Sois le gardien de ton cœur et ne fais pas entrer aucune pensée sans l’avoir d’abord interrogée. Pose à chaque pensée cette question :
« Es-tu l’une des nôtres ou viens-tu de chez nos ennemis ? »
Si elle appartient à ta maison elle te remplira de paix. Si au contraire elle provient de l’Ennemi, elle te troublera par la colère ou suscitera de la concupiscence en toi.
(Evagre Le Pontique, lettre 11)
Evagre emploie ici une belle image pour décrire l’attitude que nous devons avoir vis-à-vis de nos pensées. Il reprend celle qu’avait utilisée Jésus dans son discours sur la vigilance. Le patron qui part en voyage donne au portier l’ordre de veiller (cf. Mc 13,34). Nous devons donc nous asseoir devant la porte de notre maison et demander à chaque pensée qui frappe à la porte de notre cœur si elle nous appartient ou non. Et nous devons nous mettre à parler avec la pensée en question. Nous pouvons ainsi découvrir s’il s’agit d’un « clandestin » qui voudrait nous chasser de chez nous. Ces « clandestins » peuvent être une violente colère, de la jalousie ou des désirs sexuels... Si nous les laissons entrer, nous ne pourrons plus habiter tranquillement dans notre maison. Il ne nous restera peut-être plus qu’un petit coin à la cave dans lequel nous réfugier.
Evagre nous conseille de ne laisser entrer que les pensées qui sont porteuses de paix. Dans ce cas, elles appartiennent à notre maison. Elles viennent de Dieu. C’est alors Dieu lui-même qui désire venir s’installer chez nous par leur intermédiaire. Examiner les pensées qui nous trottent continuellement dans la tête et s’interroger sur leur effet est certainement l’un des devoirs les plus importants du moine.
Après l’examen des pensées commence le chemin spirituel. Sans lui nous ne pourrons pas nous retirer dans la chambre de notre cœur, comme Jésus nous conseille de le faire lorsque nous prions : « Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. » (Mt 6,6)
Si nous n’examinons pas nos pensées, nous ne rencontrerons pas Dieu dans notre chambre, mais plutôt le tumulte intérieur, le chaos de nos pensées. Le gardien a le devoir de protéger notre prière. Nous avons besoin d’un gardien sûr, qui ne laisse entrer que les pensées qui nous comblent de paix. Alors, dans la chambre de notre cœur, nous rencontrerons Dieu qui réside en nous en secret et qui nous révèle et éclaire ce qu’il y a en nous de plus intime, de plus refoulé de plus inconscient.
La voix du désert – Anselm Grün – Parole et Silence, 2006