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  • L'évangile de Marc (1) : écouter la parole

    [7] Dans les pages qui suivent on trouvera le texte d'une soixantaine de prédications consacrées à l'évangile selon Marc. (...) Parmi les soixante-dix livres canoniques disponibles, il convenait, a-t-il semblé, de commencer par ce qui est, pour les chrétiens, [8] le commencement, à savoir Jésus et son message. Marc est l'évangile le plus ancien, le plus court et apparemment le plus simple. C'est lui d'autre part qui a servi de référence à ses deux voisins. D'une certaine manière donc il se suffit à lui-même. Contrairement ensuite aux épîtres qui procèdent par argumentation, Marc présente son message sous la forme d'un récit, ce qui offre l'avantage incomparable d'inciter le lecteur ou l'auditeur à entrer personnellement dans l'histoire racontée, à s'identifier aux personnages et à s'approprier plus naturellement le message. (...)

    (...) Ecouter est sans doute une des choses qui nous est la plus difficile. Quiconque prétend écouter doit être averti qu'il risque d'être lui-même le premier fournisseur de parasites dans la communication qu'il veut établir avec le texte : on aime en effet ce qui vient confirmer les convictions qu'on cultive, on aime ce qui vient nous donner raison ou qui va dans le sens de ce qu'on croit savoir déjà, on aime ce qui nous paraît répondre aux questions qu'on se pose ou qui nous assaillent. Ce qu'on pourrait appeler notre contexte personnel du moment nous oriente avant que nous nous en rendions compte vers telle attente, telle sensibilité, tel intérêt pour tel aspect du texte et nous voilera probablement aussi tel autre aspect qui ne correspond pas à nos préoccupations présentes ou se trouve même en contradiction avec nos convictions. Bref, notre "contexte personnel" nous prédispose à une lecture inconsciemment orientée vers nous-mêmes. Dans de telles conditions on risque fort de n'entendre en fin de compte que sa propre voix. On se condamne alors à ne pouvoir sortir du cercle vicieux  dans lequel on est enfermé avec soi-même. 

    Seulement écouter est tout autre chose. Ecouter, c'est être attentif à une voix autre que la mienne et, quand il s'agit de la Bible, autre aussi que les voix étrangères qui résonnent chaque jour à mes oreilles et sollicitent mon adhésion. Ecouter Marc réclame donc en premier lieu que j'impose silence à ce que je crois savoir de lui, silence aussi à mes propres assurances, afin de me rendre entièrement disponible à cette autre voix qui ne vient pas de moi et qui me dit autre chose que ce que je pense, autre chose aussi que ce qu'on a toujours dit, autre chose, peut-être, que ce que j'aimerais entendre. [9] Se rendre ainsi disponible au sens du texte exige donc discipline, voire ascèse, et méthode. Surtout si on est déjà quelque peu familier avec la Bible, il faudra toujours à nouveau s'interdire de savoir par avance ce que le texte veut dire.  (...)

    [10] (...) la distance est considérable entre le monde où vivait Jésus, et même celui où vivait Marc d'une part, et d'autre part l'Occident déjà vieux de deux millénaires dans lequel nous avons appris à parler et à penser. (...) Mais la mentalité humaine a-t-elle autant changé en deux mille ans ? Il y a tout lieu de penser que non. (...)

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Ed. Cerf, coll. Lire la Bible, 2002

       

  • La Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres (5)

    (...) [45]       SENS FONDAMENTAL DE LA PAUVRETE

    En ne comprenant pas que la pauvreté est d'abord et fondamentalement une option portant sur l'avenir des hommes, au coeur des conflits historiques où se heurtent les puissances, il ne nous est pas possible de saisir le sens de la pauvreté évangélique et des béatitudes. Il ne reste plus  qu'à reléguer au dépotoir des illusions, des besoins [46] soi-disant "mystiques"  ou des idéologies plus ou moins intéressées à l'exploitation des consciences humaines.

    En prenant et en comprenant la pauvreté à l'envers, par le petit bout, par ses conséquences dans l'avoir et dans l'usage des biens du monde, nous nous condamnons à ne plus comprendre ces conséquences et cet usage. Nous aboutissons inévitablement à des condamnations abstraites de l'avoir, de la technique ou de l'argent, qui demeurent ambiguës tant que la pauvreté ne se réfère pas à l'avenir absolu de l'homme. (....)

    [48] Or l'avenir n'est humain que s'il est vraiment choisi et voulu. 

    Malheureusement on peut arriver à faire croire à l'homme qu'il choisit librement ce qui, en réalité, lui est imposé. Les propagandes, les publicités, les idéologies, toutes les séductions, les moyens de conditionnement, les procédés de "viol des foules" visent à se substituer à la décision libre. "En douce", par la bande, on arrive à chloroformer le patient  afin d'obtenir de lui une adhésion  infantile qui ne vient pas de lui, de sa liberté, mais de ses passions et de ses pulsions, de ses besoins et de ses rêves. (...)

    [43] (...) les pauvres de Yahvé [voir la note ci-dessous] n'ont pas accepté que leur avenir soit défini par les puissants de ce monde qui veulent toujours se justifier, s'imposer aux esprits et aux consciences. Aux hommes qu'elles dominent, ces grandes violences tiennent toujours à peu près ce langage : " C'est nous l'avenir, c'est nous votre avenir ; d'ailleurs, notre puissance est telle qu'elle s'étendra indéfiniment et deviendra universelle. Bref, nous sommes le "sens de l'histoire", de votre histoire (...) Ceux qui ne marcheront pas et qui résisteront sont opposés évidemment à l'avenir des hommes, et, à notre grand regret, nous serons obligés de les liquider."

    Eh bien, les pauvres de Yahvé, éclairés par la lumière de la Parole de Dieu, ont opposé un refus catégorique à des propositions de ce genre ; ils ont dit "non", un non conscient et résolu aux prétentions des puissants. "Non, affirment-ils l'avenir véritable des hommes n'est pas en votre pouvoir, il ne dépend pas de vous, malgré toutes les apparences. Vous usurpez un pouvoir qui ne vous appartient pas. Nous savons, nous, de quel côté se trouve l'avenir, ce qui le garantit, ce qui permet de l'attendre et de l'atteindre sans déception, par quels moyens nous pouvons le réaliser, sur quelle puissance nous appuyer pour le construire. (...) [44] Sans limites et inépuisable, c'est la puissance même du Créateur qui nous est donnée. A elle et à elle seule, nous avons voué notre foi, notre espérance et notre amour. Toute autre puissance ne peut être qu'une idole, une séduction ou une illusion, une ruse ou un mensonge."  

    Pierre Ganne - Le pauvre et le prophète - Ed. Anne Sigier 2003

     

     Note : "pauvres de Yahvé" est un terme utilisé dans l'Ancien Testament. On pourrait utiliser - depuis la venue du Christ parmi nous - le terme de "pauvres de Jésus Christ", ou pauvres "selon les béatitudes". Pierre Ganne  nous invite à ne pas confondre "pauvreté" et "misère". Note du rédacteur de ce blog.]   

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (4)

    [26]

    Elle dénonce l'idolâtrie en manifestant qu'une société, qui parfois se proclame chrétienne, a placé l'avenir véritable des hommes dans l'argent, dans la puissance, dans le développement et dans le progrès, en tout, sauf dans le règne de Dieu et sa justice.

    Elle accuse l'hypocrisie et le mensonge d'une société qui fait croire que la pauvreté n'est pas la décision existentielle, l'option d'un homme libre, mais une condition, un conditionnement, une fatalité, masquant ainsi et caricaturant la Bonne Nouvelle.

    Elle condamne l'imposture d'une société qui a tout misé sur l'avoir, parfois sous le couvert de l'Evangile, ce qui empêche ainsi beaucoup d'hommes de reconnaître le sens de leur existence d'hommes, en tant qu'humaine, dans la révélation du Christ, leur faisant croire que tout se joue sur le seul plan de la croissance et de l'avoir.

                                                                                  A suivre...

     

    Pierre Ganne - Le pauvre et le prophète - Ed. Anne Sigier 2003

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (3)

    [24] Dans ce contexte faussé, il n'est pas étonnant qu'un homme comme Proudhon, par exemple, athée mais respectueux de l'Evangile, se soit interrogé sur la portée d'un projet de suppression de la misère. L'Académie des sciences morales et politiques avait posé la question suivante : " Quelle influence les progrès et le goût du bien-être exercent-ils sur la moralité du peuple ?" Proudhon répond, dans son ouvrage Philosophie de la misère paru en 1846  [ce livre est édité dans la collection 10/18] :

    Nous avons affaire à une société qui ne veut plus être pauvre, qui se moque de tout ce qui lui fut autrefois cher et sacré, la liberté, la religion et la gloire, tant qu'elle n'a pas la richesse ; qui, pour l'obtenir, subit tous les affronts, se rend complice de toutes les lâchetés ; et cette soif ardente de plaisir, cette volonté irrésistible d'arriver au luxe, symptôme d'une nouvelle période de civilisation, est le commandement suprême en vertu duquel nous devons travailler à l'expulsion de la misère : ainsi dit l'Académie. Que devient après cela le précepte de l'expiation et de l'abstinence, la morale du sacrifice, de la résignation et de l'heureuse médiocrité ? Quelle méfiance des dédommagements promis pour l'autre vie et quel démenti à l'Evangile ! Mais surtout quelle justification d'un gouvernement qui a pris la clé d'or pour système ! Comment des hommes religieux, des chrétiens, des Sénèque ont-ils proféré d'un seul coup tant de maximes immorales ?

    Il est clair que Proudhon confond l'Evangile avec la religion de l'au-delà systématisée, sinon inventée, par le déisme du XVIII e siècle, ou avec ce "platonisme pour le peuple " dont parlera Nietzsche. Il était excusable : beaucoup de chrétiens ne voyaient pas l'Evangile sous une autre lumière. Il nous est dès lors possible  d'entrevoir [25] la profondeur des malentendus qui pesaient sur la problématique des questions inévitables et urgentes au sujet des pauvres et de la signification de la pauvreté. Tel est le contexte culturel du XIX e siècle, très schématiquement évoqué, qui nous marque aujourd'hui encore de façon le plus souvent inconsciente.

    Au contraire, dans la tradition biblique et dans la révélation chrétienne, la misère n'est, en aucune manière sacralisée. Aucune auréole de béatitude ne vient la cerner. Depuis les prophètes et jusqu'au coeur de l'Evangile, la misère est dénoncée, aussi nettement que possible et parfois violemment, comme le fruit du péché de la société, comme le péché collectif du peuple de Dieu, comme le symptôme le plus clair que, malgré les manifestations d'un culte prospère, malgré des pèlerinages, des jeûnes et des sacrifices, ce peuple a rompu avec le vrai Dieu que, par ailleurs, "il honore des lèvres". Tous ces soi-disant croyants ont plus ou moins consciemment brisé et rejeté l'Alliance avec le Créateur, en dehors de laquelle toute leur religion n'a aucun sens. Bien loin d'être nimbée d'une lumière de béatitude, la misère est révélée sous la lumière sinistre de la colère de Dieu, de la justice et du châtiment aussi inévitable que le développement d'un cancer dans l'organisme qui en a accueili le virus et ne se défend plus contre son action destructrice. La présence massive de la misère dans une [25] société est une dénonciation, une accusation, une condamnation. 

                                                                                   A suivre.... prochain post 

     Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (2)

    (suite du post précédent)  : NON, LA MISERE N'EST  PAS  SACREE  !

    "Quoi qu'il en soit de cette complexe histoire, la question de la pauvreté évangélique s'est posée dans une certaine confusion romantique, avec des ambiguïtés et des équivoques dont nous ne sommes pas encore sortis aujourd'hui. Il eût fallu procéder à une élaboration théologique solide, allant droit à l'essentiel. Mais cette tâche n'a pas été possible. C'est pourquoi il s'est produit un phénomène inquiétant que j'appellerai la sacralisation de la pauvreté : la sentimentalité qui se déversait déjà dans la piété individualiste a envahi également le domaine social. Pauvres et riches ont été enveloppés [22] dans cette aura religieuse que beaucoup ont confondu avec la lumière de l'Evangile. Les pauvres ne sont-ils pas les privilégiés des béatitudes et du royaume de Dieu ? Les riches ne sont-ils pas au contraire condamnés et maudits ? 

    Il est vrai que les riches se résignent assez bien à cette malédiction et à leur malheur spirituel. D'autant mieux que, tout en s'enrichissant par tous les moyens, il est possible de se dédouaner envers le ciel par la pratique des "bonnes oeuvres" en faveur des miséreux. Au fond, ces pauvres, il ne faut pas les tirer hors de la béatitude évangélique dont ils sont nimbés. S'ils n'apprécient guère, ou pas du tout, leur bonheur, c'est sans doute qu'ils ne sont pas suffissamment évangélisés, l'Eglise ayant un peu oublié, malgré l'éloquence de Bossuet et de quelques autres, qu'elle était d'abord  " l'Eglise des pauvres". Evangélisation difficile : surtout depuis que des méchants, des athées, ont fait croire aux miséreux qu'ils n'étaient pas bienheureux mais exploités par les riches, dont beaucoup sont chrétiens et dont l'Eglise ne dédaigne pas toujours les suffrages et l'argent. 

    D'ailleurs, les gens de bien, des honnêtes gens, compétents en économie politique, pensent que les structures sociales qui déterminent l'existence des pauvres et des riches, et tout d'abord la structure de la propriété, sont inscrites dans la nature des choses. Elles sont naturelles et, puisque Dieu est l'auteur de la nature, elles sont du même coup providentielles, de droit divin, comme le sont la monarchie et l'autorité. N'est-ce pas d'ailleurs une confirmation de la parole de Jésus : " Vous aurez toujours des pauvres parmi vous" ? Et l'on en revient [23] à cette conviction : il n'est pas possible de supprimer la misère. Cette tentative équivaudrait à arracher le froment avec l'ivraie. Ce serait en même temps attenter à la "nature des choses" par la révolution qui ne peut venir que du diable. Mais il faut absolument soulager cette misère et remédier aux excès du fonctionnement de la machine sociale, et de là résulte un double avantage : obéir à l'Evangile et éloigner la menace de la révolution. Cet accord merveilleux entre l'Evangile et les intérêts bien compris, "entre le capital et le travail", n'est-ce pas le signe même de la vérité ?

    Ce qui montre bien que l'on a affaire à une sacralisation de la misère, et non pas précisément à une intelligence de la pauvreté dans la foi, c'est que les structures qui engendrent la misère ne sont l'objet   d'aucune appréciation morale, tandis que les jugements moraux pleuvent sur les miséreux : ils sont paresseux, fainéants, ivrognes, menteurs, etc. C'est tout juste s'ils ne sont pas les véritables exploiteurs ! Et il faudra plusieurs générations pour élaborer lentement une morale sociale qui jugera non plus les "misérables", mais les structures de misère et de paupérisation. Paradoxalement - mais le paradoxe s'explique -, l'athéisme scientifique de Karl Marx, qui inclut une désacralisation relative, sera plus avancé moralement - en ce qui concerne le jugement porté sur l'argent, sur la misère et sur ses causes - que la foi (?) de beaucoup de croyants englués dans l'amalgame politico-religieux de l'idéologie libérale.  

                                                                                                  A suivre...

    " Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (1)

    [20] Au XIX e siècle, la révolution industrielle a engendré le prolétariat, la misère des taudis et des conditions de travail inhumaines. Les prolétaires ont été livrés sans défense à la machine capitaliste qui ne pouvait pas fonctionner sans écraser et avilir les hommes qu'elle employait. L'idéologie libérale avait hérité de l'individualisme de la législation de 1789 qui, entre autres choses, avait en 1791 aboli les corporations. Les prolétaires ne pouvaient donc pas s'organiser légalement pour se défendre : ni droit au travail ni droit syndical, aucune législation sociale. La conquête de ces droits élémentaires ne pourra s' obtenir que par une lutte longue et sanglante. En attendant, partisans et adversaires de cette société libérale ne pouvaient pas ne pas se poser la question des pauvres et de la pauvreté. Et les uns et les autres ne pouvaient guère éviter de la poser en référence à l'Evangile.

    D'un côté, les chrétiens, confondus en masse avec la société bourgeoise libérale, n'allaient tout de même pas oublier que "la Bonne Nouvelle est annoncé aux pauvres". Mais que faire, théologiquement parlant, de ces prolétaires, de ces pauvres, victimes d'une société dont les chrétiens bourgeois étaient partie prenante ? Le Christ n'a-t-il pas béatifié les pauvres, ces mêmes [21] pauvres dont la condition est intolérable ? Comment dès lors supprimer, sans précautions et sans nuances, une condition que l'Evangile semble auréoler de sa lumière ? D'autre part, tenter de transformer radicalement, "révolutionnairement", cette situation revient à scier la branche sur laquelle on est assis. Faut-il détruire une société dont on ne peut tout de même pas dire que tout est pourri ? La présence même de l'Eglise, de la religion, au sein de ce monde interdit ces dispositions extrêmes.

    De l'autre côté, les adversaires, les révolutionnaires, les "socialistes" voyaient l'Eglise et les chrétiens enkystés dans l'idéologie  et les structures libérales. Les uns, qui se réclamaient d'une inspiration chrétienne, tels certains socialistes utopiques, ont tenté de ressaisir l'Evangile en dehors de l'Eglise, ou contre elle. D'autres ont opté pour la voie radicale de l'athéisme, rejetant à la fois l'Eglise et l'Evangile. 

                                                                                      A suivre....prochain post

     " Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • Avant d'être compassionnel l'amour est juste

    [217] Quand je dis "l' Esprit de l'Evangile", je ne mets pas de côté l'Ancien Testament, où les notions d'amour et de justice tiennent une si grande place. L'amour tend à l'égalité. Je crois que déjà Aristote le disait. Il est évident que l'amour implique la justice, car il la fait intervenir là où il y a des inégalités flagrantes  auxquelles on ne porte pas remède. Si l'on dit par exemple que des jeunes n'ont pas les moyens d'accéder au travail, à l'instruction, l'amour incite à le dénoncer. Il faut empêcher ou réparer l'injustice avant de donner aux pauvres, aux oeuvres, aux ONG, etc. L'amour débusque les injustices. Avant d'être compassionnel, l'amour est juste. Et la justice appelle l'égalité.

    L'Esprit de l'Evangile me paraît très bien défini par les trois mots bien connus : liberté, égalité, fraternité. Liberté de l'homme vis-à-vis de la société, vis-à-vis du pouvoir, ce qui condamne tous les régimes fascisants. Egalité, égalité des chances mais aussi égalité d'accès aux biens de la nature nécessaires à la vie, et aux biens de la culture nécessaires à la promotion de l'individu ; égalité des sexes dans les droits juridiques et politiques, dans l'accès aux postes dirigeants, dans la rétribution du travail. Tout cela dans un esprit de fraternité qui lui-même doit influencer la manière de commander, de servir et de vivre en société (...) [218]

    Caritas, amor ou dilectio, eros ou agapè comme vous le préférerez, car je n'entre guère dans cette querelle de terminologie. Mais oui, oui, la charité, comme amour fraternel. Et c'est pourquoi la fraternité qui vient en troisième position  dans la devise républicaine montre comment cette trilogie doit rester ouverte : la liberté n'a pas d'autre  limite que de toujours traiter autrui comme une fin, jamais comme un moyen, et de respecter le bien commun ; l'égalité est toujours à l'affût des discriminations à combattre et des injustices à réparer ; la fraternité ne connaît pas d'exclusivisme dans la définition du prochain ni de mesure dans les services à rendre à ceux qui en ont le plus besoin. On n'a jamais atteint la limite où l'autre sera devenu mon frère.

     

    Joseph Moingt - Croire quand même - Ed. TempsPrésent 2007