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  • Ne t'inquiète pas

    Ami, pour la vie d'union avec Dieu, il faut à la fois beaucoup compter sur Dieu - car tout, absolument tout, vient de lui, gratuitement - et agir avec beaucoup de ténacité - car les grâces ne sont données qu'aux généreux, aux sacrifiés, aux avides.

    Donc, toujours, à la fois, deux attitudes : premièrement, implorer avec soumission : " Sans vous, rien n'aura lieu, Seigneur !" (Saint Jean de la Croix) ; deuxièmement, déployer "cette obstination douce" en laquelle le cher abbé Brémond reconnaît une caractéristiques des vrais mystiques".

    Remarque très importante, très encourageante : les efforts qu'on fait en vue de l'intimité divine sont un signe que Dieu veut nous donner cette intimité ! C'est évident puisque ces efforts eux-mêmes nous sont donnés par Dieu. Chaque pas que nous faisons nous prouve que le chemin est déjà préparé par Dieu. Chaque acte de volonté par lequel nous choisissons l'union avec Dieu est un signe que nous sommes déjà désignés pour le divin privilège.

    C'est ce qu'exprime Pascal en une formule très solide : " Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé !" Ou la variante ci-après : " Tu ne me chercherais pas, si tu ne me possédais. Ne t'inquiète donc pas."

     

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

  • Mais il y a la prière...

    Le nœud du problème de l'homme, ce n'est pas l'homme lui-même ; c'est un Objet, infiniment beau, situé au-dessus de l'homme et qui rendra l'homme heureux dans un contact personnel, pour l'éternité. Et avant même cette éternité, aujourd'hui déjà ; et à la portée de quiconque cherche, il y a la douceur, l'innocence, l'apaisement, dans la vérité de Jésus-Christ. Pour tendre une main secourable aux perdus de l'amour, égarés sur de mini-objets, il faut se perdre soi-même dans l'amour pour Dieu, le véritable Objet.

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  • La seule chose qui compte

    (suite)

    32. (...) Enfin, face à l'apparente trahison de Dieu, je voudrais partager avec vous cette idée que j'ai trouvée dans le journal saisissant de Etty Hillesum (Une vie bouleversée...) à savoir que c'est nous qui pouvons aider Dieu 33. plutôt que Dieu nous aide. Cette jeune juive hollandaise, qui s'était portée volontaire dans un camp de transit afin de partager le sort de son peuple, fut finalement expédiée à Auschwitz où elle mourut le 30 novembre 1943. Dans les pires conditions du camp, elle écrit cette prière un dimanche matin de 1943 qui traduit une expérience très profonde qui est au-delà de la révolte et de la résignation. "Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n'est pas toi qui peux nous aider, c'est nous qui pouvons t'aider, et ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque, et c'est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. je ne t'en demande pas compte, c'est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m'apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon coeur, que c'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous."  Ce n'est pas Dieu qui peut nous aider, mais nous pouvons aider Dieu à faire en sorte que sa demeure, au sens de notre expérience de la présence gratuite de Dieu en nous, subsiste en nous.

    Dieu nous a-t-il trahis ? Vous voyez que je ne réponds pas simplement comme théologien, mais comme homme tout court et comme croyant. La réponse à cette question ne peut être que modeste. je ferais volontiers mienne la confidence d'Elie Wiesel quand il disait : "Parfois pour Dieu, souvent contre lui, et pourtant jamais sans lui."

     

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

  • Pardonner à Dieu

     

    Suite...

    31. La première [des trois réponses spéculatives], c'est que nous sommes invités à partager le combat de Dieu, à la suite du Christ, contre les forces du mal. Il y a un retrait de Dieu, il y a une certaine impuissance de Dieu par rapport à sa création, c'est vrai. Une impuissance de Dieu aussi par rapport à l'Histoire. Cette impuissance est l'envers de l'immense responsabilité de l'homme dans l'ordre du bien comme dans l'ordre du mal. Alors, nous ne devons pas compter, même si notre époque a toujours la hantise des miracles, sur des miracles extraordinaires dans l'ordre de la nature ou dans celui de l'Histoire, pour prévenir des catastrophes naturelles ou des miracles pour apaiser la violence de l'Histoire. Jésus lui-même n'a pas partagé la toute puissance de Dieu contre la violence du mal. La seule preuve que Dieu ne nous a pas trahis , c'est qu'il est toujours présent dans l'Histoire, et ce sont les miracles de la charité. La seule réponse à l'excès du mal, c'est l'excès de l'amour qui va jusqu'au don de la vie. J'ai souvent cité cette réflexion si profonde d'André Malraux, dans ses Antimémoires : " S'il est vrai que pour un esprit religieux les camps de concentration, comme le supplice d'un enfant innocent par une brute posent la suprême énigme, il est vrai aussi que pour un esprit agnostique, c'est la même énigme qui surgit avec le  32. premier acte de piété, d'héroïsme ou d'amour." Ce qui atteste, malgré le silence de Dieu, la présence de Dieu dans l' Histoire, ce sont les miracles de la charité.

    En second lieu, je dirai qu'au-delà de la révolte et de la résignation il y a une autre attitude, et c'est l'expérience de la souffrance comme lieu possible d'une rencontre privilégiée avec Dieu. Je dis cela prudemment parce qu'il faut être passé par là pour oser le dire. Finalement au-delà de la révolte et de la résignation, il y a l'expérience de la grâce. Si étrange que cela puisse paraître, la grâce des grâces, et je reprendrai le mot de Georges Bernanos, n'est pas de pardonner aux autres, mais d'apprendre à pardonner à Dieu lui-même. Dans Le Journal d'un curé de campagne, il y a cette scène dramatique où la vieille comtesse, au terme d'un long dialogue avec le curé d'Ambricourt, finit par jeter dans le feu de la cheminée un médaillon qui contient une mèche de cheveu de son petit garçon qui est mort en bas âge. Or elle n'a jamais accepté ce deuil. Eh bien, à ce moment-là, et c'est le curé qui parle, "elle rend les armes". Elle ne se résigne pas, mais enfin elle pardonne à Dieu sa trahison.

                                                                           A suivre...

     

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

  • Dieu ne peut être un Tout-Puissant

    (suite)

    29. (...) Alors, la question rebondit : Dieu ne nous a-t-il pas trahis ? Face à l'expérience du mal, et en particulier au cours de ce cruel XX ème siècle, on peut évoquer, et je viens de le faire, la réponse chrétienne ; elle ne peut être reçue que dans la foi, et c'est là que,B comme théologien, je reste forcément vigilant et critique. Finalement, pour répondre à la question presque blasphématoire, " Dieu nous a-t-il trahis ?", on répond par un autre blasphème, celui d'un Dieu crucifié.

    Mais n'est-ce pas là l'ultime ruse d'une apologétique qui veut innocenter Dieu devant l'injustifiable de la souffrance 30. innocente ? Je ne le crois pas. Je dirais plutôt que c'est l'honneur de la théologie moderne du XX ème siècle de montrer que, si Dieu existe, il ne peut être un Tout-Puissant, un potentat impassible et indifférent. La transcendance de Dieu, ce n'est pas celle de l'Etre absolu, c'est celle de l'amour. C'est le propre de l'amour de prendre la forme de l'extrême faiblesse. Les religions sous le signe du théisme renvoient l'homme à la toute-puissance de Dieu. La Bible, elle, renvoie l'homme à un Dieu faible et souffrant. Voilà la vérité, et le Dieu de la Bible est un Dieu différent  de celui des philosophes, mais aussi du Dieu d'une théologie traditionnelle qui était encore sous le signe du théisme.

    Cette méditation chrétienne sur le mystère de la kénose de Dieu, c'est-à-dire de l'auto-dépouillement de Dieu par amour, rejoint les intuitions les plus profondes de la pensée juive après Auschwitz, sur le retrait de Dieu, ce qui est autre chose que la trahison. Le philosophe juif Hans Jonas, à qui on doit  le grand livre Le Principe de responsabilité, a écrit aussi un essai intitulé Le Concept de Dieu après Auschwitz, où il écrit, à propos du drame de la Shoah : " Si Dieu n'est pas intervenu à Auschwitz, ce n'est pas parce qu'il ne voulait pas, mais parce qu'il ne pouvait pas." Il explique là-dessus, à partir de certains thèmes empruntés à la kabbale juive, que l'impuissance de Dieu est en quelque sorte une conséquence de l'acte créateur, celui-ci coïncidant avec un acte d'auto-dépouillement divin. En prenant le risque de créer une liberté finie, qui peut donc faire le mal, Dieu a renoncé  en même temps à la toute-puissance. C'est la grandeur de la liberté humaine : elle est ce par quoi l'homme ressemble le plus à Dieu, mais elle entraîne, d'une certaine manière, une auto-limitation de Dieu. Ou alors cette liberté n'est pas une liberté... 31 Je voudrais toutefois, suggérer que face à l'expérience du mal, c'est-à-dire de l'injustifiable, au-delà des tentatives d'explication, il y a tout de même des attitudes, des réponses existentielles qui sont très profondes, beaucoup plus profondes en tout cas que les réponses spéculatives d'une théodicée. J'en suggère trois.

                                                                             A suivre...

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

     

     

  • Le don d'une présence

    [28] La seule réponse de Dieu à Job, ce n'est pas une argumentation, mais le don d'une présence au coeur même du silence. Dieu n'a pas quitté Job et il ne saurait l'abandonner. Finalement, ce personnage mystérieux de Job fait l'expérience de la foi à l'état pur. La conclusion du livre de Job nous invite à penser que Dieu demande à Job de renoncer même à sa plainte... Car de quoi Job pourrait-il se repentir, lui qui est sans péché, sinon de se plaindre ? Son dernier mot, en effet est celui-ci : " Aussi, je retire mes paroles, je me repens sur la poussière et sur la cendre." Mais en renonçant à se plaindre, alors Job fait l'expérience de ce que c'est d'aimer Dieu pour rien. Au-delà de toute rétribution et de tout intérêt. Selon le mot de saint Paul devant les énigmes de l'existence : " Le Grec cherche des raisons, le Juif adresse sa question à Dieu sans attendre de réponse." Le chrétien se tourne, lui, vers la figure du crucifié où il déchiffre à [29] la fois l'infinie proximité de Dieu et son mystérieux retrait. La sagesse de Dieu, nous dit encore Paul, est folie pour la sagesse humaine. On peut estimer que toute la révélation culmine dans le cri de Jésus : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"

    Le terme ultime de la révélation, c'est le langage et la parole de la croix. Et ce cri de Jésus sur la croix est une manière extraordinaire de la part de Dieu d'entendre la question de Job en la faisant redire par son propre fils, qui est venu partager notre condition d'homme. La réponse de Jésus, donc la réponse chrétienne, ce n'est pas une explication, mais un témoignage. Témoignage de l'abandon de l'homme à la volonté de Dieu , témoignage de la solidarité de Dieu avec la souffrance humaine. Je le disais : l'ultime parole de Dieu, c'est le langage de la croix. Et on pourrait dire que le pouvoir de la mort est vaincu par l'événement  de la résurrection, mais le silence de Dieu n'est pas interrompu en dépit de la résurrection.

                                                                              A suivre... 

     

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

  • témoin de l'excès du mal

     [26] Deuxièmement, et je crois qu'en cette fin de siècle nous avons malheureusement l'urgence de l'évoquer : la trahison de Dieu par les religions qui se réclament de lui. Dieu, c'est sûr, nous le trahissons tous, mais il y a ce sentiment que le Dieu auquel nous avons cru est défiguré par ceux qui en parlent, ceux qui agissent en son nom, ceux mêmes qui devraient en être les témoins autorisés. Il y a la trop longue histoire de ces religions qui partent en croisade contre les ennemis de Dieu, au nom même de Dieu. C'est l'histoire des trois religions monothéistes. C'est l'histoire de leur luttes fraticides au nom même de la parole de Dieu. Le fanatisme religieux qui va jusqu'à justifier la guerre sainte est la pire perversion de la religion, et la pire défiguration du visage de Dieu. 

    Et qu'à la fin du XX ème siècle on puisse encore torturer, violer, piller, massacrer au nom de Dieu a quelque chose  d'insupportable pour la conscience humaine universelle. Nous qui avons cru en un Dieu d'amour et de paix, nous avons le sentiment d'avoir été floués et trahis. Et la seule idée qui puisse nous apaiser, c'est qu'un tel Dieu n'existe pas. On ne dira jamais assez combien [27] d'incroyants le fanatisme religieux a engendrés, tant chez les chrétiens, que chez les juifs et les musulmans.

    Enfin, la troisième trahison, c'est le cri de la foi déconcertée par le silence de Dieu. Et là nous rencontrons l'antique question du mal. Le grand scandale pour les croyants, c'est le silence de Dieu, alors que l'Histoire  semble abandonnée à elle-même avec son cortège monotone de violences, d'injustices, de fatalités absurdes. Dieu ne nous a-t-il pas trahis ? Ce silence de Dieu fait violence aux questions des hommes et des femmes. Alors que - et je ne prétends pas répondre à ce qui demeure l'injustifiable par excellence -, si Dieu existe, il ne peut être qu'un Dieu bon. Vous connaissez les mots d'un personnage de Dostoïevski : " je refuserai jusqu'à la mort d'aimer cette création où les enfants sont torturés." Un théologien de notre temps, Moltmann, écrivait : " la question de l'existence est une babiole face à la question de sa justice dans le monde."

    Je voudrais dissiper une illusion bien fréquente : il ne faut pas lire la Bible, la révélation comme le catalogue des réponses de  Dieu aux questions des hommes. Pour reprendre le titre d'un livre du poète juif Edmond Jabès, la Bible est plutôt le "Livre des Questions ", et non le livre des réponses. C'est le sens de ce long cri dont parlent les Psaumes : "Pourquoi dors-tu Seigneur ?" Et, allant plus loin, la Bible ne témoigne pas seulement des questions que l'homme pose à Dieu, mais elle témoigne du procès que l'homme intenté à [28] Dieu. Ce procès est en quelque sorte assumé par Dieu, par la Révélation.

    C'est l'enjeu même  du livre de Job, comme témoin de l'excès du mal auquel ne répond que le silence de Dieu. "Je crie vers toi  et tu ne réponds pas." Alors que ses amis, dont je ne suis pas sûr qu'ils aient été théologiens, bavardent et trouvent une réponse trop facile sur sa prétendue culpabilité, toujours l'immédiate excuse de la rétribution face au mal qu'on n'explique pas, Job a le courage de défier le silence de Dieu, de défier   la trahison de Dieu. Il affronte la question du mal à l'état pur, et cette question du mal devient la question même de Dieu et de sa justice : il devient devant Dieu le porte-parole, à l'avance, de tous les hommes et de toutes les femmes, connus ou inconnus, qui tout au long de l'histoire protestent contre le caractère injustifiable du mal surtout quand il s'agit de la souffrance des innocents. (...)

                                                                                    A suivre... 

     

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

  • Si Dieu est bon pourquoi le mal ?

    [23] Si Dieu est bon, pourquoi le mal ? Cela pose la question suivante : Dieu nous a-t-il trahis ? Je voudrais affronter cette question dans toute sa radicalité.

    Je me suis senti dépassé par cette question, et je dois dire que je n'ai pas tellement envie de répondre à cette question simplement comme un professeur de théologie ; je voudrais y répondre bien sûr avec toute ma réflexion, mais aussi avec toute ma passion, parce que cette question m'a toujours taraudé et je ne prétends pas en être venu à bout.

    Je voudrais dire tout d'abord qu'une telle question témoigne d'une profonde mutation dans notre expérience de Dieu. Nous avons toujours à nous situer historiquement, du point de vue de notre expérience spirituelle. On peut dire que depuis le XVI ème siècle, surtout avec Luther, la grande question était toujours : comment puis-je être justifié devant Dieu ? C'est-à-dire  comment faire mon salut, moi, pécheur ? La question aujourd'hui serait plutôt : comment justifier Dieu devant la présence massive de l 'injustifiable par excellence, à savoir le mal, le mal sous toutes ses formes ?

    Donc, si ce n'est pas nous qui avons trahi, ne serait-ce pas Dieu lui-même ? Je ne vais pas me livrer à une [24] apologie laborieuse pour mal défendre Dieu, mais avant de se poser cette question presque sacrilège, presque blasphématoire, je pense qu'il faut d'abord se mettre d'accord sur la trahison de Dieu .

    Tout d'abord, la trahison apparente de Dieu. En premier lieu, la "trahison" est un très grand mot. Mais c'est le cri spontané de tous ceux qui ont aimé avec passion. C'est sans doute d'ailleurs l 'expérience humaine la plus cruelle. Même si on pressent obscurément que tout amour passionnel porte en lui-même son germe et son venin de trahison, on espère toujours que cela ne nous arrivera pas. On est trahi que par ceux que nous aimons le plus intensément, bien sûr ! Souvent, les autres n'ont pas d'autre excuse que leur propre faiblesse ou inconstance, mais il arrive que notre sentiment d'être trahi provienne de ce que nous avons idolatré l'autre : nous lui avons demandé ce qu'il ne pouvait pas nous donner, nous lui avons prêté des qualités démesurées, et notre déception est à la mesure de notre représentation fantasmatique de l'autre. Je crois qu'il en va de même dans nos rapports avec Dieu. Nous avons le sentiment que nous avons été trahis parce que nous nous sommes forgé un Dieu illusoire, [25] un Dieu tout-puissant qui répondrait à nos désirs. Nos désirs dans l ordre du sens mais aussi dans l'ordre de l'amour. Or bien sûr, un tel Dieu n'est pas au rendez-vous. Il faut quelquefois du temps pour s'en apercevoir. Je pense qu'il n'y a pas de progrès spirituel sans mise à mort des représentations insuffisantes de Dieu : le " Dieu-explication " , le Dieu des utilités immédiates, le Dieu "bouche-trou", le Dieu-complément de nos manques, le Dieu qui nous console dans nos diverses détresses. Ces dieux-là, c'est vrai, nous ont trahi. Nous avons encore peut-être à découvrir Dieu comme mystère de gratuité. C'est vrai que notre monde est intéressant sans Dieu, et c'est vrai aussi que l'homme peut être humain sans Dieu.

    C'est même une sorte d'évidence et de conviction de notre modernité. Nous avons à vivre, comme disait le théologien protestant allemand Dietrich Bonhoeffer, comme si Dieu n'existait pas, mais "devant Dieu, et avec Dieu". Constat d'absence et d'inutilité du Dieu "bouche-trou". Dieu, je ne pense pas qu'il nous ait trahis, mais nous avons trop peu respecté le mystère de son "absence ardente", pour reprendre un mot du poète Rilke qui écrit quelque part (je cite de mémoire) "pour trouver Dieu il faut être heureux, car celui qui n'est pas heureux ne respecte pas assez le  mystère de son absence ardente". Autrement dit, Dieu n'est pas l'objet de notre besoin de posséder, il est le terme de notre désir. Il s'agirait de mettre à mort notre besoin de la présence immédiate comblante de Dieu, pour le découvrir comme donation gratuite, et à cet égard le témoignage des mystiques est impressionnant. Pensez à la nuit obscure de Jean de la Croix ; à la foi purement volontaire, à la fin de sa vie, dans sa maladie, de Thérèse de Lisieux, alors qu'elle n'expérimente plus la présence [26] de Dieu et qu'elle veut continuer à croire. Et paradoxalement, au sein même de leur nuit, les mystiques font l'expérience d'une joie secrète, celle de se savoir acceptés par Dieu. Cette première trahison tient donc simplement au fait que nous nous sommes fabriqués un certain nombre de faux dieux qui, nécessairement, nous ont trahis.

                                    A suivre....

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

     

     

  • solitude et isolement

    25. (...) Le mot "solitude", confondu [26] avec celui d'isolement , est en général perçu dans la societe comme une anomalie, un échec, une marque d'associabilité. Contresens s' exclame frère Yves : une solitude librement choisie et vécue en harmonie avec le monde peut être un terreau fécond en ressourcement, en discernement et en construction personnelle. Pour clore provisoirement la longue liste des mots boiteux, notre moine tord le cou au concept de "conversion". Pourquoi ? Certains catholiques ont tendance à confondre la conversion, qui est un acte personnel de mutation intérieure, avec la confession, qui est la partie essentielle du sacrement de pénitence instauré par l Eglise : Jésus ne nous demande pas de nous confesser, mais de nous convertir ! précise frère Yves qui est tres sollicité, comme les autres prêtres de sa communauté, pour donner le sacrement du pardon aux hôtes de passage dans son monastère. Quelle est la signification exacte de l acte de se convertir ? C est de se mettre au clair sur ses faiblesses et sur ce qui doit changer en soi. L' homme modeste sera toujours un grand homme parce qu' il sait accepter humblement ses limites. C' est ce que Jésus nous demande : d'habiter nos fragilités. Le sacrement de pénitence n' est donc pas une fin en soi ; il vient utilement nous aider, comme un bon outil, à réaliser notre travail de conversion personnelle".

    Frère Yves, abbaye du Monts des Cats, cité dans  " Messagers du silence" de Michel Cool - Albin Michel 2008