous dépendons de l'opinion de ceux qui sont autour de nous. Quand on demande à quelqu'un : " Pourquoi faites-vous cela ? ", il répond parfois spontanément : " Tout le monde le fait." On comprend alors qu'il descend le fleuve, qu'il n'a aucune autonomie : il est complètement dépendant de son milieu. Par contre, si on demande à quelqu'un : " Pourquoi faites-vous cela ?" et qu'il réponde : "Il me semble que c'est cela que je dois faire parce que c'est là que je retrouve la source," on est en face de quelqu'un qui est autonome. C'est cela que nous faisons quand nous comprenons qu'il faut adorer, découvrir la source. Si nous écoutons la "bonne presse", elle ne nous dira pas qu'il faut adorer, elle nous dira : "Engagez vous....", " Faites de la politique", et ainsi de suite, parce que c'est à la mode. Mais alors nous ne découvrirons pas la source.

    (...) Que l'autonomie foncière d'un être provienne de sa capacité de discernement, cela n'a rien à voir, encore une fois, avec le fait d'être intellectuel ou pas intellectuel ; c'est une question humaine. Ce n'est pas une question de culture ni d'information (au contraire, les gens se perdent quelques fois dans l'information, et alors ils ne savent plus); c'est une question d'intelligence et, pour le chrétien, une question de foi. La foi nous rend intelligents pour Dieu et aussi pour le prochain. (...)

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp. 228-230

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Vraie et fausse théologie

    La théologie est contemplative ou elle n'est pas, parce qu'elle parle de Dieu et que Dieu ne peut être atteint que d'une manière contemplative. Quand la théologie n'est plus qu'une analyse, et une analyse qui se veut scientifique grâce à des méthodes scientifiques, elle oublie sa finalité. Jésus nous apprend ce qu'est la théologie toute tournée vers Dieu, en mettant le langage humain au service de sa vision du Père.

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. p 217

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Puisons à la Source Jaillissante de Vie

    On peut lire l'Ecriture pendant l'oraison, parce que c'est la parole de Dieu ; il faudrait du reste avoir toujours l'Evangile avec soi, pour le lire un peu quand, de fait, c'est plus difficile. Mais si on peut répéter intérieurement certaines paroles de Jésus : "Donne-moi à boire", "j'ai soif", "si tu savais le don de Dieu", "voici l'Agneau de Dieu", "Demeurez en moi et moi en vous", c'est mieux que de lire ; ces paroles s'inscrivent alors dans notre coeur, elles sortent des profondeurs de notre coeur et nous font entrer dans ce contact direct avec Jésus, ce contact personnel avec l'époux, qu'est l'oraison. Jésus époux veut et réclame de nous cette intimité profonde, parce qu'il veut nous communiquer ses secrets. Le propre de l'Epoux est de communiquer ses secrets à l'épouse ; et les secrets de l'Epoux, c'est la parole qu'il nous adresse comme une parole d'amour qui doit s'inscrire au plus intime de notre coeur et le transformer.

    La rencontre avec la Samaritaine nous montre donc admirablement comment nous devons répondre à l'appel de l'Epoux. La rencontre de Jésus avec le fonctionnaire royal de Capharnaüm  nous fait comprendre comment nous devons exposer à Jésus Epoux les désirs les plus profonds de notre coeur. Nous devons lui dire nos angoisses, nous devons le supplier de nous redonner vie et de nous donner la possibilité de vivre tout proches de lui. L'Eglise insiste aujourd'hui sur la prière de demande pour que nous entrions dans cette pauvreté. Ne pensons pas qu'exposer les désirs de notre coeur ne fait pas partie de l'oraison. Evidemment, il ne s'agit pas de faire une litanie de nos désirs (ou des désirs de ceux que nous aimons), que nous écririons pour la débiter pendant une demi-heure... Non, cela ne ferait pas partie de l'oraison. Ce qui en fait partie, ce sont les désirs profonds qui nous font supplier Jésus de nous donner une nouvelle vie. L'Epoux donne une vie nouvelle, il ressuscite les morts : voilà ce que fait l'oraison.

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 210-211

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • sens du Shabbat

    [cf. l'infirme de la piscine de Bezatha Jn 5]

    (...) Mais pourquoi Jésus fait-il ce geste [la guérison de l'infirme] le jour du sabbat ? Il y a ici deux choses à bien saisir : le mystère du Temple et le mystère du sabbat. Le mystère du Temple, c'est la consécration d'un lieu de rencontre de Dieu avec les hommes, avec son peuple. Le mystère du sabbat, c'est la consécration du temps. Lieu et temps sont les deux grands aspects du conditionnement humain.

    Notre conditionnement psychologique est structuré par ces deux grandes "arêtes" que Kant a très bien saisies. On avait certes compris cela avant lui, mais il le manifeste d'une manière étonnante, en montrant que tout le conditionnement de notre pensée relève de l'espace et du temps. De fait, pour que son peuple lui soit vraiment consacré, Dieu réclame la consécration d'un lieu (le Temple) et la consécration du temps (le sabbat). Le sabbat a été institué avant le Temple parce que le temps est plus profondément enraciné en nous que l'espace, qui est toujours un peu plus extérieur. Notre psychisme, notre imagination, sont plus marqués par le temps, et l'ordre du temps est le premier ordre que nous découvrons (l'enfant découvre progressivement ce qu'est l'ordre dans la succession du temps). Le sabbat était là pour que la succession des jours soit consacrée à Dieu, pour que l'homme se reconnaisse comme une créature dépendante de Dieu, et pour que cette dépendance soit vécue à l'intérieur même de son travail. C'est pour cela qu'il y a toujours une opposition entre le sabbat, le repos de Dieu et le temps du travail. Le sabbat, c'est le temps de l'adoration, c'est la liturgie du don de Dieu ; c'est Dieu qui vient et qui donne, et qui veut libérer son peuple. La grande libération, en effet, se réalise par l'adoration. Nous ne pouvons nous libérer de nos esclavages que par l'adoration ; c'est elle qui nous permet d'entrer dans la liberté des enfants de Dieu (cf. Rm 8,21).

    Le jour du sabbat est donc jour de libération. Mais les hommes ont pris possession du sabbat d'une manière juridique. (...) Le grand sabbat, c'était le jour de Pâque, le jour de la libération du peuple d'Israël, le jour où Yahvé était venu au secours de son peuple esclave du Pharaon. Jésus vient redonner au sabbat sa signification profonde (...) c'est sans doute pour cela que Jésus choisit le jour du sabbat pour faire un geste purement gratuit : par là il redonne au sabbat sa signification. 

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 203-204

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Adoration ou lexomil

    La seule manière de lutter contre l'angoisse, c'est l'adoration. Aujourd'hui où l'angoisse étreint le monde et saisit, en particulier, quantité de jeunes, il faut bien comprendre qu'on ne peut lutter contre l'angoisse qu'en faisant des actes d'adoration. Celui qui est angoissé dira sans doute qu'il ne peut plus en faire ; mais il faut tout de même essayer, pour tâcher de retrouver le roc. Celui  qui est angoissé s'enfonce dans du sable mouvant. C'est ce qu'il y a de terrible dans l'angoisse : plus on remue, plus on s'enlise ; on est alors complètement inhibé, ne sachant plus avancer. Il faut donc redécouvrir le roc pour pouvoir rebondir. L'adoration permet  cela, puisque nous nous appuyons alors sur le roc qu'est le coeur de Jésus. C'est avec lui, cachés comme la colombe au creux du rocher (cf. Ct 2,14), que nous faisons cet acte d'amour.

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. p 175

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • La vie à fond !

    Une des grandes tentations du monde d'aujourd'hui, c'est d'oublier l'adoration : même les théologiens ne veulent plus en parler. Mais alors, la charité nous ferait l'égal de Jésus ? Il n'y a même plus de respect à son égard, il n'y a plus qu'une espèce de camaraderie, ce qui est insupportable, parce que Jésus est Dieu et que nous devons le regarder comme le Père nous l'a donné. Il est notre Dieu, il est notre Créateur en tant qu'il est le Fils bien-aimé du Père.  (...) Si nous n'adorons plus, nous ne regardons plus Jésus que comme un homme, autrement dit, nous ne savons plus qui il est. Rien d'étonnant, alors, si nous ne reconnaissons plus ses paroles dans l'Ecriture. Certains en arrivent à dire que dans l'Ecriture, il y a très peu de paroles de Jésus, peut-être une seule, et que tout le reste vient de la communauté des croyants. On voit bien la dialectique qui conduit à cela : Jésus n'est plus regardé comme Dieu parce qu'il n'est plus adoré. C'est pour cela qu'il est si important de comprendre ce que Jésus dit à la Samaritaine, à cette humanité fatiguée...

    (...) C'est la plus grande chose que Jésus réclame de nous : faire oeuvre commune avec lui dans l'adoration à l'égard du Père.

    (...) nous ne vivons au sens le plus fort que quand nous adorons, il faudrait en être convaincu. Quand nous n'adorons plus, nous sommes des êtres errants, nous perdons du temps. Il est évident que nous ne pouvons pas être toujours en acte d'adoration : nous devons travailler ! Mais le travail doit se faire à l'intérieur de cette attitude d'adoration, en se laissant transformer par elle. L'adoration met en oeuvre tout le capital de vie qui est en nous, que Dieu nous a donné ; nous le lui remettons, et par là nous nous disposons à être entièrement sous le souffle de l'Esprit saint, qui ne peut s'emparer de nous que dans la mesure où nous adorons.

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 169 - 170.172.173

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Près du puits en plein midi

    Jésus désire redonner le sens de la vie à cette femme et, à travers elle, à l'humanité qui se trouve dans la même condition qu'elle - réduite à la corvée d'eau en plein midi -, cette humanité pécheresse qui ne pense plus qu'à l'efficacité, qui a complètement perdu le sens de la finalité et ne sait plus ce qu'est le sens de la vie. Le sens de la vie, ce n'est certes pas de puiser de l'eau en plein midi ! Quand nous sommes plongés dans l'efficacité, nous ne savons plus quel est le sens de notre vie.

    La vie n'a de sens que quand nous aimons, elle n'en a pas autrement. Elle n'a de sens que quand nous avons découvert une finalité, quand nous avons découvert une personne capable de nous aimer et qui nous aime. A ce moment-là la vie prend son sens ; sinon, elle reste une corvée d'eau en plein midi, ce qui peut se décliner de multiples façons, car des techniques très poussées, y compris l'ordinanteur, restent une corvée d'eau en plein midi. C'est toujours la même chose : c'est de l'ordre des moyens. Jésus vient apporter à cette femme [la Samaritaine] le don de l'Epoux, c'est-à-dire son coeur, son amour. C'est un amour tellement fort qu'il donne à l'épouse de pouvoir répondre à l'amour de l'Epoux : Mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif. L'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle. 

    Cette eau vive, cette charité que Jésus, comme époux, veut nous donner, doit devenir en nous une source d'eau jaillissante. (...) Jésus nous donne gratuitement son amour mais il attend notre réponse, il attend de nous une coopération. Nous recevons l'amour pour répondre à l'amour. Que Jésus, en nous donnant son amour, transforme notre coeur et lui permette d'aimer et de devenir source d'amour, n'est-ce pas la chose la plus étonnante qui soit ? Cela n'est évidemment pas entièrement vrai du point de vue d'un amour humain : ce n'est pas parce que nous aimerons une personne qu'elle sera capable de répondre à notre amour. Nous le voudrions bien, mais notre amour humain n'est pas créateur, tandis que l'amour divin l'est.

    En communicant son amour, Jésus permet cette transformation profonde de notre coeur qui devient lui-même source d'eau jaillissant dans la vie éternelle, et donc source d'amour. Voilà le don de l'Epoux ; et il se fait mendiant - Donne-moi à boire - pour que l'épouse demande. L'amour ne peut être donné qu'à celui qui réclame l'amour. Nous ne pouvons pas forcer quelqu'un à aimer ; pour communiquer l'amour, il faut que l'autre le demande. C'est pour cela que l'Epoux se fait mendiant - donne-moi à boire -, afin de communiquer ce don et pour que l'épouse comprenne qu'il faut qu'elle soit elle-même mendiante de l'amour de l'Epoux.

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 167 - 168

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)