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trois groupes d'hommes

Pour vivre une conversion sincère et accueillir la réalité paradoxale du Règne, la Parole doit être reçue intégralement de sorte que nous nous reconnaissions humblement en chacun des trois types d'auditeurs présents autour de Jésus. Nous commencerons par le plus extérieur des trois cercles ainsi constitués autour  du Maître pour finir par le plus intérieur.

Le groupe le plus éloigné est celui des nantis, des repus, des satisfaits (cf. Lc 6,24-26). Ils n'entendent rien, car ils sont trop pleins d'eux-mêmes. Jésus doit crier leur malheur pour tenter de vaincre leur surdité faite de vanité et d'autosuffisance. Ils n'entendent pas, car ils sont trop occupés à noyer la réalité de ce malheur dans l'orgueil de la vie. Nous sommes pour une part de ces satisfaits de l'existence, aveugles à la misère qui nous affecte. Tous nos efforts pour ne pas la voir se trahissent à travers tant d'incohérence dans notre réponse de foi: le besoin de nous faire valoir là où nous professons l'humilité, l'esprit de rivalité en lieu et place de l'esprit de service, la propension à juger et à condamner autrui qui étouffe en nous la compassion du Christ.

Le groupe intermédiaire est celui des malheureux proprement dits (cf. Lc 6,17-19). Ils sont nombreux dans cette foule, venus dans  l'espoir d'être miraculeusement délivrés de leur mal. Pourtant ils sont loin aussi de la Parole, non pas qu'ils soient sourds à la souffrance qu'ils portent  mais parce que celle-ci les enferme en eux-mêmes. Ils ne voient que leur malheur et n'ont pas réussi à établir une relation avec Jésus qui ouvrirait leur cœur à une autre dimension. Ne nous arrive-il pas ainsi de nous replier sur nous-mêmes dans la perception d'une limite qui nous fait souffrir, demeurant seuls avec la conscience de notre faiblesse ? Isolés dans la foule anonyme, centrés sur notre misère, nous ne croisons pas le regard de Jésus et entendons encore moins sa Parole: « Heureux, vous les pauvres ! »

Le groupe le plus proche est composé de ceux que Jésus peut regarder un à un personnellement, connaissant certainement le nom de chacun, car ils se sont mis à sa suite. Ils ont placé en lui leur confiance. Et que voit Jésus? Des gens en difficulté ! Il semblerait que le groupe des disciples ne soit composé que de pauvres, d' affamés, d' affligés ou d' exclus à cause de son nom, tandis que les riches se trouvent perdus dans la foule. Le disciple n'est ni imbu de lui-même, ni replié sur sa misère. Il a simplement placé sa vie sous le regard de Jésus, prêt à se laisser enseigner et conduire. Nous sommes dans cette attitude de disciple, lorsque débarrassés de nos certitudes, de nos fausses sécurités, conscients du caractère relatif de nos richesses humaines, nous laissons la Parole nous atteindre en notre vulnérabilité. Or, cette parole brise sans concession le miroir de nos faux-semblants et pourtant, loin de nous enfoncer dans la tristesse, elle s'avère libératrice. À travers un abîme que nous n'avons jamais fini de sonder, naît un bonheur incompréhensible appelé à devenir plénier dans le Royaume de Dieu. En révélant notre vulnérabilité, cette Parole donne non seulement de la reconnaître, mais d'y consentir comme à la dimension la plus précieuse de notre être. En laissant le Christ éclairer ainsi jusque dans ses profondeurs notre soif de bonheur, nous découvrons comment Dieu vient nous rejoindre jusque-là. La Parole divine réalise alors ce qu'elle dit et transforme notre cœur insensible en un cœur de chair, libre de lui-même parce que réconcilié avec sa pauvreté et fraternel à la souffrance d' autrui: « Heureux vous les pauvres ... » Cela ne s'explique pas, comme ne s'explique pas cet amour du Christ qui assume toute notre humanité sans rien laisser se perdre de ce qu'il est venu chercher (cf. Lc 15,4-7). Cela ne s'explique pas, mais cela se reçoit dans la foi en la Parole proclamée par Jésus au début de son ministère (cf. Lc 4,16-22): dès à présent, le Règne de Dieu est à l' œuvre puisque la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, la vue rendue aux aveugles, la liberté aux captifs. 

 

Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 pp.102-103

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