Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969
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Le fils prodigue.
Si tu m'avais compris
Peut-être avez-vous rencontré ce livre dans lequel ont été regroupés ce qu'on a appelé " Les mots de la fin ", c'est-à-dire les dernières paroles de tel ou tel personnage, poète, politique ou saint. Nous avons tous en tête les dernières paroles de Thomas More ou de Thérèse d'Avila. A côté de ces " mots de la fin ", on a eu l'idée de demander à certains hommes vivants ce qu'ils feraient s'il leur restait un quart d'heure à vivre. Les réponses sont, elles aussi, très significatives. " En tout le reste il peut y avoir du masque... Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus qu'à faindre, il faut parler françois, et faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot " (Montaigne, I, XIX).
Que souhaiterions-nous vraiment en ce dernier quart d'heure, si ce n'est retrouver d'abord la miséricorde de Dieu, être mis sur le chemin de cette miséricorde. Bien des pages d'évangile nous y aiderait mais l'une de celles qui le ferait sans doute le mieux serait la parabole de l'enfant prodigue.
Si David nous montre comment Dieu répond à l'homme, la parabole de l'enfant prodigue complète [44] cette réponse. N'oublions pas qu'elle fut prononcée devant saint pierre et Judas. Si Dieu s'est révélé à David dans ses larmes, c'est en face du visage du Christ que saint Pierre a pu comprendre jusqu'où allait et l'amour de Dieu et son péché.
Nous appelons, depuis toujours, cette parabole la parabole de l'enfant prodigue, ou encore le fils perdu et le fils fidèle. Mais son titre n'est peut-être pas le bon, puisque nous la désignons par le nom de celui qui n'est pas le personnage central. Dans certaines langues étrangères, on la nomme avec justesse : " la parabole du Père ". C'est en effet, le père qui est au centre, c'est lui qu'on nous décrit.
" Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Père, donne-moi la part de fortune qui me revient... Le plus jeune fils, rassemblant alors tout son avoir, partit pour un pays lointain et y dissipa tout son bien. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint et il commença à ressentir la privation...et il en fut réduit à garder les pourceaux et à manger des caroubes ou des glands. Rentrant alors en lui-même, il se dit... je veux partir, retourner vers mon père et lui dire : Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes journaliers. Il partit donc et s'en retourna vers son père."
L'histoire alors se retourne : " Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut touché de compassion ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa longuement ", il ne lui laissa même pas achever son petit discours et le reçut avec les habits, l'anneau et les souliers réservés au prince et dit : Amenez-moi le veau gras, tuez-le... car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie..."
Puis, nouveau retournement : le fils aîné, resté fidèle, [45] rentra des champs et, ne comprenant pas, se mit en colère en refusant d'entrer. Son père lui dit alors : " Si tu m'avais compris... tu te réjouirais, car ton frère, qui était mort, est revenu ".
Cette parabole a été dite quelques mois avant la Passion. Le retour de l'homme à son Père et l'amour de Dieu pour l'homme y sont annoncés. C'est pour accomplir cette page que le Christ est mort. Il a préféré mourir plutôt que de la voir arrachée de l’Évangile. Elle a été proclamée devant les pharisiens qui n'en voulaient pas. Notre Seigneur y livre, avant de mourir, son secret le plus important : celui de son Père.
Il y a là une nouvelle conception du péché, une nouvelle attitude de Dieu par rapport aux pécheurs. Cette page nous conduit au " trop grand amour " dont parle saint Jean. Malgré son aspect très humain, elle nous amène à quelque chose d'incompréhensible où notre esprit risque, il est vrai, d'être mal à l'aise, car nous avons du mal à voir comment ce qui nous est enseigné ici manifeste le plus Dieu, comment la miséricorde " révèle Dieu ". C'est un mystère, le mystère propre de Dieu.
Et cependant nous sentons tout le réalisme, toute la chaleur humaine contenue dans cette page. Le Christ a choisi ce drame familial et nous avons le droit d'affirmer qu'il a consacré, pour ainsi dire divinisé, cette souffrance humaine. En choisissant la situation de cet homme, de ce père, pour livrer le secret de Dieu, le Christ a montré la prédilection de Dieu pour ceux qui subissent cette épreuve.
Cette réalité est impossible à exprimer en termes humains. Les mots et les expériences sont insuffisants, ils doivent avouer leur impuissance. C'est pourquoi [46] le Christ procède par opposition entre ce qu'aurait été une attitude humaine normale et l'attitude du père de la parabole.
A suivre...
Père Bernard Bro, o.p