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feuerbach

  • Les délégués de nos démissions

    135. (...) L'anthropologie contemporaine a mis en évidence, quoique sur le mode idéologique, ce que Valéry et Malraux avaient depuis longtemps fortement exprimés : les sociétés et cultures, toutes les créations des hommes sont bâties contre la mort. Les individus passent, trépassent, tandis que les traditions, les lois, les villes demeurent, matrices pour chaque génération qui à son tour travaille à la muraille contre le 136. temps. Ainsi se crée une sorte d'éternité dans la dérive : un royaume à la fois nécessaire et d'illusion qui masque la faille irrémédiable. Il faut cacher la mort, ou la travestir en cérémonie, ce qui est la même chose. Car elle est dissolvante en relativisant tout projet comme toute éloquence ; car elle est scandaleuse parce qu'elle enlève toute prise aux pouvoirs. Pour cela sans doute que Engels, Feuerbach, Marx sont d'une extrême retenue à son sujet, tout comme les doctrinaires politiques de ce temps. C'est qu'elle perturbe toute dialectique. Il est toujours à craindre que l'humour ou la foi opèrent une distanciation. Il importe que les individus qui passent et trépassent soient sérieux, prennent  au sérieux le discours dominant pour oeuvrer à l'entreprise nécessaire et d'illusion. Qu'ils refoulent leur angoisse au moins jusqu'à la retraite. Ce ne sera plus qu'un jeu d'enfant d'utiliser la masse électorale  qu'ils représentent. Les hommes du pouvoir sont là, délégués de la Grande Muraille, nos serviteurs, c'est-à-dire les délégués de nos démissions, chargés de soumettre les citoyens au projet et à leur ambition qui se cache dedans.

    Beaucoup de candidats pour l'emploi. Fameux remède contre le temps, les morsures de la peur. Pour cela qu'on statufie les hommes de gouvernement : ils se sont laissés détruire pour nous. Quand un homme d'action, qui détient quelque autorité vous dit : " Moi, je ne pense jamais à la mort ", c'est que la mort l'habite et fait son oeuvre à travers lui, poussé qu'il est comme une balle dans le canon d'un pistolet. Ou s'il a quelque conscience de la béance irréparable, craignez qu'il ne devienne l'instrument docile de 137. l'orgueil, de la vanité, c'est-à-dire de la mort, en laminant les hommes vivants. 

     

    Jean Sulivan - L'exode - Cerf, 1988 - ISBN 2-204-02895-9 (première édition Desclée de Brouwer 1980)

    http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/sulivan-j/exode,943271.aspx

  • Autonomie et liberté

    (...) ce qui est très frappant, c'est que à la source de tout l'athéisme contemporain, c'est la confusion entre le Créateur et le Père qui est cause des oppositions si violentes à l'égard de Dieu. Pensons à Feuerbach, qui a joué un rôle décisif dans la genèse de l'athéisme contemporain ; pour lui, Dieu n'est qu'une projection des nostalgies humaines, de notre soif d'infini. La confusion radicale de Feuerbach consiste à confondre l'intentionnalité infinie de notre vie spirituelle et l'infini ontologique. Par le fait même, si nous sommes créés par Dieu, il n'y a pas d'autonomie possible, il ne peut pas y avoir de liberté. Feuerbach confond l'être et la vie, et en les confondant il voit une contradiction entre la dépendance dans l'être et l'autonomie du vivant, la liberté de l'esprit.

    La créature, comme créature, est dépendante de Dieu (c'est évident). Le vivant, comme vivant, est autonome, et l'homme libre, comme homme libre, a son autonomie. Feuerbach confond l'être et la vie (comme le fait toute pensée idéaliste) ; et après lui tous les autres ont répété cette confusion jusqu'à Sartre.

    Si on fait cette confusion, le Créateur devient insupportable, c'est clair. Or nous avons, au niveau humain, l'expérience de l'autonomie de notre vie, de l'autonomie de notre liberté, mais nous n'avons pas l'expérience de notre dépendance à l'égard du Créateur. C'est seulement dans la foi que nous adhérons à cette dépendance. dans la foi, en effet, nous reconnaissons que nous sommes une créature de Dieu ; mais au niveau philosophique, au niveau humain, nous n'avons pas l'expérience de notre dépendance à l'égard de Dieu - tout en ayant, encore une fois, celle de notre autonomie au niveau vital. C'est pourquoi on oppose les deux et la confusion se fait très facilement, et au nom de l'autonomie vitale on refuse la dépendance à l'égard d'un Dieu créateur.

     

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 239-240

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)