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Traversées christiques - Page 40

  • souillure, culpabilité et péché

    La capacité à se réconcilier avec autrui dépend de la réconciliation avec soi-même. Pour situer la nature de celle-ci, il est utile de rappeler la distinction faite par Ricoeur entre souillure, péché et culpabilité dans l'expérience du mal (cf. Paul Ricoeur - Le conflit des interprétations - Seuil, 1969. p. 486). Le sentiment de la souillure est le plus archaïque. Il est lié à la crainte d'avoir enfreint un interdit et d' être justiciable de la vengeance d'une puissance sacrée. Il s'exprime dans la symbolique du pur et de l'impur et requiert donc une purification afin que l'être amoindri soit restauré dans sa dignité. Celle-ci a été atteinte par l'irruption d'un mal extérieur reconnu présent au-dedans de soi. La gestion de la souillure est donc, avant tout, d'ordre rituel afin que l'extériorité du mal ne vienne plus submerger l'intérieur de l'homme. Dépassant l'identification faite par les religions anciennes entre le mal et la souillure, la Bible a introduit pour sa part la notion de péché,  définissant l'action mauvaise comme étant un acte accompli devant Dieu. Ce mal n'est plus d'abord une réalité extérieure devenue intérieure, mais un écart entre le comportement effectif et les exigences de l'alliance avec Dieu. Le péché est un acte objectif qui entraîne la rupture de la relation avec le Créateur. Il provoque la colère divine et constitue à ce titre une menace d' anéantissement. Enfin, la naissance du sentiment de culpabilité constitue une nouvelle étape dans l'interprétation du mal. Elle est liée initialement au développement de la conscience subjective du péché. Cet affinement du jugement personnel dans la responsabilité à l'égard du mal peut finalement se détacher de la notion de péché elle-même. La perception d'une action accomplie "devant Dieu" cède la place au sentiment d'être, à ses propres yeux,  coupable de cet acte. À l'image de l'écart propre à la notion de péché se substitue alors celle d'un poids pesant sur la conscience, une conscience qui se juge elle-même selon les critères de la raison.  Aujourd'hui, chacun de ces aspects de l'expérience du mal peuvent se compénétrer à des degrés divers.

    Le sentiment d'être pécheur relève de l'expérience religieuse, tandis que le sentiment de culpabilité peut s'interpréter du seul point de vue psychologique. Se reconnaître pécheur et se sentir coupable ne sont pas des actes équivalents, même s'ils peuvent être vécus dans le cadre d'une même situation. Le sentiment de culpabilité est une réalité universelle, que connaît tout être humain et dont les ressorts profonds sont inconscients. Il s'éprouve cependant consciemment en relation plus ou moins explicite avec des fautes objectives, mais ni la faute, ni le sentiment éprouvé subjectivement ne sont suffisants pour parler de péché. Ce terme est en effet une réalité  de foi qui suppose la conscience d' avoir blessé l'amour de Dieu. Concrètement, cela signifie que la confession des péchés n'est pas une auto accusation, mais un aveu fait à Dieu. Dans le premier cas, le sujet reste en présence de lui-même et de sa déception au regard de ce qu'il souhaiterait être. Dans le second, il prend conscience de son égarement en accueillant  l'amour de Dieu. La culpabilité est source de crainte lorsqu'il y a violation d'un interdit, ou de honte s'il s'agit d'une perte de l'estime de soi au regard d'un idéal.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, PP. 289-290

  • Creuser profond la Parole

    L'incarnation du Verbe engage toute la vie de Jésus et s'achève sur la Croix, Dieu glorifiant sa Parole par sa résurrection d'entre les morts. D'une certaine manière, il en va de même pour tout auditeur de la Parole. Celle-ci prend chair dans sa propre vie dans la mesure où elle lui donne sens et l'oriente vers sa fin ultime. Elle le fait tout à la fois en confirmant l'humain dans sa dignité de créature et en l'appelant à une relation filiale avec Dieu. Ainsi la condition humaine prend-elle sens comme Parole de Dieu dans le Christ. La Bonne Nouvelle est un appel à entendre cette Parole d'élection que Dieu adresse à chacun(e) comme à un enfant unique et bien-aimé.

    Mais accueillir une telle parole, c'est entrer dans une relation de foi singulière face à laquelle l'être humain ne peut que ressentir plus profondément sa misère : " Eloigne-toi de moi Seigneur, car je suis un homme pécheur " (Lc 5, 8b). Si certains en reçoivent la grâce, ce ne peut être en vertu de mérites particuliers, mais en vue d'une mission. Le chrétien est apôtre s'il a fait  l'expérience de sa propre impuissance au regard de l'Amour. Il peut alors témoigner de la gratuité divine et aider les autres à découvrir leur liberté filiale dans le Christ. Plus le croyant sera descendu profondément dans ses propres ténèbres intérieures, plus il aura conscience du caractère absolument gratuit de son élection.

    L'écoute de la Parole à ce niveau de  profondeur suppose tôt ou tard l'expérience d'un jugement, la mise en lumière du péché, pour devenir en vérité source de salut et recréation dans le Christ. Jean de la Croix, docteur mystique de la nuit, a situé au coeur de l'expérience spirituelle la traversée du négatif. Nous le rejoignons ici sur l'autre rive, là où la Parole a transformé en lumière le mal de la vie. Dans le commentaire de son poème, "la Vive Flamme d'Amour", il décrit cette Parole devenue feu d'amour filial. Comme dans l'évangile johannique, cette expérience est l'oeuvre conjointe du Christ et de l'Esprit.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 273-274

  • Mémorial de la Parole

    Best-seller toujours incontesté, la Bible est à la portée de tous au risque, le plus souvent, de n'être qu'un objet banalisé. Pourtant, elle demeure source de vie spirituelle pour beaucoup de croyants, œuvre d'intérêt culturel pour des incroyants et objet d'études de la part de nombreux savants au point que nul texte sacré de l'humanité n'a été et ne demeure soumis à tant d'examens critiques. Par-delà les vagues médiatiques qui remettent périodiquement en cause la crédibilité de la lecture chrétienne de ce livre, celui-ci résiste à tous les dépeçages auquel il se trouve soumis et ouvre au croyant le mieux informé des recherches modernes la perspective d' une Parole tout à la fois historique et divine: la Bible est la trace visible de la Parole de Dieu proférée et reçue dans notre histoire humaine ! Cette parole ne saurait être réduite à des écrits : elle est événement de salut et culmine dans l'annonce de la résurrection de Jésus de Nazareth.

    Tandis que les premières générations chrétiennes étaient dans l'attente de la venue en gloire du Seigneur ressuscité, l'Église se trouve confrontée durant les II e III e siècles à la réduction de la figure du Christ à celle d' un personnage céleste. Différents courants (gnose, marcionisme) affirment que c'est un être spirituel ayant d'un homme que l'apparence (docétisme). L'enracinement  la personne de Jésus dans l'histoire doit donc être rappelé, d'où importance accrue de la mémoire. La Bible, comme mémorial d'une Parole révélée dans l'histoire, acquiert alors un rôle de premier ordre. Ainsi, après une période où prédomine l'attente, le temps est venu de privilégier le souvenir en vue d'une transmission authentique de la foi. La religion nouvelle s'institutionnalise donc sur la base de cet événement éditorial majeur qui marquera plus que tout autre la culture européenne. Cette Bible chrétienne à deux volets, Ancien et Nouveau Testament, devient une médiation de la présence du Ressuscité à son Église et un lieu privilégié de l'expérience spirituelle pour les élites cultivées ayant accès à l'écrit. Outre l'aspect institutionnel évident concernant la nécessité pour toute religion d' avoir son corpus scripturaire, ce processus rejoint une exigence nouvelle de la vie spirituelle: en lien avec la célébration liturgique et sacramentelle de nature communautaire, la méditation solitaire de la Parole permet une approche plus personnelle de la communion avec le Ressuscité.

    Cette Parole est ainsi tout à la fois une réalité historique, théologique et spirituelle: réalité historique, la Bible comme monument culturel est étroitement liée à la naissance du christianisme; réalité théologique, la Bible comme Parole de Dieu manifeste le déploiement historique de la révélation; réalité spirituelle, la Bible comme Parole pour l'homme est chemin de la rencontre de Dieu dans le Christ. Le christianisme est ainsi fondamentalement une religion de la Parole sans être pour autant une religion du livre.

     

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 209-210

  • Demeurer dans la rencontre (2)

    Qui a l'initiative d'une telle rencontre? Est-ce la conséquence d'une décision personnelle ou bien d'une exigence que Dieu nous fait percevoir? Faisons-nous oraison par motif de sagesse, pour trouver un équilibre de vie, pour nous dégager des passions et du stress de l'existence ou bien en raison d'une exigence d'amour et  de fidélité qui découle de notre rencontre avec le Christ? Dans le premier cas, l'accent sera mis sur la discipline, voire l'hygiène de vie. Dans le second cas, il portera sur l'obéissance à la Parole.

    La première démarche est de type sapientiel. Elle s'appuie sur le désir d'une vie humainement épanouie (éros). L'accomplissement  de soi inclut la dimension spirituelle et la relation à Dieu. Cette aspiration n'est pas en soi typiquement chrétienne et se fonde sur le désir naturel à tout être d'exister conformément à ce qu'il est. Beaucoup de gens se tournent pour cela vers les sagesses orientales, donnant ainsi la première place à l'initiative humaine. Une société qui valorise l'autonomie des individus encourage cette recherche très personnelle de son propre chemin spirituel. Le chrétien cherche aussi un épanouissement personnel, mais touché par l'amour prévenant de Dieu, il voit dans l'amitié du Christ un condition essentielle quant à la réussite de sa vie humaine.

    La deuxième démarche est de type prophétique. Elle repose sur une expérience de salut en Jésus Christ. Elle procède d'un appel, d'une rencontre décisive. La foi en Jésus Sauveur nous fait prendre conscience de notre état de perdition: sans le Christ, la vie n'a plus de sens. L'oraison est alors une exigence, une soif, une quête de Dieu. Elle nous garde sous le jugement de sa Parole, dans la dynamique de son appel, sous la motion de son Esprit. Elle est exigence de conversion, d' écoute, de disponibilité à recevoir du Christ la vie de Dieu et à en rendre témoignage. Il ne s'agit pas ici de générosité humaine, mais d'ouverture à une énergie d'amour qui nous traverse en nous gardant dans la pauvreté du cœur. Il ne suffit pas d' être présent, mais encore de l'être avec ce cœur de pauvre qui ne s'appuie jamais sur ses propres acquis. Aussi, l'oraison proprement chrétienne ne s'apprend-elle pas. Nous pourrions même dire que notre détachement à l'égard de tout progrès est un bon signe d'avancement spirituel. Le but de l'oraison n'est pas de croître, mais de décroître. Il n'est pas d'exalter la grandeur de notre dignité humaine, mais de perdre sa vie entre les mains de celui-là seul qui la sauve. Il n'est pas de se glorifier, mais de découvrir l'absolue gratuité de l'amour qui a pour nom miséricorde: « Quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s' abaisse sera élevé» (Lc 14,11). Faire oraison, c'est littéralement se convertir à Dieu de sorte que " je vive, mais non plus moi, sinon  le Christ en moi» (Ga 2,20a).

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, p. 199

  • Demeurer dans la rencontre (1)

    La prière est un chemin privilégié pour demeurer avec le Christ, l'écouter et le rencontrer ici et maintenant comme la Parole que Dieu nous adresse. Écouter, ce n'est pas, en effet, faire mémoire d'un personnage du passé, mais rencontrer l'Emmanuel, « Dieu avec nous ». L'écouter, ce n'est pas se projeter non plus dans un avenir imaginaire, espérer une perfection future, mais croire en lui et en la réalité actuelle de son amour pour nous.

    Du point de vue du salut, il n'y a plus d'histoire : les derniers temps sont advenus. Dieu est là. Faire oraison, c'est s'ouvrir à l'actualité de cette présence. Mais quelle exigence, quelle immersion dans la limite du temps condensé ainsi en ce moment présent ! Pourtant cette porte étroite donne sur la Vie (cf. Mt 7, 13 s). La prière, comme enfouissement dans le moment présent, est relation à Dieu et perception de la Vie éternelle. Mais l'intensité de ce présent est telle, qu'elle exige de notre part un engagement sans cesse renouvelé. Face à un si grand mystère, nous serons toujours des débutants, comme ces enfants qui seuls ont accès au Royaume (cf. Mt 18,3 s). L'oraison choisie comme un infatigable commencement nous situe dans une attitude de conversion, de disponibilité à la Parole. Dieu ne parle qu'aujourd'hui au sens où sa Parole est relation à des vivants dans l'aujourd'hui de leur liberté. D'une certaine manière, tout le temps de l'oraison se passe à commencer, car nous ne sommes maîtres ni de notre capacité à demeurer présents à Dieu, ni de sa libre initiative. Etre présent, c'est demeurer disponible à Quelqu'un.

    S'il ne dépend pas de nous de pouvoir y parvenir, notre engagement est malgré tout essentiel. Il se traduit par la ferme décision de vivre dans la foi une véritable rencontre. Prier nécessite une conscience suffisante et de soi-même et de Dieu. La présence à soi-même implique la conscience de notre existence corporelle, mais aussi celle de notre condition pécheresse. L'examen de conscience nous place sous le jugement de la Parole qui dénonce toute glorification de soi. L'humble reconnaissance du péché témoigne de l'ouverture à la gratuité de la Présence: « Oui, réfléchissez, et comprenez, en l'approchant, à qui vous allez parler, ou à qui vous êtes en train de parler. Nous pourrions vivre mille existences sans concevoir les égards que mérite ce Seigneur devant qui tremblent les anges. Il commande à tout. Il peut tout. Sa volonté agit" (Thérèse d'Avila). L'oraison est une rencontre entre le croyant et Dieu. La prière n' a pas lieu si l'un des deux manque au rendez-vous et nous devinons sans peine lequel est concerné par ce risque. La présence à Dieu peut paraître médiocre et parfois inexistante, mais ce qui compte est la détermination du croyant à la vivre. « L'oraison mentale c'est entendre ces vérités. » (Thérèse d'Avila) (...) 

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 197-198

  • Accueillir une présence qui nous précède

    Selon Pascal, la supériorité de l'être humain sur toute autre créature tient à cette conscience qu'il a de sa misère. La grandeur de l'homme est de pouvoir éprouver l'angoisse et il ne doit donc en aucun cas chercher à nier cette réalité par le divertissement : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Cet humour, marqué au coin d'un pessimisme janséniste, est en fait un acte de foi en l'homme capable de courage intérieur. Celui-ci consiste à permettre le surgissement en soi-même d'une puissance de vie plus certaine que la mort, le péché ou la perdition. Il ne s'agit pas, en effet, de combattre l'angoisse par des raisonnements, ni de la fuir dans des actions extérieures, mais d'accueillir comme des enfants une Présence qui nous précède, car le Royaume de Dieu est à celles et ceux qui leur ressemblent (cf. Mc 10,14). La persévérance dans la prière au sein de la nuit donne de découvrir cette gratuité de l'existence, dont l'issue ultime ne dépend pas de l'homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait grâce (cf. Rm 9,16). Elle sauve de l'angoisse, non par la lumière de la raison ou un acte de la volonté, mais par la relation fondée sur la Parole. Mais il faut bien du temps et parfois bien des épreuves pour laisser naître en soi cet enfant du Royaume. Le chemin de cette naissance nous est inconnu, car le jaillissement originel de la vie nous échappe. Il nous appartient cependant d'assumer dans la lucidité de la foi l'irruption inattendue de la menace. Quelque chose peut venir là de Dieu qui n' advient pas ailleurs. La liberté consiste à pouvoir se risquer dans un tel acte de foi. 

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 162-163

  • nouvelle création

    Si la condition humaine terrestre réside dans son lien intrinsèque au corps et à la mort, la condition du chrétien est de fonder sur cette caducité elle-même une confiance radicale en Dieu. Liée à ce corps mortel, sa foi en une vie future est une foi en Dieu confessé comme Créateur et comme Père. Abandonnant la vision matérialiste d'une création qui serait de l'ordre de la fabrication ou de la production, nous retrouvons le sens proprement théologique de ce terme: la création exprime la relation de la créature à Dieu.

    C'est une réalité de foi qui suppose la reconnaissance du Créateur. Il n'y a donc pas pour l'incroyant de création au sens propre, mais un cosmos provisoirement habité. Si la création n'est effective que pour une créature en relation avec Dieu, la vie éternelle elle-même n'est pas autre chose qu'une relation vivante entre des enfants et leur Père d' adoption. Dès lors que le croyant expérimente le caractère filial de sa relation à Dieu, il est entré dans la vie éternelle. Son existence est vécue de manière cachée en Christ dans la foi, l'espérance et la charité. Le principe de continuité de sa vie ne réside pas en lui-même, mais en cet amour dont Dieu l'aime en Jésus Christ.

    Les modalités du passage de cette condition présente à notre condition  future relèvent de la spéculation et non plus de la foi. La question de l'entre-temps, depuis la vie terrestre jusqu'à la vie éternelle, ne nous occupera donc pas ici, ce qui ne signifie pas qu'une réflexion sur ce sujet soit illégitime. Il faut, de plus, renoncer à toute représentation de la nouvelle création. Ce qui importe ici à notre propos est l'attitude de foi vive par laquelle nous accueillons l'amour dont nous sommes éternellement aimés entre notre humanité corporelle et glorieuse. De même que Dieu créa toutes choses par sa Parole, la résurrection est recréation par la Parole, audition par un être libre de son nom d'éternité inscrit comme sur un caillou blanc, figure d'incorruptibilité. Mieux que sur les tables de la Loi, Dieu gravera sa Parole en notre corps de gloire, elle qui détermine notre identité véritable et cachée depuis toujours dans son cœur de Père (cf. Ap 2,17).

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 152-153

  • trois groupes d'hommes

    Pour vivre une conversion sincère et accueillir la réalité paradoxale du Règne, la Parole doit être reçue intégralement de sorte que nous nous reconnaissions humblement en chacun des trois types d'auditeurs présents autour de Jésus. Nous commencerons par le plus extérieur des trois cercles ainsi constitués autour  du Maître pour finir par le plus intérieur.

    Le groupe le plus éloigné est celui des nantis, des repus, des satisfaits (cf. Lc 6,24-26). Ils n'entendent rien, car ils sont trop pleins d'eux-mêmes. Jésus doit crier leur malheur pour tenter de vaincre leur surdité faite de vanité et d'autosuffisance. Ils n'entendent pas, car ils sont trop occupés à noyer la réalité de ce malheur dans l'orgueil de la vie. Nous sommes pour une part de ces satisfaits de l'existence, aveugles à la misère qui nous affecte. Tous nos efforts pour ne pas la voir se trahissent à travers tant d'incohérence dans notre réponse de foi: le besoin de nous faire valoir là où nous professons l'humilité, l'esprit de rivalité en lieu et place de l'esprit de service, la propension à juger et à condamner autrui qui étouffe en nous la compassion du Christ.

    Le groupe intermédiaire est celui des malheureux proprement dits (cf. Lc 6,17-19). Ils sont nombreux dans cette foule, venus dans  l'espoir d'être miraculeusement délivrés de leur mal. Pourtant ils sont loin aussi de la Parole, non pas qu'ils soient sourds à la souffrance qu'ils portent  mais parce que celle-ci les enferme en eux-mêmes. Ils ne voient que leur malheur et n'ont pas réussi à établir une relation avec Jésus qui ouvrirait leur cœur à une autre dimension. Ne nous arrive-il pas ainsi de nous replier sur nous-mêmes dans la perception d'une limite qui nous fait souffrir, demeurant seuls avec la conscience de notre faiblesse ? Isolés dans la foule anonyme, centrés sur notre misère, nous ne croisons pas le regard de Jésus et entendons encore moins sa Parole: « Heureux, vous les pauvres ! »

    Le groupe le plus proche est composé de ceux que Jésus peut regarder un à un personnellement, connaissant certainement le nom de chacun, car ils se sont mis à sa suite. Ils ont placé en lui leur confiance. Et que voit Jésus? Des gens en difficulté ! Il semblerait que le groupe des disciples ne soit composé que de pauvres, d' affamés, d' affligés ou d' exclus à cause de son nom, tandis que les riches se trouvent perdus dans la foule. Le disciple n'est ni imbu de lui-même, ni replié sur sa misère. Il a simplement placé sa vie sous le regard de Jésus, prêt à se laisser enseigner et conduire. Nous sommes dans cette attitude de disciple, lorsque débarrassés de nos certitudes, de nos fausses sécurités, conscients du caractère relatif de nos richesses humaines, nous laissons la Parole nous atteindre en notre vulnérabilité. Or, cette parole brise sans concession le miroir de nos faux-semblants et pourtant, loin de nous enfoncer dans la tristesse, elle s'avère libératrice. À travers un abîme que nous n'avons jamais fini de sonder, naît un bonheur incompréhensible appelé à devenir plénier dans le Royaume de Dieu. En révélant notre vulnérabilité, cette Parole donne non seulement de la reconnaître, mais d'y consentir comme à la dimension la plus précieuse de notre être. En laissant le Christ éclairer ainsi jusque dans ses profondeurs notre soif de bonheur, nous découvrons comment Dieu vient nous rejoindre jusque-là. La Parole divine réalise alors ce qu'elle dit et transforme notre cœur insensible en un cœur de chair, libre de lui-même parce que réconcilié avec sa pauvreté et fraternel à la souffrance d' autrui: « Heureux vous les pauvres ... » Cela ne s'explique pas, comme ne s'explique pas cet amour du Christ qui assume toute notre humanité sans rien laisser se perdre de ce qu'il est venu chercher (cf. Lc 15,4-7). Cela ne s'explique pas, mais cela se reçoit dans la foi en la Parole proclamée par Jésus au début de son ministère (cf. Lc 4,16-22): dès à présent, le Règne de Dieu est à l' œuvre puisque la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, la vue rendue aux aveugles, la liberté aux captifs. 

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 pp.102-103

  • chemin de pardon (2)

    La réalité du pardon est centrale dans la foi chrétienne, car elle constitue l'expérience la plus radicale du caractère absolument asymétrique de notre relation à Dieu. Non seulement Dieu est notre créateur, mais lui seul peut faire de notre réponse à son amour  l'accomplissement de notre liberté. Le sentiment de notre impuissance fait partie du chemin de la foi et nous confronte à la gratuité de la fidélité divine. Cette expérience par excellence du salut en Jésus Christ peut, comme toute chose, être pervertie lorsqu' une gestion tout humaine de notre sentiment de culpabilité prend le pas sur la rencontre du Tout Autre. Cette libération intérieure qu'est la réception effective du pardon n'est certes pas programmable et ne saurait être instrumentalisée comme moyen de salut. La confession du péché, lorsqu'elle résulte plus de l'attention à notre sentiment de culpabilité que de l'écoute de la Parole, loin d' être libératrice dramatise notre responsabilité sans permettre une véritable dessaisie de soi dans la confiance en Dieu. La foi cesse alors d' être un chemin de vie si l'attention portée à la réalité du péché centre le croyant sur la dimension négative de son existence. Cela survient lorsque l'exercice scrupuleux du devoir religieux d'introspection prévaut sur cet appel intérieur de la Grâce que traduit une authentique contrition.

    La confession du péché devrait être en tout état de cause un véritable décentrement de soi, une ouverture sans condition à la lumière et à l'amour de Dieu. Elle doit dépasser le stade de l'examen de conscience pour devenir cette audacieuse intrusion dans l'abîme de la miséricorde par-delà tout sentiment de misère ou de culpabilité. La véritable confession du péché est confession de la foi, confiance radicale, saut sans garantie dans l'Infini de l'amour. Le sentiment de culpabilité, comme réalité aussi bien morale que psychologique, fait place alors à la reconnaissance libératrice du péché: la vérité de notre être devant Dieu, au regard de sa sainteté infinie, est que nous ne sommes que péché. Le scandale d'une telle affirmation n'est autre que le scandale de la Croix sur laquelle Dieu s'est fait péché pour nous (cf. 2 Co 5,21). La miséricorde de Dieu que Jésus révèle est à la mesure de l'infinie distance qui nous sépare de sa sainteté. Non seulement le Père ne retient contre nous aucune dette, mais il s'identifie en son Fils à notre perdition pour nous unir à lui. S'ouvrir sans limites à son pardon, c'est laisser ce dynamisme de l'amour divin nous conduire peu à peu à la suite de Jésus dans la liberté des enfants de Dieu.  

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 pp.100-101

  • chemin de pardon (1)

    (...) Cette conscience du pardon de Dieu apparaît tout particulièrement dans l'étrange récit de la guérison du paralytique au début le l'évangile selon saint Marc (cf. Mc 2, 1-12). Un homme, porté sur une civière, est introduit auprès de Jésus par le toit à l'intérieur d'une maison bondée. Cet épisode donne lieu à une déclaration de celui-ci sur le pardon des péchés qui provoque intérieurement l'accusation de blasphème de la part des pharisiens. Cette même accusation sera reprise par le grand prêtre au moment du procès lorsque Jésus se présentera comme le Juge véritable, « le Fils de l'Homme siégeant à la droite du Tout-Puissant » (Mc 14,64). Représentons-nous un peu la scène: Jésus se trouve à Capharnaüm dans la maison de Pierre où s'entasse une foule compacte. Le moment est solennel: il annonce la Parole. Voilà quatre hommes portant un paralytique qui percent le toit en torchis d'un trou suffisamment large pour faire descendre un brancard. Nous pouvons imaginer le temps que cela a pris, la quantité de poussière et de matériaux reçue par les auditeurs de Jésus et sans doute par Jésus lui-même, le mouvement de cette foule qui se voit contrainte de réceptionner l'infirme et de lui faire une place. Durant tout ce temps, Jésus est interrompu dans sa proclamation de la Parole. Il voit cependant dans cette véritable intrusion le signe d'une confiance admirable. Il déclare alors à l'infirme: « Tes péchés sont pardonnés. » Ce n'était pas vraiment ce que celui-ci attendait, mais Jésus ne s'en soucie pas. Il lit dans la pensée de ses adversaires l'accusation de blasphème et justifie alors son acte en guérissant l'infirme par sa seule parole: « Lève-toi; prends ton brancard et rentre chez toi. »

    Jésus ne proclamera un tel pardon des péchés qu'une seule autre fois dans les évangiles. Saint Luc rapporte en effet un épisode dont le contexte est à nouveau celui d'une intrusion provocante (cf. Lc 7,36-50). Un pharisien offre dans sa maison un repas à Jésus, voici qu'entre une prostituée. Elle se tient derrière le Maître et arrose ses pieds de ses pleurs. Elle les essuie avec ses cheveux, les couvre de baisers, puis les inonde d'un parfum précieux. Jésus, pour d'autres motifs que dans l'épisode précédent, a dû avoir quelques difficultés à poursuivre la conversation avec son hôte. Là aussi, il discerne les pensées secrètes de ce dernier: « Si cet homme était prophète, il saurait que cette femme est une pécheresse ! » Après un habile dialogue avec celui-ci pour justifier son acte, il fait à la femme cette déclaration qui étonne les témoins: « Tes péchés sont pardonnés ! » Les bénéficiaires d'un pardon explicite de la part le Jésus sont donc à deux reprises des personnes qui ont osé une intrusion spectaculaire auprès de lui.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 pp.99-100

     

  • chemin de prière

    S' il est vrai que la prière est un lieu essentiel pour la vie filiale et l' expérience du Règne, nous pouvons être étonnés de constater que Jésus  n'en ait pas fait une priorité dans la formation de ses disciples. Ils étaient pourtant loin de vivre comme lui une communion constante avec Dieu. En dehors de la participation à l'office de la synagogue, nous ne voyons pas souvent Jésus demander à ses disciples de prier. En saint Marc, la seule mention de  la prière concerne son lien avec la foi dans la prière de demande (cf. Mc 11, 24). Matthieu articule un enseignement sur la prière avec la mention du jeûne et de l'aumône (cf. Mt 6,1-18). Luc montre souvent Jésus en prière, mais celui-ci ne prend pas l'initiative de former ses disciples en ce sens. Il faut attendre que ceux-ci en fassent la demande: ils veulent que Jésus leur enseigne à prier comme Jean le Baptiste le fit pour ses propres disciples (cf. Lc 11, 1-4). Il ne s'était donc pas préoccupé de le faire auparavant ! Pourquoi cela, si ce n'est que, par sa seule présence, Jésus conduit ses disciples à Dieu. Ne pourrait-on pas dire que Jésus vit une communion si totale avec Dieu qu'il suffit aux disciples d'être avec lui pour vivre dans cette même communion?

    Il en va de même pour nous. En demeurant comme les disciples avec le Christ tout au long de nos journées, non pas en pensant constamment à lui, mais en vivant de son Esprit, nous discernons avec lui la présence agissante de Dieu dans les événements et les personnes. À l'école de son humilité, nous pouvons nous émerveiller et rendre grâce en toutes choses, l'humilité véritable étant en effet cette attitude de louange par laquelle nous reconnaissons que la vie est un don à recevoir en toutes circonstances. La Bonne Nouvelle (cf. Mc 1, 15) est l'annonce de l'initiative de Dieu nous rejoignant dans le Christ sans attendre que nous ayons parcouru le monde pour le trouver. Sa vie en nous, c'est notre foi. Celle-ci est décision, acte de la liberté, expérience intérieure, communion à la louange du Christ et ouverture au monde dans la vigilance du cœur: « Plus que sur toute chose, veille sur ton cœur, c'est de lui que jaillit la vie » (Pr 4,23).

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 p. 93

  • décentrement de soi

    La foi identifiée à un acte de liberté privilégie l'attitude intérieure sur l'adhésion extérieure. Jésus, à la suite des prophètes, a opposé la droiture de conscience et la pureté d'intention à l'hypocrisie d'une religion ritualiste. La Parole que Dieu nous adresse en son Fils appelle à croire tout simplement en l'amour dont elle témoigne, un amour efficace, capable de recréer l'humain jusqu'à le rendre digne de Dieu pour la vie éternelle. Cet amour divin, décentré de lui-même, se donne à chacun(e) d'une manière unique. Il est descendu au plus profond de la perdition pour ouvrir à la lumière le plus ténébreux. D'une parole, il relève sans le briser le roseau froissé et, de son souffle, il éveille la mèche qui faiblit (cf. Is 42,3). Croire, c'est alors prier, être présent à quelqu'un, écouter, accueillir. C'est offrir sa vie à celui qui en est le sens, la justification et le fondement ultime.

    Il ne faudrait pas déduire de cela que la qualité de l'acte de foi se mesure à la ferveur sensible de la prière. Il se vit au contraire à travers tous les états de la conscience, des plus heureux aux plus sombres en passant par cette banale aridité que la fidélité appelle à traverser humblement. Il n'est pas synonyme par exemple de certitude paisible, car l'angoisse du doute n'empêche pas de le poser. La décision de croire peut en effet passer par des heures plus difficiles lorsque l'épreuve fait basculer la vie dans le non-sens. Croire, c'est alors parfois perséverer sans but dans l'ouverture du coeur. Et pourtant, la prière comme acte de foi met réellement en relation avec Dieu tel qu'il est en lui-même, par-delà les modalités de sa présence et de son action. Elle est communion avec lui dans la foi quelle qu'en soit l'expérience sensible. Elle est relation d'amitié, dialogue, jeu incessant de la liberté, du désir et de l'intelligence. Elle est parfois silencieux abandon du cœur à la Parole qui l'habite.

    Certes, nous espérons connaître cette douce dilatation intérieure, cette libération de la source des larmes, cette paix incompréhensible et donnée. Nous aspirons à ce sentiment de plénitude qui surgit parfois dans la joie d'exister, la certitude d'être. Cependant, nous ne devons jamais nous attacher à quelque forme d'expérience, car la foi, en tant que relation à l'Autre, est décentrement de soi. Accueillir la Parole, c'est consentir plus  radicalement à certaines heures, à cette perte qui est au cœur de l'annonce évangélique : « Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit : Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se  charge de sa croix, et qu'il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera » (Mc 8,34 s). Le renoncement qu'implique la marche à la suite de Jésus peut être directement le fruit d'un choix positif comportant exigences et ruptures. Il peut se vivre aussi plus prosaïquement en accueillant avec foi les épreuves qui affectent notre vie matérielle ou affective. Il peut enfin concerner directement notre relation à Dieu à travers l'expérience de la nuit spirituelle. Jean de la Croix insiste sur cette purification continuelle de la foi comme condition de son authenticité.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008. pp 85-86

  • le serpent, la pomme et la chute

    Quelle est l' origine du mal dans le monde ? Comment l'expliquer ?

    Nous rencontrons le mal quotidiennement en regardant le monde. La télévision nous montre des actes de terrorisme; nous y voyons meurtres, tyrannie et injustice.

    Mais il n'y a pas seulement le mal qui saute aux yeux et qui soit le fait de Hitler, Staline, Mao ou Pol Pot. Il existe aussi le mal dans sa banalité, au cœur du quotidien. Le mal existe dans les entreprises où l' on harcèle des hommes qui s'en trouvent épuisés psychiquement. Dans le voisinage, on ridiculise des hommes et on les catalogue; on trouve, chez des jeunes gens, la fascination du mal et leur fixation sur lui.

    Le phénomène du satanisme se ranime précisément en même temps et il se manifeste, par exemple, dans des formes avilissantes, agressives, fortement sexualisées et brutales d'une musique rock satanique. Quand des jeunes gens ne trouvent aucun sens à leur vie, ils voient souvent dans l'identification avec le mal l'unique issue. Parfois, ils désespèrent du bien. Ils s'identifient avec le mal, pour affirmer leur force et leur valeur. Mais avec le temps, une telle identification les rend malades. Cependant, il ne faut pas que nous considérions seulement le satanisme. C'est toute la société qui souffre de cette fascination du négatif. Les médias nous parlent essentiellement plus du mal que du bien. Manifestement, on s'intéresse davantage à ce qui détruit les repères de l'humain qu' à ce qui est riche de valeur et d'humanité.

    D' où vient le mal qui nous nargue de tant de manières ? La Bible tente de nous expliquer de façon imagée, avec l'histoire de la chute originelle, comment le mal vient dans le monde. Dieu a créé le monde bon. Pourquoi le mal existe-t-il ? La Bible nous parle du serpent qui séduit l'homme. Mais c'est une image qui ne répond pas à notre ultime question. Pourquoi et d'où vient le serpent ? Est-il envoyé par Dieu ? 

     Le mal demeure un mystère. Nous pouvons nous livrer à des réflexions rationnelles qui nous expliquent le mal. Mais finalement, nous ne pouvons pas le saisir. Selon une explication, l'homme est libre et il peut abuser de sa liberté. Avançons une autre explication: l'homme ne peut supporter de ne pas être comme Dieu. Il n'a pas voulu accepter d' être dépendant de Dieu. C'est une vexation narcissique de ne pas être lui-même Dieu. En conséquence, le mal vient dans le monde, parce que l'homme s'est pris pour Dieu ou pour une idole.

    La psychologie tente de donner une autre explication. Pour elle, le mal résulte d'une évolution manquée et d'un traitement déficient des blessures de la petite enfance. Le mal surgit, quand les besoins instinctifs, en réaction à des frustrations excessives, prennent des formes qui menacent la vie commune. Un enfant blessé transmet à d'autres ses blessures. Qui ne travaille pas sur ses blessures, réagit sur autrui.

    Parfois le mal est la haine du père, qui se retourne contre n'importe qui. Il peut être si destructeur qu'il cause la perte de tout un peuple, comme on l'a vu dans l'histoire de bien des tyrans.

    Toutes ces explications nous laissent pressentir quelque chose du mystère du mal. Mais il demeure rationnellement insoluble.

     

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp. 92-94

  • Le chemin spirituel

    Depuis toujours, les êtres humains ont compris leur vie comme un chemin. Ce n'est pas seulement un chemin qui mène vers une plus grande maturité. Ils ont entrevu leur vie comme un chemin qui se dirige vers un but, qui est Dieu lui-même. C'est le chemin spirituel. On entend, par là, le chemin d'intériorisation qui nous permet de nous laisser combler de plus en plus le cœur par l'esprit de Dieu, en vue d'être transformé. C'est un chemin qui nous mène à toujours plus de transparence à l'Esprit de Jésus-Christ. Il emprunte l'itinéraire de l'attention, du silence, de la contemplation, de la prière et de l'ascèse. Tels sont les moyens concrets qui nous font progresser.

    La tradition chrétienne en comprend de nombreux et tous s'emploient à nous mener vers le même but : ouverture à Dieu et transformation par l'Esprit divin. Les uns avancent sur une voie balisée d' actes liturgiques ; d' autres suivent le chemin du silence et de la solitude, d'autres  encore le chemin de l'amour du prochain, d'autres enfin celui de l'ascèse et d'une radicale discipline individuelle. Dans toutes ces démarches, l'important est que je ne tourne pas en rond autour de moi et de ma progression, mais que je m'achemine vers Dieu, comme étant la réalité toujours plus intense, et que je m'ouvre à son indicible amour. Il est important que cette voie soit fructueuse pour le monde et qu'elle me conduise vers les hommes.

    De quelque manière, tout homme suit un chemin spirituel, car chacun fait, en avançant dans la vie, des découvertes spirituelles. Le danger est de se prendre pour supérieur à son prochain et de le faire savoir: « Vous ne vous rendez pas compte ! Votre vie est superficielle. Moi, je suis engagé sur la voie intérieure. C'est fou ce que je peux vivre ! » Quand on entend de la sorte son cheminement spirituel, on n'a rien compris de l'itinéraire proposé par Jésus. Jésus nous dit dans la parabole du serviteur inutile: "Quand vous aurez fait ce que vous deviez faire, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles; nous n'avons fait que ce que nous devions faire" » (Lc l 7 , 10). 

    Il faut que le chemin spirituel passe par la vie quotidienne. Il consiste à faire tout bonnement ce qui s'impose à moi, ce que je dois faire à l'instant, ce qui répond à moi et à ma nature, ce que je dois faire à l'égard d' autrui et de Dieu. La tradition chinoise ne dit rien d'autre: « Le Tao, la voie intérieure, est l'ordinaire. » Si je cherche sur mon chemin spirituel à m'élever au-dessus d'autrui, je ne suis pas rempli de l'Esprit de Jésus, mais de celui de l'orgueil. Je me rengorge de mes idées spirituelles et manifeste une totale incompréhension du chemin tel que Jésus l'entend. Dans sa Règle, saint Benoît nous appelle, nous les moines, à une spiritualité très quotidienne. Selon Benoît, la spiritualité se décide, non pas dans des pieux sentiments, mais dans ma disponibilité au travail, à la vie concrète, à l'emploi du temps et à la prière commune.

    Il faut que la spiritualité soit concrète. Elle se révèle dans l'organisation de la vie quotidienne à travers des rituels bénéfiques. Elle se manifeste dans un rapport affectueux avec ses semblables, dans la disponibilité à offrir son aide à qui a besoin de moi et dans le travail conçu pour le service des humains et non pour celui de ma propre image.

    Selon saint Benoît, c'est toujours à son labeur quotidien que l'on voit si un homme mène une vie spirituelle, à sa manière de traiter les réalités terrestres, à sa façon de rencontrer son semblable, d'organiser son temps, et non pas au soin qu'il prend de lui-même. On voit clairement si, en toutes ses  occupations, il est question de lui ou en définitive de Dieu. Selon Benoît, le but de toute spiritualité est « la glorification de Dieu en toute chose ». Et il recourt à ce principe dans sa Règle précisément dans le chapitre très pratique sur les artisans. A la façon dont ils travaillent et dont ils gèrent les produits de leur labeur, se manifeste s'ils se laissent guider par l'âpreté au gain et l'envie, ou alors s'il y va pour eux de la glorification de Dieu.

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp.182-184

  • Briser nos images

    Face à la réalité, comment affirmer que Dieu est amour ?

    Nous ne devons pas comprendre de façon trop naïve l'affirmation selon laquelle Dieu est Amour, comme s'il devait disposer avec amour chacun des événements de l'existence. Quand un enfant est victime d'un accident de la circulation qui l'arrache à la vie, une telle conception se discrédite d'elle-même. Mais la question s'impose : le monde est-il chargé d' une énergie négative et mauvaise ? Ou bien devons-nous croire malgré tout que le fondement ultime de l'existence est l'amour ? C'est selon la nature de notre décision à ce sujet que se manifestera notre vision sur nous-mêmes et sur le monde.

    L'affirmation centrale de la Bible est que Dieu est amour. En ressentant en nous l'amour, nous avons compris quelque chose de Dieu et nous y participons. Et c'est cela qui nous permet d'endurer la vie dans le monde où subsistent tant de réalités incompréhensibles et difficilement acceptables.

    Mais, en même temps, la cruelle réalité du monde nous contraint souvent à rejeter une conception simpliste du " Bon Dieu ". Le mal et l'horreur du monde démasquent ces images comme de simples projections de nos désirs.  Toutefois, il nous faut persister à croire que Dieu est juste et qu'il est l'amour. Mais le mystère demeure sur la façon dont nous pouvons concilier les aspects effrayants de la réalité de Dieu, son amour et sa miséricorde. Il nous faut, au cours de cette expérience que nous faisons du mal, briser nos images sur Dieu, parfois par trop candides et optimistes afin de Le chercher dans l'obscurité, lui qui, en dépit de toutes les ténèbres, est la lumière qui éclaire la nuit de notre cœur.

    Quand j'observe la cruauté du monde, il m'est difficile d'affirmer que Dieu veut ce qu'il y a de meilleur pour nous. Il me faut commencer par intérioriser cette absence d'explication, avant de m'interroger sur le caractère non compréhensible de Dieu qui continue, malgré tout, de me soutenir, alors que le sol s'est dérobé sous mes pieds, et qui m'accorde l'espérance dans une situation désespérée. Dieu n'est pas la réponse automatique face au mal. Mais au cœur de la souffrance, je pressens Dieu qui, en Jésus-Christ, a assumé la souffrance, au point de devenir lui-même un Dieu souffrant.

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp.166-167

  • Le Dieu caché

    Je ne peux répondre à la question de savoir pourquoi Dieu se cache. Je ne peux m'élever au-dessus de Dieu pour scruter ses pensées. Je me contente d'en faire le constat : Dieu est souvent caché. Mais en creusant davantage, je puis tenter de comprendre son secret et m'efforcer de trouver une réponse. Peut-être que l'on pourrait proposer un essai de réponse qui irait dans ce sens : Dieu se cache, afin qu'il ne nous vienne pas à l'esprit de l'annexer, de le posséder et d'avoir de lui une connaissance totale. Dieu se cache pour nous montrer qu'il est le Tout Autre et qu'il est le Dieu sur qui je n'ai pas de prise et qu'il nous faut le chercher sans cesse. Saint Benoît demande au moine de chercher Dieu sa vie durant, car lui non plus n'a pas trouvé Dieu une fois pour toutes. Il lui faut sans cesse poursuivre la quête du Dieu  caché. Parfois, Dieu se montre pour nous stimuler dans notre recherche. Mais ensuite, il se cache de nouveau, afin d'intensifier notre quête et que nous l'effectuions de tout notre cœur.

    Sur ce sujet, il y a une histoire hassidique merveilleuse. Elie Wiesel, qui en sa propre chair a subi cette absence de Dieu à Auschwitz, nous la rapporte dans un de ses ouvrages. Un jeune garçon vient trouver le rabbi Baruch, son grand-père, pour se plaindre de son ami : " Nous avons joué à cache-cache; je me suis caché et c'était à son tour de me chercher. Mais je m'étais si bien caché qu'il n'a pu me trouver. Alors il a renoncé et il a cessé de me chercher. Ce n'est pas loyal." Rabbi Baruch lui répondit : " Il en va ainsi avec Dieu. Imagine-toi sa douleur. Il s'est caché et les hommes ne le cherchent pas. Comprends-tu cela ? Dieu se cache et l'homme ne le cherche même pas !"

    Jésus lui-même déclare que le royaume de Dieu s'implante en restant caché. Il est comme le grain de moutarde qui devient un grand arbre (cf Mt 13,31). Jésus nous invite à prier Dieu dans le secret : " Quand tu veux prier, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père dans le secret et ton Père qui voit dans le secret te le rendra." (Mt 6,6) Dieu réside dans le secret. C'est la raison pour laquelle notre prière doit se faire dans le secret. Jésus sait le danger qu'en priant, nous nous élevions au-dessus des autres et que nous voulions en tirer avantage aux yeux d'autrui. Quand nous cherchons Dieu dans le secret, une telle attitude protège notre quête de Dieu. Nous pénétrons au fond de nous-mêmes, dans notre sphère secrète. C'est là que nous pouvons atteindre Dieu qui se cache  pour se refuser aux hommes qui voudraient avoir une prise sur lui.

    De son côté, Martin Buber  raconte une histoire sur le secret de Dieu. C'est l'histoire d'un juif pieux qui vient trouver son rabbi et qui lui demande ce que le croyant doit faire, quand Dieu cache son visage. Le  rabbi lui répond : "Si l'on sait qu'il y a un secret, alors il n'y a plus de secret." (...)

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp.152-154

     

  • Dieu est Dieu (2)

    Je peux faire l'expérience de Dieu avant tout dans le monde et d'abord par mes sens. Dans la beauté du monde, je puis contempler la beauté par excellence, qui est Dieu lui-même. Dans une parole humaine, je peux entendre sa parole et dans la musique pressentir l'inaudible. Dans le vin, je peux goûter la douce saveur de Dieu. Dans le parfum de l'encens, je peux sentir un peu de son mystère et encore, dans la fleur, il m'est possible de savourer la tendresse divine. Mais je n'ai sur lui aucune emprise directe. Les sens renvoient au-delà d'eux-mêmes à ce qui revêt  un caractère non sensible, non visible et non audible. Quand je contemple le ciel étoilé, s'élève en moi un peu de sa beauté et de sa grandeur.

    L'histoire, elle aussi, est un lieu de l'expérience de Dieu. Je peux retenir dans l'histoire mondiale quelques événements dont la foi peut dire : Dieu s'y est manifesté. Ce sont d'abord la naissance de son Fils, son ministère terrestre en Palestine, sa mort et sa résurrection. Il y a également des expériences  historiques de libération que je peux interpréter comme une expérience de Dieu, comme ce fut le cas, dans le passé récent, de la chute du mur de Berlin sans que soit versée une goutte de sang. Dans ma propre histoire, je peux énumérer suffisamment d'exemples personnels à propos desquels je puis dire que j'ai senti la présence de Dieu, sa protection, sa sollicitude et son amour. Quelque chose de lumineux m'a touché, que je ne puis qualifier autrement que de divin.

    L'expérience de Dieu ne présuppose pas toujours l'expérience d'un monde heureux. Car nous ne faisons pas l'expérience de Dieu uniquement dans le bien. Précisément, que de fois, c'est dans des événements graves que nous avons vécus, quand nous avons été touchés par la maladie ou que quelqu'un nous a fait du mal, nous avons ressenti alors la protection de Dieu qui nous arrache au mal et qui, au cœur de ce mal, nous offre un pressentiment de sa paix, laquelle va bien au-delà d'une simple prospérité matérielle.

    Mais c'est tout aussi important que Dieu se manifeste à moi intérieurement. Augustin, célèbre Père de l'Eglise, a écrit que Dieu était plus intérieur à nous-mêmes que nous ne le sommes. Quand nous entrons en nous, nous pouvons donc le pressentir. Mais Dieu en nous échappe à toute prise. On ne peut disposer de lui et, pourtant, il est bien en nous. Et dans cet espace de silence où aucune pensée humaine ne pénètre, il demeure. Parfois, nous pouvons le ressentir. Alors nous sommes en pleine unité personnelle. Et, à cet instant, nous nous oublions. Nous n'avons pas à épiloguer sur cette expérience; nous nous contentons d'être présents. Et dans cette présence à nous-mêmes, nous sommes en lui et lui, en nous.   

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp.150-151

  • Dieu est Dieu (1)

    Dieu est partout. Il est là où nous le laissons pénétrer notre cœur. Nous ne devons pas nous le représenter comme un esprit qui erre ici et là de manière invisible et émerge partout. C'est plutôt le fondement qui pénètre tout, l'esprit qui spiritualise tout, l'énergie qui fuse et l'amour qui opère en tout. Il soutient le monde et le pénètre. Il est en dehors de moi et en même temps dans mon cœur. Il est également dans le monde et au-dessus du monde. Parfois, il faut que je me retire du monde pour le percevoir dans le silence. Mais quand je suis assez attentif, je puis le percevoir partout. L'évangile apocryphe de Thomas, un texte gnostique du IIe siècle, nous transmet une parole de Jésus qui dit : "Je suis la lumière qui est au-dessus de tout. Je suis la Totalité, qui émane de moi et qui me revient. Fendez un morceau de bois - je suis là. Ramassez une pierre et vous m'y trouverez."

    Il ne nous est pas possible de considérer Dieu seulement comme une image parmi d'autres. Nous pouvons le connaître comme celui qui est en tout et au-dessus de tout, le Tout Autre, qui subitement nous regarde à travers une image, qui s'adresse à nous dans une parole, qui resplendit en nous au cours d'une rencontre  et se manifeste au sein de sa création. C'est seulement sous forme d'antithèses que nous pouvons penser la présence de Dieu. Il est en moi et en dehors de moi. Il est le créateur qui soutient le monde. Et il est la force qui pénètre tout. Il est celui qui m'accompagne et il est le Dieu lointain et indicible. Il est l'insaisissable devant qui je me prosterne et que j'adore. Il est celui qui m'entoure de son amour et dont la présence salvatrice me protège. Il est celui qui me lance des défis et qui m'envoie sur la route ; il est celui qui me soutient et qui me fait le don d'une patrie. Il est le Tout Autre et il est pourtant en moi. Là où je suis pleinement moi-même, je suis aussi en rapport avec Dieu, qui me conduit à ma véritable personnalité.

    (à suivre...)

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp.149-150

     

  • mystère du mal

    Dans les années 1970, le spécialiste de l'Ancien Testament, de nationalité helvétique, Herbert Haag, a publié un livre dont le titre était Liquidation du diable. A son encontre, le philosophe athée Ernst Bloch a réagi en reprochant à l'auteur sa naïveté. Selon lui, nous n'avons pas besoin de croire au diable : il est tout simplement une réalité. En l’occurrence, Bloch parle de la réalité, non de la personne du diable. Il renvoie à l'existence effective et au caractère abyssal du mal. Le mal ne se réduit pas à une poignée de quelques mauvaises pensées. C'est le dévastateur par excellence et, souvent, il apparaît à l'homme comme une puissance qui prend possession de lui.

    La seule façon correcte de parler de l'homme est de prendre en compte le mal. Sans doute y a-t-il des personnes qui parlent  constamment du diable, par crainte de l'avoir dans leur âme. Elles font pour ainsi dire une fixation sur lui, parce qu'elles ont refoulé le mal et se croient obligées de le projeter en permanence sur tout ce qu'elles perçoivent.

    Le christianisme n'annonce pas la fin du mal, mais sa maîtrise. Sur la croix, le mal dans le monde s'est éclaté. La crucifixion de Jésus a résulté du mal : d'un côté, de la part de ceux qui se sont installés dans leur piété, tout en se fermant à toute bonne nouvelle ; de l'autre, de la part des puissants, qui ont été lâches, au mépris du droit et de la justice, avec le seul souci de leur profit personnel, et enfin de la part de la soldatesque qui a donné libre cours à sa méchanceté à l'encontre d'un être sans défense.

    Mais la croix nous livre en même temps ce message : là où le mal du monde a abondé, l'amour de Dieu en a triomphé. Jésus a vaincu le mal en pardonnant aussi à ses bourreaux et en s'en remettant aux bras aimants de son Père. La croix affronte donc la réalité du mal, mais elle nous annonce en même temps qu'il ne dispose plus de la puissance ultime.

    Pourtant, tant que nous vivrons, nous serons confrontés au mal. Voici le message du christianisme : l'homme a cessé d'être livré inconditionnellement au mal. Il est en mesure de lutter contre le mal et de le transformer. L'amour est plus fort que le mal. Telle est la tâche de toute véritable humanisation : développer en soi le bien et ravir au mal sa puissance.

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009, pp. 97-98

     

  • Rien ne peut m'écarter du but

    Dans les huit béatitudes, Jésus nous a indiqué huit voies qui nous permettent d'accéder au bonheur. Il promet le bonheur à ceux qui pleurent, à ceux qui souffrent la persécution, aux pauvres et à ceux qui doivent subir l'injustice. Le chemin qui conduit au véritable bonheur n'élude donc pas les expériences négatives de notre vie. Au contraire, sur le mont des Béatitudes, Jésus considère notre existence telle qu'elle est, en nous montrant un chemin grâce auquel nous pouvons, dans la réalité de notre monde, bien souvent lourd de menaces, trouver malgré tout le bonheur. Je voudrais relever deux béatitudes qui illustrent cette affirmation.

    Dans la deuxième Béatitude, Jésus promet le vrai bonheur à ceux qui pleurent. Notre vie n'est pas que succès et bonheur extérieur. Nous perdons des êtres chers. Et nous ratons pas mal d'occasions. Celui qui, dans sa vie, ne déplore pas ces expériences de pertes se condamne à une paralysie intérieure. Seul éprouve une joie véritable celui qui accepte l'affliction. Refouler tous ses sentiments négatifs, c'est aussi se couper de la joie.

    Cela vaut pour la relation vis-à-vis de nous-mêmes, qui est d'une grande importance dans le chemin qui conduit au bonheur. Celui qui reconnaît ses déficiences et ses faiblesses en les déplorant éprouve alors le soutien de Dieu. Il lui vient en aide, de façon qu'à travers ses déficiences, il entre en rapport avec sa nature propre. Ce que je n'arrive pas à vivre est suscité par le fait que je le déplore. alors cela m'advient par une entrée, de façon tout à fait neuve.

    Grégoire de Nysse, mystique grec du IV ème siècle, nous indique, pour sa part, un autre chemin. Il interprète la Béatitude de Jésus sur ceux qui souffrent pour la justice, par comparaison avec les compétitions sportives. Quand je fais la course avec d'autres concurrents, ils cherchent à me dépasser, ce qui me poussent à atteindre plus vite le but. Selon Grégoire de Nysse, le secret de la vie se trouve dans le fait qu'en définitive, ne puisse pas me nuire ce qui est menaçant et mauvais, donc la maladie, la misère, la mort, la haine et l'hostilité provenant de l'extérieur, à la condition que je les comprenne à la lumière des Béatitudes. Même une maladie peut m'inciter à courir vers Dieu qui est notre véritable but. Egalement, la persécution de la part des malveillants ne peut m'écarter du véritable bonheur qui nous attend au terme de notre course. Ce n'est plus une consolation pour plus tard. Au contraire, cette Béatitude nous indique un chemin qui nous montre comment, dans la réalité d'un monde de menaces et de persécutions, il nous est possible de trouver, malgré tout, notre bonheur. Qui parle de bonheur n'évoque pas un plaisir ou une joie superficielle. Ce n'est pas un bonheur de pacotille ou éphémère, qui se limiterait à nous griser nous-mêmes et à exclure tout ce qui est négatif dans le monde, mais un bonheur qui s'avère possible dans la réalité telle qu'elle se présente.

    Anselm Grün - Réponses aux grandes question de la vie - DDB 2009, pp.25-27