Le recueillement n'est pas un acte isolé à côté d'autres actes ; c'est le seul état intérieur qui soit bon ; c'est ce qui rend l'homme capable de s'établir dans les rapports qui conviennent avec les hommes et les choses. On peut donc envisager le recueillement sous des angles très divers, et ce que nous en avons dit jusqu'ici ne fait que mettre en lumière quelques-uns de ces aspects.
Il n'est pas facile d'arriver au recueillement ; surtout, lorsqu'après les premiers essais, l'intérêt tombe, et que se manifeste toute l'étendue de la misère intérieure... Mais n'est-ce que difficile ? Est-ce seulement possible ? Ne sommes-nous pas à ce point prisonniers de la trame des influences intérieures et extérieures qu'il ne nous reste rien d'autre à faire que d'être ce que nous sommes et de nous en remettre à notre évolution intérieure dans l'espoir de parvenir à une plus grande unification de nous-mêmes ? Nos tentatives de recueillement ne ressemblent-elles pas à celles d'un homme qui voudrait se tirer d'un marécage en prenant appui sur lui-même ? Est-ce que cela ne suppose pas que je suis à la fois en moi-même et hors de moi-même, et que je possède par conséquent un point d'appui qui me permet de me saisir moi-même ?
La question peut paraître étrange ; mais elle est justifiée, et il faut même y répondre par l'affirmative. Car l'essence de la personne consiste précisément en ceci qu'elle existe en elle-même et hors d'elle-même sans qu'elle cesse de se posséder ; qu'elle existe et que cependant elle peut prendre un nouveau point de départ en elle-même. Nous n'avons pas à discuter ici de la manière dont cela est possible, car il faudrait reprendre toute la question de la nature même de l'homme. Disons plutôt ceci : "Croyez qu'il en est ainsi ; si vous en avez le courage, vous vous apercevrez par l'expérience intérieure que cela est vrai. Il est là, ce point mystérieux sur lequel vous pouvez prendre appui pour parvenir à la possession de vous-mêmes ; faites le pas qui vous en sépare et vous le sentirez. En vérité, ce dont il s'agit, ce n'est pas seulement une idée mais une force. C'est tout autre chose que le perpétuel changement, que la fuite et la dissipation. Il s'agit d'une valeur essentielle et éternelle. Il s'agit de vous et de votre être véritable.
C'est à partir de là que vous pourrez réduire au silence et apaiser votre inquiétude, prendre pied et devenir présent, unifier votre dispersion incessante, vous libérer de votre pesanteur et illuminer vos ténèbres étouffantes."
A suivre...
Romano Guardini - Initiation à la prière - Éditions du Seuil (1961)
Romano Guardini (1885-1968). Après avoir étudié la théologie à Freising et Tübingen, il rédige un travail de doctorat sur saint Bonaventure. Il enseigne à Berlin, à Tübingen, puis à Munich de 1948 jusqu'à sa mort. En 1965, il refuse par humilité le titre de cardinal que lui propose le pape Paul VI. Il est l'un des plus grands théologiens du XXe siècle.