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  • Confiance dans la Parole

    Quand tout va mal, Dieu est accusé de silence et il est remplacé ;  quand tout va bien, il est oublié car on n'en a plus besoin. Dans les deux cas, on renonce à la Parole, ne lui laissant pas le temps de prendre racine, quitte à reprocher à Dieu, plus tard, de garder le silence. En réalité, les hommes ne l'écoutent plus:

    Ils m'abandonnent, moi, la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l'eau. [Jr 2, 13.]

    La Bible et notre propre histoire nous apprennent où peut mener un tel oubli de Dieu. Ayant perdu l'écoute de la Parole de l'Autre qui révèle le sens de toutes choses - et ce sens se situe en dehors de l'humanité qui n'est pas sa propre source -, beaucoup se centrent sur eux-mêmes  et entendent maîtriser la totalité de leur destinée. Ils lui vouent leur cœur, leur vie et leur pouvoir. Mettant tout au  service du profit et de leur propre bonheur personnel, ils n'hésitent pas à asservir leurs frères à leurs propres desseins, comme Adam et Ève voulant se situer par eux-mêmes à l'origine du bien et du mal, comme Caïn jaloux d'Abel et l'éliminant, comme Abraham lui-même, reniant son épouse et la laissant partir comme sa sœur dans la maison de Pharaon, comme nous si souvent et ceux qui nous entourent.

    Par la foi, celui qui entend et accepte l'appel de Dieu choisit de faire confiance à sa Parole sans autre garantie que l'engagement de celui qui la dit. Cette décision  est à prendre et à reprendre : avec lucidité car le croyant a ses faiblesses, et avec une confiance radicale car celui auquel il s'en remet l'a façonné avec amour. La voie que Dieu propose est difficile, exigeante, nous l'avons vu, mais le croyant a l' assurance que celui qui l'a appelé ne lui manquera pas. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.30-31   

  • la création du monde

    L'approfondissement de l'idée de création est le fait d' exilés, dépouillés de tout et qui n'ont pas oublié leur origine lointaine. D'une multitude d'esclaves, Dieu a fait un peuple en les libérant d'Égypte, voilà pourquoi maintenant des « rescapés des nations» (Is 45, 20), il peut faire une colonne en marche pour un nouvel exode vers la terre les ancêtres. Le peuple vit avec la mémoire vive que de la mort et du chaos, Dieu peut « appeler à l'existence ce qui n'existe pas » (Rm 4, 17). Et pourquoi cela? Parce qu'il est le Dieu vivant souverainement libre: il n'a pas besoin de l'univers pour être Dieu, s'il crée c'est parce qu'il aime. 

    Quand ils écrivent le premier chapitre du livre de la Genèse, les rédacteurs sont habités par cette foi. Pour évoquer la création de l'univers, ils utilisent alors le verbe créer - en hébreu bara' - que le prophète de l'Exil avait utilisé pour annoncer le renouveau de son peuple. Ce verbe, traduit habituellement par créer, signifie littéralement faire du nouveau, de l'inattendu. A lui seul, il exprime la liberté du Créateur qui de rien peut faire du neuf, et cela « pour rien », si l'on peut dire, gratuitement. Il s'ensuit que notre monde ne détient pas en lui-même la clé de sa destinée ultime : les savants peuvent nous dire de mieux en mieux « comment il marche », mais ils se refusent à dire pourquoi et pour quoi il existe. On ne peut donc déchiffrer le sens de la création en la contemplant. Prétendre lire dans le monde les intentions secrètes de Dieu sur lui, ce serait lier nécessairement le Créateur à sa création, ce serait nier son altérité par rapport au monde et porter atteinte à sa transcendance. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, p.19   

  • Il nous a confié la terre

    Le Dieu qui se révèle et parle aux hommes est celui qui les crée. Bien que l' Ancien Testament ait peu utilisé cette expression, on peut dire qu'il est « le Père» de ceux à qui il s'adresse car il les a faits ! L'idée de création est familière aux peuples de l'Orient ancien. En Israël on vit aussi avec la certitude que Dieu est celui qui a façonné l'homme, comme le rapporte le récit de Genèse 2. Toutefois la réflexion sur Dieu, considéré comme le « créateur du ciel et de la terre » s'est effectuée à une époque relativement tardive de l'existence du peuple élu, puisqu'on la situe généralement au cours de l'Exil, avec, comme porte-parole privilégié, un prophète anonyme, dénommé « Second Isaïe » (parce que ses oracles ont été conservés dans le livre d’Isaïe aux chapitres 40 à 55).

    La situation est paradoxale. A ce moment-là, Israël vit une véritable mort, qui peut lui laisser penser que Dieu l' a définitivement abandonné. Il se trouve dépouillé de tout ce que le Seigneur lui avait promis et effectivement donné : une terre, une dynastie assurant sa pérennité, un sanctuaire où habitait parmi les siens la gloire du Très-Haut qui les avait délivrés de la main des Égyptiens. De cela, sur une terre étrangère, il ne reste rien. Et c'est dans ce chaos que  le prophète confesse de façon paradoxale et avec une foi extraordinaire que son Dieu est le Seigneur de l'univers:

    Jacob, pourquoi dis-tu, Israël, pourquoi affirmes-tu: «Mon chemin est caché au Seigneur, mon droit échappe à mon Dieu ? » Ne sais-tu pas? N'as-tu pas entendu ? Le Seigneur est le Dieu de toujours, il crée les extrémités de la terre. Il ne faiblit pas, il ne se fatigue pas ; nul moyen de sonder son intelligence, il donne de l'énergie au faible, il amplifie l'endurance de ce qui est sans forces. [Es 40, 27-29.]

    Cette foi, exprimée quand le peuple est privé de tout ce qu' il avait reçu, affirme, par son existence même, que la présence de Dieu ne doit pas être confondue avec ce qu'il donne : la possession d'une terre, le lien à une dynastie, l'existence d'un temple. Loin de Jérusalem, le prophète met en Dieu sa foi avec l'assurance qu'il demeure auprès de son peuple. Cette conviction est aussi celle du prophète Ézéchiel ; Dieu ne s'éloigne pas des siens :

    Ainsi parle le Seigneur Dieu : Oui, je les ai éloignés parmi les nations ; je les ai dispersés dans les pays étrangers, et j'ai été pour eux un sanctuaire. [Ez 11, 16.]  (...)

    Cette même conviction se trouve inscrite, dès les premiers versets de la Bible : Dieu est le Vivant qui du chaos fait jaillir la vie ! Par cette foi en la création, Israël marque ainsi sa différence avec les croyances des peuples environnants. En effet, affirmer que Dieu crée la lumière, les astres, la terre et tout ce qu'elle renferme, et finalement l'humanité, c'est désacraliser ces réalités : elles ne sont que des créatures contrairement aux croyances des autres peuples qui considéraient les astres comme des divinités, adoraient le soleil, voyaient dans le roi un être divin et représentaient les dieux sous la forme d'animaux. En confessant Dieu créateur, le peuple élu le distingue de tout l'ordre créé : il est totalement autre que sa création. Dès lors - et cela rejoint directement le sujet de notre réflexion -, le monde en tant que tel ne parle pas de Dieu, et sa contemplation ne permet pas de rejoindre son origine divine en remontant de cause en cause. Dieu n'appartient pas au temps ; il ne fait pas partie de notre monde, même pas à titre de causalité initiale. Avant que le monde soit, il existe! S'il crée le monde, celui-ci ne peut être que radicalement autre que lui.

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.15-18   

  • Cheminer avec la Bible

    La Bible est un univers à plusieurs dimensions: le lecteur peut  y voir simplement un monument de la culture universelle. Il peut ensuite y découvrir un extraordinaire éventail de l'expérience humaine capable d'éclairer sa propre quête de sens. Il peut enfin être touché par la Parole et discerner une Présence. Selon les attentes et les convictions de chacun, c'est une fenêtre sur l'univers insondable de Dieu, mais aussi sur celui de l'humain, de sa culture, de son histoire individuelle et sociale. Chaque approche est légitime, la Bible ayant cessé d'être le monopole de l'Église. Du point de vue culturel, c'est un objet susceptible de multiples modes d'investigations littéraires, philosophiques et scientifiques. Du point de vue personnel, c'est un champ symbolique grâce auquel le lecteur peut relire sa propre existence. Expériences, personnages ou récits permettent à chacun de dialoguer avec lui-même par la médiation du texte et d'y percevoir comme en un miroir une révélation de son être inconnu. Le croyant, quant à lui, aborde l'Écriture comme une lettre que Dieu lui adresse, comme une invitation à entrer en communion avec lui. Lorsque cela advient, le temps fait comme un arrêt sur image, l' être intérieur surgit dans la lumière du pardon, la vie s'illumine dans la liberté du oui. École d'humanité, de réconciliation, de vie, la Parole agit différemment selon les lectures que nous en faisons.

    Pour le lecteur qui aborde le texte sacré comme une médiation de sa relation au Christ, un cheminement est nécessaire. L'accès au mystère proprement dit ne saurait être immédiat. Le passage de l'intelligence au cœur nécessite une progressivité. La raison d'être d'une méthode de lecture fondée sur les quatre sens de l'Écriture est donc avant tout d'ordre pédagogique. [...]

    La lectio divina correspond à ce travail d' appropriation de la Parole capable de transformer l'être tout à la fois charnel et spirituel et de l'unir à Dieu. La spiritualité de la "lecture divine"  est ainsi une sorte de propédeutique favorisant l'apprentissage de l'écoute jusqu'à ce que la Parole fasse jaillir en nous la prière. Elle nous achemine du plus extérieur au plus intérieur, de la simple compréhension à l'expérience de la relation à Dieu. Chaque sens de l'Écriture, ainsi abordé dans la foi, comporte cette dimension de rencontre que représente tout acte de parole. De ce point de vue, le sens littéral est puissance d'énonciation: « C'est moi, le Seigneur qui te le dis ! »; le sens allégorique renvoie à la - communication d' un message: « Écoute ce que je te dis! »; le sens moral correspond à un interpellation concernant la réalité que la Parole de Dieu nous fait découvrir: « Fais-le et tu vivras ! »; enfin le sens anagogique est cet confirmation de la promesse capable d'ouvrir le chemin de l'inconnu :  "Je suis avec toi " 

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 295-296

  • souillure, culpabilité et péché

    La capacité à se réconcilier avec autrui dépend de la réconciliation avec soi-même. Pour situer la nature de celle-ci, il est utile de rappeler la distinction faite par Ricoeur entre souillure, péché et culpabilité dans l'expérience du mal (cf. Paul Ricoeur - Le conflit des interprétations - Seuil, 1969. p. 486). Le sentiment de la souillure est le plus archaïque. Il est lié à la crainte d'avoir enfreint un interdit et d' être justiciable de la vengeance d'une puissance sacrée. Il s'exprime dans la symbolique du pur et de l'impur et requiert donc une purification afin que l'être amoindri soit restauré dans sa dignité. Celle-ci a été atteinte par l'irruption d'un mal extérieur reconnu présent au-dedans de soi. La gestion de la souillure est donc, avant tout, d'ordre rituel afin que l'extériorité du mal ne vienne plus submerger l'intérieur de l'homme. Dépassant l'identification faite par les religions anciennes entre le mal et la souillure, la Bible a introduit pour sa part la notion de péché,  définissant l'action mauvaise comme étant un acte accompli devant Dieu. Ce mal n'est plus d'abord une réalité extérieure devenue intérieure, mais un écart entre le comportement effectif et les exigences de l'alliance avec Dieu. Le péché est un acte objectif qui entraîne la rupture de la relation avec le Créateur. Il provoque la colère divine et constitue à ce titre une menace d' anéantissement. Enfin, la naissance du sentiment de culpabilité constitue une nouvelle étape dans l'interprétation du mal. Elle est liée initialement au développement de la conscience subjective du péché. Cet affinement du jugement personnel dans la responsabilité à l'égard du mal peut finalement se détacher de la notion de péché elle-même. La perception d'une action accomplie "devant Dieu" cède la place au sentiment d'être, à ses propres yeux,  coupable de cet acte. À l'image de l'écart propre à la notion de péché se substitue alors celle d'un poids pesant sur la conscience, une conscience qui se juge elle-même selon les critères de la raison.  Aujourd'hui, chacun de ces aspects de l'expérience du mal peuvent se compénétrer à des degrés divers.

    Le sentiment d'être pécheur relève de l'expérience religieuse, tandis que le sentiment de culpabilité peut s'interpréter du seul point de vue psychologique. Se reconnaître pécheur et se sentir coupable ne sont pas des actes équivalents, même s'ils peuvent être vécus dans le cadre d'une même situation. Le sentiment de culpabilité est une réalité universelle, que connaît tout être humain et dont les ressorts profonds sont inconscients. Il s'éprouve cependant consciemment en relation plus ou moins explicite avec des fautes objectives, mais ni la faute, ni le sentiment éprouvé subjectivement ne sont suffisants pour parler de péché. Ce terme est en effet une réalité  de foi qui suppose la conscience d' avoir blessé l'amour de Dieu. Concrètement, cela signifie que la confession des péchés n'est pas une auto accusation, mais un aveu fait à Dieu. Dans le premier cas, le sujet reste en présence de lui-même et de sa déception au regard de ce qu'il souhaiterait être. Dans le second, il prend conscience de son égarement en accueillant  l'amour de Dieu. La culpabilité est source de crainte lorsqu'il y a violation d'un interdit, ou de honte s'il s'agit d'une perte de l'estime de soi au regard d'un idéal.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, PP. 289-290

  • Creuser profond la Parole

    L'incarnation du Verbe engage toute la vie de Jésus et s'achève sur la Croix, Dieu glorifiant sa Parole par sa résurrection d'entre les morts. D'une certaine manière, il en va de même pour tout auditeur de la Parole. Celle-ci prend chair dans sa propre vie dans la mesure où elle lui donne sens et l'oriente vers sa fin ultime. Elle le fait tout à la fois en confirmant l'humain dans sa dignité de créature et en l'appelant à une relation filiale avec Dieu. Ainsi la condition humaine prend-elle sens comme Parole de Dieu dans le Christ. La Bonne Nouvelle est un appel à entendre cette Parole d'élection que Dieu adresse à chacun(e) comme à un enfant unique et bien-aimé.

    Mais accueillir une telle parole, c'est entrer dans une relation de foi singulière face à laquelle l'être humain ne peut que ressentir plus profondément sa misère : " Eloigne-toi de moi Seigneur, car je suis un homme pécheur " (Lc 5, 8b). Si certains en reçoivent la grâce, ce ne peut être en vertu de mérites particuliers, mais en vue d'une mission. Le chrétien est apôtre s'il a fait  l'expérience de sa propre impuissance au regard de l'Amour. Il peut alors témoigner de la gratuité divine et aider les autres à découvrir leur liberté filiale dans le Christ. Plus le croyant sera descendu profondément dans ses propres ténèbres intérieures, plus il aura conscience du caractère absolument gratuit de son élection.

    L'écoute de la Parole à ce niveau de  profondeur suppose tôt ou tard l'expérience d'un jugement, la mise en lumière du péché, pour devenir en vérité source de salut et recréation dans le Christ. Jean de la Croix, docteur mystique de la nuit, a situé au coeur de l'expérience spirituelle la traversée du négatif. Nous le rejoignons ici sur l'autre rive, là où la Parole a transformé en lumière le mal de la vie. Dans le commentaire de son poème, "la Vive Flamme d'Amour", il décrit cette Parole devenue feu d'amour filial. Comme dans l'évangile johannique, cette expérience est l'oeuvre conjointe du Christ et de l'Esprit.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 273-274

  • Mémorial de la Parole

    Best-seller toujours incontesté, la Bible est à la portée de tous au risque, le plus souvent, de n'être qu'un objet banalisé. Pourtant, elle demeure source de vie spirituelle pour beaucoup de croyants, œuvre d'intérêt culturel pour des incroyants et objet d'études de la part de nombreux savants au point que nul texte sacré de l'humanité n'a été et ne demeure soumis à tant d'examens critiques. Par-delà les vagues médiatiques qui remettent périodiquement en cause la crédibilité de la lecture chrétienne de ce livre, celui-ci résiste à tous les dépeçages auquel il se trouve soumis et ouvre au croyant le mieux informé des recherches modernes la perspective d' une Parole tout à la fois historique et divine: la Bible est la trace visible de la Parole de Dieu proférée et reçue dans notre histoire humaine ! Cette parole ne saurait être réduite à des écrits : elle est événement de salut et culmine dans l'annonce de la résurrection de Jésus de Nazareth.

    Tandis que les premières générations chrétiennes étaient dans l'attente de la venue en gloire du Seigneur ressuscité, l'Église se trouve confrontée durant les II e III e siècles à la réduction de la figure du Christ à celle d' un personnage céleste. Différents courants (gnose, marcionisme) affirment que c'est un être spirituel ayant d'un homme que l'apparence (docétisme). L'enracinement  la personne de Jésus dans l'histoire doit donc être rappelé, d'où importance accrue de la mémoire. La Bible, comme mémorial d'une Parole révélée dans l'histoire, acquiert alors un rôle de premier ordre. Ainsi, après une période où prédomine l'attente, le temps est venu de privilégier le souvenir en vue d'une transmission authentique de la foi. La religion nouvelle s'institutionnalise donc sur la base de cet événement éditorial majeur qui marquera plus que tout autre la culture européenne. Cette Bible chrétienne à deux volets, Ancien et Nouveau Testament, devient une médiation de la présence du Ressuscité à son Église et un lieu privilégié de l'expérience spirituelle pour les élites cultivées ayant accès à l'écrit. Outre l'aspect institutionnel évident concernant la nécessité pour toute religion d' avoir son corpus scripturaire, ce processus rejoint une exigence nouvelle de la vie spirituelle: en lien avec la célébration liturgique et sacramentelle de nature communautaire, la méditation solitaire de la Parole permet une approche plus personnelle de la communion avec le Ressuscité.

    Cette Parole est ainsi tout à la fois une réalité historique, théologique et spirituelle: réalité historique, la Bible comme monument culturel est étroitement liée à la naissance du christianisme; réalité théologique, la Bible comme Parole de Dieu manifeste le déploiement historique de la révélation; réalité spirituelle, la Bible comme Parole pour l'homme est chemin de la rencontre de Dieu dans le Christ. Le christianisme est ainsi fondamentalement une religion de la Parole sans être pour autant une religion du livre.

     

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 209-210

  • Demeurer dans la rencontre (2)

    Qui a l'initiative d'une telle rencontre? Est-ce la conséquence d'une décision personnelle ou bien d'une exigence que Dieu nous fait percevoir? Faisons-nous oraison par motif de sagesse, pour trouver un équilibre de vie, pour nous dégager des passions et du stress de l'existence ou bien en raison d'une exigence d'amour et  de fidélité qui découle de notre rencontre avec le Christ? Dans le premier cas, l'accent sera mis sur la discipline, voire l'hygiène de vie. Dans le second cas, il portera sur l'obéissance à la Parole.

    La première démarche est de type sapientiel. Elle s'appuie sur le désir d'une vie humainement épanouie (éros). L'accomplissement  de soi inclut la dimension spirituelle et la relation à Dieu. Cette aspiration n'est pas en soi typiquement chrétienne et se fonde sur le désir naturel à tout être d'exister conformément à ce qu'il est. Beaucoup de gens se tournent pour cela vers les sagesses orientales, donnant ainsi la première place à l'initiative humaine. Une société qui valorise l'autonomie des individus encourage cette recherche très personnelle de son propre chemin spirituel. Le chrétien cherche aussi un épanouissement personnel, mais touché par l'amour prévenant de Dieu, il voit dans l'amitié du Christ un condition essentielle quant à la réussite de sa vie humaine.

    La deuxième démarche est de type prophétique. Elle repose sur une expérience de salut en Jésus Christ. Elle procède d'un appel, d'une rencontre décisive. La foi en Jésus Sauveur nous fait prendre conscience de notre état de perdition: sans le Christ, la vie n'a plus de sens. L'oraison est alors une exigence, une soif, une quête de Dieu. Elle nous garde sous le jugement de sa Parole, dans la dynamique de son appel, sous la motion de son Esprit. Elle est exigence de conversion, d' écoute, de disponibilité à recevoir du Christ la vie de Dieu et à en rendre témoignage. Il ne s'agit pas ici de générosité humaine, mais d'ouverture à une énergie d'amour qui nous traverse en nous gardant dans la pauvreté du cœur. Il ne suffit pas d' être présent, mais encore de l'être avec ce cœur de pauvre qui ne s'appuie jamais sur ses propres acquis. Aussi, l'oraison proprement chrétienne ne s'apprend-elle pas. Nous pourrions même dire que notre détachement à l'égard de tout progrès est un bon signe d'avancement spirituel. Le but de l'oraison n'est pas de croître, mais de décroître. Il n'est pas d'exalter la grandeur de notre dignité humaine, mais de perdre sa vie entre les mains de celui-là seul qui la sauve. Il n'est pas de se glorifier, mais de découvrir l'absolue gratuité de l'amour qui a pour nom miséricorde: « Quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s' abaisse sera élevé» (Lc 14,11). Faire oraison, c'est littéralement se convertir à Dieu de sorte que " je vive, mais non plus moi, sinon  le Christ en moi» (Ga 2,20a).

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, p. 199

  • Demeurer dans la rencontre (1)

    La prière est un chemin privilégié pour demeurer avec le Christ, l'écouter et le rencontrer ici et maintenant comme la Parole que Dieu nous adresse. Écouter, ce n'est pas, en effet, faire mémoire d'un personnage du passé, mais rencontrer l'Emmanuel, « Dieu avec nous ». L'écouter, ce n'est pas se projeter non plus dans un avenir imaginaire, espérer une perfection future, mais croire en lui et en la réalité actuelle de son amour pour nous.

    Du point de vue du salut, il n'y a plus d'histoire : les derniers temps sont advenus. Dieu est là. Faire oraison, c'est s'ouvrir à l'actualité de cette présence. Mais quelle exigence, quelle immersion dans la limite du temps condensé ainsi en ce moment présent ! Pourtant cette porte étroite donne sur la Vie (cf. Mt 7, 13 s). La prière, comme enfouissement dans le moment présent, est relation à Dieu et perception de la Vie éternelle. Mais l'intensité de ce présent est telle, qu'elle exige de notre part un engagement sans cesse renouvelé. Face à un si grand mystère, nous serons toujours des débutants, comme ces enfants qui seuls ont accès au Royaume (cf. Mt 18,3 s). L'oraison choisie comme un infatigable commencement nous situe dans une attitude de conversion, de disponibilité à la Parole. Dieu ne parle qu'aujourd'hui au sens où sa Parole est relation à des vivants dans l'aujourd'hui de leur liberté. D'une certaine manière, tout le temps de l'oraison se passe à commencer, car nous ne sommes maîtres ni de notre capacité à demeurer présents à Dieu, ni de sa libre initiative. Etre présent, c'est demeurer disponible à Quelqu'un.

    S'il ne dépend pas de nous de pouvoir y parvenir, notre engagement est malgré tout essentiel. Il se traduit par la ferme décision de vivre dans la foi une véritable rencontre. Prier nécessite une conscience suffisante et de soi-même et de Dieu. La présence à soi-même implique la conscience de notre existence corporelle, mais aussi celle de notre condition pécheresse. L'examen de conscience nous place sous le jugement de la Parole qui dénonce toute glorification de soi. L'humble reconnaissance du péché témoigne de l'ouverture à la gratuité de la Présence: « Oui, réfléchissez, et comprenez, en l'approchant, à qui vous allez parler, ou à qui vous êtes en train de parler. Nous pourrions vivre mille existences sans concevoir les égards que mérite ce Seigneur devant qui tremblent les anges. Il commande à tout. Il peut tout. Sa volonté agit" (Thérèse d'Avila). L'oraison est une rencontre entre le croyant et Dieu. La prière n' a pas lieu si l'un des deux manque au rendez-vous et nous devinons sans peine lequel est concerné par ce risque. La présence à Dieu peut paraître médiocre et parfois inexistante, mais ce qui compte est la détermination du croyant à la vivre. « L'oraison mentale c'est entendre ces vérités. » (Thérèse d'Avila) (...) 

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 197-198