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vers toi j'ai crié (2)

On ne peut minimiser le choc qu'a représenté la prise de conscience de la position exacte de l'humanité dans le cosmos. Nombre d'intelligences parmi les plus averties et les plus réfléchies en demeurent impressionnées. Nos contemporains vivent encore avec force de l'évidence que formulait ainsi Auguste Comte : "Tout le système théologique est fondé sur la supposition que la terre est faite pour l'homme et l'univers entier pour la terre : ôtez cette racine et toutes les doctrines surnaturelles s'écroulent."

La révolution copernicienne est éprouvée comme entraînant l'effondrement de la conception d'une providence choyant l'humanité dans le lieu central de l'univers. L'exploration contemporaine de l'univers n'a fait qu'accroître ce vertige : celui d'une biosphère cosmiquement infirme, développée sur une planète de rien du tout autour d'un petit soleil dans la banlieue d'une galaxie très moyenne située n'importe où parmi des milliards de galaxies...

L'humanité s'y trouve seule, sans autre recours que ses propres ressources. Ce qui l'eût jadis épouvantée ne l'embarrasse plus. Elle prend le parti , pas tellement angoissé, de s’accommoder de sa position ; la connaissance qu'elle prend de l'univers, la maîtrise des espaces qu'elle acquiert lui offrent de grisantes compensations. Elle récupère ainsi la conscience d'être centre du monde, non pas dans l'absolu ni du point de vue d'un Dieu transcendant, mais dans l'existentiel et du point de vue de sa propre conscience puisqu'aucune autre conscience ne lui apporte ici contestation et ne l'oblige  à se situer autrement.

[Le théologien] Urs von Balthasar, analysant cette "époque anthropologique" qui est la nôtre, estime que la responsabilité ainsi dévoilée à l'homme moderne "est si lourde, mais elle est aussi pensé de telle sorte qu'il ne peut la porter seul. Mais comme il ne peut plus la partager avec la nature, il ne lui reste rien d' autre à faire que de la partager avec le Créateur". Ainsi l'homme moderne est-il prédestiné à redevenir un homme de prière.  Pour l'heure, cette prédestination ne lui est, en tout cas, pas évidente, et ce qu'il tente, c'est bien de porter seule sa responsabilité. Non plus d'une manière prométhéenne : trop de besoins crient, trop de drames sont en suspens, trop de problèmes graves demeurent irrésolus ! Mais les recours s'appellent exclusivement : développement économique, progrès de la science, mise au point des techniques, organisation des sociétés, révolutions, etc.

Aux prises avec ces besognes terrestres qui absorbent totalement leurs ouvriers, pris dans le réseau serré des solidarités innombrables, comment l'individu concevrait-il une providence ?  Il est d'autant plus dissuadé de s'affirmer en relation particulière avec Dieu par la prière que, pour actualiser cette relation, il devrait franchir d'abord l'épreuve de sa singularité, et donc de sa propre solitude, et que c'est l'une des choses qu'inconsciemment il fuit le plus : ne sachant en effet comment se situer en dernier ressort, il ne peut l'assumer. C'est auprès de son semblable qu'il va quêter la consolation d'une présence, d'une parole, d'une opinion d'autrui, qui lui confère cette certitude objective de sa valeur (fût-elle relative et infime) que nul ne peut se donner à soi-même. Une "invocation"informelle et multiforme du semblable s'est substituée chez beaucoup à l'invocation du Dieu refuge et force, telle qu'on la rencontre par exemple dans les psaumes.

Albert-Marie Besnard- Vers Toi j'ai crié - Cerf 1979. pp. 58-61

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