Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (11)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes... : au bout de la route

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    166

    On n'écoute pas assez les cantiques. Il faut pourtant bien, pour que la foule ait tant de cœur à les reprendre inlassablement, que leurs grâces naïves expriment quelque chose de l'âme d'un peuple. Ceux que chantent les gitans lors de la veillée du 23 mai ont un leitmotiv, et c'est la route. Non pas la " route enchantée " de Charles Trenet, mais celle où les pauvres cheminent entre les maisons des riches, celle où les fils de paysans rejettent dédaigneusement les fils de nomades, celle de la souffrance et de l'humiliation quotidiennes. La route, patrie de ceux qui demeurent, que nous le sachions ou non, le tiers-monde parmi nous.

    Ils disent, les cantiques gitans, que quand les nomades sont relégués sur les décharges communales, le Christ campe avec eux sur les immondices. Que, quand le " gadjo " lance ses chiens contre une pauvre gitane venue proposer à sa porte quelque mercerie dérisoire, le Christ est avec elle et saigne de leurs morsures. Que, aussi, lorsqu'une humble joie, un sourire amical, un air de guitare vient leur réchauffer l'âme et le cœur d'éternels voyageurs, le Christ - ils n'en doutent pas - est encore là pour sourire et chanter avec eux. 

    Le voyage, c'est toute leur vie et toute leur histoire, aussi loin que peut remonter la mémoire d'un peuple qui n'a pas appris l'écriture et qui n'eut jamais d'archives. Nulle population au monde n'a connu une aussi interminable migration.

    Depuis cinq siècles et demi qu'ils parcourent nos pays de vieille chrétienté, leur histoire est celle d'un long martyre. Le mot " racisme " n'était pas encore inventé que la méfiance et la haine s’exerçaient cruellement à l'égard de " l'autre ", celui qui était inexplicablement différent, corps étranger, épine et problème. Les civilisations n'ont jamais toléré que l'on vive en leur sein autrement que suivant leurs normes. "Comment peut-on être Gitan ?" Et malheur à celui par qui ce scandale arrive.  

    La Suisse, l'Italie, les Pays scandinaves, la Hollande décrètent leur bannissement. Le roi très chrétien Philippe V d'Espagne ordonne d'abattre sans sommation tout Gitan trouvé errant dans le royaume. Quand on ne les massacre pas, on les condamne à avoir 167 les oreilles coupées ou, comme Louis XIV, à ramer aux galères à perpétuité. En Valachie-Moldavie, on les réduit à l'esclavage et, comme du bétail, ils porteront le joug jusqu'à la fin du XVIIe siècle. En Roumanie, des boyards leur font mettre des crocs de fer autour du cou. Un règlement de 1835 fixe encore le prix auquel ils seront mis aux enchères publiques. On ne les affranchira qu'en 1865, il y a à peine un siècle... Il y a, parmi les Gitans en pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, des hommes et des femmes dont le grand-père était encore esclave.

    Le " despotisme éclairé ", puis le romantisme, tempèrent ces rigueurs mais au prix de nouvelles souffrances. On interdit aux Gitans l'usage de leur langue et de leurs activités traditionnelles, y compris la musique et la danse ; on enlève leurs enfants pour leur donner, aux frais de l’État, une éducation " décente "; on continue, avec ou sans textes juridiques à l'appui, à les traiter en parias. 

    Ces pages douloureuses semblaient définitivement tournées quand, au premier tiers du XXe siècle, le nazisme déferla sur l'Europe. Le monde entier sait que six millions de Juifs ont péri dans les camps d'extermination allemands. Mais qui se souvient que les tsiganes subirent le même sort atroce ? Ce peuple analphabète n'a pas publié le récit de sa lente agonie. Aucun monument ne rappelle la mémoire de ses martyrs. Et pourtant ...

    Himmler décide, dès décembre 1938, l'anéantissement des Tsiganes (...). A partir de 1942, on les entasse à Auschwitz où plus de vingt mille vont périr dans les chambres à gaz. On estime à deux cent mille le nombre des " Fils du Vent " exterminés dans les  camps de concentration. 

    Aux camps de la mort s'ajoutèrent les massacres. Trois ou quatre mille Tsiganes furent abattus dans les forêts de Pologne orientale où ils avaient cherché refuge. Les adultes furent fusillés, les enfants eurent la tête fracassée contre le tronc des arbres. En Serbie, ils servirent d'otages : pour un Allemand abattu par les partisans on exécutait cent Tsiganes. 168 Une commission d'enquête instituée - après la Seconde guerre mondiale - par le gouvernement yougoslave établit que, dans la seule Croatie, vingt-huit mille Tsiganes étaient tombés victimes des " Oustachis " d'Ante Pavelich. Cette tragédie, venant après tant d'autres, les Gitans ne l'ont pas oubliée. Pour certains, elle demeure marquée dans leur chair, où est gravée la lettre infamante : Z (Zigeuner) et le chiffre matricule du déporté.

    Quand en septembre 1965, les Gitans venus de toute l'Europe reçurent près de Rome la visite du pape Paul VI, chaque délégation eut à cœur d'offrir au Saint-Père un cadeau symbolique. Celui des Tsiganes allemands ne fut ni un tableau, ni une roulotte finement ciselée, ni une statut, mais un ostensoir fait de fils de fer barbelé.

    Il faut savoir cela pour comprendre tout le sens d'un rassemblement comme celui des Saintes-Maries-de-la-Mer, havre de paix, refuge de grâce, instant de trêve toujours aimé et toujours menacé au carrefour des routes sans but et sans fin, jalonnées de plus de larmes que de rires, de plus de rejets que de fraternel accueil. Ce n'est pas formule de style. Le tires des Gitans de France sont encore totalement nomades. Un autre tiers tiennent la route sept ou huit mois par an, pour se tapir l'hiver dans quelque coin et repartir aux beaux jours. Et combien des autres, tristes hôtes des bidonvilles ou sédentaires malgré eux, gardent la nostalgie de l'époque où ils étaient, eux aussi des "Gens du Voyage"...

    Le nomadisme leur donne certes des défauts, dont le moindre n'est pas 169 une instabilité chronique; mais aussi d'immenses qualités, qui sont celles des peuples errants. Ils ont le respect des anciens, toujours écoutés avec déférence, et nous méprisent d'oser abandonner nos vieux parents en les plaçant dans des maisons de retraite. Ils gardent jalousement la vertu de leurs filles, en dépit de toutes les promiscuités. Ils ont le sens profond de l'hospitalité. Quiconque est dans la peine, perdu, voire traqué entrera dans la famille sans qu'on lui pose des questions et y restera tant qu'il voudra. Ils ont enfin l'esprit de solidarité, poussé jusqu'au partage absolu des biens. Qu'un gitan ait de l'argent, et tout le monde en profite. Qu'il ait à payer une forte amende ou qu'un deuil vienne le frapper, et l'on vendra jusqu'au nécessaire pour lui venir en aide. (...)

    Venir aux Saintes-Maries-de-le-Mer, c'est se réfugier auprès de protectrices dont on sait qu'elles ne vous trahiront pas, à qui l'on va confier ses détresses et ses espoirs. C'est trouver, en Sara-la-Kâli, une petite "sœur" toute-puissante, à la peau basanée, et qui entend sûrement votre langue. C'est tenir le voeu qu'on a fait, du fond d'un grand désespoir, et repartir justifié, avec un peu de joie au cœur.  

    ------------------------------------------------------------------------------

    si vous souhaitez en savoir plus sur les Tsiganes : lien ici

     

     

     

     

  • Marie, femme de la chambre haute

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    115 Icône. Par ce terme, on désigne les images sacrées peintes sur bois, que les Orientaux vénèrent avec une dévotion particulière. Enveloppées de lumière, elles renferment une étincelle de mystère divin. C'est pour cela justement que quelqu'un les a définies comme les fenêtres du temps, ouvertes dur l'éternité.

    Icône. Par ce terme, peut-être à cause de la netteté des traits qu'on emploie pour leur esquisse, on désigne aujourd'hui les scènes bibliques qui renferment un message important de salut, avec la force immédiate des images.

    Eh bien, le premier chapitre des Actes enregistre une de ces icônes d'une splendeur extraordinaire, lorsqu'il dit qu'après l'Ascension, les apôtres, qui attendaient l'Esprit Saint, montèrent à la chambre haute, où ils se tenaient habituellement (Ac 1,13). Et il y avait aussi avec eux Marie, la mère de Jésus.

    C'est le dernier épisode biblique où l'on voit apparaître Marie. Elle se soustrait définitivement de la sorte, aux feux de la rampe. Du haut de cet emplacement. De l'étage supérieur. Comme pour nous indiquer les niveaux spirituels sur lesquels  doit se dérouler l'existence de chaque chrétien.

    En vérité, toute la vie de Marie s'est développée, pour ainsi dire, à haute altitude.

    Non pas qu'elle ait méprisé le domicile des pauvres gens. Bien au contraire. Les femmes des bergers échangeaient avec elle des laines et des fromages contre un drap cousu de ses mains. Ses voisines 116 ne s'aperçurent jamais du mystère caché dans cette vie apparemment si simple. Les paysannes de Nazareth ne firent pas non plus avec elle l'expérience de cette distance avec laquelle souvent celui qui fait carrière mortifie ses amis d'autrefois. Elles allaient au marché ensemble. Elle marchandait comme elles. Elle sortait avec les autres dans la rue, après les averses de l'été, pour endiguer les torrents de pluie. Et, les soirs de mai, sa voix résonnait dans la cour, jointe aux chœurs des anciennes mélopées orientales, mais sans dépasser les autres.

    Bref, Marie, même consciente de son extraordinaire destin, n'a jamais voulu vivre dans les beaux quartiers. Elle ne s'est jamais élevée sur un piédestal de gloire. Elle a toujours refusé les pinacles qui l'auraient privée de la joie de vivre au même niveau que les gens communs.

    Toutefois elle s'est certainement réservée un très haut observatoire d'où elle pouvait contempler non seulement le sens ultime de son aventure humaine, mais aussi les longues trajectoires de la tendresse de Dieu. (...)

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, splendide icône de l’Église, tu avais déjà vécu ta propre Pentecôte au moment de l'annonce de l'Ange, quand l'Esprit Saint descendit sur toi et que la puissance du Très-Haut étendit sur toi son ombre (...)

    Donne à l’Église l'ivresse des hauteurs, la patience du long terme. (...) Préserve-la de la tristesse de s'enliser, sans issue, dans les périmètres étroits du quotidien. Fais-lui regarder l'histoire selon les perspectives du Royaume.

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, aide les pasteurs de l’Église à habiter ces régions élevées de l'esprit (...). Attendris leur esprit pour qu'ils sachent dépasser la froideur d'un droit sans charité, d'un syllogisme sans fantaisie, d'un projet sans passion, d'un rite sans illumination, d'une procédure sans génie, d'un logos sans sophia. (...)

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, fais-nous contempler de ta fenêtre les mystères joyeux, douloureux et glorieux de la vie (...) ce n'est qu'à cette hauteur que le succès ne donnera pas le vertige, et à ce niveau seulement les défaites nous empêcheront de nous laisser précipiter dans le vide (...) 

     

  • L'Ascension du Seigneur (année liturgique A)

    Références scripturaires de la liturgie de ce jour : Ac 1, 1-11 - Eph 1,17-23 - Mt 28,16-20

    homélie du P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  - " L'Amour du Père révélé dans sa Parole ", homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

    143

    Le début de l' évangile de Matthieu commence par la promesse de l'Emmanuel, Dieu avec nous, par l'annonce de l'évangile à la Galilée des païens. Dans le texte de la finale de Matthieu que nous avons aujourd'hui, il y a la correspondance exacte à ses annonces. Le Seigneur dit : " Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps." Et il demande à ses disciples d'aller en Galilée pour l'annoncer. Annoncer l’Évangile, annoncer le Mystère de de Dieu : " Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples." Cet universalisme des évangiles nous appelle à devenir chrétiens pour annoncer l' évangile à nos frères et pour en être de vrais témoins.

    En effet, la finale de saint Luc nous rappelle les paroles suivantes de Jésus : " Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour, et qu'en son Nom le repentir, en vue de la rémission des péchés, serait proclamer à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoin." Les disciples sont témoins du Christ, témoins de l'amour du Père, ils sont témoins dans la vie de l'Esprit Saint. Comme il est dit dans les Actes des apôtres : " Vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre ".

    Actuellement on parle beaucoup de témoignage. Mettons-nous dans ce mot la signification évangélique ? J'en doute très fort. On témoigne de tout et de rien, on témoigne en parlant, en partageant les expériences faites.

    144 Mais nous oublions que le mot témoignage a une autre ampleur : il s'agit d'être dans la puissance d'amour du Christ. Des hommes ont fait l'expérience du Christ, des hommes ont fait l'expérience de Dieu dans leur vie : la sagesse de Dieu les habite. 

    St Paul demande pour ses fidèles l'esprit de sagesse : " Que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment. Qu'il ouvre votre cœur à sa lumière pour vous faire comprendre l'espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l'héritage que vous partagez avec les fidèles, et la puissance infinie qu'il déploie pour nous, les croyants ". Le Père agit dans nos vies de la même manière qu'il a agi dans la vie du Christ. Puisse t-il agir dans vos vies avec la même puissance, celle de la résurrection. Car témoigner c'est faire l'expérience de cette résurrection en nous. Il faut d'abord croire. Croire que la puissance de Dieu est à l’œuvre dans nos vies. Croyons-nous en vérité que la puissance de Dieu qui a ressuscité Jésus Christ d'entre les morts est à l’œuvre dans nos vies ? Elle doit être première dans nos vies pour que nous puissions en être les témoins mais attention, témoins dans l'Esprit Saint. C'est la gratuité du don de Dieu qui est première dans nos vies. Dieu d'abord. Il faut faire l'expérience du mystère du Seigneur, de ce mystère si simple et si étonnant que saint Paul et les apôtres chantent dans tout leurs textes.

    Pour être témoins de l'espérance , il faut laisser la parole de Dieu entrer en nous, nous transformer et nous transfigurer. Cette parole doit faire de nous des disciples et cela dans l'obéissance ; le témoignage repose sur l'obéissance du Christ à son Père. Au cœur de notre témoignage, il y a donc cette obéissance au cœur de notre vie, ce don de nous-mêmes à Dieu qui peut tout transformer. 

    " Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. " Voilà ce que dit Jésus avant de se 145 séparer de ses disciples. Le commandement du Seigneur est au cœur même de l' évangile de Jean : " Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements " (Jn 14,15). Le Christ ne fait que ce qui plaît au Père ; si nous sommes pris dans le mystère de Dieu, il en sera de même pour nous. 

    A l'Ascension, le Christ disparaît aux yeux de ses apôtres. " Il vous est bon que je m'en aille " (Jn 16,7). Il disparaît pour être avec eux : " Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps ".  Le mystère du Seigneur, c'est le mystère de cette présence totale, enveloppante et décisive. " Et moi ". Nous connaissons l'ampleur de ce moi divin qui nous ramène au " Je Suis " de l' exode. Croyons-nous à cette parole du Seigneur ? Croyons-nous que " Je Suis " est avec nous jusqu'au bout, croyons nous qu'il nous mènera comme il a mené son propre Fils ? Le Seigneur nous demandera de prendre le même chemin, de le suivre jusqu'au bout, jusqu'au bout de l'amour. Il n'y a rien d'autre à demander si ce n'est de marcher à pas d'amour dans la foi et de se redire chaque qu'une difficulté se présente : " Moi, je suis avec vous ". Quelle intimité prodigieuse nous assure cette parole ! " Moi, je suis avec vous " définitivement pour vous guider, pour vous défendre, pour vous faire marcher dans les sentiers qui sont les miens  et cela jusqu'à la fin du monde. Cette parole transmise par Matthieu résume la toute-puissance dans laquelle le Christ est établi ; il est debout, à la droite du Père, il possède la même puissance que le Père et c'est lui qui nous donne l' Esprit.

    Dans l'Eucharistie, nous demanderons au Seigneur cette sagesse qui permet de comprendre la puissance de la Résurrection. Cette sagesse est au cœur de l'action de Dieu dans le monde. Certes, elle ne nous paraît pas très apparente, cependant nous savons bien que Dieu tourneboule le monde pour qu'une âme rencontre librement son propre mystère. Dieu n'a qu'un désir : se faire connaître à tous les 146 hommes. Si nous ne le connaissons pas, il faut le demander, il se donnera dans l'Esprit Saint. Dieu est prêt à tout pour que nous l'aimions du fond de notre cœur et que nous soyons ses témoins, c'est-à-dire des êtres illuminés par la présence de Dieu, des êtres qui s'adressent à leurs frères dans la simplicité du cœur et agissent conformément à l’ évangile. Témoigner, cela veut dire être, être témoin. Cela demande d'avoir une qualité de présence et d'écoute. Nous avons à demander cela au Seigneur avec joie, avec paix, avec certitude.

    " Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. " Si cette parole pénétrait définitivement dans votre cœur, tout serait changé. Qu'importe le reste, si nous sommes avec lui dans la sagesse de Dieu, dans cette puissance invraisemblable qui est la puissance de la résurrection. Nous sommes promis à la résurrection. Ce n'est pas une opinion comme une autre, c'est la vérité. La résurrection éclatera en nous comme elle a éclaté dans le Christ, avec la même force. La vie, c'est de participer à ce don de l'Esprit, ce don du Fils que le Père nous a fait. Nous vivons dans l'amour mutuel du Père et du Fils, c'est le Saint Esprit. " Moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde."  Que cette parole pénètre vos cœurs, qu'elle y demeure et qu'elle transforme votre vie. Amen ! 

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (10)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    61

    Depuis leur arrivée en Europe, les Gitans ont toujours trouvé des protecteurs éclairés parmi l'élite intellectuelle et dans l'aristocratie. En Camargue, ils conquirent l'amitié du dernier grand seigneur de Provence : Folco de Baroncelli-Javon. Celui-ci avait entrepris de rendre vie à cette pauvre terre camarguaise, qui sombrait dans la misère et l'oubli. Il avait permis, notamment, la sélection des races camarguaises de chevaux et de taureaux, et si bien chanté Les Saintes-Maries-de-la-Mer que chacun, dans l'antique cité, le tenait pour un sauveur providentiel. 

    Baroncelli se lia d'amitié avec un Gitan influent, Coucou, de son vrai nom Manuel Baptiste, à qui son exceptionnelle intelligence avait valu une grande autorité sur tous ses frères de race. Quand Coucou avait parlé, nul ne se permettait de discuter.

    62 Il était reçu au mas du marquis, le "Simbeu", en compagnie des belles dames de la région, naïvement flattées de partager la table d'un si intéressant personnage. Or Coucou souffrait de voir les Gitans, et surtout la pauvre Sara, tenus à l'écart des fêtes de mai. C'est ainsi qu'en 1935, le marquis de Baroncelli, le félibre José d'Arbaud et le peintre Hermann Paul firent le siège de l'archevêque d'Aix et obtinrent de haute lutte l'autorisation, pour les Gitans, de sortir Sara en procession jusqu'à la mer.

    Un petit Gitan, portant une croix trop lourde pour lui, précédait cet étrange défilé qu'escortaient la " Nation gardiane " à cheval et un groupe d'Arlésiennes en costume. Pas un prêtre n'y assistait car Sara, bien que la tradition la tienne pour la servante des Saintes Maries, ne figure pas au martyrologe romain et son culte n'a jamais reçu de consécration liturgique. La procession de Sara, si elle mit les Gitans à l'honneur, contribua encore un peu plus à les écarter des cérémonies officielles. " On allait voir défiler les Gitans ", reconnaît un vieux saintois, " comme les Blancs d'Afrique du Sud vont voir danser les Zoulous..." 

    Vint la guerre de 1940. Le racisme nazi fit périr dans les camps de concentration des centaines de milliers de Gitans. Entre les barbelés, des prêtres, des religieuses, des laïcs se glissèrent, au péril de leur vie, pour apporter aux internés un message de fraternité et d'espoir. Il en naquit, la paix revenue, une aumônerie catholique tout entière consacrée aux Gitans et aux Tsiganes qui , à partir de 1953, prit spirituellement en charge leur pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

    63 (...) Le plus récent historiographe du pèlerinage, le chanoine Mazel, ancien curé-doyen des Saintes-Maries en donne la version suivante : " Dans la crypte de l'église, on voit  la statue de sainte Sara, son autel, ses reliques ; les Bohémiens l'honorent comme leur patronne, spécialement le 24 mai. D'après eux, elle était une des leurs, originaire de la région, la première convertie par les saintes, et leur servante... Attirés par le célèbre pèlerinage des Saintes-Maries, ils y auraient trouvé des reliques de Sara l’Égyptienne, apportées là anciennement. Cette sainte, vierge et abbesse d'un grand couvent de Libye, est fêtée par l’Église  le 14 juillet. Ayant déjà connu en Orient la dévotion à sainte Sara, tout heureux de retrouver ses reliques, ils l'auraient adoptée comme patronne et auraient associé 64 son culte à celui qu'ils venaient rendre aux Saintes Maries." Le conditionnel est prudent car cette hypothèse ne résiste pas à l'examen. Ce qu'on appelle la "tradition gitane" n'est généralement que le reflet, répercuté par les Tsiganes, de ce qu'on vient de leur apprendre ! Sara est absolument inconnue dans le monde  et son nom n'évoque quelque chose que pour les Gitans qui ont séjourné en France, ou en Europe occidentale. Et comme il est plus que douteux que les Gitans soient jamais passés par l’Égypte, leur dévotion pour Sara demeure inexpliquée.

    La présence de Sara aux côtés des Saintes Femmes connaît, selon les auteurs, deux versions. Pour les uns, elle était la servante des deux Marie et aurait volontairement partagé leur exil. Pour d'autres (dont  " l'école " de Baroncelli), c'était une autochtone, Gitane ou non, établie avec les siens sur les rivages de la Camargue. La Bible n'en fait pas mention, bien que le nom apparaisse à diverses reprises. (...)

    65 Ce que l'on sait de certain, c'est que la dévotion à Sara commença, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, bien avant que les Gitans ne la fassent leur. Jean de Venette, carme de Paris, termina en 1357 un poème de plus de seize mille vers intitulé : " histoire des Trois Maries "

    A suivre...

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (9)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    53

    L'arbre si chargé soit-il de fleurs rares et de fruits abondants, ne doit pas nous masquer la forêt. Cent fois répercuté, amplifié, magnifié par la radio, le cinéma, la télévision, le pèlerinage gitan des 24 et 25 mai ne saurait nous faire oublier que Les Saintes-Maries-de-la-Mer sont, depuis plus de dix siècles, d'abord un pèlerinage languedocien et provençal. Ni sa légende ni son histoire ne font la moindre place aux Bohémiens jusqu'à une date relativement récente. Il nous faudra donc quitter le peuple du Voyage avant d'aborder la tradition camarguaise, bien antérieure à son apparition sur les bords du Petit Rhône. Que ce ne soit pas sans avoir tenté, cependant, de comprendre sa présence en ce delta où la terre, le ciel et la mer se confondent.

    Il est entendu, une fois pour toutes, que les Gitans viennent aux Saintes-Maries-de-la-Mer " depuis un temps immémorial". Ce n'est qu'une façon de dire qu'on ignore à quelle date ils ont commencé à fréquenter le sanctuaire. Chantre inspiré de la 54 Camargue dont il reste une figure inoubliable, le marquis de Baroncelli avait résolu l'énigme en poète épris du mythe atlantéen. Selon lui, les Gitans étaient, avec les Peaux-Rouges, les Basques, les Égyptiens et les Bretons, des survivants de l'Atlantide. Fuyant devant les invasions ibères, ils seraient arrivés en Camargue, y important ainsi les derniers chevaux sauvages. Ce seraient donc, en quelque sorte, des autochtones, les "plus vieux Européens" comme les Peaux-Rouges sont "les plus vieux Américains".

    Ce curieux amalgame s'explique assez aisément : le marquis était fasciné par les Indiens d'Amérique, dont une délégation avait séjourné en Camargue. Il entretint une correspondance très suivie avec le chef White Horse, le seul qui écrivait à peu près correctement en anglais. On assure qu'il conduisit même, certain jour de mai, plusieurs Peaux-Rouges à la procession de Sara.

    Pour lui, l'étrange attirance des Gitans pour le pays des salicornes s'expliquait donc aisément : " Bien longtemps avant le christianisme, lorsqu'ils erraient librement sur tous les rivages de la Méditerranée, ils avaient déjà ici leur port d'attache, leur temple vers lequel ils revenaient périodiquement, probablement à l'époque où le soleil monte le plus haut dans le ciel. Mais un rameau de la race est demeuré sur place depuis les origines, gardien du temple et du pèlerinage. Et c'est l'une d'elles, Sara, qui fera la liaison avec le christianisme. C'est pourquoi ils viennent toujours. Ici a été baptisée leur race." ("Les bohémiens et Les Saintes-Maries-de-la-Mer"  Revue d'Arles, 1941)

    Toute une lignée de poètes provençaux a chanté l'histoire de Sara, prêtresse de Mithra et princesse bohémienne, qui se serait rendue au-devant de la barque des Saintes "commandant un bateau de trente rames" et l'aurait remorquée jusqu'au rivage. (...)

    55 ... la tradition provençale assure que Sara et les siens furent les premières personnes converties au christianisme par la cohorte des exilés de Terre sainte. Elle trouve une justification dans le fait, historiquement attesté, que l'oppidum Râ, qui s'élevait à l'emplacement actuel des Saintes-Maries, était habité par des Égyptiens, des Crétois, des Phéniciens et des Grecs qui, par le fleuve, pénétraient à l'intérieur des terres. Mais des Gitans ?

    L'origine du peuple gitan demeura longtemps une énigme. Les noms qu'ils se donnèrent eux-mêmes au moment de leur arrivée en Europe occidentale prêtèrent longtemps à confusion. Ils se disaient "Égyptiens" et on les prit pour tels. Mais ils étaient également porteurs de lettres de recommandation de Sigismond, roi de Bohême ; et l'usage s'établit de les appeler "Bohémiens".

    On sait maintenant que la vérité est tout autre. L'étude attentive des divers dialectes tsiganes a permis d'établir que tous avaient une origine commune ; et qu'elle était indienne. On localise aujourd'hui le départ de leurs migrations entre les rives de l'Indus et les confins de l'Afghanistan. La "préhistoire" du peuple gitan n'en présente pas moins encore un certain nombre d'obscurités. On ne sait ni quand ni pour quelles causes il a quitté sa patrie d'origine, pour s'enfoncer toujours plus loin vers l'Ouest. 

    On les trouve en Grèce en 1322, en Valachie à partir de 1370. 56 Et, en 1419,  la première troupe atteint la France. Le 22 août, elle se présente devant la petite ville de Châtillon-sur-Chalaronne, où elle reçoit un accueil généreux. Les archives de la ville d'Arles gardent la trace de leur passage dans la cité provençale en avril 1438. Ce qui les situe à dix lieues des Saintes-Maries-de-la-Mer dix ans avant la découverte des reliques des saintes et de celles de Sara (...)

    Il est probable, en revanche, que dès le XVe siècle certains groupes tsiganes se rendaient aux célèbres foires de Beaucaire. On peut supposer qu'ils "descendaient"  jusqu'en Camargue à l'occasion des pèlerinages. Mais de ces visites, il ne subsiste aucune trace. Le fait est d'autant plus insolite  que leur présence est mentionnée, vers la même époque, en d'autres lieux de dévotion. On sait que les premiers Tsiganes arrivèrent en Europe occidentale avec le titre, usurpé ou non, de pénitents et de pèlerins. Ils participèrent pendant plus d'un siècle au grand pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Un mandement de 1508 les autorise à traverser le duché de Bretagne pour aller prier au Mont-Saint-Michel et, en 1594, une petite bohémienne est miraculeusement guérie à Notre-Dame des Ardilliers, près de Saumur.   On trouve encore plusieurs documents montrant des " gens de Bohème " en route vers le sanctuaire de sainte Reine, en Bourgogne. Comment croire qu'aux Saintes-Maries-de-la-Mer, leur venue n'eût pas attiré l'attention ? 

    Comme on voudrait être démenti ! Mais, aux archives paroissiales, aucun acte ne laisse deviner, avant le début du XIXe siècle, une appartenance au groupe gitan. Et les premiers qui attirent l'attention sont pour le moins douteux. (...)

    57 Le premier témoignage écrit que nous possédions sur leur participation aux festivités saintaises est de Frédéric Mistral. Racontant sa visite en Camargue en 1855, il écrit : "L'église était bondée de gens du Languedoc, de femmes du pays d'Arles, d'infirmes, de bohémiennes, tous les uns sur les autres. Ce sont d'ailleurs les bohémiens qui font brûler les plus gros cierges, mais exclusivement à l'autel de Sara qui, d'après leur croyance, serait de leur nation" (Mémoires et Récits, 1906)

    Le "Journal" soigneusement tenu à jour par les curés des Saintes de 1861 à 1939, et conservé au presbytère, ne nous est pas d'un plus grand secours. En 1862 cependant, le desservant, relatant la bénédiction des nouvelles statues des Saintes Maries, note en passant : " Les Bohémiens, qui ont été en trop grand nombre peut-être, ont fait éclater des transports de joie qui ont surpris tout le monde."

    A suivre...

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (8)

     

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    "La fête du 25 mai est, liturgiquement, celle de Marie-Jacobé. Celle de Marie-Salomé se célèbre le 22 octobre, ou le dimanche le plus proche de cette date." (M. Colinon)

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

     47

     Le 25 au matin, le village a les traits tirés. On les aurait à moins. Mais les pèlerins sont parés pour la grand-messe quand, entre les créneaux du donjon, s'ébranle l'envolée des cloches. Des routes d'Arles et d'Aigues-Mortes convergent des centaines de voitures bondées de ferveurs nouvelles. Et l'église déborde de fidèles quand, la messe dite, le grand portail s'ouvre pour la procession à la mer.

    Ce n'est plus tout à fait la ruée d'hier. L'abondance des gardians à cheval y est sans doute pour quelque chose. La foule est aussi moins dense : peut-être un millier de personnes, où les Gitans sont en nette minorité. Ce sont pourtant quatre des leurs qui, traditionnellement portent sur leurs robustes épaules la barque d'où émergent à peine Marie-Jacobé et Marie-Salomé, engoncées jusqu'au cou des vêtures successives de la piété bohémienne. Et c'est le même long chemin que la veille, jusqu'à la plage où le clergé monte sur un bateau de pêcheurs décoré de rubans et de fleurs. 

    Mgr de Provenchères [1904-1984] s'avance jusqu'à la proue, d'où il domine l'arc-de-cercle des gardians sur leurs petits chevaux aussi blancs que l'écume, l'escorte des Gitans tenant haut la nef des Saintes, et la foule à peu près également répartie entre la mer qui lui vient à la ceinture et la plage où elle attend que les rites s'accomplissent. Le prélat lève très haut le "Saint Bras" qui renferme des reliques des Saintes Maries. Le reliquaire d'argent bénit la mer et l'assistance. La foule se signe, puis le cortège se reforme et reprend le chemin de l'église, où son retour est accueilli par le frémissement des cloches lancées à toute volée et le chant du "Magnificat". 

    A peine a-t-on pris le temps de déjeuner qu'on se retrouve bien vite à l'église pour la remontée des châsses. Quel Provençal, quel Languedocien de bonne race voudrait manquer pareil rendez-vous ? Des familles de Nîmes et de Lunel ont amené leurs fauteuils pliants et s'installent aux avant-postes. Des matrones 48 prévoyantes ont investi des rangées entières de bancs et montent bonne garde, écartant sans pitié les intrus. On s'interpelle d'une travée à l'autre : "Où elle est Ninette ?"..." Henri, viens ! Je t'ai gardé une place !"

    Les Gitans vont et viennent dans la nef, s'arrêtant devant le puits. Ils y plongent un seau muni d'une chaine, le remontent et en remplissent des bouteilles. En se dirigeant vers la crypte de Sara, ils embrassent poliment, sur les deux joues, les statues des Saintes déposées à l'entrée des marches. Certains posent sur leurs têtes une main respectueuse. On se tasse un peu pour faire place à un groupe d'étudiants qui arrive d'Avignon à pied. On se désigne du doigt deux cavaliers venus de Paris à cheval. Les conversations cessent cependant quand l'officiant  entonne les premiers cantiques : " O grandes Saintes Maries" et "Courons aux Saintes-Maries", que l'assistance  reprend avec ardeur, et dont l'intensité redouble à l'entrée de Monseigneur l' archevêque. L'allocution traditionnelle, dite " Adieu aux Saintes ", apporte un répit passage. Les matrones en profitent pour moucher les marmots et tirer d'incroyables boites métalliques des bonbons qu'elles font circuler à la ronde.

    A mesure que la cérémonie s'avance, un mouvement se dessine dans la foule. On se presse tout contre les châsses qui vont bientôt repartir, comme pour les protéger, les garder encore un peu avec soi. Pourtant, l'inéluctable arrive : les machinistes amorcent la descente des câbles, qu'on passe autour des coffres sacrés. Et la lente remontée commence. Les fidèles chantent à pleine voix, avec parfois comme des sanglots étouffés : 

              O Saintes de Provence

              Nous vous tendons les bras...

    et, dans le même instant, cent bras se dressent pour les toucher encore, caresser le bois enluminé, s'agripper au dernier rebord.

    49 C'est fini ; elles sont maintenant hors de portée. Sans respect humain, des femmes, des hommes même laissent couler leurs larmes. A mesure que les câbles gagnent la chapelle haute, les machinistes en détachent un à un les bouquets que les familles saintoises conserveront précieusement jusqu'à l'an prochain. Un Pater, un Ave Maria et les châsses ont atteint la haute fenêtre, devant laquelle elles s'immobilisent. Elles resteront là une semaine, au terme de laquelle le rideau de fer se refermera sur elles. 

    Mgr de Provenchères bénit maintenant les pèlerins. Il a une intention spéciale pour les Gitans, auxquels il s'adresse en ces termes : " Chers Gitans, tous les pèlerins des Saintes devraient être vos amis. Car vous avez droit au respect et à l'amitié. N'est-ce pas normal qu'au moins une fois par an, les Gitans se sentent à l'aise dans une église ? Tous les jours, j'évoque pour vous, avec vous votre patronne sainte Sara, en même temps que les saintes Maries Jacobé et Salomé "...

    Quelques matrones scandalisées murmurent : " Eh bé !... Eh bé ! "... Pour elles, quoi qu'on dise et qu'on fasse, les Fils du Vent ne seront jamais de la paroisse ! Mais, après être allées processionnellement embrasser le saint Bras, elles chanteront de tout leur cœur le vieux chant de ralliement : " Prouvençau e catouli " ! En souhaitant sans doute, secrètement, que les Grandes Saintes les protègent, entre autres malaventures, du mauvais œil des  " Romanichelles "...

     

      A suivre

  • Année A - Sixième dimanche de Pâques

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche  : Ac 8, 5-17 - 1 P 3, 15-18 - Jn 14, 15-21

    Texte (i-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    139

     

    Saint Pierre nous exhorte aujourd'hui à "rendre compte de l’espérance qui est en nous." Témoigner de notre espérance est vraiment la chose la plus importante qui soit puisque l'espérance habite notre cœur par le fait que Jésus est ressuscité. Nous avons à en rendre témoignage devant nos frères. Or saint Paul dit que le monde païen est un monde sans Dieu et sans espérance. C'est dans ce monde sans espérance que nous vivons : voilà pourquoi se dévoile la profondeur du mal, de la souffrance et de l'atrocité des choses.

    Rendre compte de l'espérance. Y réfléchissez-vous ? Nous sommes-nous demandés jusqu'où cela mène, témoigner de l'espérance ?  D'autant plus que Pierre nous rappelle " d'avoir une conscience droite, pour faire honte à vos adversaires au moment même où ils vous calomnient." Êtes-vous capables de témoigner de l'espérance de la résurrection ? Oui, l'espérance de ressusciter avec le Christ est déjà dans cette vie, l'espérance nous entraîne, c'est un mouvement qui part du cœur du Père par le Christ qui lui-même, dans l'Esprit Saint nous fait rejoindre le cœur du Père.

    "Le Christ est mort au péché une foi pour toutes" (Rm 6,10). Dans sa chair il a été mis à mort, selon l'esprit il a été rendu à la vie. Nous avons dans notre vie cette présence extraordinaire : il faut le réaliser. Car enfin, que se passe-t-il ? Il se passe que si nous aimons le Seigneur et si nous lui sommes fidèles, le Seigneur nous donne un défenseur, un avocat, un esprit de consolation ou plus fortement un esprit de vérité qui témoigne de l'amour du Père pour nous. 

    140

    Dans ce temps préparatoire à la Pentecôte, nous devons demander de découvrir l'Esprit Saint qui n'est pas une personne abstraite. C'est une personne, nous dit le Christ, que nous connaissons puisqu'il demeure en nous. Réalisez que l'Esprit Saint est là, au cœur de chacune de nos vies dans la communauté, dans l’Église entière. " Je ne vous laisserai pas orphelins." C'est cela qui est merveilleux. Au moment où il part, le Seigneur, qui va quitter ses disciples, leur dit : "Je reviens vers vous". Partir signifie venir et si le Christ part, c'est pour nous donner l'Esprit Saint. Si le Christ meurt sur la croix, c'est pour nous donner l'Esprit Saint. Si Jésus Christ est venu dans  notre monde, s'il a pris notre humanité, c'est pour qu'en nous donnant l'Esprit Saint  nous communions au mystère du Christ et que nous découvrions que nous sommes dans le Père, avec le Christ, et que nous sommes en lui. " Vous êtes en moi, et moi en vous."

    Nous avons à rendre compte de l'espérance en croyant vraiment que le Saint-Esprit nous habite, en croyant que nous sommes aimés de Dieu et qu'il nous appelle à l'aimer davantage. "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père." Il n'y a pas de parole plus étonnante dans l’Évangile que ces paroles d'amour, d'amour incessant, d'amour qui nous poursuit, d'amour qui nous met près de lui et qui se donne. 

    "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui". Nous avons à être des hommes debout face à la tourmente, face à la tempête. L’Évangile est vrai. Dieu n'a jamais biaisé devant l'atrocité du mal. Le mal est là et s'amplifie tous les jours. La vision que donne le Christ de l’Évangile n'est pas une vision facile ni commode. C'est une vision d'espérance.  

    "Je viens vers vous" et non je reviens car dans le départ du Christ, tout est déjà donné, tout, tout le mystère du Christ. Nous sommes entraînés dans son mystère et nous y communierons. Si Jésus a fait la volonté de son 141 Père, nous la ferons aussi. Vous voyez : si Jésus a été fidèle, nous devons être fidèle.

    "Je suis le Fidèle" dit le Christ dans l'Apocalypse [c'est le dernier livre de la Bible. Le terme "apocalypse" vient du grec qui signifie "dévoilement"]  Nous avons à être les fidèles au sens fort du mot c'est-à-dire que cet amour nous lie au Christ. C'est une alliance indissoluble qui nous emporte avec lui.

    Il faut demander les uns pour les autres l'espérance malgré toutes les tourmentes, malgré toutes nos faiblesses, malgré tous nos péchés. Le Seigneur est lumière et il est vérité. Nous n'avons qu'une chose à lui demander : qu'il se manifeste à nous. Nous sommes ses enfants, nous ne sommes pas orphelins. Nous sommes aimés, enveloppés d'amour, pris dans l'amour. Le monde ne peut pas savoir ce que cela signifie. Je dirai même que le chrétien qui ne se laisse pas prendre par la réalité du mystère du Christ ne peut comprendre de quoi il s'agit. Mais celui qui se laisse prendre découvre l'aventure que le Seigneur veut nous faire vivre avec lui. Je te connais personnellement, je te connais et je t'aime.

    Le monde est incapable de comprendre le mystère d'amour de Dieu qu'il nous donne librement. Demandons au Seigneur, dans l'Eucharistie, d'être pris dans la tornade de son amour. Il s'agit de se laisser emmener là où Il veut. Alors nous témoignerons de l'espérance d'être avec lui, un jour, ressuscités dans la gloire, dans la joie, dans la paix. Amen !

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (7)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

     

    Dix jours aux Saintes...

     

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

     

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

     43

    Nous voici  parvenus au bord de la mer. Les chevaux y entrent les premiers et forment un demi-cercle. Sara les suit, sur les épaules de ses porteurs. Puis, dans un élan irrésistible, la foule gitane entraînant les curieux sur son passage. Les jeunes Gitanes ont de l'eau jusqu'aux genoux, mais ne font pas un geste pour relever leurs longues robes. Comme les hommes, elles sautent joyeusement sur place, poussent des cris et frappent dans leurs mains, sans que personne puisse expliquer le sens de cette exaltation. Puis tout le cortège fait demi-tour et, sous l'ardent soleil de mai, reprend le chemin de l'église. Il s'effiloche tout au long du parcours, chacun s'écartant au moment où il passe devant ses caravanes. Quand Sara regagne la crypte, elle n'a plus autour d'elle qu'une centaine de fidèles, que deux heures de marche et de cris n'ont pas épuisés. Longtemps encore, elle recevra visites et hommages, l'humble servante devenue reine d'un peuple aussi étrange qu'elle. 

    Jusqu'à minuit, les gitans ne cesseront de pénétrer dans l'église, pour y accomplir une série de dévotions au déroulement presque immuable. La première halte s'effectue devant la barque des Saintes Maries, dont les statues jumelles commencent à ressembler à celle de Sara et à disparaître sous les vêtements dont les parent les Gens du Voyage. Une vieille Gitane, portant sur le bras deux somptueux manteaux brodés de paons bleus et or, est là depuis plusieurs minutes. Elle est trop âgée et trop faible pour se hisser sur la pierre d'autel et atteindre les saintes. Un jeune Boumian grimpe à sa place et attache les vêtements, prenant grand soin d'en arranger les plis avant de redescendre. La vieille tend la main, la pose sur chacune des Saintes puis la porte dévotement à ses lèvres.

    D'autres Gitans traversent la nef, les bras chargés de cierges énormes. arrivés devant les châsses, ils s'arrêtent, déposent leur fardeau et étreignent à pleins bras les coffres jumeaux. Longuement, ils y posent un bouquet de feuillages qu'ils remporteront avec eux. Puis ils gagnent, d'un pas assuré, la crypte de plus en plus enfumée.

    44 Leurs cierges allumés, ils s'approchent de la statue et, à tour de rôle, embrassent son visage bruni. Puis ils entreprennent  de se photographier mutuellement avec elle. Un tout jeune garçon, d'un geste spontané et touchant, saisit la robe de Sara et l'étreint contre son cœur. Quand c'est au père de poser, il passe un bras presque tendre autour du cou de Sara et son visage prend un air d'intense gravité. C'est vraiment la "photo de famille", et le plus sceptique s'avoue attendri et ému. 

    Avant de quitter la crypte, la mère de famille glisse subrepticement dans le coffret préparé à cet effet un objet invisible. Ce réceptacle des intentions laisse deviner, à travers une vitre jaunie, quelque-uns de ses secrets. Il y a là, entassés les uns sur les autres, des fragments de vêtements, des mouchoirs, des mèches de cheveux, beaucoup de petites photos, des pansements encore maculés de sang, des brassières d'enfants et des dizaines de messages, griffonnés sur un bout de papier déchiré ou soigneusement tracés au dos de cartes de visite. Et l'on a le cœur étreint à la pensée de toutes ces misères humblement confiées, de tant  de détresses et d'espoirs déposés là par tant de mains anonymes et ferventes, de tant de confiance et d'amour. 

    Au moment où j'émerge avec la famille de la fournaise souterraine, une étrange agitation attire tous les regards vers le fond de l'église. On entend des appels étouffés, des vagissements, des trépignements, sur lesquels se plaquent par instants des  accords de guitare. On tape dans ses mains, on rit sans retenue, on jacasse en dialecte. Impossible de s'y tromper : ce sont des Gitans rassemblés pour venir faire baptiser leurs nouveaux-nés. Qu'ils aient la foi démonstrative et joyeuse ne saurait que choquer que les chrétiens moroses !

    Le petit groupe s'approche du maître-autel et s'installe au premier rang des bancs du chœur. Entre deux invocations et deux gestes liturgiques, les guitares retentiront parfois encore, égrenant quelques notes en cascade. C'est que le baptême est, pour les Gitans, un acte essentiel. Avant d'avoir reçu l'onction sainte, l'enfant n'est pas tout à fait, à leurs yeux, un être humain ; 45 on n'est pas sûrs qu'il ait une âme. Le baptême, par une vertu quasi magique, va le préserver des maladies et le mettre à l'abri des ruses et des esprits mauvais. 

    Mais il faut très vite corriger cette interprétation primitive et utilitaire. Comme tous les pèlerinages gitans, celui des Saintes-Maries-de-la-Mer est aussi pour certains l'occasion d'un retour sur eux-mêmes et de secrètes conversions. Loin de la foule et du bruit, des prêtres, des religieuses, des laïcs s'en vont dans les caravanes faire le catéchisme et préparer le peuple errant à la réception vraie des sacrements. Que cela porte fruit, comment en douter devant une scène comme celle-ci ?

    Un papa gitan, moustaches en croc et regard de feu, contemple le cierge qu'il tient à la main, au-dessus de l'enfant baptisé. Comme pour lui-même, il commente : " Tu vois, on allume un cierge pour éclairer la route qui nous mène à Jésus." Et pour appuyer son affirmation, il ajoute d'une voix vibrante : " Que je meure à l'instant si je ne dis pas vrai !"

    Une religieuse, témoin de la scène, murmure à mon oreille :

    - Voilà la foi gitane en marche. A travers un peu de superstition, ils aiment les Saintes et Sara de tout leur cœur, un peu comme nous autrefois quand la Vierge masquait souvent le Christ. Combien de temps nous a-t-il fallu pour évoluer, à nous qui avons des paroisses ? Devant eux, qui sont à peine évangélisés, je me sens parfois bien tiède...

    Les Gitans, il est vrai, se sentent peu à l'aise à l'église, à moins qu'ils ne s'y retrouvent entre eux seuls. A la veillée de ce soir, qui est celle du pèlerinage régional, on en verra très peu se mêler aux gadjé. Peut-être, au fond de leur âme collective, subsiste-t-il quelque souvenir du temps où on les reléguait dans la crypte, eux les suspects, les malvenus, les inconnus dans la maison du Père...

    Pourtant, ce soir encore, l'église-forteresse est pleine. Ici et là, des Arlésiennes en costume jettent dans la grisaille anonyme de la foule une note claire et traditionnelle. Comme toujours aux Saintes, le pieux rassemblement prend tout de suite un air de 46 famille. On entre, on sort, on s'interpelle, on papote joliment avec le bel accent du cru. Ce devait déjà être ainsi jadis, quand la veillée du 24 mai durait toute la nuit. 

    A suivre...

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (6) : vers la mer

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du post du 23 mai

     

    39 Suspendues entre ciel et terre, les châsses descendent imperceptiblement. Quand les grands coffres enluminés sont enfin à trois mètres de la table, c'est la bousculade 40, la ruée. Le plus long des cierges les a touchés ! Puis un enfant, lancé à la volée, tente de s'y accrocher avant de retomber en riant dans les bras de son père extasié. Et je songe à la phrase de Jean-Louis Vaudoyer, spectateur fasciné de ces rites surprenants : " Est-il irrespectueux de croire une seconde, dans cette église nue comme une grange, qu'on est en train de descendre une malle de famille du grenier ? "

    Les châsses sont maintenant parvenues à portée des petits Gitans juchés sur les épaules ou tendus à bout de bras, qui s'aident des ferrures et des cordages pour se hisser jusqu'à elles. Un petit groupe de femmes vêtues de noir guide en tremblant la main d'un aveugle jusqu'à ce qu'à tâtons il effleure à son tour les coffres aux peintures naïves. Les Gitans ont définitivement investi la place et se bousculent pour gagner les premiers rangs dans un tumulte d'acclamations et de prières. Car, chez eux, la tradition veut que quiconque touche les châsses avant qu'elles ne se soient posées verra son vœu exaucé. Puis, la houle bohémienne déferle vers la table où désormais les Saintes reposent, jusqu'à demain.

    Pendant ces vingt-quatre heures où le ciel touchera la terre, ils ne cesseront de venir, par familles entières, embrasser les reliquaires enluminés, y frotter des objets divers, y déposer des bébés. Beaucoup s'arc-boutent tout contre les châsses, les étreignant de leurs bras, collant leur joue contre le bois peint, murmurant des prières naïves ou de douloureuses confidences, indifférents aux curieux, aux photographes, à tout ce qui n'est pas leur sublime et singulier colloque. Et l'on se surprend à marcher sur la pointe des pieds, saisi de respect devant cette foi gitane si directe, si abandonnée et qui ne se pose pas de questions.

    La cérémonie terminée, mille voix clament le vieux cantique " Prouvençau e catouli " et, quand s'ouvre enfin le grand portail, on aperçoit déjà sur place les gardians à cheval venus, comme chaque année depuis 1935, pour escorter jusqu’à la mer la procession de Sara. Sara, à son tour justifiée, réhabilitée, sortie pour quelques heures de son humble obscurité  et entraînant derrière elle, en grand tumulte et en grand apparat, son peuple éperdu 41 de fierté. Elle la servante, la trop brune, la suspecte, la voici exaltée sur un pavois de fleurs, portée à bras d'hommes à travers les rues écrasées de soleil, avec pour escorte d'honneur le clergé, les gardians et les Arlésiennes en costumes de fête. La longue marche commence. 

    On ose à peine parler de procession devant cette cohue qui s'engouffre dans les rues étroites aux pavés disjoints, avec des ralentissements imprévisibles et des galopades soudaines. On dirait bien plutôt une promenade de famille, comme si on avait voulu, par une attention délicate, emmener la grand-mère revoir tous ces lieux chargés pour elle d'attendrissants et très chers souvenirs.

    On a beaucoup dit de Sara qu'elle avait des allures d’idole païenne. Comment le savoir ? On la devine à peine, dissimulée qu'elle est sous l'accumulation des robes et des manteaux qui l'engoncent jusqu'aux yeux et lui donnent une obésité dont les Gitans semblent ravis. Elle en porte plus de cinquante dont chacun représente une offrande, un sacrifice, l'accomplissement d'un voeu. Robes de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, manteaux de soie, de lamé, de tissu broché rehaussé d'or et de dentelles, dont on la revêt un peu par ostentation sans doute, mais surtout pour être assuré qu'elle pensera à vous et exaucera votre voeu. La tête elle-même est couronnée d'un amoncellement de diadèmes. Ce sont ceux des jeunes Gitanes mariées dans l'année, et qui sont venues lui en faire offrande, dans un geste de piété filiale. 

    Le service d'ordre gitan, main dans la main, fait la chaîne pour contenir à grand-peine les curieux. Autour de la statue , qui oscille par-dessus une forêt de  têtes, des prêtres et des religieuses s'efforcent de créer une atmosphère de piété plus classique. On chante l'Ave Maria, on récite  des bribes de chapelet, on crie surtout à tue-tête : " Vive sainte Sara ! " La cohorte reprend aussi à sa manière un vieux cantique provençal, dont on a à peine modifié les paroles. " Prouvençau e catouli " 42 est devenu, pour la circonstance : " Li Gitan soun catouli " Folklore si l'on veut, mais folklore inoubliable. Il est impossible de douter que ce délire est, à sa manière, une façon de prier et qu'en marchant vers la mer, ce peuple marche aussi vers Dieu. 

    Ne nous abusons pas : tous les Gitans ne viennent pas aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour implorer Sara. Un certain snobisme de l'incroyance n'a pas épargné ceux des bidonvilles du Midi de la France, ni les "parvenus" insérés dans la vie sédentaire. Quand la procession de Sara passe entre les caravanes, il est des Boumians qui ne daignent même pas lever les yeux, et poursuivent ostensiblement leur partie de cartes. Je ne jurerais pas qu'il en va autrement des Saintois eux-mêmes, plus nombreux aux terrasses des cafés qu'aux cérémonies religieuses...

    (...) Il y a quelques années, un petit Gitan fut mortellement brûlé à Albaron, sur le chemin du pèlerinage. Le clan l'enveloppa dans une couverture et l'amena  jusqu'aux Saintes, où on le veilla toute la nuit, autour du grand feu de deuil, au milieu des plaintes et des lamentations. Quand passa la procession de Sara, toutes les femmes du clan se détournèrent et lui présentèrent le dos, pour montrer qu'elles la tenaient pour responsable de ce grand malheur.

     

    A suivre...

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (5)

     Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    (...)

     

    30 Vaisseau de haut bord échoué là depuis tant de siècles, forteresse sacrée dont les fenêtres sont des meurtrières et le clocher un donjon, citadelle au grand vent et vigile de la foi, l'église des Saintes-Maries-de-la-Mer dresse sa nef unique et nue à l'écart des habitations. Au temps des invasions sarrasines, toute la population  s'y réfugiait. Les hommes veillaient aux créneaux tandis que femmes, vieillards, enfants, serrés les uns contre les autres, priaient sous dix mille mètres cubes de bonnes pierres. Une patine les a peu à peu recouvertes et, comme au moyen âge, une pénombre propice au recueillement y règne en permanence.

    Les Gitans entrent là comme chez eux, sans excès de cérémonie, sans même toujours interrompre leurs bavardages, à l'aise comme partout où ils savent qu'une amitié vraie les attend. L'amie, ici - presque une parente en somme - c'est Sara, Sara-la-Kâli, comme ils la nomment, d'un mot romanès qui signifie à la fois " la Gitane " et " la Noire ". Cette apparente désinvolture pourrait choquer l'observateur superficiel. Mais écoutez... Devant la porte étroite et basse qui donne accès au sanctuaire, un couple de jeunes Gitans hésite, n'osant visiblement y pénétrer. Avisant une des Petites Sœurs, la femme, un bébé dans les bras, s'approche et demande timidement : " Est-ce que vous croyez qu'on peut entrer ? C'est que le petit n'est pas encore baptisé..." Quelle foi pudique et quel respect du lieu saint dans cette simple petite phrase !

    L'église est bondée de Gitans et de Manouches et c'est déjà une surprise car, entre la caravane et l'église, il y a tant de tentations : l'ami rencontré, la parente retrouvée, les guitares, les chants et les danses, que tel qui partait d'un bon pas à la veillée n'arrivera jamais jusqu'au bout...

    A gauche de l'entrée, dans une niche de pierre, les saintes Marie-Jacobé et Marie-Salomé se dressent sur leur barque, tenant en leurs bras les vases de parfum dont elles oignirent le corps supplicié du Christ. Les Gitans les ont revêtues de robes somptueuses, leur 31 donnant une parure de fête. Ceux qui arrivent s'approchent des statues avec dévotion, les touchent et les caressent d'une main assurée qu'ils portent ensuite à leurs lèvres. On hisse les enfants à bout de bras jusqu'à leurs visages, où ils déposent des baisers mouillés. 

    Puis toute la famille, par le bas-côté, gagne la crypte de sainte Sara. On y accède, sous le maître-autel, par un escalier abrupt que surmonte le trident du marquis de Baroncelli. C'est là que, suivant la tradition se trouvait l'habitation rustique des Saintes Maries et de leur servante. Depuis l'arrivée des Gitans, ces jours derniers, la crypte est embrasée par des centaines de cierges qui font régner sous sa voûte une chaleur presque insupportable. Dans cette pénombre enfumée, on distingue à peine - dressée contre un mur - la grande croix de bois que les Gitans porteront demain lors de la procession à la mer. Des Caraques de Port-de-Bouc sont arrivés il y a dix ans, cette croix sur leurs épaules ; ils avaient effectué le long trajet à pied, à la suite d'un vœu.

    La statue de Sara, au fond, à droite, est déjà revêtue de plusieurs dizaines de manteaux somptueux, tant bien que mal accumulés les uns sur les autres par la piété bohémienne, et qui dissimulent  presque son visage bruni. Les Gitans embrassent le bas de ces vêtements, qu'ils soulèvent respectueusement jusqu'à leurs lèvres. Les femmes les palpent longuement, puis leur main remonte jusqu'au visage de plâtre qu'elles caressent dévotement, en commençant par le front et en descendant le long des joues jusqu'au menton. Certaines y frottent furtivement des objets : mouchoirs, photos, brassière d'enfants...

    Toute la famille s'immobilise à quelques pas de la statue, priant et se recueillant en silence. Avant de partir, il en est qui posent encore les mains sur le coffret qui contient les reliques de la servante des saintes et dont les deux petites ouvertures sont devenues presque opaques, tant leur verre a été dépoli par les attouchements pieux. Quand ils remontent enfin dans la nef, les Gitans présentent des visages transfigurés, d'une gravité extatique. Les femmes ont les larmes aux yeux. Ces scènes se renouvelleront 32 tout le long du pèlerinage. C'est vraiment là, dans la crypte étroite et rougeoyante de la lueur tremblotante des cierges, que s'exprime une foi gitane farouche et confiante, à nulle autre pareille. 

     

    A suivre...

     

     

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (4)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du poste du 22/05

     

    (...) 27 Dans les rues du village maintenant envahi par les touristes, des nuées de petits Gitans mendigotent avec effronterie. Ils se composent des attitudes pour apitoyer le gadjo. Mais, munis ou non d'une nouvelle piécette, ils se remettent à rire et à chanter, en arpentant les trottoirs d'un air conquérant. On dira  ce que l'on voudra : c'est une rude race que celle-là ! 

    Pourtant, les vieux Saintois soupirent : " Le pèlerinage n'est plus ce qu'il était. Ce ne sont plus de vrais Gitans." Les " vrais " Gitans, à leurs yeux, c'étaient les Caraques, les Boumians, maquignons pour la plupart, que l'on connaissait et qui avaient pignon sur  rue dans la région ; les Maille, les Lombard, les Matthieu, les Baptiste, les Rey qui venaient chaque année en voisins et que le marquis de Baroncelli ne dédaignait pas de recevoir à sa table. Ceux aussi, à la rigueur, dont les roulottes multicolores et les attelages pittoresques composaient, pour les esthètes, un tableau à la Van Gogh le long de l'étang des Launes  ou sur les bords de la Méditerranée. Il n'y a plus jamais de roulottes aux Saintes. Ou plutôt si, il en reste une, mais bien cachée là-bas vers le bac du Sauvage, sur le terrain municipal où l'on parque, derrière le tombeau du Marquis, les nomades indésirables. Étrange roulotte, en vérité. Au-dessus de  la porte d'entrée, une pancarte porte cette inscription : " Fraternité  des Petites Sœurs de Jésus " - " Vannerie-Rempaillage ".

    Les Petites Soeurs nomades mettent, pour se distinguer des autres, un foulard rouge sur la tête. Autre signe caractéristique jeunes ou vieilles, sous le soleil ou sous la pluie, devant les gestes d'amitié comme en face des rebuffades, elles ne cessent jamais de rire.

    L'une des " anciennes " explique :

    - Celui que nous considérons comme notre fondateur, le frère Charles de Jésus (Père de Foucauld) a vécu en nomade toute une période de son existence. Il désirait la venue au Sahara 28 de sœurs demi-nomades allant de campement en campement, et vivant de préférence parmi les populations les plus pauvres et les plus abandonnées. C'est dans cette pensée que la Fraternité des Petites Soeurs fut fondée en 1939 auprès des nomades du Hoggar. Après eux, ce furent les Gens du Voyage qui attirèrent les Petites Soeurs. Et c'est ici, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, que nous prîmes le premier contact avec les Gitans lors du pèlerinage de mai 1948, présidé par Mgr Roncalli, le futur pape Jean XXIII.

    L'année suivante, elles revenaient. En roulotte ! Une robuste et rustique " verdine " passablement encombrante, avec ses six mètres de long, ses deux mètres cinquante de large et ses roues à bandages ! après un bref essai " sur le voyage ", il fallut se résigner à la laisser aux Saintes, où elle est toujours. La messe y fut célébrée pour la première fois le 25 mai 1949 par Mgr de Provenchères, archevêque d'Aix, qui laissa aux Petites Soeurs le saint sacrement. Il est revenu bien souvent, depuis, se mêler aux Rom et aux Sinti, aux Manouches et aux Gitans, ses paroissiens des printemps saintois...

    En 1957, une caravane plus petite, plus maniable, prit la relève. On l'a vue circuler un peu partout dans le Midi et le Sud-Ouest, suivant à la belle saison le circuit des travaux saisonniers et stationnant l'hiver aux abords des villes où des gitans " en panne " connaissent les conditions de vie les plus misérables : Montauban, Toulouse, Lézignan, Perpignan...

    Peu à peu, d'autres Petites Soeurs nomades ont partagé la vie des Gitans d'autres pays : les Manouches des camps de Hollande en 1958, les Gitans du lamentable bidonville de Malaga en 1959, les Sinti et les Tsiganes yougoslaves parcourant l'Italie en 1965, les Rom qui vivent sous la tente dans les faubourgs de Santiago-du-Chili en 1966, les "Voyageurs" d'Irlande (ou Tinkers) du camp municipal de Dublin en 1972.

    - Elles vivent comme nous, commente un vieux Manouche qui n'en revient pas. C'est leur foi qui commande çà et c'est bien !

    Dans la pureté de leur cœur, les Petites Soeurs n'ont pas voulu "jouer aux nomades", mais le devenir entièrement. 29 Elles vivent de la confection de corbeilles et de paniers qu'elles s'en vont vendre de porte en porte ou sur les marchés, comme leurs compagnes gitanes. Elles ont voulu, comme les plus pauvres des nomades, avoir l'infamant carnet anthropométrique que les itinérants partagent avec les repris de justice et qui, jusqu'en 1969, devait être visé dans chaque commune, à l'arrivée et au départ, c'est-à-dire pratiquement tous les jours alors que celui des criminels avérés n'était contrôlé que tous les deux mois. Il fallait voir l'embarras des policiers et des gendarmes devant ces religieuses devenues volontairement, comme leurs sœurs du Voyage, des parias légaux.

    Pauvres parmi les pauvres, nomades parmi les nomades, les Petites Soeurs de Jésus sont le perpétuel sourire de l’Église au milieu des déshérités, des mal-aimés, des éternels errants, les Fils de la Route et du Vent. Il leur arrive de rêver au jour où, du cœur du monde gitan, des Romnia ou des Manouches viendront rejoindre leur Fraternité, pour qu'elles puissent dire enfin en toute vérité : " Nous autres, filles du Voyage."

    Aux Saintes, les caravanes les plus misérables, celles des besogneux qui ont dû, pour arriver en ce bout du monde, travailler ou  mendier leur pain tout le long du chemin, viennent se blottir autour de la leur, comme pour quêter aide et protection. On prépare ensemble la soupe du soir, avec des légumes récupérés à la fin du marché des riches. On s'assied tous en rond pour conter  les épisodes, drôles ou tragiques, de la malaventure quotidienne. On écoute les grandes et belles histoires dont on ne sait même pas toujours qu'elles s'appellent : l’Évangile.

     

    A suivre...

     

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (3)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du poste du 21/05



    20 C'est en chantant que nous sommes entrés dans Les Saintes-Maries-de-la-Mer.

    21 Yako conduit très lentement, comme pour prolonger le cérémonial de notre entrée dans la Terre promise. Nos trois caravanes processionnent, laissant sur leur gauche la statue de Mireille, sur leur droite la masse moderne de la mairie, et le soleil de Camargue décalque sur le bitume leurs trois silhouettes trapues. Nous roulons lentement sur leur ombre.

    - Dans ma jeunesse, dit le vieux Béro, les Manouches occupaient le terrain vague qui est devenu depuis la place des Gitans. Il n'y avait alors aux Saintes que deux rues. Là où tu vois la mairie poussaient des vignes. Plus loin, c'était la campagne... Les Gitans ne venaient pas si nombreux, à cette époque. Peut-être un millier, guère davantage. C'étaient presque tous des maquignons de Saint-Gilles, de Lunel ou de Montpellier. Nous, les Manouches, on nous regardait un peu de travers, parce que nous n'étions pas du pays.

    Oui, Béro, Les Saintes ont bien changé ! Les Gitans aussi, à en 22 juger par les confortables caravanes, surmontées d'antennes de télévision (...)

    Yanko roule toujours au ralenti, hésitant aux carrefours, à demi penché hors de la portière. Je sais qu'il cherche, parmi ce fouillis de roulottes toutes pareilles, ceux de son clan, ceux de son sang, d'autres Yanko, d'autres Béro venus du polygone de Strasbourg ou du terrain de Laval, des pentes des monts d'Auvergne ou d'un village des Pyrénées où quelques-uns, maladroitement, s'essaient à la vie sédentaire. Et tous les autres aussi regardent, intensément, et vivent déjà  en pensée le moment si rare et si doux au cœur des retrouvailles.

    Ils se sont enfin trouvés, au creux d'un dernier terrain vague, là où le tissu serré des voitures et des roulottes s'effilochent, du côté de l'étang des Launes. Que de cris, de piaillements, d'embrassades ! Les tchavé (garçons) et les tchia (filles) sautent sur place de bonheur. Une vieille mâmi (grand-mère), clouée dans un fauteuil, laisse ses mains trembler d'émotion. Et cela dure, dure...

    (...)

    23 Pour le touriste pressé, tous les Gitans se ressemblent. Pour l'observateur attentif, il est clair que les voitures, roulottes et caravanes ne sont pas disposés au hasard. Cette cité éphémère n'a pas seulement ses avenues et ses venelles ; elle se compose, en réalité d'un certain nombre  de quartiers distincts. Car le peuple du Voyage n'est pas un, mais divers. Et si les violonistes de cette rue appartiennent, à l'évidence, au même groupe, ni leur visage ni leur musique ne ressemblent  à ceux des joueurs de flamenco qui, à deux pas de là, lancent les notes rauques du cante jondo. Et si toutes les femmes aux longues robes ont comme un air de famille, c'est précisément parce qu'elles sont différentes des autres.

    Ma première visite sera pour elles. Non pas à cause de leur  incontestable pittoresque, mais parce qu'elles sont, ces inquiétantes Sibylles, chargées de malédictions, les mal-aimées de ce pèlerinage où on ne les tolère qu'à contre-coeur. Elles débarquent ici chaque année de Montreuil ou de Bagnolet, de Lille, de Villeurbanne, arrogantes et splendides, traînant derrière elles une marmaille ébouriffée et une sourde réputation de sorcières. (...) Les Rom, répandus à travers le monde entier, grands nomades devant l’Éternel, ont réussi à préserver farouchement leur langue, proche du sanskrit, leurs traditions et leurs légendes. (...)

    24 Importunes et tenaces, aggrippeuses de touristes et exploiteuses des naïfs, les Romnia [féminin pluriel de Rom. Romni au féminin singulier] profitent sans vergogne du pèlerinage pour gagner le plus de lové (argent) possibles en lisant dans les lignes de la main. (...)

    Les Rom se mêlent peu aux cérémonies religieuses. Je les verrai pourtant s'arrêter devant l'église avant de reprendre la route, s'avancer au milieu de la nef et remplir de l'eau du puits d’invraisemblables ustensiles.  Chacun en boit une gorgée; le reste est emporté dans les caravanes à l'intention des malades. Certaines familles assurent qu'une petite Tsigane aveugle aurait recouvré la vue après avoir bu de cette eau sainte.

    (...) Devant un grand feu de bois où grillent des côtelettes, un petit orchestre s'est spontanément formé. Une fillette de six ou sept ans s'élance au milieu du cercle et se met à danser, comme pour elle seule, encore inexperte, mais empreinte déjà de cette grâce fougueuse qui fit la gloire de Carmen Amaya et de la Chounga. (...)

    27 Et, au milieu des rires, les claquements de mains reprennent, les guitares relancent la danse un instant interrompue.

                     
    A suivre...

     

     

     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (2)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    Une semaine aux Saintes par ce beau livre de Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     

    suite du poste du 20/05

     

    - Yanko, pourquoi ce pèlerinage aux Saintes ?

    15 C'est Bianca qui répond :

    - J'ai fait le vœu.

    Toute la famille incline la tête, en signe d'approbation. Quand le petit Polo a été si malade, cet hiver, sa mère a promis, pour obtenir sa guérison, d'aller mettre un cierge à Sara. Un tel engagement a quelque chose de sacré, et l'on y met en jeu son salut. Il faut le tenir coûte que coûte.

    J'admire, une fois encore, l'exemplaire efficacité qui préside aux rapports des Gitans avec la Providence. Leur vision du monde est lumineusement simple. Il y a le Baro Devel (littéralement : le grand Dieu) qui donne la " bonne chance " et les réussites de tout ordre. Face à lui se dresse le Beng (le diable) dont on évite de prononcer le nom, et qui dispense malheurs petits et grands. Il a sur la terre des suppôts : les hexi (sorcières), qui ne sont jamais des Gitanes, mais des sédentaires cuirassées de haine et de maléfices.

    Le monde invisible inclut aussi les redoutables mulé (revenants) dont on a un respect panique et qu'on se garde de provoquer, par crainte des représailles. Heureusement, contre tant de menaces, il y a les saints, qui sont des protecteurs puissants, dont on possède les statues, les médailles et auxquels on offre des cierges dans les  églises. Ainsi parés, les Gitans peuvent conserver une âme sereine. Et vivre en bons termes avec Dieu, un Dieu toujours disposé à tout comprendre et à tout pardonner.

    Le monde gitan a ses saints de prédilection, variables suivant les clans. Outre Sara, la palme revient à sainte Thérèse, à sainte  Rita et au curé d'Ars. La famille de Yanko leur a consacré, dans la caravane, un petit autel toujours fleuri. Curieusement, il y manque l'image de sainte Sara... Gageons qu'elle y sera demain.

    - Les autres, bien sûr, on les aime bien, dit Bianca. Tu te rappelles l'année où on est allés à Ars ensemble. Mais nous, les Manouches, on a toujours tellement à demander que çà en devient gênant, tu comprends? Quand j'ai eu si peur, pour le petit, j'ai tout de suite pensé à la sainte qui avait l'air si bonne et que j'avais vue sur un vitrail. Une vraie Manouche, comme 16 nous. Tu vois que j'avais raison, puisqu'elle a guéri mon Polo.

    - Où as-tu vu un vitrail de sainte Sara ?

    - Sur le tombeau des Bouglione, à Lizy-sur-Ourcq. C'est notre famille, et on y va tous les ans pour la Toussaint, à deux ou trois cents voitures. Je voudrais que tu voies ça ! Au-dessus du tombeau du grand-père, il y a une chapelle tout en marbre, et deux vitraux. L'un c'est sainte Thérèse, une rachani (religieuse) qui protège les voyageurs. L'autre, c'est sainte Sara. Les gens du cirque l'aiment bien. J'avais un cousin dompteur qui n'entrait jamais en cage  sans avoir sa médaille au cou. Et jamais une bête ne l'a attaqué. 

    Le vieux Béro, soixante-quinze ans, est resté jusqu'ici silencieux. C'est le patriarche. Lui seul est installé dans un fauteuil de toile et a gardé son chapeau sur la tête. Il préside dignement la soirée, en tirant doucement sur sa pipe. Il lève la main, et on l'écoute :

    - J'y suis allé bien des fois, aux Saintes, avec Sampion Bouglione, le grand-père de ceux d'aujourd'hui. Pour rien au monde, il n'aurait manqué son valfarta (pèlerinage). Le voyage était long, en ce temps-là. Comme Sampion ne savait pas lire, il se faisait écrire, sur des cartons, les noms de toutes les villes qu'on devait traverser, bien classées dans l'ordre de passage. Il comparaît ces dessins avec ceux des panneaux, sur les routes, et ne se trompait jamais !  (...)

    17

    - Kakou (oncle), dit le jeune Bâlo, parle-nous encore des Saintes-Maries.

    Le vieux ne demande pas mieux. N'est-ce pas le rôle des anciens de communiquer la vieille sagesse ? Et leur plaisir secret d'évoquer l'époque désormais révolue où l'on voyageait librement sur les routes, sans tous ces tracas, toutes ces lois qui vous accablent maintenant ?

    - Dans mon jeune temps, on mettait bien huit jours pour faire la route avec les chevaux.  Je ne sais pas pourquoi, mais c'était une tradition de faire la dernière étape dans la ville d'Arles, près d'un grand cimetière qu'on appelle les Alyscamps. Après, on entrait en Camargue, toute plate, avec des marais à perte de vue. En arrivant au hameau d'Astouin, on s'arrêtait au pied d'une croix. C'était le signal : à partir de là, on était en terre bénie. Tout le monde se déchaussait, et on faisait le reste à pied, par pénitence et par respect.

    - Les gens de la Camargue, en entendant le grelot des chevaux, accouraient au bord de le route en criant : " les Boumians arrivent ! " C'était comme le signal de la fête. Mais n'y venait pas beaucoup de Manouches, à cette époque-là. C'étaient surtout des Kalé (Gitanos) installés depuis longtemps dans la région. Parfois aussi, on voyait un groupe de Boïaches, des montreurs d'ours, qui venaient d'Europe centrale. Une année, ça devait être en 1898, mon père m'a raconté qu'il avait vu débarquer   une famille de Rom dans de grands chariots couverts de peaux d'ours. 18 Ils avaient une fille qui portait des bijoux splendides. Quand Mgr l'Archevêque est venu dans leur campement pour faire baiser son anneau, cette fille lui a doucement repoussé la main et lui a tendu la sienne à baiser. Ça a fait toute une confusion. Finalement, tout le monde a ri...

    - Il n'y avait pas de caravanes comme aujourd'hui, poursuit Béro sur sa lancée. Beaucoup de Gitans arrivaient par le train, et une partie allait dormir à l'église. Même après la dernière guerre, il y a avait des familles entières qui y campaient. La maman prenait une grande couverture, elle s'allongeait devant un autel et serrait ses enfants autour d'elle. Sur le matin, tout le monde se secouait, se frottait un peu, et on était prêt ! 

     

    A suivre...

     
     

  • Les enfants de Sara-la-Kâli (1)

    Chaque année en mai, les Tsiganes viennent aux Saintes, en pèlerinage pour vénérer leur Sainte, Sara la Noire. Ce temps fort est marqué (tous les 24 mai) par la procession de la statue de Sara portée jusqu'à la mer.

    10 jours aux Saintes avec Maurice Colinon.

    Texte extrait du livre de Maurice Colinon  : " Les Saintes Maries de la Mer " Éditions SOS, 106 rue du Bac, 1975 - ISBN 02.7185.0792-6

    Né à Château-Thierry en 1922, Maurice Colinon a mené parallèlement une double carrière de journaliste et d'essayiste. Reporter dans un hebdomadaire à grand tirage, il est parti à la découverte de l'occultisme, du spiritisme, de la guérison buissonnière et des sectes. En 1955, il pénètre enfin dans l'univers insolite des gitans, et devient leur chroniqueur et leur ami. Vice-président national de " Notre-Dame des Gitans " et directeur de la revue " Monde Gitan ", ce fidèle pèlerin des Saintes-Maries-de-la-Mer nous ouvre le chemin.

     11

    Sur un chemin de pierres sèches, à l'ombre d'un bosquet, les caravanes se sont arrêtées. Vu de la route nationale, elles doivent ressembler à trois escargots blanchâtres posés sur une touffe de verdure. Yanko le Manouche a détaché sa vieille 404. Les frères, les neveux, les cousins sortent des autres voitures, pour se dégourdir les jambes, tandis que les femmes s'en vont chercher du bois mort pour le feu du soir.

    - On a bien roulé, dit Yanko. A ce train-là, on sera aux Saintes demain avant midi.

    En un rien de temps, la vie de campement s'organise. On a sorti les tables et les chaises pliantes. Un garçon gratte de la guitare tandis que les filles plument un poulet tout en échangeant, en manouche, des propos dont le sens m'échappe. Et quand, enfin, s'allument les branchages accumulés au centre de la 12 clairière, tout le monde s'approche, le cercle de famille se resserre. Étonnante faculté qu'ont ces nomades impénitents de recréer, où qu'ils se trouvent, leur petit univers pittoresque et chaleureux, qui ne ressemble à aucun autre.

    Il n'est pas de campement bohème sans un grand feu. C'est lui qui accompagne et rythme toute la vie des Fils du Vent. C'est le feu de bois qui imprègne toute la cuisine manouche ; le feu du soir, qu'on allume même en plein été, pour le plaisir, à l'heure où s'éveillent les souvenirs ; et le grand feu de deuil, qui ne s'éteint pas de la nuit, près duquel les hommes restent graves et silencieux, à veiller le défunt qu'entoure le grésillement des cierges. 

    Ce soir, quelque part au sud de Montélimar, le clan de mon ami Yanko demeurera longtemps, mangeant, fumant, racontant des histoires du temps passé, version moderne mais étrangement ressemblante de la " Halte des Bohémiens " que grava Jacques Callot au temps lointain où, comme moi, il s’aventurait à voyager en compagnie des pèlerins du clair de lune.

    Loin des villes où une étrange humanité accepte de vivre captive, bien rangée dans des casiers superposés, nous sommes ceux qui dorment chaque nuit sous un ciel nouveau. Cet anachronisme, cette hérésie, ce scandaleux contraste : les nomades. Moi, pour quelques jours. Mes amis, pour toute leur vie, comme l'étaient les parents de leurs pères et comme le seront, si Dieu le veut, les enfants de leurs enfants.

    Ils n'ont pas, en ce monde, un seul pied carré dont ils puissent dire : " J'y suis chez moi." Pas, dans leur existence, un seul jour dont ils sachent à l'avance de quoi il sera fait. Ils sont le peuple errant, sans ambition, sans calcul, sans projets. Ils sont les Gitans, voilà tout.

    Chaque halte est un hasard, sa durée est imprévisible. si le village leur refuse du travail, si les gendarmes les chassent, ils s'en iront plus loin. Jusqu'où ? Ils l'ignorent. On verra. Leur vie ballottée, pourchassée est ainsi faite que, même installés à leur aise, ils semblent toujours guetter le signal d'un nouveau départ.

    13 Misérables aujourd'hui, ils seront peut-être riches demain. Mais ce ne sera pas pour longtemps. L'argent sitôt gagné, est dépensé, donné, jeté au vent. A chaque jour suffit sa peine. Ce soir, ils chantent. Mais qu'un étranger s'approche et ils se tairont soudain. Ne pas faire de bruit, passer inaperçus, se serrer entre soi en guettant le malheur qui rôde, telle est leur vie.

    Cet étrange destin, qui a imprégné leur âme et leur corps, ils voudraient parfois l'expliquer. Mais en vain. Leur seule certitude, c'est qu'ils appartiennent vraiment à un autre univers que le nôtre. (...)

    Le miracle est que, depuis cinq siècles qu'ils sillonnent notre pays, ils aient conservé leur langue ancestrale, leurs légendes transmises de père en fils, leurs traditions et jusqu'à leur recette de cuisine !

    Et moi, qu'est-ce que je fais avec eux ? Rien. Je suis. Nulle merveille là-dedans. Ils sont accueillants jusqu'à l'imprudence. Tout homme traqué, errant, désemparé trouve chez eux une hospitalité sans curiosité importune. Il entre dans la famille, et y reste aussi qu'il s'y trouve bien.

    Bianca, la femme de Yanko, explique en attisant les braises :

    - Chez nous, tu sais, les caravanes sont toujours ouvertes. Un voyageur ne veut pas être enfermé. Il ne veut pas non plus enfermer les autres au dehors. Dans certaines régions, on voit des écriteaux à l'entrée des maisons : " Chien méchant " ou " Défense de pénétrer ". Est-ce que les gens qui habitent là-dedans tiennent tellement à être toujours seuls ? On ne le envie pas. On les plaint.

    Le frère de Bianca approuve. Il est marchand forain et, pour se mettre en règle avec la loi, il a acheté un terrain et y a fait bâtir une maison. Il a entreposé ses marchandises dans les belles pièces toutes neuves ; lui continue à habiter dans sa caravane, au fond du jardin !

    Je suis, depuis dix ans " adopté " par cette famille ; des Manouches comme je les aime, où se côtoient des musiciens 14 réputés, des gens du cirque, des rémouleurs et d'humbles vanniers. Nous avons pèleriné ensemble, bien des fois, du joli petit sanctuaire de la Sainte Aubierge, près de Coulommiers, aux grandes processions gitanes de Lourdes. D'avoir tant prié côte à côte, nous sommes devenus frères et secrètement complices.

    Avant de connaître les Gitans, on imagine volontiers qu'ils sont païens, ou professent quelques croyances bizarres. Mais, dès le premier contact, on s'aperçoit qu'ils ont une âme profondément religieuse, qu'ils prient souvent, à leur manière, et qu'ils se veulent, à leur manière aussi, fervents catholiques.

    On les voit rarement à l’Église, c'est vrai. Les aléas du nomadisme y concourent avec la mauvaise volonté des curés, souvent plus empresser à les chasser du sanctuaire qu'à leur parler du bon Dieu. A ce peuple sans paroisses, il reste les pèlerinages. C'est chez eux une vieille tradition. Les premiers qui arrivèrent chez nous, en 1419, se présentèrent comme " pauvres pèlerins ". ils étaient munis de lettres du pape Martin V (authentiques ou non) qui leur ouvrirent un temps les portes des couvents et des châteaux. Tout chrétien se crut tenu de leur apporter aide et protection. 

    Pendant tout le Moyen-Age, ils participèrent au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Au XVIe siècle, on les vit se rendre en troupes au Mont-Saint-Michel. En 1594, une petite " Bohémienne " fut miraculeusement guérie à Notre-Dame-des-Ardilliers, à Saumur. Et, au XVIIIe siècle, beaucoup fréquentèrent le sanctuaire d' Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne.

    Voyageurs impénitents, ils ont aujourd'hui, en France, une bonne vingtaine de pèlerinages bien à eux, hauts en couleurs et riches en ferveur, qui sont autant de haltes bienfaisantes sur leur route sempiternelle. Il ne me manquait, avec le clan de Yanko, que d'avoir fait la route vers les Saintes-Maries-de-la-Mer. Nous y voici. J'en marque quelque étonnement, car la vieille église camarguaise, familière aux Gitans du Midi, n'est que peu fréquentée par les Manouches, venus des pays germaniques. 

     

     

    A suivre... 

     

     

  • Année A - Cinquième dimanche de Pâques

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche  : Ac 6, 1-7 - 1 P 2, 4-9 - Jn 14, 1-12

    Texte (i-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    135 Nous habitons un monde de violence. Elle s'appuie sur le mensonge. Nous en sentons-nous responsables ? Vous savez combien le Christ insiste sur la liberté qui nous fait adhérer à la vérité : " Celui qui fait la vérité vient à la lumière " (Jn 3,21). Nous avons besoin de faire la vérité et de découvrir en même temps la violence qui est au fond de notre cœur. Ne nous trompons pas : nous sommes tous des violents à moins que la douceur du Christ ne vienne nous transformer et que l'Esprit Saint fasse de nos cœurs de pierre des cœurs de chair.

    Aujourd'hui, le Christ nous dit : " Moi je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père sans passer par moi ". Quelle parole étonnante et merveilleuse : c'est la parole de celui qui est innocent, qui participe du mystère du Père, de celui qui est à l'image de son Père et qui nous ouvre le chemin. Le Christ est le seul chemin : " Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés " nous disent les Actes des apôtres (4,12).

    Si nous suivons celui qui est le chemin, nous choisirons le chemin de la vérité et de la vie. Le Seigneur pénètre nos vies et les bouleverse. Il fait de nous des êtres qui devront passer par la mort et la résurrection. Quelquefois, nous n'accordons pas toute sa valeur au texte de l’Évangile, quand Jésus-Christ nous dit : " Suis-moi " (Lc 5,27), " Si quelqu'un veut me suivre, qu'il prenne sa croix " (Lc 9,23). Des études récentes nous disent que tous les hommes et les apôtres en particulier pouvaient voir autour de Jérusalem des croix sur lesquelles les brigands ou les mauvais esclaves étaient crucifiés : ce ne sont donc pas des  136 paroles en l'air que les disciples appelés par Jésus entendent ! C'est cette voie-là que le Seigneur a choisie pour lui. Il s'est identifié à tous les pauvres, à toutes les victimes innocentes, et c'est pour cela qu'il nous révèle le Père et son amour : " Celui qui m'a vu a vu le Père. "

    Nous avons à demeurer dans cet amour merveilleux que le Seigneur nous donne. C'est un amour qui brise nos faiblesses, qui panse nos blessures et les ouvre à l'amour du Père. C'est ainsi que se construit l’Église. Pierre nous dit : " Frères, allez vers le Seigneur Jésus : il est la pierre vivante que les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie parce qu'il en connaît la valeur. Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. " Il nous faut en prendre conscience pour annoncer les merveilles  de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. La foi nous demande de croire à cette lumière dans un monde de cruauté et de violence. Par contraste nous avons à être " doux et humbles de cœur ", semblables au Christ pauvre, humble, livré à l'amour de Dieu, livré pour tous les hommes. Il n'y a pas d'autre route : il est la voie  et son chemin est notre chemin sur lequel il nous demande de marcher à sa suite.

    Nous construisons le temple de Dieu en offrant des offrandes spirituelles, c'est-à-dire en nous offrant tout entiers dans le sacrifice du Christ pour qu'il fasse de nous de véritables offrandes au Père. Alors nous éliminerons la violence de nos vies, car ce qui doit être au cœur du chrétien, c'est la douceur. Être doux, humbles pour aimer toujours davantage, ce sont des vertus sur lesquelles les Pères de l’Église ont parlé ; elles sont capitales. Douceur infinie, compréhension infinie, pardon infini, charité dans la patience, dans l'ouverture aux autres.

    Demandons au Seigneur de regarder son visage et de voir en transparence le visage du Père. Tout repose sur 137 cela. Le Père demeure dans le Christ, ses paroles, ses actes, ses œuvres sont celles du Père.

    Demandons au Seigneur d'entrer dans ce mystère, que nous habitions ce mystère de demeure du Fils dans le Père et du Père dans le Fils. Nous sommes appelés à y communier ; c'est la douceur suprême, mais elle ne se conquiert que si l'on prend des épines dans ses mains et si on les serre avec amour : que le sang jaillisse, que l'amour jaillisse !

    Demandons au Seigneur d'entrer dans ce mystère d'amour suprême du témoignage de l'innocence, de l'innocence apparemment vaincue par le mal mais qui triomphe dans la vérité de Dieu, dans la splendeur de Dieu. Amen !

     

  • Fatima - 13 mai 1917

    Apparitions de la Vierge reconnues par l’Église à ses enfants - Éditions Saint Jude

     

    PREMIÈRE APPARITION DE LA VIERGE

    Cova da Iria, midi. Les petits bergers (Lucie, Jacinte et François) récitent leur chapelet, puis reprennent leurs jeux. Tout à coup, un éclair déchire le ciel, puis un second. Levant les yeux, ils voient une jeune femme ravissante, resplendissante de lumière. Elle porte une robe et un manteau blanc brodé d'or qui couvre sa tête et descend jusqu'à ses pieds. Ses mains jointes retiennent un chapelet...

    - N'ayez pas peur. Je ne vous veux aucun mal.

    - D'où êtes-vous ? lui demandai-je (C'est Lucie qui raconte, c'est aussi elle qui parle à la Vierge lors de chacune des apparitions).

    - Je suis du Ciel

    - Et que voulez-vous de moi ?

    - Je suis venue pour vous demander que vous veniez ici les six prochains mois, le 13 de chaque mois, à cette même heure. Par la suite, je dirai qui je suis et ce que je veux. Ensuite, je reviendrai encore ici une septième fois.

    - Et moi, est-ce que j'irai également au Ciel ?

    - Oui, tu iras.

    - Et Jacinta ?

    - Elle aussi.

    - Et Francisco ?

    - Lui aussi, mais il doit réciter beaucoup de chapelets.

    - Est-ce que Maria des Neves est déjà au Ciel ?

    - Oui, elle y est.

    - Et Amélia ?

    - Elle restera au purgatoire jusqu'à la fin du monde. Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu'il voudra vous envoyer, en acte de réparation pour les péchés dont Il est offensé et de supplication pour la conversion des pécheurs ?

    - Oui, nous le voulons.

    - Vous allez donc avoir beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu sera votre réconfort.

    - O, Très Sainte Trinité, je Vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je Vous aime dans le Très Saint Sacrement.

    - Récitez le chapelet tous les jours pour que le monde puisse obtenir la paix et la fin de la guerre.

     

     

     

     

  • Année A - Quatrième dimanche de Pâques

    Références scripturaires de la liturgie de ce dimanche  : Ac 2, 14-41 - 1 P 2, 20-25 - Jn 10, 1-10

    Texte (i-dessous) : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Éditeur : Parole et Silence, 1998

     

    129 En ce dimanche du Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis afin qu'elles aient la vie en abondance, l’Église nous demande avec insistance de prier pour les vocations, spécialement pour les vocations sacerdotales et religieuses. C'est en effet une nécessité fondamentale de prier car, pour que les chrétiens vivent, les communautés ont besoin de vocations sacerdotales qui les construisent et qui leur permettent de se développer. C'est un problème qui se pose de façon aiguë en notre temps car il y a une crise des vocations qui se résoudra en premier par la prière.

    Nous demanderons au Seigneur, du plus profond de notre cœur, des bons bergers qui donnent la vie au peuple de Dieu, marqués du sceau de l'Esprit, à l'image du Christ. Vous me direz peut-être : qu'y puis-je, en quoi cela me regarde-t-il ? Il est vrai qu'une vocation est toute gratuite, d'une gratuité comme il n'en est pas. Tout homme appelé à devenir prêtre en a fait l'expérience : il se demande souvent pourquoi il a été appelé et pas tel autre. C'est le Seigneur qui choisit, voilà pourquoi toute vocation est un don gratuit. C'est le Seigneur qui appelle dans l’Église. Il appelle des hommes à se consacrer à l'annonce de la Parole, au rassemblement de la communauté dans la célébration de l'Eucharistie, à la prière et à la vie fraternelle. Il est là " in persona Christi ", en lieu et place du Christ pour appeler les hommes à le connaître plus totalement, plus profondément, plus réellement.

    Le prêtre représente la tête du Corps c'est-à-dire le Christ. Ce n'est pas de lui-même qu'il re-présente le Christ, c'est parce qu'il a été appelé par l’Église qui l'a 130 consacré. Nous avons à demander au Seigneur que de nombreux jeunes se sentent appelés au sacerdoce. Cela ne germe pas tout seul : cela nous concerne tous. Il faut le demander dans la prière et le Seigneur nous exaucera comme il nous le dit lui-même : " La moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson " (Lc 10,2).

    Il y a dans le monde une recherche de Dieu, un besoin de découvrir le mystère de Dieu que les prêtres devraient pouvoir satisfaire. Il y a un appel de Dieu dans de nombreuses vies, même dans la plupart des vies à des moments différents : il faudrait qu'il y ait des hommes consacrés qui détectent et qui aident ceux qui ont reçu un appel à cette vocation. Bien sûr, nous n'avons rien dans les mains. Un prêtre est un homme qui n'a rien dans les mains. Rien, si ce n'est la puissance de l'amour de Dieu. Là, tout nous est donné. Là tout peut se faire mais je crois qu'il faut que l’Église découvre plus profondément que jamais que le sacerdoce est un don dont personne ne peut s'attribuer le mérite mais qui témoigne de la plénitude de la gratuité de l'amour de Dieu. Rassembler les hommes dans l'unité, dans la vérité, les rassembler dans la charité fraternelle, les rassembler au plus profond de leur être. Il faut des vocations sacerdotales, il faut qu'elles soient nombreuses. A la mesure où nous y croirons, elles nous seront données plus largement que nous l'imaginons.

    Le Seigneur appelle les apôtres qui seront pêcheurs d'hommes. Prions le Seigneur de nous donner de nombreux pêcheurs d'hommes qui en prennent dans leurs filets pour les donner au Seigneur afin qu'ils vivent de sa vie. " Moi je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu'ils l'aient en abondance." Remarquez combien tout est centré sur la vie en abondance. Nous avons à vivre du mystère du Christ mais à en vivre au plus profond de notre être avec joie, dans la paix, dans la lumière. Ce mystère est 131 sur nos vies, c'est un don qui est fait à tous car le sacerdoce n'est pas donné à un seul, il est donné à quelques uns pour le profit et le bénéfice de tous.

    Je voudrais vous dire un mot des vocations religieuses : ce sont des vocations de témoignage. L'absolu de l'amour de Dieu réclame tout, demande tout, demande qu'on lui consacre toute sa vie au point de le suivre dans le célibat, dans la pauvreté, dans l'obéissance. Il y a là un appel spécial, un appel qui s'origine à la vie baptismale commune à tous mais manifestée plus profondément comme un signe vivant, un signe eschatologique : l'amour de Dieu est là présent. Les communautés religieuses sont au cœur de l’Église des témoignages de l'absolu de l'amour de Dieu. Consacrer tout au Seigneur, livrer tout au Seigneur, donner tout au Seigneur, c'est ce qu'Il demande à certains. Mais je voudrais souligner que s'il le demande, c'est pour que nous profitions tous de ses dons.

    Si le Seigneur nous donne d'avoir des communautés religieuses dans l’Église, c'est pour qu'elles témoignent en surabondance de l'amour qui les habite, de la charité fraternelle qui les construit. Nous avons à entrer dans ce mystère et il y a une complémentarité entre le sacerdoce, la vie religieuse et la vie laïque.

    Il y a aussi des vocations dans la vie laïque et nous devons prier pour elles, des vocations qui sont un appel à servir l’Église d'une façon ou d'une autre, humblement, chacun à notre place et nous aidant les uns les autres. Il faut que nous soyons fiers des vocations sacerdotales, il faut que nous soyons fiers des vocations religieuses. Il faut que nous soyons fiers des vocations qui naissent au sein du peuple de Dieu et  qui manifestent tel ou tel aspect de la miséricorde de Dieu.

    Je voudrais souligner ici que les vocations sacerdotales ou religieuses ne nous sont données que dans la prière. C'est la prière qui est première car elle est toute puissante 132 sur le cœur de Dieu et dans le temps difficile au milieu duquel nous vivons, nous devons être des hommes  qui dans la prière portent le salut du monde. Le Seigneur a prié jusqu'à l'agonie. Nous devons rentrer dans sa prière jusque dans son agonie. Il faut se donner au Seigneur jusqu'au bout, il faut aimer comme le Seigneur, jusqu'au bout.

    Relisez le texte de la lettre de St Pierre : il dit qu'il obéit au berger qu'est le Christ. Il nous prévient  qu'il faut vivre à son exemple: " Frères, si l'on vous fait souffrir alors que vous avez bien agi, vous rendrez hommage à Dieu en tenant bon. C'est bien à cela que vous avez été appelés., puisque le Christ lui-même a souffert pour vous  et vous a laissé son exemple afin que vous suiviez ses traces ".  C'est toute l'image du Serviteur souffrant que Pierre donne ici. C'est le cœur de la vie du Christ. C'est cela que nous avons à prêcher. C'est cela que nous avons à annoncer au monde, tous, que nous soyons prêtres, religieux ou laïcs : nous avons à annoncer cette entrée dans le mystère de Dieu. C'est vraiment à cela que nous avons été appelés. C'est parce que le Christ a souffert pour nous qu'il est devenu notre berger.

    Je pense qu'il faut lier la prière à la souffrance : l'accepter dans l'amour de Dieu, parce que le Seigneur comble son Église de façon à ce que nous formions un seul corps et que nous vivions dans la justice, dans la charité, que nous vivions dans l'amour de Dieu, que nous ne soyons pas errants mais que nous demeurions dans la main du bon berger. L'image du bon berger est une des images les plus anciennes. On la trouve dans les catacombes et dans les très anciennes églises. Le bon berger, c'est vraiment le mystère du Christ tout entier et c'est en lui que nous devons demeurer

    Demandons ensemble au Seigneur qu'il nous comble de vocations de toutes natures. Que les prêtres soient comme 133 des radars qui détectent des vocations, qui les aident à grandir et que nous soyons fidèles à obéir à cet appel. Je sais qu'il y a parmi vous certains qui sont touchés par la grâce de Dieu. Ils ont à laisser grandir en eux cet appel. Que le Seigneur fasse grandir en chacun de nous notre vérité  pour que nous entrions dans le mystère de Dieu à la suite du Christ dans la joie, la paix et la lumière. Laissons le Seigneur nous guider, laissons le Saint-Esprit être notre lumière. Confions-lui notre cause, c'est lui qui nous défendra et c'est lui qui nous donnera tout ce dont nous avons besoin. Amen ! 

     

     

     

     

  • Marie, femme du silence

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    79 Parmi tant d'appellations adressées à Marie, dans lesquelles on ne sait s'il faut admirer davantage l'imagination des poètes ou la tendresse de la piété populaire, j'en ai trouvé une, particulièrement suggestive : Marie, cathédrale du silence. 

    Certes, il est difficile aujourd'hui de faire l'expérience du silence dans les cathédrales des métropoles. Mais celui qui y entre poussé par l'envie de prier y découvrira toujours un lieu favorable. En s'asseyant et en observant, il lui suffira d'élever son regard au-dessus du sol, et il trouvera le silence caché là-haut, dans les pénombres des arcades, dans les croisées des ogives. Et, s'il regarde encore plus haut, il se laissera séduire par la hauteur de la voûte, il s'imaginera lui aussi, comme le poète de L'infini, dans " les espaces illimités qui sont au-delà, et les silences surnaturels, et le calme profond..."

    Marie est justement comme une cathédrale gothique qui garde le silence. Jalousement. Elle ne le rompt pas, même quand elle parle. Comme le silence du temple qui, là-haut, joue avec les lumières colorées des fenêtres géminées, avec les mosaïques des chapiteaux et avec les courbes de l'abside. Silence qui n'est pas rompu mais exalté  par le gémissement de l'orgue ou par les cadences mystérieuses du chant grégorien, montant d'en bas.

    Mais pourquoi Marie est-elle la cathédrale du silence ?

    80 Avant tout parce qu'elle est une femme qui parle peu. Dans l’Évangile, elle parle à peine quatre fois. A l'annonce de l'ange. Quand elle chante le Magnificat. Quand elle retrouve Jésus au Temple. Et à Cana de Galilée.

    Puis, après avoir recommandé aux serviteurs des noces d'être à l'écoute de l'unique parole qui compte, elle se tait pour toujours.

    Mais son silence n'est pas seulement absence de voix. Il n'est pas vide de bruit. Ni même le résultat d'une ascèse particulière de la sobriété. C'est, au contraire, l'enveloppe théologique d'une présence. La coquille d'une plénitude. Le sein qui garde la Parole.

    L'un des derniers versets de la lettre aux Romains nous offre la clé d'interprétation du silence de Marie. Il parle de Jésus-Christ comme de la révélation du mystère gardé dans le silence durant des temps éternels (Rm 16,25). 

    Christ, mystère silencieux. Secret, c'est-à-dire caché. Littéralement enveloppé de silence. En d'autres termes, le Verbe de Dieu dans le sein de l'éternité était emmailloté de silence. En entrant dans le sein de l'histoire, il ne pouvait pas avoir d'autres langes. Et Marie les lui a offerts, en sa personne. 

    Elle est devenue ainsi le prolongement terrestre de ce mystérieux silence du ciel. Elle est devenue le symbole pour qui veut garder les secrets d'amour. Et pour nous tous, assourdis par le vacarme, elle est restée le tabernacle silencieux de la Parole : Elle gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur (Lc 2,51)

     

    Sainte Marie, femme du silence, ramène-nous aux sources de la paix. Permets que nous ne soyons pas 81 assaillis par les mots. Par les nôtres, avant tout. Mais aussi par ceux des autres.

    Fils du bruit, nous pensons dissimuler l'insécurité qui nous tourmente à travers le rabâchage de nos interminables discours. Fais-nous comprendre que c'est seulement lorsque nous nous serons tus que Dieu pourra nous parler. Solidaires du vacarme, nous sommes persuadés de pouvoir exorciser la peur en haussant le volume de nos transistors : fais-nous comprendre que Dieu parle à l'homme uniquement sur les sables du désert, et que sa voix n'a rien à voir avec les décibels de nos tapages. (...)

    82 Sainte Marie, femme du silence, admets-nous à ton école. Tiens-nous loin de la foire du vacarme dans laquelle nous risquons de nous assourdir, à la limite de la dissociation de notre personnalité. Préserve-nous de la volupté morbide des nouvelles, qui nous rend sourds à la " Bonne Nouvelle ". Rends-nous opérateurs de cette écologie acoustique qui nous redonne le goût de la contemplation même dans le tourbillon de la ville. Convaincs-nous que les grandes choses de la vie, la conversion, l'amour, le sacrifice et la mort, mûrissent seulement dans le silence.

    Mère très douce, nous voulons te demander une dernière chose. Toi qui, comme le Christ sur la croix, as expérimenté le silence de Dieu, ne t'éloigne pas de nous à l'heure de l'épreuve. Quand le soleil s'éclipse pour nous, quand le ciel ne répond plus à notre cri, quand la terre devient du sable mouvant sous nos pas et que la peur de l'abandon risque de nous désespérer, reste à nos côtés. dans ces moments-là, romps même le silence pour nous dire des paroles d'amour !

    (...)

     

     

     

  • Marie, femme en chemin

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    67 Si les personnages de l’Évangile avaient eu une sorte de compteur kilométrique incorporé, je pense que Marie aurait gagné le prix des marcheurs les plus infatigables.

    Jésus mis à part, naturellement.

    Mais lui, on le sait, s'était tellement identifié avec le chemin qu'il confia un jour aux disciples qu'il avait invités à le suivre : Je suis le chemin.

    Le chemin. Pas le voyageur !

    Comme Jésus est donc hors concours, c'est sans aucun doute Marie qui se retrouve en tête, dans la classification des pèlerinages évangéliques.

    On la trouve toujours en chemin, d'un côté à l'autre de la Palestine et même jusqu'à l'étranger.

    Voyage aller et retour à Nazareth aux montagnes de Judée, pour aller voir sa cousine, avec cette espèce de supplément rapide cité par Luc, assurant qu'elle rejoignit la ville en hâte. Voyage jusqu'à Bethléem. De là, à Jérusalem pour la présentation au Temple. Expatriation clandestine en Égypte. Retour prudent en Judée avec le laissez-passer délivré par l'ange du Seigneur, puis de nouveau à Nazareth. Pèlerinage à Jérusalem avec une " réduction de groupe " et double parcours avec excursion dans la ville à la recherche de Jésus. On la trouve encore au milieu de la foule, où elle le rencontre en Galilée, errant de village en village, peut-être avec un peu l'idée de le faire rentrer à la maison. Finalement, elle est sur les sentiers du Calvaire, au pied de la croix, 68 où l'étonnement de Jean prononçant le mot stabat exprime, plutôt que la pétrification douloureuse d'une course perdue, l'immobilité de statue de qui attend sur le podium le prix de la victoire !

    Icône de la marche sans répit, on ne la trouve assise qu'au festin du premier miracle. Assise, non pas immobile. Elle ne sait pas rester au repos. Elle ne court pas avec le corps, mais avec l'âme. Et si ce n'est pas elle qui va vers l'heure de Jésus, elle fait venir cette heure à elle, en faisant tourner à l'envers les aiguilles de la montre, jusqu'au moment où la joie de Pâques fait irruption sur la table des hommes.

    Elle est toujours en chemin. Et, de plus, sur un chemin qui monte.

    Depuis qu'elle s'est acheminée vers la montagne, jusqu'au jour du Golgotha, ou même jusqu'au crépuscule de l'Ascension, lorsqu'elle monta avec les disciples dans la Chambre haute, dans l'attente de l' Esprit, ses pas sont toujours scandés par l’essoufflement des altitudes.

    Elle aura fait aussi les descentes. Jean en mentionne une, lorsqu'il dit qu'après les Noces de Cana, Jésus descendit vers Capharnaüm avec sa mère. Mais l'insistance avec laquelle l’Évangile accompagne du verbe " monter " ses voyages à Jérusalem non seulement fait allusion à la poitrine qui s'essouffle ou aux pieds  qui gonflent, mais plus encore indique que le pèlerinage de Marie sur la terre est symbole de toute la fatigue d'un exigeant itinéraire spirituel. 

     

    Sainte Marie, femme de la route, comme nous voudrions te ressembler pendant nos courses haletantes, mais nous n'avons pas de but. Nous sommes 69 des pèlerins comme toi, mais sans sanctuaire où aller. Nous sommes plus rapides que toi, mais le désert engloutit nos pas. Nous marchons sur l'asphalte, mais le bitume efface nos traces.

    Forçats du " marche ou crève ", il manque dans notre sac du pèlerin la carte routière qui donne un sens à nos voyages. Et, avec toutes les voies de raccordement que nous avons à notre disposition, notre vie ne se rattache à aucune bretelle constructive, nos roues tournent à vide sur les boulevards circulaires de l'absurde et nous nous retrouvons inexorablement à contempler les mêmes panoramas.

    Donne-nous, nous t'en prions, le goût de la vie. Fais-nous savourer l'ivresse des choses. Offre des réponses maternelles aux questions que nous posons à propos du sens de notre marche interminable. Et, si, sous nos pneus violents, les fleurs ne poussent plus comme autrefois sous tes pieds nus, fais que nous ralentissions au moins nos courses effrénées pour jouir de leur parfum et admirer leur beauté.

    Sainte Marie, femme en chemin, fais que nos sentiers soient des instruments de communication avec les autres, comme les tiens le furent, et non pas des rubans isolants à l'aide desquels nous assurons notre solitude aristocratique.

    Libère-nous de l'anxiété de la métropole et donne-nous l'impatience de Dieu.

    L'impatience de Dieu nous fait marcher plus vite pour rejoindre nos compagnons de route. Le stress de la métropole, au contraire, nous rend spécialistes du dépassement. Elle nous fait gagner du temps, mais nous fait perdre le frère qui marche à côté de nous. Elle met dans nos veines la frénésie de la vitesse, mais elle vide nos journées de tendresse. Elle nous fait appuyer sur l'accélérateur, mais elle ne 70 donne pas à notre hâte, comme à la tienne, des saveurs de charité. (...)

    Sainte Marie, femme en chemin, " signe d'espérance sûre et de consolation pour le peuple de Dieu en marche ", fais-nous comprendre que nous devons chercher sur le tableau de l'histoire, plus que sur les cartes géographiques, les chemins de nos pèlerinages. C'est sur ces itinéraires que croîtra notre foi. (...)

    Si tu nous vois égarés au bord de la route, arrête-toi, ô douce Samaritaine, et verse sur nos plaies l'huile de la consolation et le vin de l'espérance. Et remets-nous ensuite sur la bonne voie. Des brouillards de cette " vallée de larmes ", où se consument nos afflictions, fais-nous tourner les yeux vers les monts d'où viendra le secours. Alors sur nos chemins fleurira l'exultation du Magnificat.

    Comme en ce lointain printemps, lorsque tu es montée sur les hauteurs de Judée.

     

     

     

     

  • Marie, femme courageuse

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    63 C'est peut-être une conséquence du Ne crains pas prononcé par l'ange de l'Annonciation. En tout cas, depuis ce moment-là, Marie a affronté la vie avec une force d'âme incroyable, et elle est devenue le symbole des " Mères Courage " de tous les temps.

    C'est clair : elle aussi a eu à compter avec la peur.

    Peur de ne pas être comprise. Peur de la méchanceté des hommes. Peur de ne pas y arriver. Peur pour la santé de Joseph. Peur pour le destin de Jésus. Peur de rester toute seule... Combien de peurs !

    S'il n'y avait pas encore de sanctuaire consacré à la "  Madone de la peur ", il faudrait le bâtir. Nous nous réfugierions dans ses nefs. Car nous tous, comme Marie, nous sommes traversés par ce sentiment très humain qui est le signe le plus clair de notre limite.

    Peur du lendemain. Peur qu'un amour cultivé depuis longtemps puisse prendre fin tout à coup. Peur pour un fils qui ne trouve pas de travail et qui a dépassé la trentaine. Peur pour l'avenir de la plus jeune de la maison qui rentre toujours après minuit, même en hiver, et à qui on ne peut rien dire, car elle répond mal. Peur pour la santé qui décline. Peur de la vieillesse. Peur de la nuit. Peur de la mort...

    Alors, dans le sanctuaire consacré à la " Madone de la peur " devenue " Madone de la confiance ", chacun de nous pourrait retrouver la force d'avancer, en redécouvrant les versets d'un psaume que Marie 64 aura prononcé à mi-voix qui sait combien de fois : Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi...tous les jours de ma vie (Ps 23,4)

    Madone de la peur, donc. Non pas de la résignation. Car elle n'a jamais baissé les bras en signe de résignation, et elle ne les a jamais levés pour dire qu'elle se rendait. Une seule fois elle s'est rendue : quand elle a prononcé son fiat et s'est constituée prisonnière de son Seigneur.

    A partir de ce moment-là, elle a toujours réagi avec une détermination incroyable, allant à contre-courant et dépassant les difficultés inouïes devant lesquelles tout le monde aurait capitulé. De la gêne de l'accouchement dans une étable jusqu'à l'expatriation forcée pour échapper à la persécution d'Hérode. Des jours amers de l'asile politique en Égypte, à la prise de conscience des prédictions menaçantes de la prophétie de Siméon.  Des sacrifices d'une vie peu aisée, pendant trente années de silence, au jour amer où la boutique du charpentier, parfumé de vernis et de souvenirs, fut fermé pour toujours. Des serrements de cœur provoqués  par certaines nouvelles qui circulaient sur son fils, au moment du calvaire quand, défiant la violence des soldats et le ricanement du peuple, elle se dressa courageusement au pied de la croix.

    Son épreuve à elle était difficile. Marquée, comme pour son fils mourant, par le silence de Dieu. Une épreuve sans mise en scène et sans aucune réduction sur le prix de la souffrance, qui fait comprendre le sens de cette antienne résonnant dans la liturgie du Vendredi Saint : " O vous tous qui passez, arrêtez-vous et voyez s'il existe une douleur semblable à la mienne. "

    65 Sainte Marie, femme courageuse, dans une célèbre homélie prononcée il y a quelques années à Zapopan, au Mexique, Jean-Paul II [le 30 janvier 1979] a dressé le plus beau monument que le magistère de l’Église ait jamais élevé à ta fierté humaine, en disant que tu te présentes comme un modèle pour " ceux qui n'acceptent pas passivement les circonstances adverses de leur vie personnelle et sociale, ni ne sont victimes de l'aliénation ". 

    Ainsi, tu ne t'es pas résignée à subir l'existence. Tu as combattu. Tu as affronté les obstacles à visage découvert. Tu as réagi face à tes difficultés personnelles et tu t'es rebellée contre les injustices sociales de ton temps. Tu n'as donc pas été cette femme entièrement consacrée à sa maison et à son église, comme certaines images pieuses voudraient nous le faire croire. (...)

    Ainsi, sainte Marie, femme courageuse, toi qui pendant les trois heures d'agonie au pied de la Croix as absorbé, comme une éponge, les afflictions de toutes les mères de la terre, donne-nous un peu de ta force d'âme. (...) Soulage les souffrances de toutes les victimes des injustices. apaise les larmes cachées de tant de femmes qui, dans l'intimité de leurs maisons, sont systématiquement et abusivement opprimées par les hommes. (...)

    66 Sainte Marie, femme courageuse, toi qui sur le Calvaire as gagné toi aussi la palme du martyre, encourage-nous par ton exemple à ne pas nous laisser abattre par l'adversité. Aide-nous à porter le fardeau des tribulations quotidiennes, non pas avec l'esprit des désespérés, mais avec la sérénité de celui qui se sait blotti dans le creux de la main de Dieu. Et, si la tentation d'en finir nous effleure parce que nous n'en pouvons plus, tiens-toi auprès de nous. Assieds-toi sur nos trottoirs désolés. Redis-nous des paroles d'espérance.

    Alors, réconfortés par ton souffle, nous t'invoquerons par la prière la plus ancienne qui ait jamais été écrite en ton honneur : " Nous nous réfugions sous ta protection, Sainte Mère de Dieu ; ne méprise pas les supplications que nous t'adressons dans l'épreuve ; mais délivre-nous sans cesse de tout péril, ô Vierge comblée de gloire et de bénédictions."