Le recueillement ouvre à la prière l'espace intérieur. En réalité, le mot n'est pas exact, car cet espace n'est ni intérieur, ni extérieur, il est "dans l'esprit". Non pas dans l'esprit au sens ordinaire du terme, là où sont les images de la pensée et les résolutions de la volonté, mais "dans le Saint-Esprit". Cet espace-là n'existe pas par lui même, à la manière de l'espace physique où se situent les objets, ni à la manière du champ de la conscience où se forment nos représentations, mais il se constitue lorsque nous sommes face à face avec Dieu.
Il ressemble en quelque façon à l'espace dans lequel se rencontrent deux êtres dès qu'ils se trouvent dans la relation " Je-Tu ". Cet espace naît et disparaît avec la considération, le respect ou l'amour que ces deux être éprouvent l'un pour l'autre ; il a la même largeur et la même profondeur que ces sentiments. Dieu est venu, il est prêt de cet homme, il se tourne vers lui avec amour ; et l'homme se tient devant Dieu, il est tourné vers lui par la foi : c'est cela qui constitue l'espace sacré.
On serait tenté de dire que le recueillement a pour effet d'ouvrir l'âme, et que dès qu'elle est ouverte, l'homme qui prie peut dire : " Dieu est ici." Mais cette décomposition dans le temps est le fait de notre seule pensée ; en définitive, le recueillement, l'ouverture sur l'espace sacré, la présence de Dieu et la présence de l'homme devant lui ne forment qu'une seule et même réalité. Et même l'homme ne peut se recueillir que parce que Dieu se penche vers lui. L'expression " je suis là ", il ne peut l'employer dans son sens sacré que parce que Dieu, s'adressant à lui, est présent et lui assigne sa place. C'est Dieu qui par sa venue crée l'espace vivant que l'homme découvre par le recueillement et dans lequel il se tient lorsqu'il est recueilli. C'est Dieu qui désigne le lieu sacré où l'homme est à sa place, où il se trouve et trouve le monde dans son être véritable, où il est appelé à répondre à Dieu. Mais pour expliquer cette réalité globale, il nous faut la dissocier , si nous voulons avoir des idées claires.
Le recueillement, donc, permet à l'homme de dire : Ici est Dieu - le Dieu Vivant, le Dieu Saint dont parle la révélation - et moi aussi, je suis ici." Mais ce "je" n'a pas le sens qu'il a dans la vie quotidienne ; ce n'est pas ce "je ne sais quoi " confus, qui est à table chez lui, qui marche dans les rues de la ville, qui travaille dans son bureau ; mais le véritable "Je". c'est en tant que "je", que je suis responsable de mon existence. C'est celui qui, malgré sa pauvreté, est cependant l'être unique, irremplaçable, dont personne ne peut prendre la place, celui que Dieu a voulu lorsqu'il m'a créé, et de qui l'on peut dire : " Dieu et mon âme, et rien d'autre au monde. Ce "Je" ne s'éveille que devant Dieu.
A suivre...
Romano Guardini - Initiation à la prière - Éditions du Seuil (1961)
Romano Guardini (1885-1968). Après avoir étudié la théologie à Freising et Tübingen, il rédige un travail de doctorat sur saint Bonaventure. Il enseigne à Berlin, à Tübingen, puis à Munich de 1948 jusqu'à sa mort. En 1965, il refuse par humilité le titre de cardinal que lui propose le pape Paul VI. Il est l'un des plus grands théologiens du XXe siècle.