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condamnation

  • Récits de la Passion 09

    Texte extrait du livre " Pilate "  de Jean Grosjean - Ed Gallimard 1983

     

    76

       Pilate s'approcha de la fenêtre. Jamais jour  n'avait été aussi sombre. Le ciel où avaient couru de hautes brumes, le matin, était devenu uniformément gris comme les novembres celtes qui emprisonnent le cœur dans leur fosse. Mais, passé midi, le ciel prit une noirceur nocturne avec, au fond, les lueurs fuligineuses d'on ne sait quel orage.

    Pilate monta à la chambre haute comme un prophète de l'antiquité. Il vit les éclairs se succéder au ras des collines sous un ciel de poix. Le tonnerre rôdait au loin continûment comme un roulement de chars avec parfois un éclat bref, plus proche, comme un aboi de rage ou un essieu qui se brise, jusqu'à ce grand déchirement qu'on entendit du côté du temple vers les trois heures.

    Puis le jour morne comme si le monde était vide. Pilate ne représentait rien. Il redescendit à sa chambre d'en bas. Il s'étendit 77 sur le carrelage et il dormit comme du plomb, comme un mort, une heure ou deux.

    Quand il s'éveilla, il sortit sur le terre-plein. Un soldat au loin buccinait mélancoliquement. La ville semblait déserte comme une plage dont la marée se retire. Les ruissellements d'une brève averse s'évaporaient du pavement. Une tenture violette frissonna. Procla restait introuvable, mais sans doute valait-il autant ne pas voir son front buté et son regard atone. Toute la nuit les rues ne longeraient que des maisons.

    Procla parut. Ses yeux avaient la couleur d'un étang sous un ciel de tempête. Elle dit : Alors ?

    Il dit : Laisse-moi.

    Elle eut les yeux qui s'assombrirent comme la mer du Nord. Elle dit : Ce n'est pas ton jour ? Eh bien, si, c'est ton jour.

    Il dit : Laisse.

    Elle eut les yeux qui se creusèrent comme le flot dans l'ouragan. Elle dit : Tu n'as rien fait ?

    Il dit : Oui et non.

    Elle eut des yeux qui n'avaient plus de regard. Elle dit : Tu n'as rien empêché , tu n'as pas gouverné, je n'oublierai pas.

    Il crut qu'elle avait un sanglot. Elle eut des éclairs. Il dit avec lassitude : Attendez, madame.

    78 Et plus bas : Attends-moi.

    Alors elle eut les yeux pleins de larmes. Elle détourna la tête. Pilate qui ce jour-là s'était pour la première fois aperçu de la souffrance humaine, reconnut cette souffrance sur le visage de femme qui se détournait.

    Elle s'en allait et brusquement elle revint. Elle dit : Tu auras été gouverneur des Juifs.

    Il dit : Ne parle pas.

    Elle dit : Ç’aurait dû être une gloire.

    Il dit : Aucune gloire.

    Elle dit : Ils disent qu'ils sont Juifs mais il n'y avait qu'un Juif et tu l'as laissé perdre.

    Il dit : Je sais qu'ils mentent.

    Elle dit : Tu le savais ? et c'est tout ? Ils veulent abattre nos aigles mais leur cœur est plein d'idoles. Tu as vu un homme sans idole et sans avenir et tu l'as laissé...

    Pilate était parti.

  • le compagnon de souffrance

    On dit toujours que l'on "meurt toujours seul", et de la même façon, combien sommes-nous à avoir expérimenté le fait que la souffrance nous sépare des autres ? Même ceux qui nous aiment sont étrangers à notre souffrance. C'est l'expérience psychologique qui ajoute à notre épreuve. Eh bien, dans la foi nous sommes rejoints au plus profond de notre souffrance et de notre détresse par "celui qui a porté", et je dois savoir que c'est justement ma souffrance qu'il porte en même temps que moi. J'ai un véritable compagnon de souffrance,qui supporte et partage cette horreur, cette douleur, ce chagrin, cet abandon. Il suffit que je me tourne vers lui, que je retrouve la communication avec lui, et l'ouverture a lieu, je suis accompagné en vérité. (...)

    Que nous en soyons conscients ou non, la souffrance est toujours plus ou moins vécue comme un châtiment. Dans le langage populaire, on dit couramment : " Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il m'envoie ce malheur !" Tous ceux qui souffrent ont, d'une façon ou d'une autre, la même anxiété ; l'un rapportera sa souffrance à une faute de jeunesse, un autre y verra  une effroyable injustice dont il est victime, un autre encore une condamnation de toute sa vie... Ceci n'est jamais tout à fait absent de notre souffrance. Et voici que dans la révélation nous apprenons que tout ce qui était de l'ordre de la condamnation est enlevé de notre malheur, parce qu'un autre a pris toute la condamnation et toutes nos condamnations sur lui. Pour ce qui est de la condamnation liée à la souffrance, oui, il s'est substitué à nous. La souffrance reste nue. (...)

     

    Jacques  Ellul - Si tu es le Fils de Dieu - EBV/Le Centurion, 1991. pp 25-26