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Nature et grâce

(...) Je rappelle cela parce qu'aujourd'hui on est prisonnier d'un humanisme. On croit que l'homme doit être d'abord parfait avant de se mettre à croire. Cela, c'est le meilleur moyen pour qu'il ne croie jamais - parce qu'on n'est jamais parfait. Nous avons tous nos fêlures psychologiques. La seule différence c'est que les uns arrivent à les cacher d'une façon suffisamment habile, alors que les autres n'arrivent pas à les cacher. Mais nous en avons tous, des fêlures psychologiques. Il y a les fêlures du sous-sol au niveau biologique, les fêlures au niveau passionnel, les fêlures au niveau intellectuel... Personne d'entre nous  n'est exempt de fêlures, puisqu'il y a les conséquences du péché original qui mettent en nous ces fêlures, ces crevasses qui sont  fameuses. Nous  avons en nous les trois concupiscences (cf. 1 Jn 2,16) et elles montrent bien que c'est fêlé de partout. La grâce supprime le péché originel, mais en laisse les conséquences - c'est cela qui est extraordinaire ! Cela montre bien que la grâce vient d'en-haut et non de notre nature. Nous naissons à la vie divine à partir de Dieu et non à partir de nos propres parents. La foi est un don de Dieu, et non pas un don de nos parents. Bien sûr, s'ils ont fait baptiser leur enfant, les parents sont responsables de l'éclosion de la foi, de la croissance de ce germe divin qui a été donné à leur enfant. Ils sont responsables de créer  un milieu qui favorise cette éclosion, cette croissance ; mais ce ne sont pas eux qui ont donné la grâce. Celle-ci nous fait appartenir directement à Dieu.

Il faut bien saisir les rapports de la grâce et de la nature, car cela a été de tout temps le grand problème théologique. et toutes les bêtises (il faut appeler les choses par leur nom) qui peuvent se dire aujourd'hui au niveau catéchétique, au niveau de l'éducation à la foi, proviennent tout simplement d'une théologie qui est fausse et qui affirme le primat de l'homme sur la grâce. Une telle conception oublie que la grâce a son rythme propre, qu'elle a des exigences qui ne sont pas celles de la nature et qui les dépassent infiniment. Il y a des exigences de la foi, de l'espérance et de l'amour, qui sont tout autres que celles de notre intelligence et de notre volonté. Et n'oublions pas que s'il y a des refoulements au niveau psychologique (on est bien obligé de les reconnaître, et aujourd'hui on est très sensible à cela), les refoulements les plus terribles sont au niveau surnaturel... et cela, on n'y pense même pas ! Refouler les exigences de notre vie divine, c'est plus grave que tout, car la vie divine est plus forte que tout, elle a une puissance extraordinaire ! Quand je pense que nous avons un germe divin en nous...! Or la grâce est un germe divin (cf. 1 P 1,23) qui demande à croître, qui demande à devenir le plus grand arbre (cf. Mt 13,31-32 ; Mc 4, 30-32 ; Lc 13, 18-19) et de tout prendre, de tout assumer. En effet, ce germe divin, précisément parce qu'il est divin, est capable de tout assumer (tout notre psychisme) pour tout transformer et tout orienter vers Dieu. Et quand on fait des refoulements dans l'ordre surnaturel, c'est plus terrible que tout. Notre Europe n'est-elle pas malade de cela ? En effet, elle a été chrétienne, ne l'oublions pas ! C'est la grande vision de Nietzsche, lui qui est né dans le christianisme et qui, dans sa jeunesse était pieux. Il y a des prières du jeune Nietzsche qui sont extraordinaires, dignes des psaumes. Il avait une aspiration mystique, cet homme ! Il était fait pour cela, mais il n'a pas trouvé la nourriture, il n'a pas trouvé les âpôtres qu'il fallait. Alors il y a eu chez lui un refoulement, un refoulement terrible qui l'a conduit à la folie. Et on comprend qu'un tel refoulement détraque tout. On peut du reste, se demander si Dieu n'a permis la folie de cet homme pour le sauver, parce qu'il y avait en lui quand même une grâce première, très cachée. (...)"

Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (1) - Ed. St Paul 2005, pp.140-141

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