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  • Chemin des béatitudes

    La béatitude, réservée aux dieux de l'Olympe et traduite par le mot grec makarios, n'est pas un phénomène purement grec. Dans la Bible du peuple d'Israël, l'individu est aussi confronté à la béatitude. Le premier psaume en est la preuve, puisqu'il commence ainsi : " Heureux l'homme qui ne suit pas le conseil des impies, ni dans la voix des pécheurs ne s'arrête, ni au siège des railleurs ne s'assied, mais se plaît dans la loi du Seigneur, mais murmure sa loi jour et nuit !" (Psaume 1, 1-2) " Heureux qui observe le droit, qui pratique en tout temps la justice !" (Psaume 106,3) "Heureux l'homme qui craint le Seigneur, et se plait fort à ses préceptes !" (Psaume 112,1) "Heureux, impeccables en leur voie, ceux qui marchent dans la loi du Seigneur !" (Psaume 119,1).

    C'est surtout le psaume 119 qui déclare heureux ceux qui éprouvent de la joie à l'écoute des commandements de Dieu. Martin Buber était très soucieux de traduire au plus près les Psaumes et il évoque ainsi les béatitudes se trouvant au début des Psaumes : " Le mot qui ouvre le psaume est à traduire par oh, la félicité, ou bien oh le bonheur. Le psalmiste s'écrie oh, le bonheur de l'homme" (...) Ce n'est ni un souhait ni une promesse, il ne s'agit pas de savoir si l'homme mérite le bonheur ou s'il a le droit d'être heureux, que ce soit sur terre ou dans une vie future, c'est au contraire un appel joyeux et une constatation enthousiaste : comme cet homme est heureux ! (...)

    Le psalmiste veut très certainement dire : Attention, ici l'existence recèle un bonheur secret, qui compense le malheur et qui finit par l'emporter. Vous ne le voyez pas, mais c'est le véritable et même le seul véritable bonheur. "

    Si nous lisons les Béatitudes en tenant compte des propositions de Buber, nous comprendrons que Jésus ne promet pas seulement le bonheur à celui qui franchit ces huit étapes du chemin, mais il proclame également : "Heureux celui qui a une âme de pauvre, qui est doux, miséricordieux et qui a le cœur pur." L'homme qui se trouve dans cet état d'esprit est déjà heureux. Le bonheur n'est pas une conséquence de notre comportement, il est l'expression de ce comportement. Agir ainsi, c'est déjà connaître le bonheur véritable, être en harmonie avec soi-même et ressentir la plénitude de la vie.

    Anselm Grün - Les huit secrets du bonheur - Salvator, 2008. pp. 25-27

  • L'Esprit n'est pas excentrique

    (...) C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si l'oeuvre de l'Esprit s'accomplit toujours dans une logique d'incarnation. Comme Jésus a réellement assumé la nature humaine, avec  ses capacités et ses limites, le Saint Esprit s'astreint le plus souvent à l'humilité et à la discrétion des médiations humaines. On le reconnaît plus sûrement dans les longues germinations que dans les coups de foudre ou les initiatives spectaculaires. Et il ne mobilise pas seulement l'affectivité et l'enthousiasme, comme l'imaginent trop souvent ceux qui le confondraient volontiers avec le Dionysos païen. Il s'efforce d'éclairer l'intelligence de l'homme, de susciter en lui jugement et  bon sens, plutôt que de le manipuler, de jouer sur ses inconsciences, de se glisser dans ses lacunes, et de l'amener à des excentricités irréfléchies aux conséquences parfois dramatiques. Abandonner femme et enfants pour se consacrer à la prière, refuser de se soigner pour ne pas paraître douter d'une guérison miraculeuse ne peut être l'oeuvre du Saint Esprit. L'Esprit saint, l'Esprit de Dieu, l'Esprit de Jésus, n'est pas excentrique. 

    Lorsqu'au VIII ème siècle avant Jésus des bandes de prophètes entraient en transe, dans des exhibitions impressionnantes, ils avaient encore une idée païenne de Dieu et de son Esprit, proche des Baals des Cananéens : un dieu bizarre qui s'empare de l'homme, comme s'il le possédait, pour lui faire faire ou lui faire dire des choses étranges (1R 18, 26-29). Alors que le vrai Dieu, le Dieu de Jésus, se reconnaît à la simplicité de ses moyens pour un projet grandiose : se dire à nous dans l'humanité de Jésus pour que l'homme en soit divinisé. Telle est l'oeuvre du Saint Esprit. (...)

    Ainsi, la vie "spirituelle" ne saurait plus être comprise comme ces quelques moments où l'homme s'adonnerait, dans les parenthèses de sa vie  ordinaire à des pratiques étranges pour se concilier un Dieu bizarre : c'est toute la vie de l'homme, sa vie la plus ordinaire, vécue selon le Saint-Esprit, l'Esprit de Jésus. C'est donc toute la vie de l'homme lorsqu'elle devient enfin pleinement humaine. 

    J-N. Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Centurion 1996. pp. 110-113

     

  • Dieu n'a pas voulu la mort

    "Il a plu à Dieu de rappeler à lui..." : pieuse intention de ceux qui rédigent ce genre de faire-part, mais quelle idée se font-ils de Dieu ? Quel plaisir peut-il prendre à la mort de sa créature, de son enfant, et au deuil des survivants ? "Que ta volonté soit faite", disent-ils parfois, dans une conversion douloureuse de la révolte en acquiescement. Mais est-ce vraiment sa volonté, son projet sur l'homme, et serait-il chrétien, et humain, de se soumettre à une telle volonté de mort ?

    (...) Dieu ne peut pas avoir voulu ce dépérissement, cette ruine.

    En effet, nous pressentons tout à la fois que la mort fait partie de la vie de l'homme, qu'elle est une dimension de son existence, que la dignité de l'homme est même d'être le seul animal capable d'envisager lucidement cette échéance, de lui faire face, et, en même temps, que tout en lui dément qu'il soit fait pour la mort : s'il est le fruit d'un projet, d'une intention, d'un amour, la mort ne peut en être le terme, l'objectif. (...)

    Pour un homme qui a perdu, par le péché, le sens de Dieu, comme on perd le Nord, pour un homme qui ne sait plus pourquoi ni pour qui il est fait, la mort risque toujours de devenir un vrai naufrage. C'est cette mort-là, la mort en ce second sens, "la seconde mort" (Ap 2,11), qui serait le fruit du péché. Non pas comme un châtiment ou comme une vengeance de la part du Créateur, mais comme un état de fait : en se coupant de la lumière, l'homme désormais se condamne à mourir dans la nuit. Ce qui aurait dû être sa naissance est alors appréhendé par lui comme un anéantissement. Et c'est jusque dans cette mort-là que Jésus, pourtant indemne de tout péché, s'est solidarisé avec nous. Il l' a traversée, dans la nuit, pour en arracher ceux qui s'y engloutissaient.

     

    J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Le Centurion 1996 pp. 88.92

  • Icône de Dieu

    Ne disons plus alors que la Passion de Jésus nous dit son humanité et que sa Résurrection nous dit sa divinité. Dans la Résurrection, Jésus n'est pas désincarné : un homme ayant pleinement rempli la vocation filiale de l'homme, est "assis à la droite de Dieu", et il porte triomphalement les marques non abolies, de sa Passion. Et dans la Passion de Jésus, jusque dans sa mort elle-même, là précisément où "le Verbe" est le plus manifestement "chair", fragile, vulnérable, nous reconnaissons ce que Jean appelle "sa gloire", c'est-à-dire sa communion avec le Père. Au point que les chrétiens peuvent chanter devant le Crucifié : "Il est l'image du Dieu invisible" (Col 1,15). Dans sa Passion, Jésus n'abdique pas, ne voile pas sa divinité : il la révèle. Dans sa Résurrection, Jésus n'abandonne pas son humanité : il l'accomplit pleinement, il l'exalte. 

     

    J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Le Centurion 1996 pp. 84

  • L'homme donné

    Notre difficulté à concevoir l' Incarnation viendrait alors de ce que nous pensons savoir clairement ce qu'est Dieu et ce qu'est l'homme, et que nous tentons de juxtaposer nos idées sur Dieu et sur l'homme, comme si Jésus  en était l'addition ou la synthèse. Le résultat est nécessairement impensable, irrationnel, bizarre, "mystère", au sens commun et non chrétien de ce terme.

    Mais sommes-nous tellement sûrs de savoir qui est Dieu et qui est l'homme ? Pascal nous invite à plus de modestie : " Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus Christ. Nous ne connaissons la vie, la mort, que par Jésus Christ. Hors de Jésus Christ nous ne savons ce que c'est ni  que  notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes " (Pensées, 548) (...)

    En fait, nous l'avons vu, Dieu, celui que les philosophes et les savants recherchent en tâtonnant, ressemble à Jésus, puisque Jésus " c'est tout son Père ". Il est donc accueil, proximité, partage, inépuisable mouvement vers l'autre pour le faire vivre et le faire grandir. En ne vivant pas pour lui-même, mais toujours pour le Père et pour ses frères, Jésus, l'homme tout donné, l'homme pour les autres, nous a révélé que Dieu lui-même n'est que relation, communion, don de soi, pour faire exister l'autre.

    S'il en est ainsi, ce que nous appelons la divinité de Jésus n'est pas d'abord un pouvoir extraordinaire, qui écraserait son humanité, c'est sa relation au Père, qui n'est lui-même que partage et don de vie. (...)

    Alors, en Jésus, Dieu et l'homme cessent de paraître contradictoires. Un homme vraiment homme, pleinement homme parce qu'enfin pleinement Fils, devient l'expression parfaitement adéquate de qui est Dieu. Et Dieu, pleinement Dieu, sans rien abdiquer de son être, bien au contraire, se dit totalement, se révèle, se donne à voir en cette icône humaine, où il a mis toute sa lumière et tout son amour : Jésus.

     

    J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Le Centurion 1996 pp. 79-81

  • César n'est pas Dieu

    C'est cela croire en Jésus et en sa divinité : non pas croire en quelqu'un qui viendrait supplanter Dieu en se prenant pour lui, ni croire en un second Dieu, puis en un troisième, avec le Saint-Esprit, mais découvrir en Jésus la révélation la plus parfaite de l'identité de Dieu : il est don, partage, communion, au point de désirer nous y associer.

    Ceux qui, avec nous et comme nous, croient en un seul Dieu, en particulier les juifs et les musulmans, qui se réfèrent partiellement à la même tradition, nous reprochent souvent, en raison de notre affirmation de la divinité de Jésus, de trahir cette foi au Dieu unique, ce "monothéisme", comme si Jésus venait en quelque sorte dédoubler Dieu. Alors que, pour nous, Jésus lui-même, sa foi, sa relation à Dieu, ne peuvent se comprendre précisément que dans le cadre de cette foi au Dieu unique.

    Croire en un seul Dieu, en effet, "être monothéiste", n'est pas seulement une opinion ou une croyance, c'est un art de vivre et un combat : c'est le parti pris de proclamer, mais surtout de manifester dans les choix concrets de l'existence, que Dieu seul est Dieu, et que rien ni personne d'autre ne doit être divinisé. C'est le refus absolu des idoles, qui va beaucoup plus loin  que le rejet de statuettes ou de fétiches : c'est le refus effectif de la divinisation de tout ce qui n'est pas Dieu.

    Si Dieu seul est Dieu, alors l'argent n'est pas Dieu, ni le profit, ni les sacro-saintes lois de l'économie. César n'est pas Dieu, ni aucun pouvoir, même fort respectable. Le sexe n'est pas Dieu, ni la famille, ni aucune affection, ni aucun lien social ou national. La religion elle-même n'est pas Dieu, ni ses représentants les plus vénérables. Tout cela certes peut être bon et honorable, mais ne doit jamais être absolutisé, sacralisé : Dieu seul est Dieu. (...)

    C'est bien pourquoi le Sanhédrin, Hérode et Pilate, percevant clairement la menace qu'il [Jésus]  faisait peser sur la sacralisation de leurs pouvoirs, tant politiques que religieux, se sont reconciliés sur son dos afin de le supprimer.(...)

    Avec Jésus et comme lui, les chrétiens croient donc bien en un seul Dieu, le Père. Mais ils reconnaissent dans la personne de Jésus une telle relation au Père, une telle façon de vivre jusqu'au bout, de Dieu et pour Dieu, qu'ils croient en lui, Jésus, le reconnaissant comme le Fils unique du Père et sa parfaite révélation. " Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi", leur avait dit Jésus (Jn 14,1) Cet "aussi" n'additionne pas la divinité de Jésus à celle du Père. Oui, il est bien quelqu'un d'autre, une autre "personne", sans quoi il n'y aurait pas entre eux dialogue et communion.

    J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Le Centurion 1996 pp. 69-71

  • relations

    Dire Jésus Dieu sans, dans le même temps, le dire Fils, sans le situer par rapport à celui qu'il appelle "Père", c'est fausser la lecture de l'Evangile. Si Jésus est Dieu sans être le Fils, auprès du Père et vers le Père, que devient sa prière, ce vis-à-vis filial, ce face-à-face ? A qui Jésus s'adresse-t-il ? A lui-même ? Beaucoup d'enfants, à partir de l'affirmation que Jésus est Dieu, ne comprennent pas pourquoi il prie.

    Et si on perd la conscience de cette distinction des personnes, que devient  cette sorte de grande trajectoire qui définit toute la vie de Jésus : " Je suis sorti du Père et venu dans le monde, maintenant je quitte le monde et je vais au Père " (Jn 16,28) ? Si Jésus va vers le Père, c'est qu'il ne se prend pas pour Dieu le Père. Toute la vie de Jésus est dans ce dynamisme, qui suppose, à côté de lui et en face de lui, l'altérité de Dieu : à chaque instant il reçoit de lui son existence, c'est pourquoi il ose l'appeler "Père", et même "Papa" (Mc 14,36). Et à chaque instant dans l'action de grâce , il tend vers lui et il s'en remet à lui. Ce qui le fait être, ce qui le fait exister depuis toujours, c'est ce partage, cette intimité, cette communion. (...)

    L'Evangile de Jean a su admirablement suggérer la richesse de cette relation de Jésus au Père en jouant sur tout le registre des prépositions de la langue grecque : Jésus est "du" Père (qui n'exprime pas seulement l'appartenance mais l'origine), il est "d'auprès" du Père. Mais il est aussi dans le même temps "vers" le Père. Et il est "avec" lui, "auprès" de lui. Il est "dans" le Père et le Père est "en" lui. Multiples facettes d'une relation insaisissable mais vivante. Communion, unité ("Moi et le Père nous sommes un" Jn 10,30), mais non identification, fusion, confusion.

    Pour aimer vraiment l'autre, enfant, conjoint, ami, il faut d'abord être soi-même, et ouvrir à l'autre un espace où il soit vraiment lui-même. Le "nous" ne se construit pas dans la confusion du "je" et du "tu", ou dans l'annihilation de l'un devant l'autre, mais dans le respect de leur altérité. Et là encore, pour nous, Dieu est éclairant : nous entrevoyons en quoi cette unité du Père et du Fils , que nous retrouverons avec l'Esprit, autre "quelqu'un", est susceptible d'éclairer, de convertir et de transfigurer toutes nos tentatives d'unité et de communion qui, elles aussi, doivent exclure la fusion et l'identification.

    J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Le Centurion 1996 pp. 56-57

  • Se laisser regarder

    Prier c'est nous laisser regarder par Dieu avec tout ce qui nous réjouit et tout ce qui nous fait mal, avec nos enthousiasmes, mais aussi avec les boulets que nous traînons, avec tous ceux qui nous accompagnent, ceux qui nous portent et ceux que nous tirons, tous ceux qui nous tiennent au coeur et que le Seigneur connaît encore mieux que nous. Si notre prière consistait à essayer de les oublier un instant pour être plus libres de courir vers lui comme des voyageurs sans bagages, le Seigneur nous trouverait bien légers. Alors qu'il veut nous accueillir lourds de tous ceux que nous portons.

    Un mari au chômage, un enfant qui se drogue, l'attente angoissée d'un résultat médical, mais aussi les émotions d'une affection partagée, ne sont pas des distractions dans la prière, à mettre entre parenthèses. C'est ce qui en fait le poids et le prix. Il nous faut essayer de convertir nos préoccupations en prière : il y a alors celles qui disparaissent d'elles-mêmes, relativisées, minimisées, par rapport à l'amour qui nous enveloppe, et il y a celles qui font vraiment partie de nous-mêmes, et dont nous découvrons que le Seigneur se soucie bien avant nous.

    J.N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard & Centurion 1996. p. 43

  • incarnation

    Ce n'est pas parce que nous étions pécheurs que Dieu, dans une sorte de remords d'artiste, a choisi de faire de nous ses fils en Jésus-Christ. Mais, alors même que nous étions pécheurs, enfermés dans notre suffisance et bloqués dans notre peur d'aimer, Dieu a persisté dans son projet, plus originel que le péché, de faire de nous des interlocuteurs, des partenaires, rendus capables par son Esprit de partager l'intime communion qu'il  vit depuis toujours avec son Fils bien-aimé. Ce n'est pas à cause du péché que le Fils éternel du Père s'est fait homme. C'est malgré le péché, pour nous faire vivre quand même de la vie de Dieu. Mais c'est à cause du péché que Jésus, le Christ, prévu de tout temps pour nous diviniser , a pris sur son dos, avec sa croix, le poids de nos refus.

    Dès lors ce n'est pas de la considération de notre péché qu'il faut forcement partir pour nous décider  à le suivre. Ce n'est pas toujours la conscience du péché qui est le premier pas de la conversion. Les longues listes des examens de conscience n'y suffisent pas. Pire, elles peuvent être chemin de désespoir. (...)

    J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Bayard éditions/1996 p.26

  • Sauvés mais encore ?

    Le christianisme est une religion de salut : Dieu sauve. Mais comme le salut est habituellement compris  comme un sauvetage, Dieu risque de n'apparaître que comme un sauveteur, dont l'intervention serait conditionnée par le mal dont il nous délivre : misère, perdition, péché.

    Avec comme conséquence que sans le mal Dieu n'aurait plus rien à nous dire ni plus rien à faire. Combien d'hommes et de femmes n'ont plus rien à demander à Dieu, un Dieu dépanneur, quand tout va pour le mieux dans leur vie ? Au point d'ailleurs que des chrétiens charitables de leur entourage se chargent alors de leur montrer que tout ne va pas si bien. Comme si l'Evangile ne pouvait rien leur apporter tant qu'ils " s'en sortent " très bien tout seuls.

    Le combat contre le mal, sous toutes ses formes, parce qu'il fut le combat de Jésus, est bien l'une des dimensions fondamentales de l'existence chrétienne. Mais d'abord parce que le mal, la souffrance, l'injustice, le péché, est contraire au projet de Dieu sur l'homme et sur le monde, un projet plus radical, plus originel, que le mal et le péché. (...)

    Dans la Bible, le salut, c'est beaucoup plus qu'un sauvetage. C'est tout ce que Dieu entreprend pour nous faire vivre et revivre. Bien sûr Dieu délivre, Dieu libère, mais lorsqu'Israël fait mémoire de l'exode, de la sortie d'Egypte, de la victoire sur la mer, sur la mort et sur Pharaon, il prend bien soin de souligner que le Seigneur l' " a fait sortir " du  pays de servitude que pour le " faire entrer " dans le pays de la promesse " où coulent le lait et le miel ". La libération n'est pas un but en soi. Sortir d'Egypte pour tourner en rond dans le désert n'aurait pas de sens. Le projet de Dieu c'est l'alliance : " Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. "  (...) Et nous aussi, aujourd'hui, lorsque nous répétons que Dieu sauve, nous pensons trop exclusivement à ce dont il nous sauve, sans prendre conscience suffisamment de ce vers quoi il nous sauve.

    (...) il y a ce dont nous sommes sauvés, le mal et la mort auxquels nous sommes arrachés, et il y a ce vers quoi nous sommes sauvés, la vie, ce qui nous est promis et donné. Ce n'est pas parce qu'il est dans l'esclavage que Dieu choisit Israël, mais parce que c'est son peuple et pour en faire son peuple, alors même qu'il est en esclavage. Ce n'est pas parce que nous sommes pécheurs que Dieu, aujourd'hui encore, vient nous chercher et nous tend la main. C'est parce qu'il tient à nous et qu'il veut que nous tenions à lui, alors même que nous sommes empêtrés dans le péché.

    Jean-Noël Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Bayard/Centurion, 1996 pp.22.23.24