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Psautier du Cal Garonne - Page 6

  • Introduction générale aux psaumes : 01. Position des Psaumes

    L'Eglise aime les Psaumes ; l'Eglise en use inlassablement. Les aimons-nous autant qu'elle ? Leur faisons-nous la même place ? 

    Ces simples interrogations obligent à s'avouer un problème, et elles demandent de nous un acte de foi. Nous ne pouvons pas, en effet, ne pas désirer nous accorder à Dieu et à son Eglise : il faut donc regarder en face le problème. Mais il faut avoir confiance en l'Eglise : si elle nous dit qu'il faut, c'est donc que nous pouvons. 

    C'est dans cet esprit que toute réflexion doit être menée, si l'on veut en espérer la lumière. 

    Ce que l'Eglise pense des Psaumes, quelques constatations suffisent à le faire entendre. 

    Les Psaumes ont porté la prière et l'espérance des siècles.

    De cette espérance, saint Paul, saint Pierre, après l'Evangile, nous apportent un écho puissant : " C'est dans la foi qu'ils moururent tous, sans avoir vu s'accomplir pour eux les promesses, mais après les avoir aperçues et saluées de loin et s'être qualifiés d'étrangers et de voyageurs sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent bien qu'ils sont à la recherche d'une patrie. S'ils avaient entendu par là celle d'où ils étaient sortis, ils auraient bien trouvé l'occasion d'y retourner ; mais non, c'est à une patrie bien meilleure qu'ils aspirent, la patrie céleste " (Hébr 11, 13-16) 

    "Le salut de vos âmes dont vous êtes sûrs et qui vous fait tressaillir de joie... c'est lui qui a fait l'objet des recherches, des méditations des prophètes qui ont prédit la grâce qui vous était destinée. Ils cherchaient à découvrir l'époque et les circonstances indiquées par l'Esprit de Dieu... Ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous qu'ils étaient les ministres de ces mystères..." ( 1 Pierre 1,10-12)

    "Je vous le dis en vérité, bien des prophètes et des justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu " (Math. 13,17). 

    De toute cette prière et de toute cette espérance, nous saisissons l'expression dans sa parfaite pureté et sa définitive ferveur, à l'heure où elles atteignent enfin leur but, dans le Magnificat de Notre-Dame ou le Benedictus de Zacharie. 

    Les Psaumes ont porté aussi la prière du Seigneur. 

    Ce fait, sensible en particulier dans les cris de la Passion, se passe de commentaire. 

    Les Psaumes portent aujourd'hui la prière officielle de l'Eglise.

    Dès ses plus anciennes formes et dans celles qui se sont conservées en vue des heures plus solennelles de la vie de l'Eglise, comme la Semaine Sainte, la prière de l'Eglise apparaît comme une composition "d'un type fixé une fois pour toutes... elle présente toujours le même rythme ternaire : leçons bibliques, répons psalmodiques, prière silencieuse que conclut l'oraison dite Collecte... La psalmodie conduit à tirer de la Bible l'enseignement vivant qu'on doit y trouver... L'ensemble des lectures dont sont rapprochés les passages du Psautier  fournit aux formules ... de celui-ci la plénitude de leur signification..." (P. Louis Bouyer, Bible et Vie chrétienne, n°10, p. 23-24). 

    L'office du moine comme celui du prêtre, c'est avant tout la récitation du Psautier, et la liturgie de la Messe lui emprunte de quoi former sa prière. 

    Les Psaumes portent la prière des Saints.

    On a pu dire d'un saint Bernard par exemple que sa pensée ne puisait pas seulement dans ces sources mais qu'elle y "baignait". 

    Pourquoi cette place unique accordée aux Psaumes ? 

    C'est le sens même de la Révélation qui est ici en cause. 

    Dieu  s'adresse à nous ; il nous adresse sa Parole, la Parole du salut qu'il nous appartient d'accueillir. Cette Parole ne veut être que le premier terme d'un dialogue : le cercle se fermera par notre réponse, par une prière. Mais cette prière ne pourra être formée en nous que par Dieu même. C'est Dieu qui nous la donnera, ou bien elle ne sera jamais : " Nous ne savons pas prier comme il faut ; l'Esprit lui-même intercède pour nous..." (Rom. 8,26). Une prière chrétienne authentique ne saurait être en son fond autre chose que la prière inspirée : la prière où c'est Dieu lui-même dans la bouche des hommes qui répond à Dieu. " La prière chrétienne est une prière où l'homme n'a pas l'initiative, mais Dieu ; une prière où ce n'est pas l'homme qui cherche peu à peu, en tâtonnant dans les ténèbres, à démasquer un Dieu muet, mais où c'est Dieu qui cherche l'homme et où celui-ci n'a qu'à se livrer à l'appel entendu en écoutant de mieux en mieux... Non seulement la Parole doit susciter une réponse, comme une parole humaine une autre parole humaine, mais elle doit vraiment la créer. Car la Parole divine est toujours la Parole créatrice et sa suprême création, c'est la recréation du cœur de l'homme selon le cœur de Dieu... C'est pourquoi un livre entier de la Bible... n'est fait que de prières, c'est le Livre des Psaumes... et c'est pourquoi ce même Psautier demeure comme le noyau de l'Office divin, c'est-à-dire de cette partie de la liturgie qui est proprement la prière de l'Eglise " (P. Louis Bouyer, Maison-Dieu, n° 33, p.10-11)

    On peut trouver bien d'autres explications à cette faveur de l'Eglise pour les Psaumes. Mais toutes les réponses, même valables, s'éclipsent devant cette réponse fondamentale. 

    Certes les Psaumes ne sont pas l'unique réponse possible à la Parole de Dieu ; ils ne sont même pas l'unique réponse inspirée ; mais ils en sont la forme exceptionnelle et privilégiée. 

     

    Le problème demeure donc avec toute sa brutalité : comment se fait-il que cette prière, qui est si parfaitement celle de l'Eglise, soit en fait si peu celle de chacun des membres de l'Eglise ? En réalité, l'absence des Psaumes dans la prière de chacun est moins totale qu'il ne semblerait au premier abord : chaque chrétien use des Psaumes du moment qu'il prie avec l'Eglise, même s'il n'a pas toujours conscience de ce qu'il doit, par le fait même, à cette prière. 

    Il y a cependant un " désaccord ", qu'il serait malhonnête de nier. De ce désaccord, les causes sont nombreuses. Les unes sont d'ordre assez théorique et elles peuvent être sur le même plan assez vite résolues. On peut invoquer l'archaïsme des formes d'expression qui sont celles des Psaumes : cette poésie n'est pas la nôtre. On peut invoquer l'archaïsme des sentiments : l'Evangile a passé par là et certaines attitudes spirituelles dont témoignent les Psaumes sont devenues pour nous étrangères, voire choquantes. 

    Il y aurait bien à dire sur tous ces points, en particulier sur le dernier, et l'on peut se demander si la répugnance que nous éprouvons à l'égard de certains traits des Psaumes ne signifie pas en profondeur une méconnaissance de l'Evangile. La charité chrétienne est bien autre chose qu'une simple douceur facile : elle entre dans le monde au prix d'une véritable guerre contre un ennemi qui ne désarme pas, qu'il s'appelle le monde ou le démon. C'est la pratique à la fois des Psaumes et de l'Evangile qui résoud progressivement de telles difficultés. 

    Il y a des explications plus profondes, d'ordre subjectif. Notre prière, en dépit du Pater, reste dans une large mesure une prière individuelle : or les Psaumes sont faits pour être dits dans une autre clé. Notre prière reste également dans une large mesure une prière tournée vers l'homme, " anthropocentrique" : or les Psaumes sont toujours à quelque degré une prière de louange, un acte d'adoration.

    Il suffit d' avoir noté ces deux discordances fondamentales pour comprendre bien des choses. 

    Mais finalement, si les Psaumes ne sont pas dans l'usage du fidèle devenus plus familiers, c'est faute de savoir. Une initiation est nécessaire, les fidèles ne peuvent pas connaître ce qu'on ne leur a pas appris, pratiquer ce à quoi on ne les a pas initiés. 

    L'effort du pape Pie XII pour réduire les difficultés de surface en brisant la convention d'un texte traditionnel et vénéré, mais souvent inexact, est à cet égard une indication. 

    Dans la voie que le Souverain Pontife ouvrait ainsi, il faut avec courage entrer. 

                                                               

    Mgr Garonne, archevêque de Toulouse (+) Les Psaumes, prière pour aujourd'hui - Ed. Tardy. 1963