Si un moine veut faire l’expérience de la cruauté des démons et prendre d’utiles précautions vis-à-vis de leur art, qu’il observe attentivement ses pensées, qu’il en mesure bien la tension, les répits, les machinations, qu’il repère leurs moments préférés pour se manifester ; qu’il remarque quels démons accomplissent une chose ou une autre, et encore lesquels des démons se joignent à un autre, et lesquels ne sont accompagnés de personne. Qu’il demande enfin au Christ des éclaircissements susceptibles de lui expliquer les raisons de leurs comportements.
Evagre le Pontique, traité pratique 50
Ces conseils sur l’observation des pensées pourraient bien se trouver dans un livre de psychologie. Nous notons ici encore avec quelle sérénité Evagre se comporte envers les pensées et les sentiments. Nous devons devenir familiers de nos pensées. Nous devons donc nous plonger en elles.
Quelles sensations nous transmettent-elles ? Quelles images se font jour en moi lorsque je vais au fond de ma colère ? Certains visages contre lesquels cette rage est dirigée m’apparaissent peut-être. Quelles sont les personnes qui déchaînent en moi cette colère ? Me rappellent-elles des figures de l’histoire de ma vie ? En ce cas, il serait important que je me mesure à elles. Je pourrais peut-être découvrir quelles sont les blessures qu’elles m’ont infligées par le passé.
J’ai refoulé les blessures, mais quand je rencontre certaines personnes, elles refont surface. Et elles m’empêchent de me comporter avec ces gens de manière juste. Je les confonds avec les expériences que j’ai vécues dans mon enfance. Je réentends par leur voix celle de ceux qui m’ont fait du mal à un moment donné de mon existence.
Evagre nous donne l’intéressant conseil de demander au Christ des éclaircissements susceptibles de nous expliquer les raisons de nos comportements. Nous ne devons pas nous arrêter à l’observation des pensées, mais nous devons la transposer dans la prière. Le dialogue avec le Christ peut nous éclairer sur ce que veulent en réalité de telles pensées et de tels sentiments. En présentant mes pensées au Christ et en les faisant examiner par lui, j’en reconnaîtrai la véritable signification.
Je comprendrai peut-être alors que le Christ veut me réconcilier avec le côté humain de ma personne, avec ma sensibilité, avec ma sexualité. Il permet que la colère me secoue avec une telle violence pour que j’abandonne mon idéal de spiritualité parfaite et que je m’accepte toute humilité tel que je suis réellement. Le Christ désire me montrer que je ne peux atteindre Dieu que si je trouve le courage de descendre au fond de ma réalité.
La voix du désert – Anselm Grün – Parole et Silence, 2006