L'incarnation du Verbe engage toute la vie de Jésus et s'achève sur la Croix, Dieu glorifiant sa Parole par sa résurrection d'entre les morts. D'une certaine manière, il en va de même pour tout auditeur de la Parole. Celle-ci prend chair dans sa propre vie dans la mesure où elle lui donne sens et l'oriente vers sa fin ultime. Elle le fait tout à la fois en confirmant l'humain dans sa dignité de créature et en l'appelant à une relation filiale avec Dieu. Ainsi la condition humaine prend-elle sens comme Parole de Dieu dans le Christ. La Bonne Nouvelle est un appel à entendre cette Parole d'élection que Dieu adresse à chacun(e) comme à un enfant unique et bien-aimé.
Mais accueillir une telle parole, c'est entrer dans une relation de foi singulière face à laquelle l'être humain ne peut que ressentir plus profondément sa misère : " Eloigne-toi de moi Seigneur, car je suis un homme pécheur " (Lc 5, 8b). Si certains en reçoivent la grâce, ce ne peut être en vertu de mérites particuliers, mais en vue d'une mission. Le chrétien est apôtre s'il a fait l'expérience de sa propre impuissance au regard de l'Amour. Il peut alors témoigner de la gratuité divine et aider les autres à découvrir leur liberté filiale dans le Christ. Plus le croyant sera descendu profondément dans ses propres ténèbres intérieures, plus il aura conscience du caractère absolument gratuit de son élection.
L'écoute de la Parole à ce niveau de profondeur suppose tôt ou tard l'expérience d'un jugement, la mise en lumière du péché, pour devenir en vérité source de salut et recréation dans le Christ. Jean de la Croix, docteur mystique de la nuit, a situé au coeur de l'expérience spirituelle la traversée du négatif. Nous le rejoignons ici sur l'autre rive, là où la Parole a transformé en lumière le mal de la vie. Dans le commentaire de son poème, "la Vive Flamme d'Amour", il décrit cette Parole devenue feu d'amour filial. Comme dans l'évangile johannique, cette expérience est l'oeuvre conjointe du Christ et de l'Esprit.
Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 273-274