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  • vers toi j'ai crié (2)

    On ne peut minimiser le choc qu'a représenté la prise de conscience de la position exacte de l'humanité dans le cosmos. Nombre d'intelligences parmi les plus averties et les plus réfléchies en demeurent impressionnées. Nos contemporains vivent encore avec force de l'évidence que formulait ainsi Auguste Comte : "Tout le système théologique est fondé sur la supposition que la terre est faite pour l'homme et l'univers entier pour la terre : ôtez cette racine et toutes les doctrines surnaturelles s'écroulent."

    La révolution copernicienne est éprouvée comme entraînant l'effondrement de la conception d'une providence choyant l'humanité dans le lieu central de l'univers. L'exploration contemporaine de l'univers n'a fait qu'accroître ce vertige : celui d'une biosphère cosmiquement infirme, développée sur une planète de rien du tout autour d'un petit soleil dans la banlieue d'une galaxie très moyenne située n'importe où parmi des milliards de galaxies...

    L'humanité s'y trouve seule, sans autre recours que ses propres ressources. Ce qui l'eût jadis épouvantée ne l'embarrasse plus. Elle prend le parti , pas tellement angoissé, de s’accommoder de sa position ; la connaissance qu'elle prend de l'univers, la maîtrise des espaces qu'elle acquiert lui offrent de grisantes compensations. Elle récupère ainsi la conscience d'être centre du monde, non pas dans l'absolu ni du point de vue d'un Dieu transcendant, mais dans l'existentiel et du point de vue de sa propre conscience puisqu'aucune autre conscience ne lui apporte ici contestation et ne l'oblige  à se situer autrement.

    [Le théologien] Urs von Balthasar, analysant cette "époque anthropologique" qui est la nôtre, estime que la responsabilité ainsi dévoilée à l'homme moderne "est si lourde, mais elle est aussi pensé de telle sorte qu'il ne peut la porter seul. Mais comme il ne peut plus la partager avec la nature, il ne lui reste rien d' autre à faire que de la partager avec le Créateur". Ainsi l'homme moderne est-il prédestiné à redevenir un homme de prière.  Pour l'heure, cette prédestination ne lui est, en tout cas, pas évidente, et ce qu'il tente, c'est bien de porter seule sa responsabilité. Non plus d'une manière prométhéenne : trop de besoins crient, trop de drames sont en suspens, trop de problèmes graves demeurent irrésolus ! Mais les recours s'appellent exclusivement : développement économique, progrès de la science, mise au point des techniques, organisation des sociétés, révolutions, etc.

    Aux prises avec ces besognes terrestres qui absorbent totalement leurs ouvriers, pris dans le réseau serré des solidarités innombrables, comment l'individu concevrait-il une providence ?  Il est d'autant plus dissuadé de s'affirmer en relation particulière avec Dieu par la prière que, pour actualiser cette relation, il devrait franchir d'abord l'épreuve de sa singularité, et donc de sa propre solitude, et que c'est l'une des choses qu'inconsciemment il fuit le plus : ne sachant en effet comment se situer en dernier ressort, il ne peut l'assumer. C'est auprès de son semblable qu'il va quêter la consolation d'une présence, d'une parole, d'une opinion d'autrui, qui lui confère cette certitude objective de sa valeur (fût-elle relative et infime) que nul ne peut se donner à soi-même. Une "invocation"informelle et multiforme du semblable s'est substituée chez beaucoup à l'invocation du Dieu refuge et force, telle qu'on la rencontre par exemple dans les psaumes.

    Albert-Marie Besnard- Vers Toi j'ai crié - Cerf 1979. pp. 58-61

  • vers toi j'ai crié (1)

    L'homme moderne s'est habitué peu à peu à ne voir le monde que comme une totalité fermée. Bien sûr il le constate et le conçoit ouvert à son évolution interne, qui est prodigieuse et incessante, mais, acquis aux évidences communes de la pensée athée (matérialiste, nietzschéenne, etc.) et familiarisé avec la vision scientifique de l'univers, il estime avoir démystifié l'existence de tout "outre-monde", "arrière-monde", "autre monde".

    L'incapacité de concevoir une transcendance qui ne succombe pas aux critiques, aux ironies ou aux démasquages de la raison le paralyse dans le moment même où il voudrait faire appel au Dieu qui est ancestralement, pour l'homme qui prie, "dans son sanctuaire céleste", le Dieu par-dessus tout, le Dieu qui écoute et peut survenir d'un quelque part autre que le monde.

    Se tourner vers Dieu est ressenti instinctivement comme une attitude suspecte : ou bien, en effet, c'est se tourner vers l'Etranger absolu, mais qu'avons-nous à faire avec lui ou lui avec nous ? Le seul fait de le penser  tel nous aliène en nous faisant devenir objet abdiquant notre liberté sous la dépendance de sa subjectivité conjecturale et tout imaginaire ! sa forme dans notre esprit  n'est qu'un fantasme pathologique. Ou bien il n'est qu'un prête-nom et un travesti pour un faisceau de réalités ou de forces intérieures à notre monde, et l'invoquer n'est qu'une manière détournée, celle des faibles, pour tenter de nous approprier notre propre bien.

    Ces dispositions mentales ne dissuadent pas seulement de prier, mais déjà de croire. Cependant c'est dans la tentative de la prière qu'elles manifestent de la manière la plus aiguë leurs propriétés inhibantes. En effet, le mouvement même de la prière, lequel est décentrement de soi et abandon à un Autre, exige dans son premier instant une attitude qui est vécue inévitablement comme naïveté et jette sur elle une suspicion a priori. Chacun a introjecté cette honte au-dedans de soi comme inhérente à sa dignité même, à la façon d'une nouvelle éthique. Tout se passe comme si la raison moderne imposait une certaine "tenue" mentale, et l'attitude de prière est estimée aussi incompatible avec elle que le vice avec la vertu. 

    Entrer en prière supposera désormais qu'on ait surmonté ce nouveau conformisme mental, tout en échappant à ce qu'il y a de pénétrant et de juste  dans la critique de la raison moderne concernant nos représentations de la transcendance divine. Reconquérir une nouvelle "naïveté" (c'est-à-dire une nouvelle liberté jaillissante) qui, loin d'être une régression par rapport à l'attitude critique, en serait un dépassement : tel doit être l'effort de l'orant moderne. 

    Albert-Marie Besnard - vers Toi j'ai crié - Cerf 1979, P. 56-57  

  • l'évangile vécu

    Philippiens 2, 1-11

    (...) Faites-vous naturaliser dans l’Évangile.

    Comme le souligne Paul en chantant l'exaltation auprès du Père de celui qui s'est ainsi mis tranquillement à la dernière place (comme le dirait si bien Charles de Foucauld), c'est cette vie-là qui serait notre vraie vie, qui assurerait notre joie, qui comblerait notre soif d'accomplissement. Cette vie-là, et non pas celle que nous menons si souvent et où nous sommes, selon la description de l'apôtre, intrigants et vantards, assurés d'être supérieurs aux autres et décidés à le leur faire sentir, préoccupés de nous-mêmes plus que des autres, revendiquant d'être pareils à Dieu en prétendant nous passer de lui, et décider par nous-même du bien et du mal comme Adam sous la suggestion du serpent.

    Voudriez-vous donc avec moi jouer aux portraits ? Un jeu très sérieux, vous vous en doutez. Il consiste à se souvenir de toutes les personnes que nous avons rencontrées et qui, d'une manière qui ne nous avait pas toujours frappés sur le moment, réalisaient au moins partiellement le portrait du Christ humble et serviteur. Car cette race existe bel et bien parmi nous. Il y a de tels êtres. Ils ne se recrutent pas forcément parmi les pratiquants les plus assidus. (...)

    Voici par exemple ceux qui ne se vantent pas, mais qui font le travail, et il est bien fait. Dans toute famille, en toute communauté, il y en a. S'il n'y en avait pas, quel chaos ce serait ou quel foyer glacial ! Ils ne rechignent pas, ne se dérobent pas : ce qui doit être fait est fait. Au jour le jour, chaque chose à son moment. Ainsi fut, je pense, Marie à Nazareth, ainsi sont d'innombrables mères de famille, d'innombrables anonymes au dévouement inlassable, d'innombrables êtres qui sont occupés à servir les autres, sans même penser qu'ils pourraient au moins tirer gloire du titre de serviteur, aujourd'hui si fiévreusement recherché par l'opinion chrétienne. On ne songe même pas à les remercier parce qu'ils agissent avec une telle justesse que tout sous leurs mains semble aller de soi. (...)

    Évoquons aussi ceux qui ne proclament pas à tort ou à travers  les louanges de l'amour, mais qui aiment "en acte.... et véritablement".  Ils sont ainsi : ils aiment et ça rayonne d'eux. (...) Comme il y aurait encore à dire ! Par exemple à évoquer ceux  qui auraient bien des raisons de désespérer de la vie, ou de leur santé, ou de leur réussite, ou de leur conjoint, mais qui tiennent bon, nullement par résignation ou lâcheté, mais en sachant ce qu'ils font. Et encore  ceux qui auront peiné pour un certain résultat , et ce sont d'autres qui s'en attribuent la gloire. (...)

    J'ai rencontré de tels êtres. Pas très nombreux, mais ils m'ont toujours donné envie d'essayer de leur ressembler, et j'estime que ce sont eux qui sont la vraie gloire de l'homme. A la manière de Jésus.

     

    Albert-Marie Besnard - Du neuf et de l'ancien - Cerf 1979. pp 52 et sv.

  • Pêcheurs d'hommes

    Luc 5, 1-11

    "Désormais, ce sont des hommes que tu prendras." L'image est saisissante. Pierre et ses compagnons comprennent confusément que leur existence va prendre un tournant radical. Que Jésus les invite à abandonner leur métier pour une mission d'un tout autre genre. " Pêcheurs d'hommes " : combien d'adolescents fervents n'a-t-on pas fait rêver sur cette fascinante définition de la vocation apostolique ?

    Mais combien d'esprits, aussi, n'ont-ils pas ressenti comme une gêne, comme un recul devant l'ambiguïté d'une telle expression ? " Désormais, ce sont des hommes que tu prendras " : belle promotion pour un pêcheur. Mais qu'en pense le nouveau "poisson" ainsi désigné ? Si prendre veut dire aussi attraper, quels malentendus inquiétants peuvent se glisser dans la conscience que l'apôtre pourrait avoir de sa mission ? Craintes d'autant plus légitimes que la comparaison établie par Jésus n'a nullement vieilli avec les siècles...

    C'est bien connu, en effet, il y a aujourd'hui concurrence sévère sur tous les bancs de pêche. Chalutiers de toutes nations croisent au large de nos côtes. C'est à qui aura les moyens de prendre plus et de rapporter chez soi les plus riches cargaisons.

    Or, pour pêcher les hommes aussi, il y a une incroyable concurrence. Partout où des masses d'hommes dérivent entre deux eaux, abandonnés aux courants qui les portent et les déportent à l'aventure parce qu'ils ne savent plus où trouver le sens de leur vie, se sont installées d'innombrables entreprises de pêche.

    Sectes, gourous, idéologies arrivent avec leur attirail parfois très coloré. Tantôt, comme les pêcheurs napolitains, ils font miroiter leurs lumières dans la nuit en guise d'appâts ; tantôt, comme les terre-neuvas, ils jettent les chaluts d'une organisation internationale prospère. Certains admirent l'audace, le dévouement, la force de conviction de ces pêcheurs d'un nouveau genre. Des chrétiens vont jusqu'à se désoler que l'Eglise ne les imite plus assez, que sa flotte de pêche soit désuète et en partie naufragée, que ses filets n'aient plus les mailles aussi serrées qu'autrefois, au temps où, si vous me permettez d'évoquer ce vieil exemple célèbre, en un seul coup  de nasse, un Charlemagne ramenait au port du salut et de la chrétienté tout le peuple saxon...

    " Désormais, ce sont des hommes que tu prendras." La parole de Jésus peut-elle vraiment cautionner toutes les manières qu'a eues le christianisme de prendre les hommes et de les garder ? Comment faut-il l'entendre ? A coup sûr, sans la séparer de la manière même dont Jésus le premier à chercher à "prendre des hommes". Ceux qu'il a pris, il les a appelés mais sans les tromper. Il les a illuminés de sa Vérité mais sans les manipuler. Il les a réconfortés de son Esprit, mais sans leur faire violence. Comme ce serait magnifique si vous tous, qui m'écoutez, vous pouviez attester chacun pour votre part : oui, il en fut bien ainsi pour moi ; il m'a pris, mais pour ma plus haute joie ; il m'a pris et m'a rendu libre !

    (...)

    " Désormais, ce sont des hommes que tu prendras." Entrevoyez-vous maintenant le sens que Jésus donne à cette parole ? Nous n'échappons pas au besoin et à la nécessité d'être pris. Mais on peut être pris comme on le dit d'un prisonnier, et on peut être pris comme on le dit d'un amoureux. Jésus envoie Pierre et les autres disciples pour éveiller tous ceux qui souffrent de n'être pas encore des amoureux de la lumière et de la vérité, des amoureux de la vraie vie et du vrai partage (...) pris, c'est-à-dire éveillés, portés à un plus haut niveau de conscience en ce lieu même où leur liberté défendait farouchement ses droits. Pris, cependant ils demeurent libres ; le lieu de leur liberté ne se trouve pas aliéné mais illuminé !

    (...) Désormais, tu seras apôtre et témoin de ma personne, mais en respectant chez les autres ce qui a été respecté chez toi-même. Tu prendras des hommes en éveillant leur liberté et non en l'endormant. En les provoquant à ouvrir les yeux sur le véritable état de leur existence et celle de leurs frères, mais non en les conditionnant par des slogans, des fables, des pressions, des narcotiques ou des chantages.  

     

     

    Albert-Marie Besnard - Du neuf et de l'ancien - Ed. Cerf, 1979. pp. 15-18.20.22-23

     

     

  • Les renards ont des terriers

    " Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l' Homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête" : je disais que cette phrase s'ouvrait aussi sur les perspectives plus mystérieuses d'une condition  librement choisie. Refusé par les siens, rejeté par Jérusalem, Jésus ne trouvera chez les hommes, au lieu de repos, que la Croix. Mais nous affirmons que de cette tragédie, il a tiré une bénédiction : que par son errance d'exclu, il nous a ouvert le chemin vers une demeure qui déborde les horizons de la terre et de la mort. Le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête : pas simplement parce qu'il ne trouve que refus et porte close, mais aussi parce que sa mission l'entraîne à n'avoir nulle part d'arrêt jusqu'à ce qu'il l'ait tout accomplie dans la gloire de son Père.

    Avez-vous remarqué le caractère curieux de la parole que nous commentons ? Entre les renards ou les oiseaux qui ont terriers ou nids, et le Fils de l'Homme qui n'a pas d'endroit où reposer sa tête, il y a les hommes tout court, qui, eux, ont des maisons, et c'est justement à eux que s'adresse Jésus. Qu'a-t-il voulu leur dire par sa parole énigmatique ? Que, pour devenir son disciple, il fallait se faire clochard ? (...) Jésus aussi a eu des maisons : à Nazareth longuement ; à Capharnaüm un certain temps ; à Béthanie à l'occasion. Mais il n'en a pas fait un terrier pour y cacher des peurs et éluder sa mission. Pas d'avantage un nid douillet pour y savourer son bonheur en se désintéressant du reste. Telle est la leçon qu'il nous donne. (...)

    Il est nécessaire d'avoir un toit, mais sous le toit y aura-t-il un terrier empesté par l'odeur de l'argent par exemple, ou bien un nid garni de duvet tiède, ou alors un espace d'amitié et de liberté où le Fils de l'homme peut aller et venir, entrer, reposer et sortir, conduire les hôtes de la maison chacun vers sa destinée authentique, qui a toujours à faire avec ce qui se passe dans le plein vent du monde.

    Et il n'y a probablement pas une mais dix, mais cent manières de répondre à la question  et de faire de sa maison une maison où il ne serait pas hypocrite et malséant d'inscrire en grosses lettres dans le vestibule comme devise : " Souviens-toi que le Fils de l'Homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête."

    Albert-Marie Besnard - Du neuf et de l'ancien - Cerf 1979. pp 47-49

     

  • Fascination du rêve

    D'où viennent ces rêves ? Quelle qualité, quelle consistance ont-ils ? Faut-il n'y voir que la sentimentalité propre à tous les frustrés de la terre ? De même que les midinettes, à travers les romans-photos qu'elles feuillettent dans le métro, imaginent l'amour idéal avec l'homme  riche et beau qu'elles ne rencontreront jamais, de même les peuples déchirés de conflits, soûlés de guerres, épuisés de querelles, se prennent à rêver la paix qui ne viendra peut-être jamais, jamais...

    Des observateurs fins psychologues ajouteront que de tels rêves constituent une utopie pernicieuse. Jamais le loup n'aimera l'agneau autrement que pour le manger, car c'est sa nature de loup. Jamais une société ne deviendra une cité harmonieuse dont ne cesse de parler la race des utopistes. Rêver à l'impossible, soupirer vers l'irréel, c'est très dangereux. Car les cœurs et les esprits, liquéfiés par l'émotion, ne voient plus alors les vrais problèmes, ne réagissent plus correctement. Se prendre à l'idylle de loups qui habitent avec les agneaux, c'est ne même plus avoir l'idée de veiller et de se battre pour qu'au moins un équilibre soit maintenu entre les loups et les agneaux, pour qu'au moins un droit protège les faibles et qu'une justice imparfaite mais ferme mette des bornes aux excès de l'injustice. 

    Jésus savait cela. Il ne laissera guère ses disciples succomber au rêve doux et amollissant de la paix paradisiaque. Il ne leur cachera pas la réalité qui les attend. Il leur annoncera en clair : ma venue n'apportera pas la paix mais des conflits (il le disait, bien sûr, en le regrettant) ; " je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups". Voilà peut-être le sens où s'accomplit la prophétie d'Isaïe ("le loup habitera avec l'agneau") : les artisans de paix, qui ont entendu la voix de Jésus, ne cherchent plus à partir pour un pays paradisiaque. Ils ne croient guère qu'ils réussiront à faire de leur pays un paradis. Mais une paix les habite, ils témoignent de la paix et ils œuvrent pour la paix. Dès aujourd'hui. Par une énergie venue d'en haut.

    Albert-Marie BESNARD - Du neuf et de l'ancien - Ed. du Cerf, 1979. pp. 8-9

     

     

  • Les guérisons dans l’Évangile

    Quand Jésus parle de la foi, il entend par-là une insondable confiance en Dieu. " Ta foi t'a sauvé ", cela veut dire : parce que, dans ta détresse, tu t'es tourné vers moi, parce que tu m'as fait confiance , tu es guéri.

    Dans les récits de guérison, la Bible rend compte de personnes qui ont fait l'expérience de la guérison dans leur rencontre avec Jésus. Manifestement, Jésus rayonnait la confiance, si bien que les gens trouvaient le courage d'aller vers lui avec leurs maladies.

    Si nous lisons aujourd'hui ces récits de guérison, ce n'est pas pour apprendre des détails intéressants sur la vie de Jésus, mais c'est pour être guéris nous-mêmes, dans notre rencontre avec lui. Toutes les maladies guéries par Jésus sont de nature psychosomatique. Elles expliquent ce qui est latent en nous.

    Nous sommes aveugles et fermons les yeux devant les choses désagréables.

    Nous sommes paralysés - nous n'osons pas sortir de nous-mêmes et aller vers les autres.

    Nous sommes sourds - nous ne voulons rien entendre quand cela ne nous convient pas ; nous n'avons aucun sens des demi-tons et des harmoniques dans ce que les autres veulent vraiment nous dire.

    Nous sommes muets, incapables de communiquer vraiment ; nous ne trouvons pas les mots qui unissent et qui dispensent la vie.

    Nous sommes lépreux - nous n'arrivons pas à nous accepter nous-mêmes, nous nous sentons rejetés, isolés, et nous n'osons pas aller vers les autres.

     Nous sommes possédés - obsédés par des idées fixes, dominés par des pensées confuses qui nous poussent à nous faire du mal.

    Nous sommes morts - nous sommes des être rigidifiés, froids, sans impulsion intérieure, désespérés.

    Si nous comprenons la signification psychologique de ces différentes maladies, nous nous retrouverons dans ces récits avec nos plaies et nos blessures, avec nos peurs et nos complexes et nous ferons l'expérience de la rencontre de Jésus.

     

    Anselm Grün - Croire en Dieu, croire en soi - Médiaspaul 2004, pp 19-20

  • Jugement dernier

    Ce qui est caractéristique dans l'éthique chrétienne, c'est le lien de notre comportement à la personne de Jésus-Christ. Nous devons aimer l'autre parce qu'en lui, nous voyons un frère et une sœur de Jésus. Et nous devons l'aimer parce qu'en lui-même, nous rencontrons le Christ.

    C'est ce que Jésus a manifesté clairement surtout dans l'évangile de Matthieu. Au jugement dernier, le roi dira aux hommes qui sont à sa droite : " J'ai eu faim, vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger [et sans toit] et vous m'avez accueilli; nu et vous m'avez vêtu ; [...] j'étais en prison et vous êtes venu me voir " (Mt 25,35 s.)

    D'une part, l'amour est illimité. Non seulement on doit aimer les chrétiens mais tout homme - fidèle ou non - coreligionnaire ou pas. D'autre part, l'amour du prochain est lié à la personne de Jésus. En tout être humain, nous rencontrons le Christ lui-même, mais particulièrement les méprisés, les pauvres. Depuis longtemps ce texte a enthousiasmé les lecteurs, le philosophe Emmanuel Kant aussi bien que les athées et les théologiens de la libération. Dans le dialogue inter-religieux, ce texte a aussi pris beaucoup d'importance. L'amour exigé par Jésus vaut pour tous les humains, qu'ils soient chrétiens ou non. Et inversement, témoigner de l'amour envers les hommes, c'est non seulement accomplir le commandement de Jésus, mais c'est rencontrer Jésus-Christ dans d'autres hommes même s'ils n'ont pas encore entendu parler de lui. (...)

    Même si ce texte de l'évangile de Matthieu comporte de nombreux parallèles dans les Ecrits apocalyptiques du judaïsme contemporain, une identification directe du Juge de la fin des temps avec les plus pauvres de ce monde n'existe pas dans le milieu du Nouveau Testament. Il est seulement typique de la Bonne Nouvelle de Jésus.  (...)

    Ce n'est pas l'appartenance à Israël (ou à l'Eglise) qui est déterminant pour le règne de Dieu, " mais le comportement juste envers les affamés, les rejetés, ceux qui sont nus, malades et prisonniers " (Gerhard Lohfink) 

    Ensemble, il nous faut maintenir cette attention à l'égard des hommes pour qui l'Etat ne peut rien faire. (...)

    Pourtant, comment puis-je mettre en pratique de façon concrète cet amour des ennemis ? N'en suis-je pas accablé de façon désespérante ?  Comment est-ce que je dois aimer celui qui me harcèle dans l'entreprise, qui trame sans cesse des intrigues contre moi et m'attaque directement ? (...)

    C'est vrai, l'amour des ennemis est un défi lancé en permanence pour que nous prenions sur nous-mêmes de modifier notre attitude dans l'esprit de Jésus.

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Desclée de B.  2008 pp 109 et sv

  • Les conceptions du salut (2)

    Il nous faut d'abord constater que la culpabilité et le péché accablent l'homme. Les bouddhistes, eux aussi, se sentent coupables quand ils ne prennent pas au sérieux leur existence et quand ils ne parviennent pas à vivre selon leur véritable nature. Et aujourd'hui bien des hommes souffrent de se condamner eux-mêmes par le seul fait qu'ils ne vivent pas vraiment en fonction de leurs représentations. Ils se condamnent eux-mêmes quand ils ne respectent pas leurs propres normes intérieures en se laissant guider par leur concupiscence.

    Dans le bouddhisme, la rédemption est avant tout l'affranchissement de toute concupiscence. (...) Mais comment les hommes se traitent-ils eux-mêmes quand ils sont dépendants de leur concupiscence ? (...) Beaucoup se sentent eux-mêmes intolérables. Nous ne devons pas faire retomber la faute sur le christianisme. Au contraire, ce sentiment de culpabilité est inhérent à toute existence humaine. Et c'est bien une bonne nouvelle libératrice de ne pas être contraint d'avoir à "racheter" ce sentiment de culpabilité ; mais nous pouvons croire au fait que nous sommes accueillis par Dieu sans condition avec  nos désillusions , notre médiocrité et notre lâcheté, notre duplicité et notre mensonge. (...) Cet amour qui triomphe du péché et qui l'enlève se manifeste de façon la plus visible sur la croix. (...)

    Si sur la croix Jésus pardonne même à ses bourreaux, c'est qu'il n'existe en moi aucune faute qui ne puisse être pardonnée. Ainsi la croix nous affranchit de tout reproche individuel et de toute accusation de soi. C'est un aspect essentiel de la Rédemption.   

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Desclée de B, 2008

  • Les conceptions du Salut (1)

    Beaucoup voient la quintessence du christianisme dans la rédemption des hommes par Jésus-Christ. Ils qualifient le christianisme de religion de salut.

    Pourtant dans les autres religions, le thème du salut existe aussi fondamentalement. En Israël, Dieu est celui qui libère son peuple de la détresse et de l'oppression. Egalement dans le bouddhisme, il est question de salut, mais ce n'est pas Dieu qui libère. Qui suit le chemin proposé par Bouddha, échappe à la condamnation des renaissances. A la mort, il parvient au nirvana et sur terre, il atteint déjà la libération de sa concupiscence. Il est libéré de la dépendance du faux semblant du monde en accédant à la conscience. Le véritable salut réside dans la libération de son propre Moi et dans la voie qui mène à la pureté de l'Etre. Les traditions bouddhistes et hindouistes entendent le salut comme un "arrachement aux projets de vie erronés qui travestissent la perception de la réalité". (Jürgen Werbick)

    De ce point de vue, voici la réponse des chrétiens. Pour nous, la rédemption nous arrache aux complexités de ce monde : "L'Esprit de Jésus-Christ nous libère des projets de vie funestes en entraînant les croyants dans l'avènement du Règne de Dieu et en les incitant à se vouer à ce qui est l'essentiel, à savoir l'amour - et en lui à Dieu - et en les invitant à témoigner en faveur de la confiance divine par leur engagement au service de la justice". (Jürgen Werbick)  Cette vision chrétienne du rachat ne vise pas seulement à sortir du monde, mais en même temps à transformer activement ce monde, tout en conservant sa liberté intérieure vis-à-vis des structures de pouvoir de ce monde. (...)

    On ne se limite pas à qualifier Jésus de maître qui nous indiquerait le chemin qui mène à la réussite de notre vie, nous arrachant ainsi à l'ignorance et à l'inconscience. Au contraire, ce rachat s'effectue par la démarche historique de Jésus ; mais on ne doit pas le figer en le réduisant à la mort de la croix ; des siècles durant, cette doctrine du salut chrétien a eu l'inconvénient d'être unilatérale. Ce n'est pas seulement la mort de Jésus qui nous rachète, c'est toute sa vie et son ministère qui sont rédempteurs. (...) le rachat par Jésus-Christ (...) c'est un événement historique qui, d'après la tradition du Nouveau Testament, culmine dans la mort de Jésus sur la Croix et dans sa résurrection.

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Desclée de B. 2008. p.93 et sv

  • la vraie vie est dans la relation

    Il y a bien des années, je me trouvais prêtre de garde, comme on disait, dans une grande paroisse de Paris. On voyait de tout. Un jour, je vis venir à moi une pauvre petite prostituée. Je me souviens encore de son nom : Anne-Marie. Elle me dit qu'allait partir pour un bordel d'Afrique du Nord. Je la mis en garde. C'était bien inutile ; elle savait qu'elle partait pour l'horreur et la mort.
        « Mais, me dit-elle, la fille qui devait y aller a un enfant. Il faut qu'elle puisse s'occuper de son enfant. Alors, je pars à sa place. »
        Seigneur Dieu!
        Peut-être était-ce l'instinct suicidaire, le masochisme, la culpabilité morbide, je ne sais quoi. Mais peut-être était-ce vrai. Et peut-être les deux.
        Qui d'entre vous, bonnes gens, prendra la première pierre ? Et même, bonnes gens, qui d'entre vous aura quelque chose à dire ? Et quoi ?
        Je crois, ou plutôt je sais, qu'il y a des êtres humains (j'en ignore le nombre) qui vivent la sainteté du Dieu de Jésus Christ hors des chemins tracés, hors de toute loi, dans les abîmes,  dans le monde froid, dans le fond de la mer. Pour qui ne pas se tuer (les pilules sont sous la main) est minute à minute un acte de foi dont l'héroïsme pourrait faire pâlir bien des héros de la foi. Pour qui ne pas céder au désir compulsif, frénétique, fou, ou le retarder un peu, demande un courage, un amour, une vertu cent fois plus grands qu'à d'autres le maintien tranquille d'un célibat heureux.

    Pour qui ne pas désespérer de Dieu, ne pas vomir le Christ et rester là, muets, immobiles, dans l'attente impossible que la parole aimante renaisse de ses cendres, est un amour de Dieu sans goût et sans consolation, mais plus fort que la mort où ils sont.
        En retour, il y a quelque chose qui demeure incompréhensible chez beaucoup de croyants : c'est leur dureté. Je ne parle point ici des hypocrites ; je parle des gens qui ont, autant qu'on puisse savoir, une foi sincère, un désir réel du bien, voire une conscience chatouilleuse et des engagements coûteux au service de Dieu et des hommes.
        Comment peut-on être riche, riche à crever, et savoir que cette richesse provient tout droit du sang des pauvres, et aller à la messe, et se confesser « j'ai eu de mauvaises pensées »)
    et défendre crânement la vraie religion contre ses adversaires ? Comment peut-on être théologien, et bon théologien, être écouté et faire du bien, et crever de jalousie envers les collègues, et soupçonner l'orthodoxie des autres, et ne concevoir sa propre grandeur que dans l'abaissement d'autrui ? Comment peut-on être dévoué, donné, consacré 24 h sur 24, et être incapable d'entendre, fermé impitoyablement à la douleur réelle d'autrui, à sa demande réelle, et opposer à la vérité des gens l'implacable savoir du bien ? 

    Ainsi y a-t-il d'un côté ces dévoyés, ces pauvres fous, ces gens de péché qui, dans leur errance, peuvent témoigner du Dieu vivant et de l'autre ces gens de bien qui peuvent être pris sans même le voir dans les filets du Mauvais.
        Vieille histoire. «Je te remercie. Seigneur, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes... »
        Et l'autre, dans le fond : «Pitié de moi, qui suis pécheur. » Et celui-ci s'en fut justifié - pas le premier. On s'en est beaucoup servi, de cette histoire, pour discréditer la vertu. Contre-sens complet. Le bien est le bien, le mal est le mal. Mais le bien et le mal en nous sont mêlés, mélangés, ils passent l'un en l'autre. Les cartes sont brouillées.
        Méfions-nous du miroir, de la perfection du miroir ! L'homme moderne a beaucoup aimé l'introspection et le chrétien l'examen de conscience. Je me regarde et me compare au modèle saint. Suis-je conforme ?


    Mais peut-être n'as-tu vu dans le miroir que ton illusion ? Et peut-être ne vois-tu dans le modèle que le miroir de tes rêves ?
        L'image se défait ; l'image de cette perfection qui est comme un tableau à remplir : une figure peinte sur le mur qu'il faudrait imiter !
        Notez bien: le contenu peut varier. Il y a la perfection à couleur janséniste et individuelle, dure répression intérieure, forçage des humeurs, introspection morale. Mais il y a aussi la perfection à couleur collective et militante, tension forcenée dans l'action, dévouement épuisant, critique réciproque sans pitié.
        Le trait commun, c'est cette rage de parvenir à l'image satisfaisante de soi. Image pour Dieu, mais pour un Dieu qui, sous ses vêtements d'amour, a la poigne du despote.
        A moins que ce ne soit, en ultime vérité, image pour soi, image pour se justifier et s'apaiser enfin soi-même ; Dieu ne ferait office que de support et garant.
        Peinture cruelle. Est-elle juste ? Si l'on veut l'appliquer aux gens pour les juger, sûrement pas. Mais, dans son excès possible, ne dit-elle pas une menace réelle ? Ne dit-elle pas la pente dangereuse d'une conception de la perfection qui finalement oublie et Dieu et l'homme au profit de son grand fantasme ?
        Mais il faut bien que ce fantasme ait des motifs, tout de même ! En effet, il en a.
        Il donne à l'homme le sentiment qu'il peut atteindre le but, le grand but, l'accomplissement, la vie, la vie éternelle, en faisant l'économie et de la vérité, et de l'autre. Car la vérité me déloge de ce rêve, elle me renvoie à ce que je préférerais ne pas savoir de moi. Et l'autre m'enlève de cette place : car il me signifie que la vraie vie est dans la relation, dans l'amour et son épreuve, et non dans la poursuite solitaire de mon idéal.

    Maurice BELLET 

    http://www.mauricebellet.eu/

  • manque de foi

    Ils [les disciples] sont appelés par un père pour guérir son fils. Mais ils n'y parviennent pas. Deux paroles terribles nous atteignent quand les disciples viennent raconter leur incapacité à guérir.

    D'abord : " Race incrédule et perverse, jusqu'à quand vous supporterai-je ? " Jésus est excédé de cet environnement humain où il ne rencontre qu'incrédulité. Personne ne veut croire en ce Dieu Père qui répond à une vraie prière de la foi.

    (...)

    Il nous faut entendre cette exclamation de colère et de souffrance avec un sérieux total, car elle ne s'adresse plus aux Juifs, mais à nous. Et qu'est-ce qui révèle notre manque de foi et notre perversion fondamentale ? Non pas le simple fait que nous ne pouvons pas guérir un malade par la prière, mais bien plus globalement que nous ne pouvons pas guérir. Guérir notre monde de sa folie. Guérir de la soif d'argent ou de puissance, guérir de l'engrenage technoscience, guérir pour préserver le monde de la nature, ce jardin qui nous fut donné. (...)

    "Vous n'avez rien pu faire à cause de votre manque de foi." Il s'adresse à nous. Nous, chrétiens, tous sans exception. Nous devrions être les premiers à pouvoir commencer la guérison de ce monde, à le guérir de son hybris et de son désespoir, qui tombe parfois dans l'eau et parfois dans le feu ! Et nous ne pouvons rien. (...)

    " Si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde..." et vient cette parole sur la montagne à déplacer. (...) Il ne dit cela que pour faire mesurer à ses disciples (à nous), la médiocrité, la vanité, l'insignifiance de notre foi.

    Jacques Ellul - Si tu es le Fils de Dieu - Ed. ebv / centurion , 1991 pp. 48-49

  • Si quelqu'un a soif

    " Si quelqu'un a soif ", dit Jésus. Il ne dit pas, soif de ceci, de cela; encore moins soif de Dieu, mais simplement : si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, quel que soit l'objet de cette soif. Pourquoi , qu'il vienne à moi ? Parce que c'est moi et moi seul qui suis capable de lui donner ce qui apaisera sa soif, c'est-à-dire ma Vie, la Vie éternelle...

    (...) les promesses de Jésus surpassent tous nos désirs. Ce que Jésus nous promet, ce n'est pas seulement de vivre d'une vie heureuse qui resterait humaine; ce qu'il nous promet, c'est de vivre d'une vie dont nous ne pouvons pas avoir l'idée, que nous ne pouvons pas imaginer.  Ce qu'il nous promet, c'est de nous faire entrer dans sa Vie à lui. (...)

    " Je veux que là où je suis, ils soient avec moi " (Jn 17,24)  (...)

    " Choses que l'oeil n'a pas vues, que l'oreille n'a pas entendues, qui n'auraient jamais pu monter d'elles-mêmes au coeur de l'homme " (1 Co 2,9) 

    (...)

    D'où le double péril qui guette sans cesse  ces hommes : en construisant le monde, ils vont oublier la cité à venir ; ils ne vont plus regarder que vers la terre. Ou bien, sous prétexte qu'ils sont dans l'attente de la cité à venir, ils vont s'évader, ils vont oublier de construire le monde. Ce déchirement intérieur fait le drame profond de la vie chrétienne dans le monde.

    Pierre-Jourdain Houyvet - Jésus, que ma joie demeure - Ed. Cerf, 1994

  • Pleure Jérusalem

    " Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu ! Voici, votre maison vous sera laissée déserte. Car je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais jusqu' à ce que vous disiez : béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !"

    (...) ce n'est pas une condamnation que Jésus prononce. Il annonce ce qui va se passer, il constate ce qui va survenir. Sans plus. Il ne dit pas que les habitants de Jérusalem seront chassés, non : votre maison sera laissée, mais déserte. C'est-à-dire que Dieu cessera d'y faire sa demeure, parce que Jérusalem a rejeté le dernier envoyé de Dieu, son Fils même. Dès lors, on habitera encore Jérusalem, mais ce sera une ville vidée de sa signification, une ville sans gloire et sans vérité. Alors Jésus pleure sur Jérusalem, bien plus que sur lui-même ! Car comme tout juif pieux, il aime Jérusalem, plus que lui-même.

    (...) la Ville absolue, la seule ville bénie, la seule ville aimée de Dieu n'a pas accompli ce qui était attendu d'elle. Et Jésus pleure sur la ville, il pleure aussi sur ce nouvel échec du plan de Dieu. Le reste, la prévision que Jérusalem sera finalement détruite (ce qui, forcément, pour les historiens positivistes, est écrit après la prise de Jérusalem par Titus), n'est que la conséquence normale de ce qui est en train de se passer :  s'il est vrai que Jérusalem a rejeté Dieu en son Fils, alors elle n'a plus de rôle historique à jouer et "normalement", ses ennemis en viendront à bout.

    Jacques Ellul - Si tu es le Fils de Dieu - Ed. ebv / Centurion 1991. p 41-42

     

     

  • le compagnon de souffrance

    On dit toujours que l'on "meurt toujours seul", et de la même façon, combien sommes-nous à avoir expérimenté le fait que la souffrance nous sépare des autres ? Même ceux qui nous aiment sont étrangers à notre souffrance. C'est l'expérience psychologique qui ajoute à notre épreuve. Eh bien, dans la foi nous sommes rejoints au plus profond de notre souffrance et de notre détresse par "celui qui a porté", et je dois savoir que c'est justement ma souffrance qu'il porte en même temps que moi. J'ai un véritable compagnon de souffrance,qui supporte et partage cette horreur, cette douleur, ce chagrin, cet abandon. Il suffit que je me tourne vers lui, que je retrouve la communication avec lui, et l'ouverture a lieu, je suis accompagné en vérité. (...)

    Que nous en soyons conscients ou non, la souffrance est toujours plus ou moins vécue comme un châtiment. Dans le langage populaire, on dit couramment : " Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il m'envoie ce malheur !" Tous ceux qui souffrent ont, d'une façon ou d'une autre, la même anxiété ; l'un rapportera sa souffrance à une faute de jeunesse, un autre y verra  une effroyable injustice dont il est victime, un autre encore une condamnation de toute sa vie... Ceci n'est jamais tout à fait absent de notre souffrance. Et voici que dans la révélation nous apprenons que tout ce qui était de l'ordre de la condamnation est enlevé de notre malheur, parce qu'un autre a pris toute la condamnation et toutes nos condamnations sur lui. Pour ce qui est de la condamnation liée à la souffrance, oui, il s'est substitué à nous. La souffrance reste nue. (...)

     

    Jacques  Ellul - Si tu es le Fils de Dieu - EBV/Le Centurion, 1991. pp 25-26

  • Clé de la tentation

    Dieu ne tente personne. Le texte de la lettre de Jacques est catégorique : "Que personne, lorsqu'il est tenté ne dise : c'est Dieu qui me tente. Dieu ne peut pas être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne" (1,13). (...) Donc la fameuse traduction [du Notre Père, ndr] : " Ne nous induis pas ", ou " ne nous soumets pas à la tentation " est absurde. 

    La tentation serait-elle alors l'oeuvre d'un Esprit du Mal ? Si l'on veut ; à condition de ne pas personnaliser cet esprit, et de ne pas faire du diable et de Satan des personnages ayant une entité comparable à celle d'un homme, fut-ce de l'esprit d'un homme ! [ note de l'auteur de ce blog : le diable comme personne bien distincte existe t-il ? La question reste en suspens. Des avis opposés sont donnés  sur cette question. Il faut rester prudent. Jacques Ellul a tranché avec une bonne explication, mais il n'engage que lui-même; cependant la suite de sa réflexion est très intéressante.] 

    Il m'est souvent arrivé de le rappeler : "Shatân" c'est " l'Accusateur". ce qui veut dire que partout où il y a un accusateur (humain), un esprit d'accusation, il y a Shatân; mais il suffit d'hommes pour cela. Un homme en accuse un autre, il fait partie de shatân (nom commun !). Le shatân n'est que le composé, la synthèse, l'addition de toutes les accusations portées par des hommes contre d'autres hommes dans le monde. Ce n'est pas un "esprit" indépendant de l'homme qui lui "inspire" cette accusation. Elle monte toute seule du coeur de l'homme.  

    Exactement comme le diabolos est l'esprit de la division. Ce n'est pas que je fasse bon marché des Exousiai, dont parle Paul quand il dit que ce n'est pas contre la chair et le sang que nous avons à combattre, mais contre les dominations (archa), les autorités (exousiai), les princes de ce monde (cosmocrates), les forces spirituelles de méchanceté (pneumatika tes ponerias) : voilà les ennemis, qui sont "spirituels" et siègent parfois jusque dans les lieux très hauts... mais cela n'implique pas du tout une personnification de chacun : cela veut dire que tout "archonte", autorité de la terre, politique ou autre, a son double, son doublet, son correspondant, dans une sorte de "surplus", qui assure son pouvoir et sa domination sur le monde. De même pour toute "exousia" : c'est le même mot qui sert à désigner le magistrat terrestre et cette "autorité céleste", spirituelle ; en réalité il s'agit de l'envers de tout pouvoir. On ne saurait trop méditer la célèbre formule  : "Tout pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument."

    On peut dire qu'il n'y a jamais un magistrat bon ; une autorité juste ! Sitôt que l'homme a un pouvoir, quel qu'il soit, sur d'autres hommes, il est corrompu. (...) c'est la très simple, très directe domination qui est en elle-même corruption. (...)

    Ainsi toute tentation est humaine. Ce n'est pas Dieu qui nous tente, mais pas davantage un "diable" extérieur à nous. L'amorce de l'analyse solide est donnée par Jacques (1,14) : "Chacun est tenté quand il est attiré par sa propre convoitise." La clé de la tentation c'est la convoitise qui est en chacun de nous, dont l'autre face s'appelle esprit de puissance. Je dirai que la "convoitise" englobe toutes les origines de la tentation, mais lorsque celle-ci concerne l'être humain, elle prend la forme de l'esprit de puissance.

    Jacques  Ellul - Si tu es le Fils de Dieu - EBV/Le Centurion, 1991. pp 16-19

  • Le temps favorable

    Le christianisme a ceci de commun avec le judaïsme : pour l'un et l'autre, Dieu agit dans l'histoire. Israël n'a jamais cessé de croire en l'intervention de Dieu dans l'histoire. Et chaque shabbat, Israël se souvenait de la plus grande action historique réalisée par Dieu envers son peuple : la sortie d'Egypte. (...) L'Egypte était devenue le symbole de la servitude et de la dépendance, de l'aliénation et de l'oppression, d'une vie non authentique. (...)

    Tout comme le judaïsme, le christianisme est une religion historique : Dieu se manifeste dans l'histoire. L'incarnation a eu lieu en un temps déterminé et dans un lieu précis. (...)

    Bouddha n'annonce aucune action de Dieu qui soit historique, mais l'essence toujours identique de l'être humain et de sa situation. L'homme selon Bouddha, est depuis les origines, soumis à la douleur par le fait qu'il est mû par la concupiscence. L'homme doit s'affranchir de la souffrance en y renonçant et en pénétrant les apparences du monde. Une telle vérité a une valeur intemporelle. L'histoire avec ses hauts et ses bas n'intéresse pas Bouddha. (...)

    Il [le christianisme]  repose sur une histoire concrète qui s'est déroulée voilà deux mille ans. C'est avant tout l'évangéliste Luc qui souligne cet événement historique. Il indique avec exactitude le moment où Jésus s'est manifesté et il le fait à la manière d'un historien grec : " L'an quinze  du principat de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, Hérode, tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, Lysanias tétrarque d'Abilène (Lc 3,1)."

    Cette action historique de Dieu en Jésus-Christ  est le fondement du christianisme. Et comme les juifs, les chrétiens, eux aussi, se remémorent sans cesse l'action de Jésus. (...)

    L'évangéliste Luc décrit l'action de Jésus-Christ comme une "année de salut" : c'est comme une année au cours de laquelle agit le salut des hommes. Et cette année de salut est rendue présente aussi parmi nous aujourd'hui. (...) En célébrant année après année l'année du salut où Jésus a apporté aux pauvres  une bonne nouvelle, où il a guéri les coeurs brisés, relevé les captifs et les accablés, les réprouvés et les opprimés en vue de les libérer, notre histoire en est transformée (cf. Lc 4, 18 s.). Le salut accompli autrefois pénètre de plus en plus notre propre histoire. (...)

    Partageant la conception grecque relative au temps, la Bible ne nous en parle pas comme du chronos, le temps toujours identique et cyclique, qui dévore ses enfants, selon la description du mythe grec. Elle préfère parler du kairos, le temps véritable, le temps de la grâce, le temps favorable. Tel est le temps que Dieu lui-même accorde à l'homme pour le rencontrer et le guérir. Kairos ne signifie pas le temps toujours identique, mais le temps de la grâce qui peut transformer toujours davantage notre temps historique. Dans la conception biblique, le temps a toujours une histoire et cette histoire est toujours en cours. Il comporte une évolution interne. le but en est l'accomplissement du monde. Notre vie est orientée vers l'avenir. (...)

    Le Christ viendra à la fin des temps. L'histoire n'est pas toujours le retour de ce qui est ancien. Au contraire, nous attendons Jésus-Christ dans la gloire. (...)

    Je suis séduit par la manière dont Jésus, pour répondre à la question de la résurrection, se réfère à la manifestation de Dieu dans le Buisson ardent (cf. Lc 20, 37 s.). C'est là que Dieu a dit à Moïse : " je suis le Dieu de ton Père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob" (Ex 3,6). Pour moi voici ce que cela signifie : Dieu est le Dieu de ma vie personnelle, le Dieu de mon père et celui de ma mère, le Dieu de mes grands-pères et celui de mes grands-mères. Le Dieu que je rencontre a déjà rencontré mes ancêtres et son désir est de me guérir et de me transformer en profondeur.

     

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Ed. Desclée de Brouwer, 2008 p. 79 et sv

     

     

  • La question de Philippe

    Incorrigibles maladroits que nous sommes ! Toujours nous cherchons   "autour" : nous cherchons  la circonstance autour de Jésus qui va nous permettre de le comprendre, nous cherchons le signe au-dehors de lui qui va nous permettre de croire en lui, nous cherchons à le situer et à l'expliquer  par des repères extérieurs à lui. Certes, il y a un temps pour s'approcher, pour considérer les circonstances, les signes, les repères. Mais la foi commence lorsque le regard se détache de toutes ces choses autour et s'attache  à celui qui au centre, parle, et qui simplement est là, lui-même : "Croyez-m'en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Du moins, croyez-le à cause des œuvres" (Jn 14,11) (...) c'est à sa seule parole que Jésus veut que nous suspendions notre foi, parce qu'il ne peut justement pas en être autrement s'il est vraiment Celui qu'il dit être.

    Voici qui explique de  façon suprême le décousu, la brièveté, la sobriété de l’Évangile : Jésus n'apporte jamais rien d'autre que lui-même. En furent déconcertés, irrités et égarés, ceux qui attendaient du Messie qu'il apporte d'abord quelque chose. Il n'apporte rien, il vient ! Cela se voit assez dans la nudité de Bethléem : toute la religion chrétienne est fondée sur cet événement qui déroute tout sentiment religieux et déboute toute autre religion. Jésus n'apporte rien que le mystère qu'il est, venant dans le monde. [le mystère n'est pas à entendre comme quelque chose d'incompréhensible, d'ésotérique mais comme quelque chose -ici la connaissance de Jésus-Christ - dont la profondeur est infinie, comme un océan sans rivage. Note de l'auteur de ce blog]

    Jésus révèle le Père, et seul il peut le révéler, non comme un messager qui ne serait que le porteur d'une nouvelle confiée par un autre et étrangère à lui, mais comme celui qui est à la fois le "teneur" du message, et sa teneur. Jésus nous révèle le Père, et seul il peut le révéler, non pas en nous l'expliquant du dehors, fort d'on ne sait quelle science théologique transcendante, mais en existant simplement et en plénitude de son existence de Fils, en respirant simplement et en plénitude  sa conscience d'être Fils. (...) C'est pourquoi, à la question de Philippe qui lui dit : " Montre-nous le Père, et cela nous suffit ", il répond : " Voilà si longtemps que je suis  avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? " Qui m'a vu a vu le Père " (Jn 14,8-9). Ne nous moquons pas de Philippe, car sa question est la nôtre...(...) Il y a une demi-méconnaissance du Christ qui fait partie de nos déficiences de croyants. Il y a une insensibilité à sa filiation divine qui nous empêche de connaître vraiment le Père : " Voilà si longtemps que je suis avec vous..."

    Albert-Marie Besnard - Un certain Jésus - Ed. du Cerf, 1968. pp 76-78

     

  • Resurgir du tombeau

    Luc nous montre aussi pour aujourd'hui une voie qui nous indique comment nous situer par rapport aux autres religions et comment reprendre positivement leurs idées sans réduire le message chrétien. La spécificité chrétienne qui dépasse l'image  du monde de la philosophie et de la religion grecque c'est, pour Luc, la résurrection de Jésus.

    Mais de quelle manière nous est-il possible d'annoncer aujourd'hui la résurrection de Jésus pour faire bien comprendre l'essence du christianisme ?

    Commençons par la Bonne Nouvelle de notre propre résurrection. Nous ne sommes pas empêtrés dans une série interminable de réincarnations, mais à notre mort, nous mourrons dans la gloire de Dieu. Le Christ lui-même nous attend, lui qui nous a adressé au bon larron cette parole de réconfort : " Aujourd'hui même, tu seras avec moi dans le Paradis" (Lc 23,43). Notre vie a un but. La résurrection est davantage que l'immortalité de l'âme telle que l'a défendue le philosophe grec Platon. Nous serons accueillis corps et âme dans la gloire de Dieu, même si ce corps sera voué à la corruption, pour être ensuite transformé en un corps céleste, comme l'a exprimé Paul dans la Première lettre aux Corinthiens : " On est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel " (1 Co 15, 44)

    Quant au message de la résurrection de Jésus, elle revêt encore un autre aspect. Elle est la promesse que rien dans notre vie ne peut nous séparer de Dieu. Il n'existe aucun échec qui débouche sur un recommencement, aucune obscurité qui ne puisse être illuminée, aucun désespoir qui ne puisse se muer en confiance , aucun raidissement qui n'appelle une nouvelle vitalité. Mort et résurrection se présentent à nous comme l'affirmation selon laquelle Dieu transformera tout en nous et que même ce qui est mort en nous suscite en nous une vie nouvelle. Paul a exprimé en des paroles admirables ce mystère de la mort et de la résurrection de Jésus : " Oui, j'en ai l'assurance, ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourront nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur." (Rm 8, 38 s.) Dès cette vie, nous pouvons sans cesse ressurgir du tombeau de notre peur, du tombeau de notre pitié individuelle, de notre obscurité et de notre désespoir."

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Ed. Desclée de Brouwer, 2008 p. 60-61 

  • Marie de Nazareth

    Par son exemple et ses paroles, Marie nous apprend à connaître, à aimer et à louer Dieu. Transportée de joie et d'allégresse, elle clame son bonheur, remerciant et louant Dieu d'avoir jeté les yeux sur elle, malgré sa bassesse et son néant. L'expression qu'elle emploie ici nous fait présumer qu'elle était d'une famille pauvre, inconnue et méprisée. Mais représentons-nous les choses d'une façon plus concrète. Il y avait bien, à Jérusalem, les filles des notables, grands prêtres et sanhédrites. La plupart d'entre elles étaient certainement jolies, jeunes, cultivée et fort honorées de tout le peuple, comme le sont, aujourd'hui encore, les filles de rois, les filles de princes ou de grands seigneurs. Il y avait d'ailleurs, en Palestine, bien d'autres villes que Jérusalem.

    A Nazareth, où elle habitait, Marie, loin d'être la fille de quelque personnage en vue, appartenait à une humble et pauvre famille, peu connue et peu considérée. Marie ne se distinguait en rien, apparemment, des autres jeunes filles du voisinage. Comme elles, on la voyait soigner le bétail et faire le ménage... Mère de Dieu, Marie se voit élevée au-dessus de toute créature sans se départir pour autant de sa tranquille simplicité. Il n'est pas de pauvre servante à laquelle elle ne se sente inférieure. Et nous, misérables que nous sommes, dès que nous avons un peu de bien, un peu de puissance, quelques honneurs et une prestance un peu particulière, nous cessons de considérer les petits comme nos égaux et notre prétention n'a plus de bornes !

    Le Magnificat
    Martin Luther.