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Prier avec le P. Guardini : 40 e jour

Jésus est venu " plein de grâce et de vérité ", comme le dit saint Jean, comblé de toute la plénitude de Dieu. Il est passé à travers la vie " en faisant le bien ". Et selon ses rencontres avec les hommes, selon les événements qui avaient lieu autour de lui, il apportait une réponse divine, telle que l'instant l'exigeait, acte, doctrine et enseignement, qui était toujours le fruit d'une circonstance déterminée, spontanée et unique, mais, par là même, toujours pleine d'un sens éternel. 

 

 

 

Au chapitre 11 de son Evangile, saint Luc raconte qu'un jour, Jésus, après avoir prié, revint trouver ses disciples. Alors l'un d'eux s'approcha de lui et lui dit : " Seigneur, apprenez-nous à prier, ainsi que Jean l'a appris à ses disciples. "

Nous devinons la situation ; nous entendons le léger accent de jalousie à l'égard de l'autre maître, là-bas, et de ses disciples. Mais à cet instant, dans son humanité qui passe, le Seigneur prononce une parole d'éternité : 

                     Priez donc ainsi :

                  PERE

                        (Matthieu ajoute "notre" et "qui êtes aux cieux")

                  QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIE,

                  QUE VOTRE REGNE ARRIVE,

                  QUE VOTRE VOLONTE SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL

                  DONNEZ-NOUS TOUS LES JOURS LE  PAIN DU LENDEMAIN,

                        (Matthieu : " Donnez-nous aujourd'hui notre pain du lendemain ")

                  ET PARDONNEZ-NOUS NOS FAUTES CAR, NOUS AUSSI, NOUS PARDONNONS A                    TOUS CEUX QUI NOUS DOIVENT,

                       (Matthieu : " Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés")

                  ET NE NOUS INDUISEZ PAS EN TENTATION.

                       (Matthieu : " Mais délivrez-nous du mal.")

 

   Et  maintenant, nous chercherons un accès dans la structure de ces phrases, un chemin vers leur centre vivant. Ce sera la demande : " Que votre volonté soit faite."

 

   Nous sommes ici invités à demander que la volonté de Dieu s'accomplisse. Il faut donc que cette volonté soit telle qu'on doive prendre la peine de la demander : un bien précieux auquel nous devons aspirer avec le sérieux et la ferveur de la prière, un bien sacré et salutaire. 

   La volonté de Dieu, c'est ce qu'il exige de nous et ce qui nous oblige en conscience. Nous pourrions donc être tentés de penser qu'il s'agit  de la "loi morale" ou du "devoir". Mais il suffit que nous introduisions ces paroles dans une prière pour voir qu'il n'en est pas ainsi. La loi morale et le devoir sont des valeurs extrêmement hautes. Nous devons nous efforcer de les accomplir et veiller à ce qu'autrui les accomplisse également. Mais qui va demander dans sa prière : " Que la loi morale soit respectée, que le devoir soit accompli" ? " La volonté de Dieu" inclut aussi la loi morale, car elle lie la volonté humaine à l'ordre suprême qui oblige toute conscience. Mais elle est bien  davantage, surtout si nous prenons ce mot au sens particulier et abstrait que lui ont donné les temps modernes. 

La volonté de Dieu est une plénitude infinie qui résume tout. Elle est profonde et proche de nous, vivante ; elle touche notre cœur, le plus intime de notre existence.

La volonté de Dieu, c'est son intention sacrée sur le monde et sur nous, son dessein éternel, les conceptions de sa sagesse, la puissance du sérieux divin, l'exigence d'amour dans le cœur de Dieu. Sacrée en elle-même, contenant toute splendeur, divin accomplissement.

Et, pour nous, l'Un et le Tout, car le sens que notre existence acquiert ou la vaine apparence qu'elle affecte dépendent de l'accomplissement en elle de la volonté divine. 

Cette heure se charge d'éternité ou se perd dans le vide selon qu'elle laisse ou non la volonté divine pénétrer en elle. C'est de cette volonté de Dieu qu'il s'agit dans la demande. 

Or si le chrétien doit demander que la volonté de Dieu soit faite, c'est qu'il est possible aussi qu'elle ne se fasse pas. Nous ne sommes pas invités à prier Dieu pour que le soleil se lève. La demande suppose donc que l'accomplissement de la volonté divine ne va pas de soi, mais reste problématique et peut-être même court un risque. 

La volonté de Dieu, c'est ce qui doit se réaliser dans le monde selon ses desseins. Mais comment s'accomplit cette réalisation ? 

Que le soleil se lève et se couche, que les astres suivent leur cours, que les substances et les forces se comportent de telle ou telle façon - tout cela est aussi la volonté de Dieu. 

Mais cette volonté est confiée aux phénomènes de la nature. Elle prend la forme de la nécessité. Là, rien n'est en question. Rien ne peut se passer différemment. Il en est autrement de la volonté divine à l'égard de ce qui est grand et noble, tout autrement à l'égard de ce qui, selon la divine volonté dispensatrice de grâce, a sa source dans la Révélation et la foi. 

Précisément cette volonté ne peut pas être réalisée par la contrainte de la nature. Ce qui doit se produire là ne peut avoir son origine que dans l'être intérieur de l'homme, dans son cœur, son esprit, son amour et sa liberté. Mais il n'y a aucune nécessité qui le rende certain. La connaissance de la vérité, les nobles réalisations, l'ordre dans la justice - tout cela ne peut être accompli que par la pureté et la bonne volonté de l'homme. Mais celle-ci n'est garantie par aucune contrainte, tout au contraire, la paresse, la vanité, l'égoïsme et l'indolence du cœur la menacent… 

En ce qui concerne la fidélité envers Celui qui nous fait confiance, la force et le courage, la pureté, la magnanimité, tout ce qui est noble et, plus haut encore, la foi, l'amour, l'humilité, la sainteté, tout la délicatesse divine que renferment les Dons - rien de tout cela n'est garanti par la contrainte et la loi naturelle, mais doit jaillir de la liberté du cœur et de la volonté. Or qu'elle est instable, fragile, incertaine, cette liberté humaine ! Que de force en elle, mais aussi que de faiblesse ! Que de puissances bonnes bonnes, protectrices, salutaires, mais combien d'autres qui égarent, rabaissent, détruisent ! La malice est dans l'homme, en désaccord avec Dieu. La révolte répond à la volonté divine : " Mais moi, je ne veux pas ". 

 

   Alors cette volonté divine est vraiment en danger. Et d'autant plus que ce qu'elle veut est plus grand. Plus est noble l'intention divine, moins il est sûr qu'elle se réalise, plus ce vouloir divin  paraît faible sur la terre, en quelque sorte. Mais ce qu'il y a de plus saint dans la volonté de Dieu, ce qui vient des profondeurs de son cœur, ce que veut son amour qui nous rachète et qui se donne, paraît véritablement impuissant en ce monde, livré à tous les hasards, et sa réalisation semble très peu vraisemblable. N'en est-il pas ainsi ? Lorsque le Christ apporta dans le monde la sainte volonté du Père, avec  la ferveur de son être infiniment pur, que se passa-t-il donc ? La chose la plus inimaginable : ils l'accusèrent séducteur et criminel et ils l'exécutèrent. On vit alors clairement quelle destinée peut être réservée à la volonté de Dieu dans le monde - bien que, à vrai dire, toute résistance doive, d'autre part, servir Dieu en dernière instance, de même que c'est précisément par la terrible désobéissance des hommes que le Seigneur subit sa mort rédemptrice. 

   

   Nous comprenons donc bien que le chrétien, instruit par l'esprit du Christ, doit trembler pour la volonté du Père ! Il sait ce qu'est le monde, ce qu'il est lui-même et donc à quel point la volonté divine peut être mise en question.   

 

   Il est encore un autre point qui n'est pas facile à exprimer parce que c'est là un mystère qui appartient au mode de la liberté divine et que nos paroles, qui empruntent leurs "pourquoi" et leurs "comment" aux choses humaines, lui font toujours violence : l'homme peut même entraver la volonté de Dieu sur lui, qui doit s'accomplir par sa destinée, par les événements, les rencontres, les devoirs et les épreuves. L'homme peut se fermer, et alors la volonté de Dieu ne peut arriver jusqu'à lui. Elle ne se développe pas, l'homme ne lui accorde pas la liberté. Alors ne s'accomplit pas ce qui, selon la volonté divine, s'accomplirait en cet homme si, se rendant disponible, il lui en offrait le lieu et la possibilité. Car Dieu ne contraint pas l'homme. La Providence et la destinée n'accomplissent pas leur œuvre en lui   de la même façon que la pluie et le soleil sur la terre, mais elles sont en relation avec sa disponibilité vivante qu'elles appellent. Celle-ci leur laisse la liberté, leur donne accès, ou bien les gêne et les entrave. 

La aussi, par conséquent, la volonté divine est en péril. Il est vrai pourtant, qu'elle demeure aussi toute-puissante et victorieuse et qu'à la fin, c'est elle qui l'emportera dans l'ensemble des événements comme en chacun d'eux, mais c'est là un mystère, une dure épreuve de la foi qui doit, elle aussi, passer par les ténèbres de la faiblesse en même temps, pour ainsi dire, que la sainte Volonté, afin de recevoir un jour en même temps qu'elle sa justification par le Jugement. 

Ici également, la vigilance chrétienne s'inquiète de la volonté de Dieu qui représente la grandeur parfaite et le sens de toute chose et qui, cependant, paraît être d'autant plus faible au sein du monde que ce qu'elle veut est plus sacré. 

 

   Ainsi donc, le chrétien se sent responsable de cette volonté et prend parti pour elle. Et l'on pourrait penser qu'il va dire : " S'il en est ainsi de la volonté divine, je veux m'en porter garant pour qu'elle se réalise."    Nous n'avons qu'à aller jusqu'au bout de cette pensée pour sentir que nous aurions   ainsi quitté le domaine du christianisme. La volonté souveraine de l'homme ne peut se porter garante de la volonté de Dieu, qui est un mystère, et si elle peut être réalisée par l'homme, c'est une grâce. 

Ceci aussi se manifeste clairement dans la demande. Elle suppose que cette volonté est une grande chose qui vaut la peine que l'on veille sur elle. Elle suppose en outre que la volonté du Tout-Puissant est en péril dans le monde, sans quoi la sollicitude n'aurait pas de sens. mais alors cette sollicitude adresse sa demande à Dieu lui-même. C'est-à-dire que celui qui, selon son vouloir, nous adresse une invitation, est aussi celui qui peut nous accorder l'accomplissement de sa volonté. 

Quelle épaisseur, quelle complication prend ici le mystère !

Cette sollicitude du chrétien dont nous avons parlé, et qui connaît le mystère de la volonté divine, sait en même temps que cette volonté ne peut être accomplie  que par un don de ce même Dieu. Le chrétien sait que la sollicitude qu'il en a n'est qu'un écho de cette autre sollicitude initiale, vivante au cœur de Dieu lui-même ; que Dieu ne lance pas toute rigide dans le monde sa volonté, objet de son amour, mais la douce puissance.  Il sait que le vouloir de Dieu est amour et apporte avec lui la force  qui rend possible son accomplissement. Il sait que l'appel que Dieu adresse à notre volonté est une grâce, une sollicitude pleine d'amour à l'égard de la sainte volonté et, en même temps, à l'égard de celui auquel il s'adresse, et que l'honneur de Dieu et le salut de l'homme sont une seule et même chose. 

   Ainsi, dans sa sollicitude, le chrétien sait qu'il est d'accord avec Dieu. Quand cette sollicitude se transforme en prière, elle est portée par une confiance ineffable : elle demande ce que réclame le cœur de Dieu lui-même. 

   Que la volonté de Dieu soit une exigence qui déterminera le Jugement et qu'elle donne en même temps son sens à toute existence, qu'étant la volonté du Tout-Puissant, elle soit cependant en danger, abandonnée, apparemment impuissante en ce monde, qu'elle soit donnée comme tâche aux hommes et que, cependant, ils ne puissent l'accomplir que par grâce : obligation du devoir et crainte au sujet du bien suprême, responsabilité de l'homme et sérieux du dessein divin - tout cela forme la même trame d'un mystère profond et sacré. 

   Comme la pensée chrétienne en prend conscience et l'accomplit - voilà ce que nous nommerons la sollicitude du chrétien. 

   Ici s'ouvre l'accès que nous avions cherché à la Prière du Seigneur. Il nous fera pénétrer dans sa plénitude. 

 

+ Romano Guardini - La prière du Seigneur - Bloud et Gay 1952

   

                                                                                                                                                                                                                                                                

 

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