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Prier avec le P. Guardini : 30e jour

Méthode et progrès de l'oraison. Comment faut-il s'y prendre pour bien faire oraison ? La préparation est primordiale et décisive. Il y a la préparation éloignée et la préparation immédiate. 

 

 

   La préparation éloignée consiste à ordonner mes pensées à l'oraison que je vais faire ; je ne peux pas m'y prendre n'importe comment ; il faut que je sache à quoi elle doit aboutir. Une vérité de la foi révélée ou une pensée d'un homme inspiré peut m'y aider. Pour celui qui a une certaine habitude de l'oraison, toute expérience significative, toute situation morale peut servir  de point de départ. Il n'en reste pas moins que l'objet propre de l'oraison est l'Ecriture Sainte, et, plus particulièrement, la personne et la vie de Jésus-Christ. Ses propres paroles : " Je suis la voie, la vérité et la vie " (Jn 14,6), disent de la manière la plus explicite ce dont il s'agit dans l'oraison : il s'agit d'y trouver le chemin qui conduit du Père aux hommes et des hommes au Père, la vérité sainte qui nous est révélée sur ce chemin, la vie  à laquelle nous participons dans le Christ... Il existe aussi de nombreux livres de méditation qui fournissent des sujets pour l'oraison. Beaucoup d'entre eux sont très utiles, surtout pour les débutants ; ils montrent comment on dégage le sens d'un texte de l'Ecriture et ce qu'on peut y puiser pour sa propre vie. Cependant, à la longue, ces méditations toutes faites s'avèrent trop artificielles, et elles ne conduisent pas assez  près de l'essentiel qui est la réalité divine, telle qu'elle se dévoile ans la révélation et telle qu'elle parle à l'homme ; en définitive, le livre de méditation par excellence est l'Ecriture Sainte elle-même. 

   La préparation éloignée consiste donc à choisir un texte approprié. Le mieux est de prendre pour un certain temps un des Évangiles, ou les Actes des apôtres, ou une épître, et d'en choisir chaque jour un passage... Mieux vaut ne pas prendre un texte trop long pour ne pas se perdre ; ni un texte trop court, pour que l'esprit y trouve une matière suffisante. On peut s'arrêter, par exemple, à un événement de la vie de Jésus, ou à un fragment d'un de ses discours. Avec le temps on pourra se contenter d'un texte de plus en plus court, et finalement une seule phrase suffira pour longtemps... Ce texte, on le prépare ; le mieux est de le faire la veille au soir, afin qu'il soit tout prêt le lendemain matin. On considère l'idée fondamentale sous l'angle de laquelle on veut le méditer , ou bien le problème auquel on cherche une réponse dans ce passage. Si c'est nécessaire, on consulte un commentaire pour ne pas être arrêté par une difficulté d’interprétation au cours de l'oraison. 

La préparation immédiate est plus importante.  Tout ce qui a été dit sur la préparation à la prière en général est valable ici, mais cela prend une importance encore plus grande. Car dans la prière nous sommes aidés par les paroles mêmes que nous prononçons, par l'objet de notre demande ; alors que dans l'oraison on risque davantage l'esprit pesant ou vagabond. Avant tout, il faut veiller à l'attitude extérieure - que le lecteur veuille bien ne pas considérer ces détails comme mesquins. - Elle doit être telle qu'on demeure à la fois calme et éveillé. Il appartient à chacun de découvrir s'il vaut mieux se mettre à genoux, s'asseoir, ou marger de long en large. Il faudra ensuite trouver le calme : le calme du corps, des pensées, des sentiments, se pénétrer de la conscience que, pour le moment, rien n'est important en dehors de ce temps d'oraison ; écarter tout ce qui ne la concerne pas, et se concentrer sur son objectif ; enfin il faudra rassembler son être dispersé et devenir présent. Cette préparation est déjà de la prière, et s'y l'on y consacrait un temps assez long, et même parfois tout son temps, celui-ci serait bien employé. 

Une fois recueilli, on prend le texte choisi et on y applique sa pensée d'un bout à l'autre. Pour cela on peut le lire phrase par phrase, s'arrêter  de temps en temps et chercher à en pénétrer le sens . Les  maîtres spirituels disent que celui qui médite ainsi doit essayer de se représenter la scène par l'imagination - par exemple la pêche miraculeuse - de façon aussi sensible que possible. Il doit y être tout entier, comme un témoin qui serait arrêté au bord de la route pour voir ce qui se passe. Ce conseil est excellent, car il permet vraiment de donner vie à l'ensemble et de pénétrer jusqu'aux racines du devenir intérieur. Cela ne convient cependant pas à tout le monde. Certains sont incapables de se représenter des événements du passé ; l'image qu'ils s'en font reste pâle ou ne se forma pas du tout. D'autres ne peuvent pas fixer leur attention et l'image s'évanouit trop vite. Que ceux-là ne s'épuisent pas à ce genre de reconstitution, mais qu'ils donnent plus de place à la pensée et aux mouvements intérieurs. 

   Par contre, ceux qui ont une imagination plus fertile ne doivent pas négliger la pensée. Le mot méditation désigne précisément cet effort appliqué de la pensée qui veut posséder son objet : " De qui s'agit-il ? Qui est-ce ? Que fait-il ? Que lui arrive t-il ? Que dit-il ? Que veut-il dire ? Comment se comportent les autres ?" C'est ainsi qu'on avance dans le texte et qu'on cherche à le comprendre de plus en plus profondément. 

   Comme nous l'avons déjà dit, il ne s'agit pas de s'y prendre comme pour un travail scientifique, avec l'entendement seul ; il faut que le cœur y soit aussi. La pensée doit se transformer en réflexion, en une pénétration et une prise de possession, en un contact et un goût intérieurs, et plus l'âme y aura de part, mieux cela vaudra. La  "vérité"  dont il s'agit est une " sagesse " ; c'est un savoir du cœur, une prise de conscience de l'âme, où l'homme intérieur accepte d'apprendre. 

   Ainsi la pensée se transforme d'elle-même en prière, et c'est ce qu'il faut ; car l'oraison n'est pas une étude, mais une prière. Si celui qui fait oraison possède une imagination suffisamment vive pour reconstituer une scène, il doit essayer d'entrer en conversation avec le Christ, comme s'il était réellement présent. S'il ne le peut pas, qu'il se souvienne que le Seigneur, dont la vie fait l'objet de sa réflexion, n'a pas existé seulement dans le passé, mais qu'il vit toujours. Et non pas quelque part, dans une retraite inaccessible, mais ici même. Le Christ dont parlent les Évangiles est "parmi nous". Il l'est même d'une manière particulière, parce qu'il nous indique " le lieu " où nous sommes. Si celui qui prie pouvait voir réellement la situation dans laquelle il se trouve, il comprendrait que cette situation est ce qu'elle est uniquement par la présence du Christ. Ce serait une erreur de croire que l'homme se décide de son propre vouloir à chercher le Seigneur ; c'est lui qui est là le premier et qui appelle l'homme. Il dit : " Viens ici, et reste près de moi." La prière n'est possible qu'à cause de cela. Celui qui fait oraison doit donc s'adresser à lui, lui dire sa foi et son amour, lui poser ses questions, l'entretenir de tout ce qu'il a dans le cœur. 

   Mais cela n'épuise pas le sens de l'oraison : elle doit manifester ses effets dans la vie. Bien sûr, il ne faut pas la concevoir d'une manière trop pratique. Certains s'imaginent que si, pendant l'oraison, ils ne prennent pas conscience clairement d'une faute bien déterminée, ou s'ils n'aboutissent pas à une résolution pratique il n'y a rien de fait ; c'est une erreur. Il est déjà salutaire de connaître quelque chose de la présence du Christ et de demeurer auprès de lui. Chaque fois qu'un trait de sa figure prend vie, ou que nous sommes touchés par une de ses paroles, cela intéresse notre devenir intérieur. Cependant on ne peut pas se dispenser des retours sur sa propre vie. " Ce qui est écrit, est écrit pour notre sanctification" dit l'Apôtre ; et, chaque mot de la révélation est le point de départ d'un chemin qui aboutit à notre vie. C'est à sa lumière que nous voyons où nous en sommes. La révélation nous est un avertissement et une indication sur ce que nous avons à faire, à éviter ou à surmonter. Il faut alors sortir du vague, et arriver à des formulations claires.  "Sur tel ou tel point je veux changer... J'accomplirai mieux ce devoir... Je suis décidé à faire le sacrifice demandé." On confie cette résolution à Dieu et on s'efforce de l'ancrer dans le courant de sa vie. 

   Mais la chose la plus importante, nous y insistons, c'est que l'oraison soit une prière. Celui qui fait oraison doit s'y trouver en présence du Dieu vivant. Il doit se pénétrer de sa réalité divine. Il doit chercher la face de Dieu et se frayer un chemin vers le cœur de Dieu.  Il faut que naisse ce dialogue essentiel où le "je" de l'homme s'affirme en face de son véritable "tu" : Dieu. Car c'est finalement ce qui importe ; à tel point que si, dans l'oraison, on trouve cette présence tout de suite, il n'y a qu'à s'en tenir là, même s'il n'y a plus de place pour des questions, des pensées et des résolutions. 

   Nous avons déjà dit que l'oraison avait tendance à devenir de plus en plus simple et silencieuse. Plus elle se développe, moins l'on a besoin d'idées ; finalement une seule idée suffit pour trouver le chemin de la vérité qui mène à Dieu. De même on a besoin de moins en moins de mots pour parler à Dieu. La phrase : " Mon Dieu et mon Tout " a suffi à saint François pour toute une nuit. La pensée elle-même se transforme. Elle n'est plus qu'un regard paisible où l'on se comprend, où l'on est présent et conscient. La manière de parler, elle aussi, évolue : on parle plus bas, avec une conviction plus profonde. Finalement, il peut arriver que toute parole cesse ; il n'y a plus, à la place, qu'un simple regard sur Dieu ; un simple élan vers lui, un courant dans les deux sens. Si cela se produit, il ne faut pas se forcer à retourner à la diversité des idées ; ce serait inutile, et même nuisible. Lorsque la simplicité reste essentielle, elle a plus de valeur que la diversité ; si le silence reste vivant, il vaut mieux que le bruit. 

   Certains sont ainsi faits que la multiplicité des idées et des mots ne leur sert à rien, et l'état auquel d'autres n'arrivent que tard, ils s'y trouvent d'emblée. Il leur suffit de quelques mots ; s'il y en avait davantage cela ne servirait qu'à les troubler [cf.  ce que disait ste Thérèse de Lisieux de sa vie d'oraison - remarque de l'auteur de ce blog] Peut-être peuvent-ils se passer complètement de paroles et d'idées précises ; Dieu est là, et ils sont devant lui. Cela suffit, et ils n'ont pas besoin de chercher autre chose. Mais il ne faut pas qu'ils fassent de cette forme de prière une loi générale, encore moins un procédé. Il arrivera peut-être un jour où eux aussi auront besoin d'une matière plus explicite pour leur oraison ; il faudra qu'ils sachent alors reconnaître le moment où ils devront recourir à un texte. 

   Nous avons dû nous contenter de décrire le développement de l'oraison dans ses grandes lignes ; elle prend chez chacun des formes particulières. Ce que nous avons dit n'est pas une règle, mais simplement une indication générale, et chacun doit se rendre compte de la manière dont les choses se passent pour lui. L'oraison est plus facile pour les uns que pour les autres ; les gens calmes et intérieurs ont moins de peine que les nerveux ou ceux qui ont toujours besoin de voir et d'agir. La nature de l'oraison elle-même est très différente suivant les dispositions de chacun ; l'homme précis et méthodique fera oraison autrement que celui dont la vie est faite d'intuitions et d'impressions ; l'être imaginatif autrement que celui qui pense dans l'abstrait. Il n'y a point ici de règle générale ; ce qui importe, c'est de chercher la vérité et de tendre vers Dieu dans cette vérité. Ajoutons encore que le caractère de l'oraison évolue selon les périodes et les circonstances. Elle est plus facile dans les périodes de paix et d'ascension que dans les périodes d'énervement et de vide intérieur. Elle est parfois une joie profonde ; et parfois elle est pénible ; la plupart du temps il faut la prendre comme un service. Dans le premier cas, on doit l'accepter avec reconnaissance ; dans le second, persévérer paisiblement ; dans le troisième l'accomplir avec fidélité. L'oraison est quelque chose de bon et d'important ; c'est toute la vie qui est transformée, lorsqu'on la pratique. Si l'on a compris cela, il faut la continuer. Une oraison difficile mais consciencieuse, a souvent plus de poids, dans l'ensemble d'une vie chrétienne, qu'une oraison toute remplie d'idées et du sentiment de la présence de Dieu. 

 

                A suivre.....

+ Romano Guardini - Initiation à la prière - Seuil, 1961 

 

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