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  • Le Christ est ressuscité

    [195]

    La nuit de Pâques, après avoir fait en procession le tour de l'église, nous nous arrêtons devant les portes fermées : c'est là le tout dernier instant de silence avant la grande explosion de joie pascale. A ce moment-là, surgit toujours, consciemment ou inconsciemment, au fond de nous-mêmes, cette question que se posèrent aussi, selon le récit évangélique, les femmes myrrhophores, lorsqu'elles arrivèrent de grand matin au tombeau, alors que le "soleil s'était à peine levé" : "Qui nous roulera la pierre du tombeau ?". Et nous nous demandons toujours : le miracle aura-t-il lieu encore une fois ? La nuit deviendra t-elle , de nouveau, plus lumineuse que le jour ? Serons-nous encore envahis par cette joie inexplicable et affranchie de tout événement de ce monde, qui, durant toute cette célébration et les jours suivants, va résonner dans cet échange d'acclamations pascales : " Le Christ est ressuscité ! - En vérité, Il est ressuscité !"

    Cette minute arrive toujours... les portes s'ouvrent et nous pénétrons dans l'église baignée de lumière. Nous entrons dans ces mâtines pascales, débordantes d'allégresse. Mais dans notre âme demeure cette question : quel est le sens de tout cela ?  Que veut dire fêter Pâques en ce monde empli de  souffrance, de haine, de mesquinerie, de guerres ? Que signifie chanter : " Par la mort, Il a vaincu la mort " ? ou encore entendre ces paroles : " Il n'y a plus un seul mort dans les tombeaux", alors que la mort reste toujours, en dépit de toute la vaine agitation de ce monde, la seule certitude absolue sur la terre. Est-il possible que cette lumineuse nuit de Pâques, toute cette jubilation ne soient qu'une évasion éphémère du réel, un moment d'ivresse spirituelle, et que l'on retrouve ensuite, tôt ou tard, la grisaille de la vie, des réalités quotidiennes, avec toujours le même décompte des jours, des mois, des années qui filent inexorablement en se hâtant vers la mort et le néant ? Depuis longtemps on nous répète que la religion est leurre, opium, [196] invention pour aider l'homme dans sa pénible existence et qu'elle finit par se dissiper. Ne serait-il donc pas plus courageux, plus digne, pour lui, de renoncer à ce mirage, d'accepter la réalité simple et sensée ?

    Une première réponse approximative à toutes ces interrogations serait, probablement, la suivante : il n'est pas possible que tout cela ne soit qu'une simple invention ; ni qu'une telle foi, une telle joie lumineuse - depuis deux mille ans - ne soient qu'un délire, un mirage. Une telle illusion aurait-elle pu durer des siècles ? Cette réplique, certes, a du poids, mais n'est pas encore déterminante. Il faut avouer, en toute honnêteté, qu'il ne peut y avoir de réponse catégorique qui définisse ce qu'est la foi pascale, et qui puisse être énoncée sous la forme d'une démonstration scientifique. Chacun de nous ne peut, en l'espèce, que témoigner de l'expérience personnelle qu'il a lui-même vécue.  

    Lorsqu'on approfondit cette expérience réelle, on découvre soudain les fondements de tout l'édifice : on est ébloui par une lumière aveuglante qui véritablement fait fondre, comme la cire au feu, toutes les questions et les doutes. Quelle est donc cette expérience ? Je ne peux la décrire et la formuler que comme une rencontre avec le Christ vivant. Je crois en Christ, non pas, parce qu'il m'a été donné, une fois l'an, depuis ma tendre enfance, de participer à la célébration pascale, mais parce que ma propre foi est née d'une expérience du Christ vivant : c'est pourquoi Pâques peut exister, et, de même, cette incomparable nuit pascale peut enfin être remplie de lumière et de joie. C'est pour cette raison, aussi, que l'acclamation : "Le Christ est ressuscité ! En vérité Il est ressuscité !" retentie avec autant de force.

    Quand et comment est née ma foi ? Je l'ignore et ne m'en souviens pas. Je sais seulement que chaque fois que j'ouvre l'Evangile, que je lis des versets sur le Christ, entends Ses propres paroles, Son enseignement, je répète intérieurement, avec tout mon être et tout mon cœur, ce que dirent  ces gardes envoyés par les pharisiens pour l'arrêter, et qui étaient revenus sans l'avoir fait : " Jamais homme n'a parlé comme cet homme". Ainsi, ce dont je suis convaincu, en premier lieu, c'est que l'enseignement du Christ est vivant et que rien au monde ne peut lui être comparé. Cet enseignement parle du Christ, de la vie éternelle, de la victoire sur la mort, de l'amour qui est plus fort que la mort : or je sais que, dans [197] cette vie où tout paraît si difficile, si triste, la seule chose qui ne trompe jamais, qui ne nous abandonne jamais, c'est ce sentiment profond que le Christ est avec nous, avec moi. " Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviendrai vers vous ". Il revient : on sent qu'Il se tient là, dans la prière, dans un frémissement de l'âme, dans cette joie incompréhensible et pourtant si vivante, dans cette présence mystérieuse mais tellement perceptible, à travers les offices et les sacrements. Cette expérience vivante, cette connaissance et cette évidence grandissent sans cesse : le Christ est là, Sa parole se réalise. "Je serai avec celui qui m'aime... et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure." Dans la joie, dans la peine, au milieu de la foule ou dans la solitude, nous avons la certitude  de sa présence, nous ressentons la force de Sa parole, la joie que nous procure la foi en Lui.

    C'est là, la seule réponse possible, la seule preuve. "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui vit ? Pourquoi pleurez-vous sur la tombe du Seigneur immortel ?" (...) Car Pâques n'est pas la commémoration d'un événement passé, mais une rencontre réelle, dans la joie et le bonheur, avec Celui en qui notre cœur a reconnu depuis longtemps la vie et la lumière du monde.

    La nuit pascale témoigne que le Christ est vivant parmi nous et que nous vivons avec Lui. Elle est un appel à voir, dans le monde et dans notre existence, l'aube du jour mystérieux de Son Royaume [198] lumineux. "Aujourd'hui le printemps embaume, chante l'Eglise, et la nouvelle création est en liesse..." Elle exulte dans la foi, l'amour et l'espérance. "C'est le jour de la Résurrection, rayonnons en cette solennité, embrassons-nous les uns les autres, appelons-nous frères ! Pardonnons à ceux qui nous haïssent à cause de la résurrection, afin de pouvoir chanter : le Christ est ressuscité des morts ; par la mort Il a vaincu la mort ; à ceux qui sont dans les tombeaux Il a donné la vie !"

    Le Christ est ressuscité !

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif -  Ed. Oeil/ YMCA-PRESS, Paris 2005.

    Le père Alexandre Schmemann (1921-1983) fut un homme d'Eglise d'une envergure exceptionnelle, à la fois missionnaire, historien, théologien et prédicateur. formé à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris, il dirigea, à New-York, le Séminaire Saint-Vladimir. Né dans l'émigration, ayant vécu sa jeunesse en France, de culture russe autant que française, il n'a pas connu son pays d'origine, mais il lui est resté très attaché. Pendant trente ans, il n'a pas cesser d'adresser chaque semaine à l'intention  des auditeurs d'Union soviétique, par le canal de Radio Liberty, des prédications spirituelles et théologiques.

    "Cela faisait longtemps qu'avec un grand plaisir spirituel, j'écoutais les prédications du père Alexandre et je m'étonnais à quel point son art de prédicateur était authentique, actuel, élevé..." Alexandre Soljenitsyne

    Autre ouvrage publié du P. Alexandre Schmemann : "L' Eucharistie, sacrement du Royaume" Ed. Oeil/YMCA-PRESS 

     

  • Chemin vers Pâques (24)

    [55]

    Gethsémani

    (...) Nous le contemplons à Gethsémani prostré comme un pauvre homme. Celui qui a dit : " Le Père et moi nous sommes un "(Jn 10,30), celui qui a dit : " Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé " (Jn 4,34), pour lui, à ce moment-là, pour sa conscience d'home, le Père est comme n'étant pas.

    Et que me dit l'Evangile ?

    Il me dit premièrement que Jésus éprouve la souffrance de vouloir être seul et de ne pas pouvoir rester seul. Vous pourrez prendre le récit, soit dans saint Matthieu 26, 36-46, soit dans saint Marc 14, 32-42, soit dans saint Luc 22,40-46, peu importe. Vous pouvez aller d'un évangile à l'autre. Saint Marc notamment indique nettement que Jésus allait et venait du groupe des apôtres, qui se sont endormis au rocher, au rocher où il aura sa sueur de sang. Un va-et-vient. Quand il est dans la solitude, il ne peut pas la supporter et il va trouver les apôtres. Et, quand il est auprès des apôtres, une urgence secrète le renvoie à la solitude. Tout pèse : et la solitude et [56] la société des hommes. (...)

    Deuxième chose que me dit l'Evangile : " Il tombait." Marc emploie l'imparfait de la répétition. Il faut traduire : "Il chancelait, il titubait, il ne pouvait se tenir debout, il ne faisait que tomber." Il a sur lui le poids de tout le péché du monde ; tout cet égoïsme que j'ai découvert en moi, tout cet égoïsme que j'ai lu sur la carte du monde dans la méditation du Règne (voir la note ci-dessous), tout cela, lui qui n'est pas pécheur, il le vit. Il a pris tout le péché sur lui. Il est en tout semblable à nous, sauf la responsabilité d'être pécheur. (...)

    Mystère insondable. Songez que, dans le premier chapitre de l'évangile de saint Jean, vous trouverez ensemble les deux mots Verbum et agnus. Jésus est le Verbe de Dieu, Dieu-Verbe, et en même temps il est l'agneau qui porte le péché du monde et qui ne l'enlève qu'en le portant, parce qu'il ne joue pas la comédie. (...) [57] Dans L'annonce faite à Marie (Paul Claudel), on voit Violaine baiser le lépreux. Le lépreux est purifié et c'est elle qui est devenue lépreuse. C'est absolument cela. Pour nous purifier de la lèpre, le Christ devient le lépreux de l'humanité. Toutes les controverses avec les confessions protestantes ou réformées sont venues de ce que les protestants n'ont jamais pris cela en vérité, en profondeur. Ils ont parlé de Jésus revêtu d'un manteau. Non, ce n'est pas un manteau qui le recouvre, c'est son être même dans sa profondeur.

    Troisièmement, l'Evangile emploie des mots que je dois méditer. "Jésus éprouve un dégoût, une nausée". Je sais ce que c'est que la nausée. J'essaie de réaliser ce qu'a pu être la nausée du Christ, la nausée d'être devenu le péché du monde. L'Evangile me parle aussi de honte et puis de peur. Si je n'ai jamais connu la honte, j'ai certainement connu la peur, la peur de mourir, la peur de souffrir, la peur viscérale, la peur de l'homme qui redoute la souffrance.

    Quatrièmement, l'Evangile me dit que, dans tout cela, titubant, allant et venant, comme l'homme dans le plus total désarroi, rempli de nausée, de honte et de peur, il prie et " il prie en répétant toujours la même parole - eumdem sermonem dicens (Mt 26,44 dans la traduction latine de la Vulgate). Nous avons de la peine, nous, à prier dans la difficulté, dans le désarroi, dans le dégoût. C'est à ce moment-là que nous avons le plus de peine à prier. Il faut que notre difficulté à prier soit notre prière même. Et que dit-il dans cette prière ? C'est la prière absolument parfaite, le modèle de toute prière. Une prière à deux temps, qui ne sont pas successifs mais simultanés. Le premier temps, c'est le cri humain. On pourrait presque dire le cri de l'animal, le cri de la bête qui a peur. "Que ce calice s'éloigne de moi !"  Et que le Christ ait dit cela pour nous est beau. Cela signifie que nous pouvons le dire  nous aussi, que nous pouvons pousser le cri humain, le cri de l'animal qui a peur : "Que ce calice s'éloigne !" C'est légitime, c'est permis, c'est humain. De même que Jésus a pleuré au tombeau de Lazare, pleuré sur Jérusalem, il dit " Que ce calice s'éloigne !". Mais en même temps : " Que ta volonté soit faite !" Pour nous, il existe toujours un décalage entre les deux, plus ou moins ; pour lui les  [58] deux sont simultanés. Son cri devient le cri filial. En même temps qu'il exprime sa peur d'homme, il est complètement soumis à la volonté du Père : " Que ta volonté se fasse !", le fiat de Jésus avec Dieu. 

    Je réfléchis. Dans ma vie, il y aura des moments où je ne pourrai pas dire autre chose que fiat, où ma prière ne sera pas une méditation avec des idées   mais simplement ce murmure, peut-être même à peine articulé, un fiat dans la profondeur, à peine perceptible par nous, mais perceptible par Dieu.

    "Alors, me dit l'Evangile, à ce moment-là, un ange lui apparut." Qu'est-ce que cet ange ? Peu importe le genre littéraire, cet ange est à la foi la présence et l'absence du Père. Il est la présence du Père parce qu'il vient de la part du Père, et il est l'absence du Père parce qu'il n'est pas le Père, il n'est qu'un ange.

    Présence, absence. Le clair-obscur où Dieu nous est présent comme absent, comme caché. Nous connaissons, nous en avons l'expérience ; ce sont de véritables expériences spirituelles de notre vie. Parce qu'il y a cette présence-absence, le Christ n'est pas désespéré, il ne peut pas être désespéré. Cette absence-présence du Père nous dit que, dans le plus profond désarroi, il n'est pas désespéré. Un peu comme dans ces tableaux de Rembrandt ou des paysagistes hollandais, sombres, les arbres tendus dans la tempête, déchiquetés, il y a une lumière quelque part. On ne sait pas où est la source lumineuse, mais il y en a une, suffisamment pour que les ténèbres ne soient pas totales. L'ange signifie que l'âme de Jésus est dans les ténèbres les plus profondes, mais il y a un point lumineux qui empêche le désespoir, un tout petit point, ce que les mystiques appellent "la cime de l'âme". D'autres disent "le fond de l'âme". Cela suffit pour qu'on ne soit pas désespéré. Et cela suffit pour que Jésus, au moment où Judas apparaît à l'entrée du jardin, ait la force d'aller au-devant de lui et de se tenir debout. le petit point lumineux qui suffit pour qu'on ait le courage de se tenir debout et de faire son travail. 

    Alors je m'unis à tous ceux qui tomberont, qui sont dans les ténèbres. (...) [59] Tout en m'unissant à tous ceux qui souffrent dans le monde - ce Christ qui est en agonie jusqu'à la fin du monde (cf. Blaise Pascal, Pensées) -, je pense au moment dans ma vie où, peut-être, j'en serai là et où je n'aurai qu'une ressource : croire que le Christ a agonisé plus que moi et que son agonie me donne le pouvoir de me tenir debout, de sourire aux hommes et de faire mon travail.

     

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    Note :

    François Varillon, jésuite, donne les Exercices spirituels de Saint Ignace à des retraitants, par conséquent la terminologie employée est celle des Exercices. La méditation du "Règne" ouvre la deuxième semaine des Exercices n° 91-100.  

     

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard, 1999

     

  • Chemin vers Pâques (23)

    [44]

    Lavement des pieds

    Le lavement des pieds n'est pas d'abord un enseignement moral, mais d'abord le dévoilement d'un mystère. Le christianisme est bien au-delà de la morale. Certes, il implique une morale, mais en lui-même, il est bien au-delà. Aussi je vous propose de lire cette scène du lavement des pieds en la commentant par le grand texte de la lettre de saint Paul aux Philippiens sur la kénose (Phil 2,5-9); C'est là que se trouve le mot ekenôsen, en latin exinanivit : il s'est anéanti. C'est la révélation de l'humilité de Dieu. Et si j'ai choisi cette scène, c'est parce qu'elle nous fournit l'occasion de revenir sur la vérité du fondement, l'humilité de Dieu (Cf. "Vivre le christianisme" de F. Varillon et les cinq instructions sur le fondement). La toute puissance, la force, qui s'incline devant ce qui est le plus petit, le plus faible. La puissance de Dieu n'est en aucune manière la puissance telle qu'on l'entend dans le monde. En aucune manière. Jamais. C'est la force spirituelle, la puissance spirituelle, qui consiste à s'incliner librement devant ce qui est le plus petit. Ici je déclare mon impuissance à dire mieux les choses. Il faut réaliser au-dedans de soi que la puissance infinie de Dieu, c'est son humilité infinie. Cette puissance dont aucun homme, dont aucun ange n'est capable, même le plus grand. Le plus grand ange, qui vous voit et qui voit Dieu, est impuissant, lui, à s'incliner librement et en toute vérité devant ce qui est le plus faible et le plus petit. C'est cela, la puissance de Dieu  et il n'y en a pas d'autre. C'est une puissance infinie d'abaissement. L' Incarnation est l'humilité éternelle de Dieu. Voilà pourquoi Jésus est l'esclave... Il naît pour révéler ce qu'est la puissance de Dieu, qui est la puissance d'être le serviteur du plus petit. En dehors de là, il n'y a pas de spiritualité, il n'y a qu'un Dieu Jupiter qui est je ne sais quoi ou quelle cause du cosmos ; on dira tout ce qu'on voudra. Cela n'a rien à voir avec Dieu, rien. Et, une fois de plus, je m'interroge en me demandant s'il m'est possible en toute vérité d'avoir une relation d'amour avec un autre Dieu que ce Dieu-là.  

    [45]

    Tout à l'heure au cours de la liturgie, vous lisiez ce qui est écrit : "Dieu tout-puissant et miséricordieux..." Il faut comprendre ainsi : " Dieu dont la puissance est la miséricorde." Il n'y a pas une puissance et une miséricorde.  (...)

    Jésus est l'esclave, il entre en esclavage, il est au plus bas, à genoux devant les hommes. C'est cela sa puissance. Allez donc vous mettre à genoux devant quelqu'un. Pour cette puissance d'aimer, il faut la toute-puissance infinie. C'est cela, la kénose. La part qui ne peut pas être ravie à Dieu, c'est le regard de Jésus agenouillé devant les apôtres. En Jésus agenouillé devant les apôtres, avec son linge autour des reins et qui frotte les pieds des apôtres, pleins de poussière, et qui les regarde de bas en haut, à ce moment là Dieu commence à nous être révélé dans sa vérité. C'est cela, le Dieu de vérité (...) il n'y a pas d'autre Dieu possible (...). Ou cela est vrai, ou c'est l'athéisme qui est la vérité.

    Ce n'est pas par des raisonnements qu'on arrive à comprendre cela. Il faut contempler et il faut revivre par le dedans. La puissance d'aimer est un anéantissement de soi. Et Jésus dit à Pierre : " Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. Car la vie éternelle que je suis venu apporter aux hommes, c'est cette vie-là. C'est cela qui sera la vie éternelle et qui constituera la béatitude." Or, moi, je cherche la béatitude dans un autre genre de puissance. Non seulement moi, mais tout le monde pécheur. Le message que nous avons à livrer au monde est là. (...)

    F. Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

  • Chemin vers Pâques (22)

    [22]

    La mort, commencement d'une résurrection.

    J'attire votre attention sur ce point : la résurrection est à l'intérieur même de la mort. Le Christ monte à sa résurrection. Evidemment, au plan de l'histoire, au plan du phénomène, comme diraient les philosophes, cela ne vient qu'après trois jours. Mais faites bien attention, il ne ressuscite pas trois jours après. Ce qui se passe trois jours après, c'est qu'il se fait voir ressuscité... Il n'y a pas une mort suivie d'une résurrection. C'est la mort même qui est le passage en Dieu.

    Si notre résurrection n'est pas totale à l'heure de notre mort, après avoir rendu le dernier soupir, c'est le commencement d'une résurrection. Mais le commencement de la résurrection est immédiat. On ne fait pas antichambre. Une âme séparée dans l'antichambre pour attendre de reprendre son corps à la fin du temps, cela est de la mythologie pure et simple. Qu'est-ce que cette âme séparée de son corps ? Saint Thomas d'Aquin a buté sur cette question. On ne peut pas dire cependant que nous ressuscitons totalement à notre mort, car notre résurrection ne peut être totale que lorsque tous nos frères seront assis à la table du Père de famille, comme nous l'avons médité dans la parabole des chômeurs (cf. F. Varillon, Le message de Jésus, p. 179-194); ce qui veut dire que notre mort inaugure une nouvelle histoire, qui est l'histoire de notre résurrection. Elle commence et elle ne sera pleinement [23] achevée qu'à la fin des temps, quand le monde entier sera devenu le corps du Christ. Car la véritable identité du monde, c'est d'être le corps du Christ. Et cela en profondeur, avant d'être un ensemble de protéines, ou de tout ce que vous voudrez. (...) Dans son dernier livre, que je vous conseille beaucoup, le père Martelet (Gustave Martelet - Résurrection, eucharistie et genèse de l'homme, Desclée, Paris 1972) montre bien que ce qui nous est donné dans l'eucharistie, sous forme d'un petit morceau de pain et de vin, c'est le monde dans son identité la plus profonde. Le monde est le corps du Christ et il ne le sera pleinement qu' à la fin des temps.

    F. Varillon - La Pâque de Jésus -  Ed. Bayard 1999 

  • Chemin vers Pâques (21)

    [20]

    La troisième pâque de l'histoire est la nôtre. Il y a autant de pâques qu'il y a d'actes libres, d'élections, pour prendre le mot des Exercices [voir les Exercices spirituels de st Ignace, surtout les numéros 169-188), de décisions où l'on meurt à son égoïsme. Le fond des choses, c'est que chacune de nos décisions a une structure pascale. Chacune de nos décisions est une mort. Il faut mourir à son égoïsme, au regard sur soi, au souci de soi, pour s'occuper des autres tout simplement. C'est donc une mort ; notre foi est que cette mort est une résurrection.

    Tout est dans la décision, tout est là. Et quand nous disons que c'est la décision qui nous construit pour la vie éternelle, c'est vrai en rigueur de termes. Et cette décision a nécessairement une structure pascale. C'est une mort et c'est un passage au Christ. A tout instant, dans chacune de nos décisions, nous passons au Christ pour vivre éternellement d'une vie christifiée. Cela est la base de toute l'éducation de l'enfant : valeur du don, valeur de la décision, mourir à soi-même.

    Ne faisons pas les malins. Les chrétiens n'ont pas le privilège de la mort à soi-même. Il faut y aller doucement. Nous employons ce mot-là que d'autres n'emploient pas. (...) [21] (...) Nous n'avons absolument pas le monopole, mais nous croyons - et c'est cela  le message de l'Evangile - qu'en mourant à soi-même on passe au Christ, on vit de la vie même du Christ, on est christifié, on est divinisé. Et cette foi devrait nous donner l'énergie de nous trouver au premier rang toutes les fois qu'il faut mourir à soi-même pour faire un peu plus de justice et un peu plus de bonheur sur terre. Le scandale, c'est que notre foi, qui est la foi en la résurrection, c'est-à-dire dans le passage au Christ au coeur même de nos décisions, que cette foi-là ne nous donne pas l'énergie d'aller toujours au premier rang de ceux qui mènent le combat fraternel humain.

    Voilà qui répond à des tas de questions qui nous sont posées : qu'est-ce que la foi ajoute ? On entend cela continuellement. Les jeunes demandent : " Ca résout quoi la foi au Christ ?" Il n'y a pas autre chose à répondre. Croire que toute mort est une résurrection, et pas n'importe quelle résurrection, mais le passage au Christ même, à sa vie pour l'éternité. C'est cela qui devrait faire que les chrétiens aient toutes les initiatives, qu'ils soient au premier rang du combat. (...)

    Mais quand il s'agit de sacrifice, autrement dit de mort à soi-même, c'est maintenant. Je ne passerai pas au Christ après ma mort, j'y passe dans chacune de mes décisions. [22] Et à la mort, qu'est-ce qui se passe ? A la mort, je découvre que je suis devenu Christ par toute ma vie. Voilà ce qu'on peut dire pour comprendre le mystère pascal. Il ne faut pas séparer notre vocation à la divinisation de ce mystère de mort et de résurrection.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

     

  • Chemin vers Pâques (20)

    [19]

    Le deuxième passage est la pâque du Christ, celle que nous méditons en ce moment. Lui qui est l'homme, l'homme en plénitude, lui passe à son tour. Là, ne faisons pas d'éloquence, prenons les mots mêmes de saint Paul (Phil 2,6-7) : Il passe de la vie en forme d'esclave (forma servi) à la vie en forme de Dieu (forma Dei). La vie en forme d'esclave, c'est sa vie de peines. Il a pleuré, il a eu chaud, il a eu froid, il a souffert de la mort de Lazare... Entre la vie en forme d'esclave et la vie en forme de Dieu, il y a un désert. Ce désert, [20] c'est le Calvaire. Jésus ne peut monter à la vie en forme de Dieu, à son introduction au coeur de la Trinité, qu'en montant au Calvaire. Tout est là, vous le sentez bien. Au plan de ce qu'on éprouve, c'est la montée au Calvaire, les souffrances ; au plan de la réalité profonde des choses, c'est la montée à la vraie vie, la vie divine.

    Dans l'Eucharistie, le pain "meurt" à son état de pain. il est très vrai que ce n'est plus du pain. Cela ne signifie pas que le pain est remplacé par le corps du Christ  ; ce serait un mépris de l'homme, comme nous l'avons médité. [Quand elle grandit] la petite fille n'est pas remplacée par une femme, la chenille n'est pas remplacée par un papillon, le grain de blé n'est pas remplacé par un épi. C'est le pain qui devient le corps du Christ, c'est l'homme christifié. C'est cela, le mystère de mort.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Ed. 1999

  • Chemin vers Pâque (19)

    [17]

    Pâque veut dire passage, passage par la mort, par le seuil de la mort. Il y a trois pâques dans l'histoire : la pâque des Hébreux ; la pâque du Christ que nous méditons en ce moment et notre pâque à nous.

    La pâque des Hébreux

    Dans la catéchèse courante, on raconte aux enfants des tas de petites histoires, mais on les laisse ignorer le livre de l'Exode, cela est scandaleux. Or il est extrêmement facile, me semble t-il, d'en rendre accessible l'essentiel à de jeunes enfants.

    Voilà donc des Hébreux qui sont une minorité opprimée en Egypte. Ils travaillent sous le fouet, avec un maigre salaire, leur portion d'oignons - les fameux oignons que l'on voit encore pendre de nos jours dans les petites baraques, comme en France on vend des marrons en hiver. Les Arabes qui n'ont pas d'argent achètent quelques sous, quelques centimes d'oignons. Un jour, le pharaon décida d'augmenter les cadences. Dans le monde moderne, tout le monde sait ce qu'est l'augmentation des cadences. (...) Augmentation des cadences [18], c'est-à-dire plus de travail sans augmentation de salaire. Le pharaon décida que les Hébreux transporteraient non seulement les briques pour la construction des maisons, mais qu'il leur faudrait aussi trouver de la paille et la transporter. On fabriquait les maisons avec des agglomérés de brique, de paille et de terre sèche. Oppression, donc.

    Moïse interrogea Yahvé en lui disant : " C'est intolérable. Ton peuple est opprimé." Et Yahvé répondit : " Oui, tu as raison, c'est intolérable. Je ne veux pas que mon peuple soit un peuple d'esclaves. J'ai entendu la clameur qui monte de mon peuple, le cri des opprimés..." C'est  l'esclavage. Alors Yahvé dit : " Tu vas prendre la tête de la colonne et tu vas les faire passer - pâque, c'est-à-dire passage - dans la terre que j'ai promise à tes Pères, la terre de Canaan et qui est la terre de la liberté. Je veux que mon peuple soit un peuple libre. " L'Evangile ne peut pas  être entendu par un peuple qui n'est pas libre, ce n'est pas possible. 

    Poussons un peu plus loin si nous voulons pouvoir dialoguer avec nos contemporains. Qu'est-ce que c'est que la liberté d'un peuple ? C'est toujours deux choses : l'indépendance politique et la prospérité économique. Quand l'une des deux manque, le peuple n'est pas un peuple libre. Or la terre de Canaan sera une terre d'indépendance politique et Dieu interviendra toutes les fois que l'indépendance politique sera menacée par les Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens... Prospérité économique : c'est la terre où coulent le lait et le miel (Cf. Ex 3,8) dit la Bible.

    Oui, mais entre l'Egypte de l'esclavage et la Palestine de la liberté s'étend un désert, immense, le désert du Sinaï, et ce désert doit être franchi. Tel est le désert, impossible de le contourner (...) Pas de métro, pas d'avion. Il faut traverser le désert. Quarante ans. Un chiffre symbolique évidemment, c'est-à-dire un temps très long. Nous retrouvons ce chiffre symbolique avec les quarante jours du carême, les quarante jours de Jésus au désert au commencement de sa vie publique... C'est la reprise des quarante ans, c'est-à-dire du temps très long de la traversée du désert.

    [19] Plus les Hébreux avancent dans le désert, plus ils ont le sentiment d'aller vers la mort. Ils tombent d'ailleurs comme des mouches. Une véritable retraite de Russie où ils sont affrontés non pas à la neige, mais au soleil et à la calcination. Ils ont faim et il faut le miracle de la manne. Ils ont soif et il faut que Moïse fasse jaillir l'eau du rocher avec sa baguette. Il y a le miracle des cailles. Et leur tentation c'est de regretter leurs oignons, comme le grain de blé qu'on enfonce en terre regrette son petit bonheur de quatre sous dans son grenier, et comme la chenille commence par regretter sa vie de chenille et la petite fille sa vie d'enfant.

    Alors, c'est la révolte. Ils veulent revenir en arrière. Claudel a transposé cela dans son Livre de Christophe Colomb. Lorsqu'au milieu de l'océan il n'y a plus à manger, plus rien à boire, etc., les soldats de Christophe Colomb se révoltent  et veulent revenir en arrière et ne pas découvrir le Nouveau Monde, qui est le symbole de la vraie vie.

    On ne peut pas court-circuiter le désert. On ne peut pas échapper à la mort comme seuil de la vraie vie. C'est le thème du désert, qui est fondamental dans la vie. (...)

    C'est la première pâque de l'histoire, le premier passage de la vie présente à la vie divine.  

    Francois Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Editions 1999

  • Chemin vers Pâques (18)

    [70]

    " Pour moi, je ne me glorifierai (voir note plus loin) que dans mes faiblesses" (2 Co 12,15)

    " Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la Croix du Christ" (Ga 6,14)

    La Croix du Christ est donc la manifestation de la faiblesse de l'homme. Le Fils de Dieu, en se solidarisant avec l'humanité déchue, s'est revêtu de faiblesse ; mais, alors que les hommes s'efforcent sans cesse de se cacher leur propre déchéance, Jésus, en prenant sur Lui leurs infirmités et en acceptant jusqu'au bout leur condition, a exposé et pour ainsi dire affiché sur la Croix cette condition de faiblesse. " Il a été crucifié dans sa faiblesse, dit encore saint Paul, mais Il est vivant par la puissance de Dieu ; et nous [71] aussi, nous sommes faibles en Lui, mais nous serons vivants avec Lui par la puissance de Dieu" (2 Co 13,4) ; c'est dire que si la vie du Christ ressuscité, et la nôtre en Lui, sont la manifestation de la puissance de Dieu, la Croix, elle, est la manifestation  la faiblesse  de l'homme, et du Christ Lui-même ; c'est dire que ce n'est qu'en Lui, en Lui crucifié, que l'homme peut pleinement reconnaître sa faiblesse ("nous sommes faibles en Lui"), comme ce n'est qu'en Lui, en Lui vivant et glorifié, qu'il peut reconnaître la puissance de Dieu et se confier à elle pour recevoir d'elle la vie éternelle.

    Jésus crucifié, pour saint Paul et pour les premiers chrétiens qui avaient contemplé l'horrible spectacle de cette mort infâme, c'est l' homme réduit à la plus totale impuissance, paralysé, isolé, réprouvé, condamné, exsangue, prêt à sombrer dans la mort : c'est la révélation de la condition de faiblesse de l'homme, et de ce que le salut ne peut lui venir que de Dieu.  

    (...)

    Saint Jean, sans doute, voit déjà dans le Crucifié la gloire du Ressuscité; mais comme on l'a noté plus haut, cette gloire, Jésus ne l'a pas de lui-même. Il doit la demander et la recevoir de son Père (Jn 7,39 ; 8,54 ; 12,16.23 ; 13,31.32 ; 17,1.5). Il s'avance vers le supplice en pleine liberté, en pleine majesté, comme le Seigneur et le Maître ; mais il n'en prend pas moins d'abord l'attitude de l'esclave, et ne fait rien que par obéissance : c'est la condition pour que le Père soit avec Lui (Jn 8,29, cf. 15,10), Lui qui seul finalement parle et agit en Jésus (cf. Jn 14,10) (...) Enfin on ne peut [72] guère douter que la parole mise par saint Jean sur les lèvres de Pilate quand celui-ci présente aux Juifs leur Roi flagellé, couronné d'épines et revêtu de pourpre, soit à double sens, comme souvent dans le quatrième évangile : " Voici l'homme" (Jn 19,6) signifie en même temps : voici celui dont vous réclamez la mort, et voici l'image de l'homme réduit par le péché à la plus pitoyable condition ; on retrouve ici exactement la perspective paulinienne selon laquelle le Christ souffrant et humilié est la révélation même de la déchéance humaine. Plus qu'aucun autre auteur du Nouveau Testament, saint Jean met en lumière la divinité de Jésus. Son message n'en reste pas moins d'abord et essentiellement l'annonce du salut dans la Pâque du Fils de l'homme, impliquant pour Lui le passage d'une condition d'esclave à une condition glorieuse ; aussi, à ses yeux, confesser que Jésus est "venu dans la chair" (1 Jn 4,2, cf. 1 Jn 5,6), c'est-à-dire dans l'infirmité et l'indigence de la condition de créature, n'est pas moins fondamental que de croire que " Jésus est le Fils de Dieu" (1 Jn 5,5)  (...) 

    NOTE :

    La situation de l'homme par rapport au salut est fonction, selon saint Paul, de ce en quoi il "se glorifie". Aussi ce terme exprime quelque chose de tout à fait fondamental dans sa vision du mystère du salut. Les termes grecs, toujours du même radical, dont il use ici et que l'on traduit le plus souvent pas "se glorifier " évoquent l'attitude de fierté, d'orgueil, de gloriole quelque peu euphorique résultant du sentiment d'assistance et de sécurité qu'éprouve celui qui peut s'appuyer sur du solide. (...) Il y a ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes, dans leurs oeuvres, dans leur pratique ou même dans leur connaissance de la Loi (voire en Dieu, mais en Dieu considéré comme débiteur de l'homme, cf. Rm 2,13 !), mais tout cela c'est se confier dans la chair (voire se glorifier dans sa honte, Ph 3,19 !) ; ceux-là s'appuient sur le néant et tournent le dos au salut. Et il y a ceux qui mettent leur confiance en Dieu ou dans le Seigneur (1 Co 1,31) c'est-à-dire dans sa puissance (dans sa sagesse, dans sa grâce) ou, ce qui revient au même mais exprime la chose plus fortement, dans leur propre faiblesse (qui peut alors être habitée par la force du Christ ou de Dieu, 2 Co 12,5.9), ou encore , ce qui revient toujours au même, dans la Croix du Christ (expression suprême de la faiblesse de l'homme, Ga 6,14) : ceux-là s'appuient sur Celui qui ne trompe pas, ils ont trouvé la vraie voie du salut.

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

     

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan

  • L'appel à la nation ivoirienne de l'archevêque d'Abidjan (RCI)

    La situation de la Côte d'Ivoire actuellement me conduit à répercuter l'appel lancé par Mgr Jean-Pierre Kutwa à ses concitoyens.

    Portons dans notre prière nos frères ivoiriens. Que cessent les massacres dont sont responsables les "deux camps" et que le pays retrouve sa paix.

     

    Nous, Ivoiriens et Ivoiriennes, avions véritablement cru que l’élection présidentielle nous sortirait de la situation de ni paix, ni guerre, que nous vivions depuis une décennie. Cet espoir a été de courte durée. Le rêve que nous caressions d’une Côte d’Ivoire pacifiée et plus prospère que jamais, s’est brisé, nous laissant sur le palais et dans le cœur, un goût amer.

     

    Des difficultés de tous genres ont vu le jour, la situation socio-politique n’a cessé de se dégrader dangereusement. Des quartiers entiers et des villages se sont vidés de leurs populations. Ici et là, des familles entières ont repris le chemin de l’exode, abandonnant leurs maisons, dans la plus grande précarité, ou trouvant par bonheur, refuge dans certains lieux de culte ou dans des sites de fortune aménagés à la hâte, à cet effet, aux prises avec l’angoisse et le désarroi. On ne compte plus les cas de destruction de biens matériels quand ils ne font pas l’objet de pillages systématiques ou de convoitises sordides ignobles.

     

     

    Ce qui est en jeu derrière ce spectacle désolant ou outrageusement affligeant, c’est la vie, la vie humaine bafouée, banalisée, dépréciée détruite sans vergogne et sans discernement. Oui, on tue, on tue et on tue par balles, à l’arme blanche, par le feu et que sais-je encore ! C’est le lieu de vous inviter à deux efforts d’une grande nécessité :

     

    A) Le respect de la vie

    B) Notre devoir de protéger la vie.

     

    A) Le respect de la vie :

     

    Point n’est besoin d’argumenter longuement pour comprendre que la vie est sacré, et à ce titre, nous nous devons de tout faire, pour éloigner d’elle le spectre de la mort. Respecter la vie, c’est en définitive, respecter Dieu lui-même. Jésus-Christ, Fils de Dieu et Dieu lui-même s’identifiera à la vie : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14, 6).

    Dieu dans son amour pour nous, nous fait don de la vie et n’a de cesse de nous appeler à la vie. En retour et avec un esprit filial, nous nous devons de lui en être reconnaissant. Lui être reconnaissant, c’est d’abord aimer cette vie. C’est aussi soigner et rechercher constamment les moyens de protéger cette vie en nous et chez les autres.

     

    En ces heures sombres et difficiles que nous traversons, gardons à l’esprit et dans le cœur ce caractère sacré de la vie et ne ménageons pas nos efforts pour la protéger coûte que coûte. 

    B) NOTRE DEVOIR DE PROTEGER IMPERATIVEMENT LA VIE

     

    Dieu nous a donné un monde à transformer et des frères à aimer. Le 5ème commandement de Dieu nous dit : « Tu ne tueras pas » (Exode 20,13). L’épisode de l’assassinat d’Abel par son frère Caïn, nous interpelle à plus d’un titre : « Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. Le Seigneur reprit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi » (Genèse 4, 8. 10).

     

    Voilà pourquoi je vous lance cet appel pressant :

     

    1- Aux deux Leaders Politiques Protagonistes :

    · Pour l’arrêt immédiat des tueries, des agressions et autres formes de violences ;

    · Pour donner une instruction urgente à leurs états majors et militants pour l’apaisement des cœurs ;

     

    2- Aux Populations :

    · Pour rejeter la violence sous toutes ses formes, éviter de répandre les rumeurs et entretenir les suspicions ;

     

    3- Aux Médias :

    · Pour éviter les discours, propos et écrits haineux et l’incitation à la violence ;

     

    4- A toutes les Confessions Religieuses :

    · Afin de sensibiliser leurs fidèles à la culture de la paix, de la tolérance et de la non violence et de prier pour la conversion des cœurs des Ivoiriens et de tous ceux qui habitent la Côte d’Ivoire ;

     

    5- A toutes les Forces Militaires et Para-Militaires :

    · Pour assurer la sécurité des personnes et des biens et la protection de toute la population dans les différents quartiers, villages et les villes de l’intérieur, afin d’éviter les comités d’auto-défense qui transforment les jeunes en justiciers prompts à des exécutions extrajudiciaires ;

     

    6- A l’Union Européenne :

    · Afin qu’au nom du droit à la santé, elle lève l’embargo sur les médicaments.

     

    Je voudrais terminer cet appel en vous invitant à méditer l’âge d’or dans le Livre d’Isaie 11,6-9. Ce que Dieu annonce avec le monde animal de façon métaphorique, est possible pour l’homme, est réalisable, sinon Dieu ne l’aurait pas proposé à l’homme : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ours auront même pâture, leurs petits, même gîte. Le lion comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant y étendra sa main. Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte. »

     

    Que Dieu guérisse nos cœurs et nous élève tous pour une vie fraternelle et heureuse.

     

    Fait à Abidjan, le 21 mars 2011

     

    + Jean Pierre KUTWÃ

     Archevêque d’Abidjan