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Prier avec le P. Guardini: 14e jour

La révélation dit beaucoup de choses sur Dieu. Mais parmi les vérités qu'elle exprime, il en est une qui détermine toutes les autres : Dieu est Saint. 

Personne ne peut exprimer ce qu'est cette sainteté. Non pas qu'elle soit bien difficile à saisir, ou qu'elle pose des problèmes trop compliqués, mais c'est qu'elle est une donnée première, à proprement parler, c'est la donnée première. C'est le caractère fondamental de Dieu, la détermination de son essence. 

"A qui voulez vous me comparez pour me faire pareil à lui ?" dit le Saint, dans le prophète Isaïe (Is 40,25). Dans cette parole, la sainteté se détache comme ce que l'essence de Dieu a de plus propre, et se distingue de tout ce qui est créé. On ne peut pas exprimer ce qu'elle est, mais simplement rendre attentif, et dire : "regardez, écoutez, sentez".  On ne peut pas non plus se servir de concepts pour dire ce qu'est la lumière. On peut dire comment elle se comporte et à quelles lois elle obéit, comment elle agit et ce qui arrive quand elle manque, mais pas ce qu'elle est est en elle-même. On ne peut que dire : " ouvrez les yeux et regardez." 

La sainteté de Dieu est le caractère premier et essentiel qui le fait être lui-même, différent de tout ce dont nous pouvons avoir l'expérience, signe distinctif auquel il peut être reconnu. Prenons l'homme : il possède différentes qualités que l'on peut  décrire et nommer ; mais en elles et derrière elles, il reste un caractère ultime qui s'exprime par tout le reste, quelque chose d'essentiel que seul peut sentir celui qui l'aime ; et c'est à cela qu'il le reconnaît ; ainsi de la sainteté : elle est ce que Dieu a de plus propre. 

Les hommes, les choses, les événements sont terrestres, d'ici-bas, présents et tangibles ; Dieu au contraire, n'est pas du monde, ni de la terre, il est lointain, inaccessible et mystérieux. Mais ces mots ne sont jamais qu'une approximation, qu'une indication, qu'une délimitation ; l'essentiel, ils ne le disent pas ; l'expérience est la seule approche possible. Les objets religieux peuvent nous le faire pressentir ; une église, par exemple, qui ne serait pas seulement commode, imposante ou belle, mais pieuse. Dans son enceinte on a le sentiment de "l'autre chose" ; de ce qui fait qu'on laisse dehors tout ce qui est de la terre, qu'on se tait et qu'on se met à genoux. Il y a dans l'Ecriture un passage qui exprime cela avec vigueur : c'est celui où l'ange du milieu du buisson ardent, dit à Moïse qui s'en approche : "Ôte tes sandales, car l'endroit où tu te tiens est une terre sacrée." (Ex 3,5)

Il existe aussi des hommes dont la nature possède quelque chose de ce caractère. Ils ébranlent la sécurité quotidienne où se passe notre vie. Ils modifient le poids des choses et éveillent en nous l'intuition de ce qui seul importe en définitive. Ce sont là des indications sur la sainteté de Dieu, sur ce caractère qui lui appartient à lui seul, qui est irremplaçable et si précieux, et duquel dépend ce qui est le plus important pour nous : le salut.

La sainteté signifie que Dieu est pur, d'une pureté toute puissante, ardente, qui ne souffre pas la moindre tache. Elle signifie qu'il est bon, non seulement parce qu'il obéit aux exigences du bien, mais parce qu'il est "le Bien" et qu'en ce sens "personne n'est bon si ce n'est Dieu seul" (Mc 10,18) Ce que nous appelions bon, n'est qu'une image approximative de la plénitude éternelle et de la simplicité de l'être de Dieu. Dieu est la mesure à laquelle tout doit être référé. Il est la pierre de touche à laquelle tout doit être éprouvé, le jugement essentiel auquel est soumis tout ce qui est. 

Dès que l' homme approche de Dieu, il entre en contact avec cette sainteté ; il l'éprouve d'une façon ou d'une autre et lui répond de différentes manières. 

Il prend conscience que lui-même n'est pas saint, qu'il est du monde, de la terre, et, plus encore, qu'il est souillé et coupable. Il comprend que sa place n'est pas auprès de Dieu; il éprouve le besoin de s'écarter lui-même de la proximité de Dieu, ou bien de dire avec saint Pierre : " Seigneur, éloignez-vous de moi, parce que je suis un homme pécheur" (Lc 5,8) ; mais en même temps, il sent qu'il a besoin de ce Dieu saint - quelles que soient les circonstances de sa vie - et que c'est une question de vie ou de mort. Il sent qu'il ne peut vivre que de lui et qu'en définitive il ne peut être nulle part ailleurs que près de lui. En sorte que, si éloigné qu'il puisse être de la sainteté, il est poussé vers Dieu et il dit comme le psalmiste :"Seigneur, mon Dieu, vous êtes celui que je cherche. Mon âme a soif de vous, mon corps a besoin de vous comme une terre aride a besoin d'eau." (Ps 62,1-3) De ces deux mouvements naissent des formes différentes de prière. Et même, c'est sur eux que repose toute prière, car en définitive celle-ci n'est pas autre chose que la réponse de l'homme à la sainteté de Dieu. Un Dieu qui ne serait qu'omniscient, tout-puissant, absolument juste et absolument réel, serait quelque chose d'immense: il serait précisément l'être absolu. Il serait admiré, reconnu, craint, on se sentirait écrasé par lui, mais on ne pourrait pas le prier. C'est la sainteté de Dieu qui donne à son omniscience, à sa justice, à sa réalité, à sa puissance, et à tous les attributs de son essence, ce caractère propre, ce mystère vivant, à la fois proche et lointain, ce pouvoir qu'il a de nous  toucher au secret de nous-mêmes, et grâce auquel la prière est possible. On serait tenté de dire que la prière en tant qu'acte de l'homme, correspond, en quelque sorte, à la sainteté comme attribut de Dieu. 

IL faut ajouter une troisième manière de répondre à la sainteté de Dieu ; mais c'est une mauvaise réponse. Elle sourd des profondeurs mauvaises de la nature humaine, si pleine de contradictions : l'homme se sent mal à l'aise en face de la sainteté de Dieu, agacé par elle et il se révolte contre elle. C'est une réaction mystérieuse. On peut se demander comment elle est possible vis-à-vis de Dieu qui est plein de sens et de puissance, par qui l'homme a été pensé et créé, et en qui l'homme "vit, agit et subsiste" (Ac 17,28).

En effet, elle est incompréhensible, car en elle s'exprime le "mystère de l'iniquité". Le péché, en dernière analyse, n'est rien d'autre que la résistance à la sainteté de Dieu. Et nous nous garderons bien de parler de cette résistance comme si elle n'était que le fait des révoltés et des négateurs de Dieu ; elle existe en puissance, plus ou moins forte, en chaque homme, manifeste ou cachée sous le prétexte d'une culture se suffisant à elle-même, d'une vie authentique, de nature et de santé. Lorsqu'elle arrive à triompher c'est la mort de la prière. Il nous faut donc être vigilants et, dès qu'elle se manifeste, il nous faut la combattre, la détruire par l'esprit de vérité, l'affronter avec calme ou la vaincre résolument, enfin, nous servir, pour en finir avec elle, du moyen que nous aurons expérimenté comme le plus efficace.

Nous en avons assez dit sur ce sujet ; revenons maintenant aux deux mouvements fondamentaux de la prière dont il a été question auparavant.  

A suivre...

 

Romano Guardini - Initiation à la prière - Éditions du Seuil (1961)

Romano Guardini (1885-1968). Après avoir étudié la théologie à Freising et Tübingen, il rédige un travail de doctorat sur saint Bonaventure. Il enseigne à Berlin, à Tübingen, puis à Munich de 1948 jusqu'à sa mort. En 1965, il refuse par humilité le titre de cardinal que lui propose le pape Paul VI. Il est l'un des plus grands théologiens du XXe siècle.

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