Sens du Chemin de Croix
" On le sait, la modernité a intenté à Dieu un procès acharné, impitoyable, que Dieu soit conçu comme tout-puissant, au sens terrestre et humain de ce mot (alors que le monde est absurde et mauvais), ou que Dieu nous ait créés libres (mais en sachant ce que nous ferions de notre liberté). Il fallait donc montrer — tenter de montrer — que la seule réponse à l'insoluble question du mal, c'est justement la Via Crucis.
Dieu descend volontairement dans le mal, dans la mort — un mal, une mort dont il n'est nullement responsable, dont peut-être il n'a même pas l'idée, a dit un théologien contemporain —, pour s'interposer à jamais entre le néant et nous, pour nous faire sentir, nous faire vivre, qu'au fond des choses il n'y a pas le néant, mais l'amour.
Dieu au-delà de Dieu, cet « océan de la limpidité », et cet homme couvert de sang et de crachats qui chancelle et tombe sous le poids de toutes nos croix, c'est le même, oui, c'est vraiment le même dans sa transcendance et sa « folie d'amour ». Telle est l'antinomie qui fait l'inimaginable originalité du christianisme. La souffrance du corps, la dérision sociale, le désespoir de l'âme abandonnée, tout se conjugue pour que Dieu se révèle ici, non comme une plénitude écrasante, qui juge et condamne, mais comme l'ouverture sans limite de l'amour dans le respect sans limite de notre liberté.
Et voici que cette distance impensable entre Dieu et le Crucifié — « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » — s'emplit soudain du souffle de l'Esprit, du souffle de la résurrection. S'ouvre l'ultime étape de l'histoire humaine et du devenir du cosmos: dans le sang qui jaillit du côté transpercé du Christ, le feu que celui-ci est venu jeter sur la terre brûle désormais, ce feu de l'Esprit Saint qui féconde notre liberté afin qu'elle devienne capable de changer en résurrection la longue passion de l'histoire. Influx de paix et de lumière qui ne peut justement se manifester qu'à travers cette liberté qu'il libère et qui le libère..."
Texte d'Olivier Clément
A l'occasion du Chemin de Croix au Colisée - Rome 1998
Lire la suite