"Il a plu à Dieu de rappeler à lui..." : pieuse intention de ceux qui rédigent ce genre de faire-part, mais quelle idée se font-ils de Dieu ? Quel plaisir peut-il prendre à la mort de sa créature, de son enfant, et au deuil des survivants ? "Que ta volonté soit faite", disent-ils parfois, dans une conversion douloureuse de la révolte en acquiescement. Mais est-ce vraiment sa volonté, son projet sur l'homme, et serait-il chrétien, et humain, de se soumettre à une telle volonté de mort ?
(...) Dieu ne peut pas avoir voulu ce dépérissement, cette ruine.
En effet, nous pressentons tout à la fois que la mort fait partie de la vie de l'homme, qu'elle est une dimension de son existence, que la dignité de l'homme est même d'être le seul animal capable d'envisager lucidement cette échéance, de lui faire face, et, en même temps, que tout en lui dément qu'il soit fait pour la mort : s'il est le fruit d'un projet, d'une intention, d'un amour, la mort ne peut en être le terme, l'objectif. (...)
Pour un homme qui a perdu, par le péché, le sens de Dieu, comme on perd le Nord, pour un homme qui ne sait plus pourquoi ni pour qui il est fait, la mort risque toujours de devenir un vrai naufrage. C'est cette mort-là, la mort en ce second sens, "la seconde mort" (Ap 2,11), qui serait le fruit du péché. Non pas comme un châtiment ou comme une vengeance de la part du Créateur, mais comme un état de fait : en se coupant de la lumière, l'homme désormais se condamne à mourir dans la nuit. Ce qui aurait dû être sa naissance est alors appréhendé par lui comme un anéantissement. Et c'est jusque dans cette mort-là que Jésus, pourtant indemne de tout péché, s'est solidarisé avec nous. Il l' a traversée, dans la nuit, pour en arracher ceux qui s'y engloutissaient.
J-N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard/Le Centurion 1996 pp. 88.92