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Traversées christiques - Page 37

  • Coopérer au Salut

    (..) notre grâce est liée à la Croix du Christ ; elle a comme un poids qui la porte vers le mystère de la Croix, puisque nous sommes nés à la Croix. Ce lien n'est pas seulement une option libre (même si nous devons avoir cette option libre dans la foi et l'espérance) ; il y a dans la grâce quelque chose de plus, qui est ce lien - qu'on pourrait dire "ontologique"  avec la Croix du Christ. C'est pour cela qu'il y a vraiment en nous une orientation profonde de la grâce vers le mystère de la Croix du Christ. 

    C'est bien ce qui nous est montré ici, si nous regardons attentivement : Comme Moïse éleva le serpent au désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme, afin que tout homme qui croit en lui ait par lui la vie éternelle. Notre foi porte premièrement sur le mystère du Christ crucifié ; son orientation profonde consiste à regarder Jésus crucifié comme Sauveur, c'est-à-dire comme source de vie, en comprenant que cette source de vie nous est donnée, que nous lui sommes liés. C'est important parce que, quand nous ne voulons plus regarder le mystère de la Croix, quand nous le mettons entre parenthèses, nous supprimons du même coup cette orientation profonde de notre grâce chrétienne qui nous lie au mystère du Christ ; nous faisons alors un "refoulement " surnaturel terrible, de sorte que la foi ne peut plus s'épanouir pleinement en nous. A travers la Croix du Christ, notre foi rejoint la paternité de Dieu : Oui, Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique. (...)

    Mais à ce mystère nous sommes nous-mêmes associés, en ce sens que Dieu ne peut pas, ne veut pas, nous sauver sans nous. Dieu réclame notre fiat comme il l'a réclamé de Marie. Nous sommes donc associés non seulement à la croissance de la grâce, mais aussi à notre naissance à la vie divine. Il est très important pour nous de comprendre cela, et de ne pas en rester à l'attitude de celui qui reçoit. Plus la gratuité du don est grande, plus Dieu réclame notre coopération. C'est là un grand principe de l'économie divine, et on le retrouve constamment : plus la gratuité est grande, exigeant donc de nous un état de pauvreté, un état de réceptivité, plus Dieu, en même temps, réclame une coopération aimante. La récéptivité implique donc une grande activité, puisque coopérer au don d'amour, c'est se donner. On ne peut dire son fiat à la grâce qu'en étant soi-même totalement donné. (...)

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 113 - 114.116

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • la grâce comme naissance

    Comment Jésus présente-t-il cette naissance ? C'est une question que nous ne devons pas négliger, car tout l'enseignement du Christ tourne autour de cette naissance, de même que toute la théologie de la grâce. La philosophie est là pour nous faire comprendre les dimensions de l'homme, et la théologie celles de la grâce. Insistons sur ce point : la théologie est là pour nous faire comprendre ce qu'est la vie de la grâce, et nous devons constamment revenir à cela, puisque nous ne pouvons parler de la Très Sainte Trinité que parce qu'il y a en nous cette connaturalité profonde avec le mystère de Dieu, cette naissance à la vie trinitaire.

    Jésus parle donc d'une naissance. C'est très important pour nous. La grâce n'est pas quelque chose qui vient simplement s'ajouter, contrairement à une certaine conception que l'on rencontre  parfois : on dit que la grâce vient perfectionner la nature et qu'il faut donc que la nature soit bien structurée, que les hommes soient bien évolués pour que la grâce puisse s'implanter. Celle-ci est alors conçue comme quelque chose qui vient "au sommet". C'est vrai d'une certaine façon, mais la grâce n'est pas seulement au sommet, elle est en même temps ce qu'il y a de plus radical et de plus profond en nous. Dire que la grâce vient uniquement perfectionner l'homme, permettre à l'homme d'être plus homme (on dirait assez facilement cela aujourd'hui), c'est très apologétique : " C'est merveilleux ! Voyez ce que, par la grâce, cet homme est devenu ! sans la grâce, il ne serait jamais devenu cela".  Le but de la grâce est-il de permettre à l'homme d'être plus homme ? Ou bien le premier but (la finalité) de la grâce, est-il que nous soyons  en premier lieu enfants de Dieu ? Enfants de Dieu en étant hommes, c'est cela qui est si grand. Dieu ne "boude" pas l'humain, parce qu'il a voulu l'homme comme son chef-d'oeuvre, son image. Mais en créant l'homme il ne crée pas un fils bien-aimé (cela, c'est l'oeuvre de la grâce) ; il crée une image, qui est et qui doit devenir toujours plus "à la ressemblance de Dieu".

    Il faut que la grâce arrive à transformer du dedans, et non de l'extérieur, tout ce qu'il y a en nous de grand, de noble. Du dedans, la grâce doit épanouir tout notre être. Quelqu'un qui a la foi, normalement, doit avoir une intelligence plus ouverte, plus épanouie  (disons "normalement", parce que ce n'est pas toujours le cas). Normalement, celui qui a la grâce doit avoir, par la charité, une volonté magnanime ; cela devrait être une conséquence immédiate, parce que la charité nous permet d'aimer à la manière de Dieu. Celui qui a la grâce doit normalement, par l'espérance, avoir une force plus grande, un courage plus grand. Il est normal que la grâce nous rende plus homme, parce que nous sommes créés à l'image de Dieu et qu'être enfants de Dieu, fils de Dieu, permet d'être plus homme. Mais ne confondons pas la finalité et les effets. La grâce a comme finalité de nous orienter vers Dieu immédiatement ; elle nous fait enfants de Dieu, et c'est pour cela que c'est une naissance. (...)

    Si la grâce est une naissance, elle est donc source d'une nouvelle vie. (...)

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 103 - 104

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Avec Nicodème (2)

    Après notre naissance à la vie humaine, il y a eu une autre naissance : la naissance à la vie divine, autrement dit notre naissance dans la grâce. Parce qu'elle est naissance à la vie éternelle, cette naissance est toujours actuelle, elle nous est incomparablement plus présente que la naissance naturelle. Le "berceau" de la grâce est toujours présent, on ne le quitte jamais. Nous devons évidemment progresser dans la grâce : la grâce est une vie qui doit se développer toujours plus, et qui doit aller toujours plus loin ; mais de fait, le point de départ, notre naissance à la vie divine, est toujours présent. Si nous ne pouvons pas nous séparer de notre naissance à la vie humaine, nous l'avons cependant dépassée, et nous la dépassons ; le mystère de la grâce est autre, parce qu'il s'agit d'une réalité divine.

    Il serait intéressant de bien réfléchir sur la différence qui existe entre le devenir dans l'ordre purement physique, le devenir dans l'ordre de la vie humaine, et le devenir dans l'ordre de la grâce. On ne réfléchit pas assez sur cette question, alors qu'elle est très importante parce qu'il s'agit pour nous de vivre de plus en plus le mystère de la grâce de Dieu et d'être de plus en plus enfants de Dieu. Or le devenir de la grâce n'est pas du tout le même que le devenir de notre vie humaine. (...)

    Venons-en à la naissance à la vie divine. C'est tout à fait autre chose et son rythme est tout autre, parce que notre vie divine - à la différence de la vie humaine - est rythmée par l' Esprit Saint, elle est au rythme même de la Très Sainte Trinité. Au niveau humain, nous sommes à l'image de Dieu, ce qui est déjà très beau ; notre rythme de croissance est celui de l'image, qui implique quelque chose de spirituel et de corporel, de sensible, de charnel. Au niveau de la grâce nous sommes à la ressemblance de Dieu, et c'est autre chose. 

    Jésus rappelle donc à Nicodème ce que celui-ci risquait d'oublier : que dans l'ordre divin, dans l'ordre de la grâce, nous sommes toujours en train de naître. (...) 

                                                                      A suivre...

                

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 101 - 102

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • Avec Nicodème (1)

    La grâce est une naissance à la vie divine. Pour nous, il y a eu une première naissance à la vie humaine, puis une naissance à la vie divine, avec un intervalle (si bref qu'il ait pu être) entre les deux. Seule parmi toutes les créatures, Marie n'a eu qu'une seule naissance : c'est le privilège de l'Immaculée Conception. Elle est née pour Dieu, elle a été tout de suite conçue pour Dieu. Tandis que nous-mêmes, nous sommes tous des convertis - de la première, de la seconde ou de la onzième heure. Nous pouvons avoir été convertis dès notre berceau (nous n'en avons pas eu grande conscience !), mais nous sommes tout de même des convertis, puisque nous avons reçu le baptême après notre naissance. Et certains reçoivent le baptême beaucoup plus tard - mais peu importe : nous sommes tous des convertis, et c'est le lien entre ces deux naissances qui est à l'origine des difficultés de tous les théologiens.

    Si, en effet, on fait une erreur à ce niveau de la naissance, cela aura sur la suite d'immenses conséquences.  (...) si, sur le plan théologique, on fait une erreur de compréhension à l'égard de la naissance de l'homme - pourquoi l'homme naît-il ? et pourquoi Dieu a t-il voulu que l'homme naisse de cette manière, en dépendance d'un père et d'une mère ? - cela a de grandes conséquences.

    Dieu a voulu cet ordre de sagesse très étonnant, et il a voulu s'insérer dans la vie humaine de cette manière si extraordinaire qu'est le baptême. On discute aujourd'hui, au niveau pastoral, la question du baptême des enfants. Il est évident que cela touche la question de la grâce, et que les positions diverses présupposent des conceptions différentes de la grâce. Le mystère de la double naissance, voilà ce que Jésus expose tout de suite à Nicodème. Nous sommes nés à la vie humaine, et nous ne pouvons pas le nier puisque nous sommes là. Nous avons quitté notre berceau - du moins normalement, même si, de temps en temps, nous avons envie d'y retourner. (...)

    C'est le propre des êtres vivants : dans le monde purement physique, on abandonne ce qui est au point de départ ; dans le monde des vivants, on ne peut jamais complètement l'abandonner. On le dépasse, on l'assume, mais cela veut dire qu'il est toujours présent. Nous sommes nés selon la chair et le sang, avec un certain atavisme, puis nous avons reçu telle ou telle éducation, et nous gardons toujours cela. Il ne faut pas croire qu'on va pouvoir, à un moment donné, faire une grande rupture et supprimer tout le passé pour être "soi-même". Celui quit dit cela n'est jamais lui-même ; il ne peut pas l'être, précisément parce que le propre de l'être humain est d'assumer tout ce qu'il a vécu auparavant, en reconnaissant qu'il a reçu telle ou telle éducation, qu'il a tel ou tel atavisme, qui le conditionne (mais il peut, redisons-le, dépasser son conditionnement et ses limites).

                                                                                            A suivre...

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. pp 99-100 -

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

     

  • Voilà la cecité du monde

    Les hommes aiment leurs oeuvres ; peu importe qu'elles soient bonnes ou mauvaises, ce qui les intéresse, c'est qu'elles viennent d'eux. Nous voyons cela aujourd'hui : beaucoup de théologiens ne cherchent plus la vérité ; ils cherchent à construire un système original qui vient d'eux.

    Sans le dire explicitement, ils pensent ceci : " la vérité, personne ne peut l'atteindre, il vaut donc mieux ne pas la chercher ; tandis que ce qui vient de nous, nous pouvons en être sûrs". Beaucoup d'hommes, aujourd'hui, cherchent ce qui vient d'eux et disent : c'est mon oeuvre, regardez, elle est magnifique." Ils ne se posent pas la question de savoir si c'est bon ou mauvais, si c'est conforme ou non à la volonté du Père et au message du Christ.

    Voilà la cécité du monde qui ne regarde plus que l'efficacité et la réalisation d'une oeuvre.

    Cette efficacité-là va directement contre le mystère de la fécondité - et c'est là sans doute, une des plus grandes luttes du monde d'aujourd'hui. Si nous regardons l'Evangile et l'Apocalypse avec attention, nous voyons qu'elle est annoncée. Le mystère de la fécondité est lié à l'amour, et donc à la finalité ; alors que la réalisation des oeuvres, si nous ne regardons que ce qui vient de nous, est liée à l'efficacité : parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Ils ont aimé leurs oeuvres avant tout, sans se demander si elles étaient bonnes ou mauvaises ; et en aimant leurs oeuvres, ils ont aimé les ténèbres et refusé la lumière. Si nous aimons trop nos oeuvres (que nous pensons être admirables), nous ne sommes plus capables de recevoir la lumière.

    (...) il faut oeuvrer dans la vérité, c'est-à-dire qu'il faut toujours oeuvrer avec le souci de coopérer avec le Christ ; que ce ne soit pas notre oeuvre, mais l'oeuvre du Christ.

    M.D Philippe - Suivre l'Agneau t.II - Ed. St Paul 1999 / pp. 93-94 - ISBN : 2 85049 7819

  • l'esprit d'abandon

    Seul l'abandon divin peut permettre de retrouver la paix intérieure. Mais nous ne pouvons pas être abandonnés à Dieu sans l'adoration. Autrement, nous confondons l'abandon psychologique et l'abandon divin. Or il faut bien comprendre que l'abandon psychologique n'est pas une vertu, alors que l'abandon divin, lui, est vraiment le fruit de l'amour de Dieu en nous. L'abandon psychologique revient à manquer de vertèbres : on prend la forme de la cuillère qui nous ramasse... ce qui n'est pas une qualité. Il se peut que, quand nous étions jeunes, on nous ait cassé les vertèbres, et que nous restions figés dans cette situation ; mais si nous savons qu'il y a en nous cette faiblesse psychologique, il faut demander au Saint esprit de nous transformer du dedans et il le fera. 

    Il y a aussi ceux qui ont trop de vertèbres et qui sont déterminés depuis le berceau, jusqu'à la fin de leur vie. Ceux-là ont des vertèbres, mais d'une dureté extraordinaire ; il leur faut donc demander au Saint Esprit de les assouplir. Ces deux extrèmes restent au niveau psychologique, alors que l'abandon divin, étant le fruit de l'amour et de l'adoration, est tout à fait autre chose. Il est au-delà de notre tempérament, même s'il prend des notes particulières chez celui qui manque de vertèbres et chez celui qui en a trop. L'abandon divin dépasse ces différences, en assouplissant ou en fortifiant, suaviter et fortiter (cf. Sg 8,1) L'abandon divin est donc quelque chose d'essentiel, c'est la nappe profonde de notre vie. Il faut tout le temps y revenir, par l'adoration. (...)

    Nous travaillons souvent d'une façon trop humaine, pour notre gloire ou tout simplement parce que nous avons peur, et cela n'est pas divin. Il faut arriver à travailler dans ce climat d'abandon divin. Cela ne veut  pas dire qu'on travaille avec nonchalance ; au contraire, on travaille avec une très grande ténacité, parce que c'est Dieu qui nous le demande. Nous faisons alors notre travail le mieux possible pour être des serviteurs fidèles, dans un climat d'adoration, si bien que notre travail ne peut pas s'opposer au mystère de l'oraison. 

    M.D Philippe - Suivre l'Agneau t.II - Ed. St Paul 1999 / p. 76 - ISBN : 2 85049 7819

  • pour toute l'humanité

    (...) De la même façon - et c'est particulièrement important pour le monde d'aujourd'hui -, il faut que nous travaillions avec un souci de vérité et de charité fraternelle profondes, afin de glorifier le Père par notre travail. Le travail de Nazareth est toujours un travail obscur, caché, mais il est encore une prière liturgique s'il y a l'adoration. C'est elle qui lui permet de devenir une prière liturgique tout entière offerte à Dieu, et vécue dans la charité fraternelle. Le travail obscur glorifie le Père parce qu'il est uniquement pour  Dieu, pour la gloire de Dieu, et non pas pour notre propre gloire.

    Ces trois aspects - adoration, prière liturgique, travail - font donc partie du mystère de la purification du Temple. Dans l'adoration, nous adorons pour toute l'humanité et pour tout l'univers. Dès que nous adorons et que notre adoration est vraie, dès que nous reconnaissons que nous sommes en dépendance totale à l'égard de Dieu, nous sommes alors, de fait, au centre de tout l'univers. Nous adorons toujours en tant que nous sommes une partie de l'univers, et c'est pour cela que notre corps n'est pas étranger à l'adoration. (...)

    Il ne faut donc jamais adorer pour soi tout seul, mais il faut le faire pour toute l'humanité d'aujourd'hui, pour la remettre en dépendance de Dieu. (...)

    M.D Philippe - Suivre l'Agneau t.2 - Ed. St Paul 1999, pp. 75 - 76

  • l'Oraison II

    Et saint Thomas ajoute - il s'agit là d'une petite remarque très importante - que Marie est toujours invitée...même si nous ne l'invitons pas. Il vaut mieux bien sûr l'inviter ; mais, dès que quelqu'un désire faire oraison, Marie est présente. Comment ne le serait-elle pas, elle qui a un tel désir de voir notre âme s'orienter vers le coeur de l'Agneau ? Marie voudrait tant que nous entrions dans les désirs les plus profonds du coeur du Christ, qu'elle est toujours là. Saint Thomas ajoute qu'elle a un rôle à jouer, si nous la laissons faire, et surtout si nous le lui demandons : elle nous unit au Christ, et elle hâte l'heure du Christ. (...)

    Marie est donc invitée pour hâter l'heure du Christ et nous unir à lui, parce que nous sommes tous indigne de l'oraison et de la contemplation. Ne disons pas : "Moi, je ne suis pas digne de l'oraison, je ne suis pas digne de la contemplation." C'est tout simplement de la bêtise, parce que personne d'entre nous n'en est digne. Nous sommes tout juste bons à être des serviteurs, ce qui n'est déjà pas si mal. Nous avons une bonne volonté, nous essayons de remplir d'eau les cruches, et, autant que possible, de les remplir jusqu'au bord. Voilà ce que nous faisons. Nous sommes bons à cela. Mais Jésus veut quelque chose de bien plus grand : il veut que nous entrions dans son intimité. Marie en a hâte, et c'est pour cela qu'elle présente notre âme à Jésus, qu'elle nous porte à Jésus afin de nous introduire dans son intimité. C'est cela la hâte de la Mère, dans son désir de nous voir pénétrer tout de suite dans le mystère de Jésus, dans le mystère de son amour. (...) Tout le rôle maternel de Marie sur nous est là présent, car son plus grand désir est que notre coeur soit changé dans le coeur du Christ. C'est même le seul désir de son coeur (...)

    Il n'y a donc pas de méthode d'oraison, mais il y a la présence de Marie qui est comme le milieu divin dans lequel nous pouvons faire oraison. C'est elle qui nous prend pour nous introduire dans l'intimité de Jésus; grâce à elle c'est beaucoup plus simple et plus rapide, parce que Jésus est particulièrement attentif à ses désirs et à sa prière. Marie ne cesse de prier Jésus pour nous, afin de nous introduire dans l'intimité du coeur de son Fils. (...)

    Il y a toujours les ouvriers de la onzième heure, même dans le domaine de l'oraison. La Très Sainte Vierge peut, en un instant, réparer tout le temps perdu et nous introduire dans une très grande intimité, une intimité qui est peut-être réservée aux petits derniers.   

    M.D Philippe - Suivre l'Agneau t.II - Ed. St Paul 1999 / pp. 39-40 - ISBN : 2 85049 7819

  • l'oraison I

    Saint Thomas, lorsqu'il commente ce  passage dans son Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, le fait en théologien contemplatif, c'est-à-dire en mettant toute sa rigueur doctrinale au service d'une lecture contemplative de l'Ecriture, pour en expliciter d'une manière ultime le sens "mystique". Le mystice de saint Thomas est difficile à bien comprendre, parce que nous ne sommes plus du tout habitués à un tel regard.

    Nous avons souvent perdu le sens mystique de l'Ecriture, alors que nous sommes très attentifs au sens littéral, même si, quelquefois, nous le comprenons très mal. Pour saint Thomas, le sens mystique, c'est justement le sens ultime, parce que la parole de Dieu est ordonnée à l'amour.

    Ce sens mystique est donc, d'une certaine manière, relatif à la finalité. Cela doit nous aider à comprendre ce que Cana doit être pour nous. Saint Thomas n'hésite pas à dire - et c'est sans doute la trouvaille d'un saint qui commente saint Jean - que les noces de Cana, prises d'une façon mystique, représentent le mystère de l'oraison, un mystère de rencontre avec Jésus. C'est très audacieux, de dire cela.

    La première chose que Jésus nous enseigne serait donc l'oraison. Il n'est alors pas étonnant que le premier moment de la vocation chrétienne (cf Jn 1,38-39)  soit de suivre "l'Agneau partout où il va" (Ap 14,4).

    Le mystère de l'oraison est le mystère des noces de notre âme avec Jésus. Il est peut-être bon de nous rappeler que, quand nous allons à l'oraison, nous allons à des noces. Alors, pas besoin d'attendre que la cloche sonne ! On y va "en toute hâte" (Cf Lc 1,39), puisque c'est un mystère de noces. "Au sens mystique, nous dit saint Thomas, les noces signifient l'union du Christ et de l'Eglise". Et l'oraison, mystère de noces, est la transformation de notre coeur dans le coeur du Christ. C'est, sous le souffle de l'Esprit Saint, l'exercice le plus divin de la charité, qui consiste à n'être plus qu'un avec Jésus, avec l'Agneau, avec son coeur.

    Si nous aimons, nous voulons aller tout de suite à l'essentiel ; et l'essentiel, c'est que notre coeur soit un avec le coeur de Jésus. Nous, nous apportons à l'oraison l'eau, notre bonne volonté, et Jésus la transforme. C'est lui qui réalise ce mystère d'unité parce que nous ne pouvons pas, par nous-mêmes, "faire oraison". Par nous-mêmes nous pouvons méditer, en bons serviteurs ; mais entrer dans l'oraison, vivre de l'oraison, nous ne le pouvons pas par nous-mêmes. Jésus  seul peut réaliser cela en nous. Cependant il demande notre bonne volonté, il demande que les jarres soient remplies d'eau "jusqu'au bord", c'est-à-dire que notre bonne volonté soit totale et que nous ayons le désir de tout remettre à Jésus. Il peut alors transformer notre bonne volonté en son amour.

    Comme c'est simple ! Mais aussi, quelle audace de la part du théologien, d'affirmer que le mystère de l'oraison est toujours un mystère de noces, les fiancailles de notre âme avec Jésus.

    (à suivre)

    M.D Philippe - Suivre l'Agneau t.II - Ed. St Paul 1999 / pp. 37-38 - ISBN : 2 85049 7819

  • Co-naître

    Jean-Baptiste connaissait sûrement Jésus d'une connaissance humaine, historique, mais il ne le connaissait pas de l'intérieur. C'est vrai aussi pour nous : nous avons tous connu Jésus d'une façon historique, par les Evangiles ; nous avons même peut-être fait des études théologiques. Il y a des théologiens qui connaissent Jésus théologiquement, qui l'ont étudié, mais qui n'ont pas l'expérience d'une relation personnelle avec lui, alors que toute la vie chrétienne suppose cette expérience intérieure et personnelle. Quand nous avons cette expérience, l'Esprit Saint, subitement, fait tomber le voile et nous met devant celui qui se donne à nous, l'Agneau.  Jean-Baptiste a dû être bouleversé par cette découverte.

     

    M-D. Philippe - Suivre l'Agneau t2 - Ed St paul, 1999 p. 15  ISBN : 2 85049 781 9

  • avec nombre, poids et mesure

    (...) Certains, nous le savons bien, divisent l'Evangile de Jean en y distinguant des couches successives. C'est possible ; il est même possible que ce soient des disciples de Jean qui l'aient achevé, qui y aient mis la dernière main. Quant à la composition du livre, on ne saura jamais avec certitude comment elle a été réalisée, mais n'oublions jamais que l'Evangile de Jean ne nous est pas donné en premier lieu pour que nous cherchions comment il a été composé, mais pour qu'à travers lui nous découvrions d'une manière plus profonde le mystère de Jésus, Envoyé du Père.

     Or c'est toujours la finalité d'un message - et non la manière dont il a été composé - qui nous permet de comprendre pleinement ce message. D'autre part, ce n'est ni la connaissance de son origine, ni celle de sa composition qui nous permet de découvrir la finalité d'un écrit. Dès lors, comment pourrait-on prétendre - comme le font certains - qu'il ne faut surtout pas chercher un ordre dans l'Evangile de saint Jean puisqu'on peut y découvrir différentes couches ?

    Rappelons-nous toujours cette parole de l'Ecriture que saint Augustin et saint Thomas aimaient tellement et que tout théologien doit aimer beaucoup : " Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure " (Sg 11,20) Or, si l'évangile de Jean est le dernier moment de la Révélation, c'est donc, parmi les oeuvres de Dieu, l'une des plus grandes. La grande gloire de Jean au ciel, c'est bien sûr d'avoir aimé le Christ comme "le disciple bien-aimé" ; mais n'est-ce pas aussi d'avoir écrit son Evangile ? Il faut souvent le remercier de nous l'avoir donné. 

    Si toutes les oeuvres de Dieu "sont faites avec nombre (c'est-à-dire avec ordre), poids et mesure", l'Evangile de Jean, le dernier écrit de toute la Révélation, doit impliquer lui aussi un ordre, un poids et une mesure. Je suis persuadé que, quoi qu'on en dise parfois, l'Evangile de Jean n'implique aucun désordre, mais qu'il implique au contraire un ordre de sagesse, un poids d'amour, une mesure de sagesse. Evidemment, si on est trop cartésien, on risque d'être déçu, car on ne découvrira sûrement pas l'ordre de Descartes dans l'Evangile de Jean. Mais si on va plus loin en priant l'Esprit Saint, alors on découvrira progressivement l'ordre de la sagesse de Dieu dans cet ultime moment de la Révélation.

    M-D. Philippe - Suivre l'Agneau pp. 233-234 - ISBN : 2-35117-001-6

     

  • Au départ il y a eu Ephèse

    (...) Nous avons jusqu'ici regardé le premier chapitre de l'Evangile de saint Jean. Il reste donc encore beaucoup à découvrir. Il faudrait continuer cette lecture de l'Evangile selon saint Jean jusqu'au bout et ensuite, regarder la première épître [de Jean] et l'Apocalypse (puisqu'il faut regarder l'Apocalypse dans la lumière de l'Evangile de Jean). Si on faisait cela, on pourrait renouveler toute la théologie, car toute la théologie doit être renouvelée à travers Jean. N'est-ce pas précisément ce que Vatican II réclame de nous ? Il nous faut reprendre tout dans la lumière johannique, et c'est peut-être le rôle très particulier de la France - c'est pour cela qu'elle est tellement secouée - puisque le premier évêque de Lyon, saint Irénée, était disciple de saint Polycarpe, lui-même disciple de saint Jean. Il est important de regarder ces choses-là, car cela montre que nous sommes reliés à Jean d'une manière très particulière. Au point de départ il y a eu Ephèse, l'Eglise de Jean, qui est l'Eglise de la ferveur (cf. Ap 2,4). Mais l'Eglise de Jean ne doit-elle pas demeurer jusqu'au retour du Christ ? "S'il me plaît qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ?"...

    M-D. Philippe - Suivre l'Agneau - Ed Saint Paul 2005 p. 231 - ISBN : 2-35117-001-6

  • le témoin, le serviteur et l'ami

    (..) La grâce chrétienne est donc en premier lieu une grâce d'amour et d'intimité avec l'Agneau ; c'est le mystère de l'oraison et de la contemplation. Cela, c'est premier. On n'est chrétien que quand on aime, et qu'on aime d'une manière telle qu'on demeure auprès de l'Agneau. C'est tout le mystère de l'oraison, qui est une exigence fondamentale de la vie chrétienne.

    La grâce chrétienne va faire de nous des témoins. André, c'est le témoin, le témoin auprès de Simon. (...) André est à l'origine de la vocation de Simon - qui est devenu Pierre - et cela nous montre la grandeur du témoignage. Le témoin au sens fort, c'est celui qui est à l'origine de la vocation de Pierre.

    Troisième dimension de la vocation chrétienne : elle implique le service. Ne confondons pas témoignage et service, car ce n'est pas la même chose. Quand on fait la cuisine, quand on épluche des légumes, on n'est pas témoin, on est serviteur. Le serviteur est toujours caché. Chacun de nous a un service plus ou moins caché : son travail. C'est le serviteur qui travaille. Et le travail est la seconde grande rectification de notre vie. Il y a en effet deux grandes purifications dans notre vie : l'adoration et le travail. Le travail nous maintient dans un équilibre sain et purifie notre imagination, notre sensibilité. (...)

    Quatrième dimension :  la vie chrétienne doit être vécue dans la gratuité - cela, c'est la vocation de Philippe : "Suis-moi ", un appel tout à fait gratuit. La contemplation, le témoignage, le service, doivent être vécus dans la gratuité, toujours. Nous sommes des "serviteurs inutiles "(cf. Lc 17,10) Cette question du service est très importante - surtout dans le monde d'aujourd'hui. Il est difficile d'être de vrais serviteurs. On accepte d'être témoin (c'est tellement beau !), on accepte d'être des amis (très bien!) mais le serviteur...c'est moins attrayant ! (...)

    M-D Philippe - Suivre l'Agneau - Ed. St Paul 2005 pp.  224-226. ISBN : 2-35117-001-6

  • Sur Jésus qui passait

    Fixant les yeux sur Jésus qui passait... Le témoignage de Jean-Baptiste est un témoignage contemplatif : fixant les yeux sur Jésus qui passait. Il est "en arrêt", dans une attitude contemplative, tout entier pris par l'Agneau. Fixant les yeux sur Jésus qui passait, il dit : " Voici l'Agneau de Dieu (...), Jean-Baptiste ne dit que cela... Les deux disciples, l'entendant parler ainsi, suivirent Jésus.

    M-D. Philippe - Suivre l'Agneau - Ed Saint Paul 2005 p. 203-204 - ISBN : 2-35117-001-6

  • S'il venait ce soir

    (...) Cela est très significatif pour nous. tous les chrétiens attendent le retour du Christ. Ils sont bien obligés, puisque les Actes des Apôtres nous disent, au moment de l'Ascension du Christ, qu'un jour il reviendra (cf. Ac 1,11). Ils l'attendent en disant : " Pas tout de suite, Seigneur ! ", parce que, ayant jeté un coup d'oeil à l'Apocalypse sans essayer de la lire en profondeur, ils sont affolés : "C'est effrayant, les derniers temps ! L'Eglise n'en est qu'au début de son pèlerinage !" Ils disent attendre, mais en réalité ils n'attendent pas du tout. C'est une espérance messianique temporalisée, politisée. Ils attendent la libération de l'humanité pour elle-même, ils n'attendent pas vraiment le retour du Christ. Pour l'attendre, il faut être un pauvre qui n'a rien à perdre et qui a soif du retour de Jésus. Celui-là seul l'attend vraiment. 

    Demandons-nous si nous attendons vraiment le retour de Jésus, si dans notre coeur il y a cette soif ardente, cette soif de le rejoindre, d'être avec lui éternellement ; ou bien si, au contraire, nous sommes trop occupés de notre avoir, de nos opinions, en considérant que notre gloire humaine n'est pas encore suffisamment achevée. " Je n'ai pas encore dit tout ce que j'avais à dire ! Il ne faut surtout pas que le Christ arrive avant ! Il ne faut pas que le Christ arrive avant que l'humanité soit parfaitement épanouie, qu'elle soit adulte." Mais si l'on attend que l'humanité arrive à une sorte de splendeur et de gloire humaines, après quoi le Christ reviendrait pour couronner cela, alors on attend pas vraiment le retour du Christ.   On ne peut l'attendre que comme celui qui seul nous donne l'amour, comme le feu du Ciel qui doit tout transformer. Chacun de nous doit faire ce petit examen de conscience, c'est excellent. C'est là qu'on voit combien il est difficile d'être chrétien ! Parce que cela nous demande un grand déracinement.

    Il faut accepter de reconnaître que nous sommes encore très enracinés et que nous avons beaucoup de peine à attendre le retour du Christ. Il faut reconnaître que nous ne sommes pas encore totalement chrétiens, que nous avons beaucoup d'attaches à quantité de choses, et que nous avons de la peine à désirer le retour du Christ.

    Si le Christ devait revenir ce soir, combien parmi nous seraient-ils dans la joie, dans la vraie joie, la joie plénière en disant : "Enfin, il est là !" Ne dirions-nous pas au contraire : " Mais je suis encore trop jeune, j'avais tellement de choses à faire et à voir !  (...) Pour ceux qui sont au terme de leur vie, très bien, ils ont vécu, mais nous ? Attendez encore un peu, Seigneur, laissez-nous réaliser quelque chose ! " (...) Attendre le Christ comme devant venir ce soir exige de nous de l'attendre comme de vrais pauvres, c'est-à-dire en comprenant que ce ne sont pas nos réalisations que Dieu regarde avant tout, mais bien plutôt les désirs de notre coeur (cf. Catherine de Sienne). Comme c'est apaisant !

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.195-196 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • le Vivant

    Chaque fois qu'on nous demande pourquoi nous sommes chrétiens, chaque fois que nous sommes en face d'un athée, de quelqu'un qui ne croit plus, n'oublions jamais que nous sommes chrétiens parce que le Christ est vivant. Le Christ, mort, est ressuscité. Il est vivant et il est proche de nous, il habite en nous par la foi. Nous avons donc, si notre foi est vivante, un contact direct avec lui. Si nous avons une foi contemplative, personnelle, si notre foi est libre, alors nous sommes en contact direct avec Jésus et il n'y a pas de distance entre lui et nous. Jésus est plus proche de nous que nous le sommes de nous-mêmes, puisqu'il habite en nous par la foi et qu'il est source de notre grâce, actuellement. (...)

    Comprenons bien qu'il y a deux connaissances de Jésus. Il y a d'abord une connaissance selon les traditions religieuses et familiales. Si nous appartenons à une famille chrétienne, on nous a parlé du Christ dès notre enfance. C'est bien, c'est très heureux, c'est un patrimoine merveilleux, mais à un moment donné nous avons compris que nous étions chrétiens, non pas parce que nous appartenions à telle ou telle famille, mais parce que le Christ est vivant, parce que c'est lui qui nous choisit et que nous avons ce lien direct avec lui. C'est lui qui nous appelle, c'est lui que nous suivons. Si nous sommes chrétiens, ce n'est pas pour être fidèles à nos parents ou à nos grands- parents (...) la raison première, c'est ce lien direct que nous avons avec celui qui est l'Agneau de Dieu. Il faut demander à l'Esprit Saint cette révélation de l'Agneau de Dieu (...)

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.187 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • L'oeillet du Saint-Esprit

    " (...) Il y a à Fribourg (en Suisse) des peintures d'un grand artiste qu'on appelle "le peintre à l'oeillet" parce qu'il signaint toujours ses tableaux par un petit oeillet. N'est-ce pas magnifique, de mettre un petit oeillet comme signature, au lieu de signer de son nom ? Le Saint-Esprit signe d'une manière semblable. C'est très caché, mais il y a réellement une signature particulière du Saint-Esprit, qu'il faut discerner dans la foi. C'est cela le discernement des esprits. Il y a aussi, bien sûr, la signature du démon, une grosse signature ! Le Saint-Esprit, lui, signe toujours par la pauvreté, parce qu'il est le Père des pauvres. Et le Père des pauvres ne prend que les pauvres ; les autres, il les laisse. "Vous voulez aller votre chemin ? Très bien, allez-y !" Le Saint-Esprit ne va pas nous faire des remontrances, il nous laissera tranquille, parce qu'il est très respectueux de notre liberté. Mais il est le Père des pauvres, et cela il le montre  toujours. 

    A Abraham Dieu avait précisé : "Va vers le pays que je te montrerai, vers la terre de Canaan ", et à Jean-Baptiste il demande d'aller au désert sans rien lui dire. C'est différent ! La foi n'est pas directement la pauvreté ; c'est l'espérance qui est la pauvreté. La foi réclame une direction, une orientation, elle réclame une doctrine. Car il faut avoir une doctrine - mais il faut toujours la dépasser. La doctrine est nécessaire, il faut connaître la parole de Dieu, il faut connaître quelle est la vérité de Dieu. Et la foi nous conduit vers la terre de Canaan, elle fait de nous des étrangers dans la culture du monde d'aujourd'hui. L'espérance, elle, nous met au désert, dans la pauvreté ; elle exige de nous de ne pas savoir où nous allons, d'être comme portés par l'Esprit saint, et puis... d'attendre - la patience divine ! Il ne nous est pas dit combien de temps Jean-Baptiste a attendu au désert, cela fait partie de la pauvreté. Car si on le savait on dirait : " Voilà, j'ai fait un an de noviciat, je suis formé... !" Pas du tout. C'est toute notre vie que nous sommes novices du Saint-Esprit ; et plus nous avançons, plus nous le sommes, quel que soit notre âge. Nous devons aller toujours plus loin dans la pauvreté, car elle n'a pas de limites. Je parle de la pauvreté intérieure, bien sûr. La pauvreté extérieure est un signe, mais la pauvreté intérieure est un abîme qui creuse en nous le don de crainte ; et la pauvreté intérieure nous donne cette docilité parfaite à l'Esprit-Saint. "

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.185-186 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • Témoin du Christ

    Etre témoin du Christ dans notre vie, c'est laisser toujours le Christ "passer devant", c'est-à-dire faire passer la foi, l'espérance, la charité avant notre intelligence, nos désirs et nos sympathies ou antipathies. Il faut que la foi soit toujours première et que nous ne croyions pas dans la mesure où nous avons "compris" - ce ne serait plus la foi. La foi, c'est une adhésion au mystère de Dieu parce que Dieu nous a donné sa lumière. Et nous adhérons dans l'obscurité, parce que la lumière de Dieu nous dépasse et excède la capacité naturelle de l'intelligence qui, par le fait même, en est aveuglée. La foi est une adhésion inconditionnelle, parce que nous adhérons à la lumière de Dieu. Nous savons qu'elle n'est pas irrationnelle, mais "super-intelligible". Nous savons que croire, ce n'est pas imprudent, mais "super-prudent"; Il faut donc toujours que la foi passe avant l'intelligence. Autrement, nous retombons dans un humanisme, nous ne sommes pas chrétiens, et nous ne rendons pas témoignage au Christ.

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.153-154 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • pourquoi ne suis-je pas bouddhiste ?

    (...) " Pourquoi suis-je catholique et non pas bouddhiste ? " Il y a de très grands bouddhistes - j'en ai rencontrés. J'ai eu un ami musulman qui semblait avoir une vraie vie mystique, une véritable vie d'adoration, une vie de prière étonnante. Chaque fois du reste, que je le voyais, il me demandait une bénédiction en disant : " Nous sommes frères en Dieu ". Oui, c'est vrai, dans le Dieu créateur nous sommes frères mais je prie un jour pour qu'il ait la lumière plénière. Pourquoi ne sommes-nous pas musulmans ? C'est pourtant très grand ? D'une certaine manière, l'Islam a gardé beaucoup plus que nous l'adoration. Quand on visite Damas, ville sainte, on voit des choses qu'on ne verrait absolument pas chez nous. Quand on sonne la prière, le coiffeur fait sortir son client, même si ses cheveux ne sont pas entièrement coupés - peu importe ! puis, déployant son petit tapis, il fait son adoration devant tout le monde. Où verrait-on cela chez les chrétiens ? L'adoration d'un véritable musulman qui croit, c'est merveilleux à voir. On peut alors se demander : " Mais pourquoi suis-je chrétien ? " Le motif profond est celui-ci : le christianisme a uni l'homme à Dieu. C'est Dieu qui est venu vers nous et qui nous a élevés jusqu'à lui. Le coeur de l'homme est devenu le coeur de Dieu. L'amour à l'égard de Dieu et l'amour à l'égard du prochain, cela ne fait qu'un. Là on touche ce qui est caractéristique de la vie chrétienne, ce qui en elle est unique : il n'y a qu'un seul amour. L'amour à l' ègard de Dieu et l'amour à l'égard du prochain, c'est le même amour. Cela, on ne le trouve dans aucune autre religion. C'est vrai : le coeur de l'homme est devenu le coeur de Dieu, et le lieu de rencontre de l'homme avec Dieu, c'est le Christ, en qui l'homme et Dieu sont unis d'une unité substantielle, personnelle.

    Il est bon de se rappeler cela, parce que quelquefois les traditions religieuses semblent être mieux gardées dans l'islam, ou dans d'autres religions, que dans la religion chrétienne. Pourquoi ? Parce que, justement, le chrétien dépasse les traditions religieuses. Ce qui caractérise la vie chrétienne, c'est la foi, la foi en Christ, en le Verbe devenu chair, Dieu au milieu de nous. La vie chrétienne, c'est en premier lieu la contemplation. Donner la primauté aux traditions religieuses est une matérialisation de la vie chrétienne, car celle-ci n'est pas premièrement tradition religieuse - heureusement. Les traditions religieuses, en effet, considérées en elles-mêmes, indépendamment de leur source, se matérialisent toujours. Le grand danger qui menace l'islam, c'est le progrès technique, scientifique, économique, contre lequel les traditions religieuses, prises en elles-mêmes, ne peuvent pas se défendre. C'est un fait : cela ne "tient" pas, et c'est un phénomène qu'il serait très intéressant d'étudier de près. En face des progrès scientifiques et économiques, seule la foi peut demeurer, parce qu'elle dépasse le conditionnement humain. C'est Dieu lui-même qui vient vers nous, c'est Dieu qui nous assume. La foi vient de Dieu, c'est un don de Dieu, alors que les traditions religieuses viennent de l'homme et tendent vers Dieu. (...)

    On me dira : " Il y a une foi dans l'islam ". C'est vrai ; mais la foi de l'islam est dépassée et submergée par les traditions religieuses et, de ce fait, ce sont les choses extérieures, l'aspect moral, l'aspect de la lettre, qui dominent, et non plus la parole vivante reçue dans la foi. Ce qui est si merveilleux dans la vie chrétienne, c'est que nous recevons une parole vivante qui nous lie à une personne - je dis bien : à une personne - et non pas à une loi ni à une doctrine. La doctrine existe, les traditions religieuses existent, mais elles sont secondes et demandent d'être sans cesse purifiées par la foi. Il ne faut pas supprimer les traditions religieuses en s'opposant à elles ; il faut les purifier, les décanter dans une lumière de foi. Cette lumière de la foi nous est montrée dans toute sa puissance et toute sa force dans le Prologue de saint Jean.

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.150-151 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • Nature et grâce

    (...) Je rappelle cela parce qu'aujourd'hui on est prisonnier d'un humanisme. On croit que l'homme doit être d'abord parfait avant de se mettre à croire. Cela, c'est le meilleur moyen pour qu'il ne croie jamais - parce qu'on n'est jamais parfait. Nous avons tous nos fêlures psychologiques. La seule différence c'est que les uns arrivent à les cacher d'une façon suffisamment habile, alors que les autres n'arrivent pas à les cacher. Mais nous en avons tous, des fêlures psychologiques. Il y a les fêlures du sous-sol au niveau biologique, les fêlures au niveau passionnel, les fêlures au niveau intellectuel... Personne d'entre nous  n'est exempt de fêlures, puisqu'il y a les conséquences du péché original qui mettent en nous ces fêlures, ces crevasses qui sont  fameuses. Nous  avons en nous les trois concupiscences (cf. 1 Jn 2,16) et elles montrent bien que c'est fêlé de partout. La grâce supprime le péché originel, mais en laisse les conséquences - c'est cela qui est extraordinaire ! Cela montre bien que la grâce vient d'en-haut et non de notre nature. Nous naissons à la vie divine à partir de Dieu et non à partir de nos propres parents. La foi est un don de Dieu, et non pas un don de nos parents. Bien sûr, s'ils ont fait baptiser leur enfant, les parents sont responsables de l'éclosion de la foi, de la croissance de ce germe divin qui a été donné à leur enfant. Ils sont responsables de créer  un milieu qui favorise cette éclosion, cette croissance ; mais ce ne sont pas eux qui ont donné la grâce. Celle-ci nous fait appartenir directement à Dieu.

    Il faut bien saisir les rapports de la grâce et de la nature, car cela a été de tout temps le grand problème théologique. et toutes les bêtises (il faut appeler les choses par leur nom) qui peuvent se dire aujourd'hui au niveau catéchétique, au niveau de l'éducation à la foi, proviennent tout simplement d'une théologie qui est fausse et qui affirme le primat de l'homme sur la grâce. Une telle conception oublie que la grâce a son rythme propre, qu'elle a des exigences qui ne sont pas celles de la nature et qui les dépassent infiniment. Il y a des exigences de la foi, de l'espérance et de l'amour, qui sont tout autres que celles de notre intelligence et de notre volonté. Et n'oublions pas que s'il y a des refoulements au niveau psychologique (on est bien obligé de les reconnaître, et aujourd'hui on est très sensible à cela), les refoulements les plus terribles sont au niveau surnaturel... et cela, on n'y pense même pas ! Refouler les exigences de notre vie divine, c'est plus grave que tout, car la vie divine est plus forte que tout, elle a une puissance extraordinaire ! Quand je pense que nous avons un germe divin en nous...! Or la grâce est un germe divin (cf. 1 P 1,23) qui demande à croître, qui demande à devenir le plus grand arbre (cf. Mt 13,31-32 ; Mc 4, 30-32 ; Lc 13, 18-19) et de tout prendre, de tout assumer. En effet, ce germe divin, précisément parce qu'il est divin, est capable de tout assumer (tout notre psychisme) pour tout transformer et tout orienter vers Dieu. Et quand on fait des refoulements dans l'ordre surnaturel, c'est plus terrible que tout. Notre Europe n'est-elle pas malade de cela ? En effet, elle a été chrétienne, ne l'oublions pas ! C'est la grande vision de Nietzsche, lui qui est né dans le christianisme et qui, dans sa jeunesse était pieux. Il y a des prières du jeune Nietzsche qui sont extraordinaires, dignes des psaumes. Il avait une aspiration mystique, cet homme ! Il était fait pour cela, mais il n'a pas trouvé la nourriture, il n'a pas trouvé les âpôtres qu'il fallait. Alors il y a eu chez lui un refoulement, un refoulement terrible qui l'a conduit à la folie. Et on comprend qu'un tel refoulement détraque tout. On peut du reste, se demander si Dieu n'a permis la folie de cet homme pour le sauver, parce qu'il y avait en lui quand même une grâce première, très cachée. (...)"

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (1) - Ed. St Paul 2005, pp.140-141