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Conseils pour l'oraison 08 : Une invitation d'amour

" Comment se fait-il qu'après quinze ans de pratique régulière de l'oraison, celle-ci soit actuellement si morne, apparemment si peu efficace, sans lumières et sans joie ?" 

 

 

 

   Pour vous répondre, je me suis remémoré les explications que donnent les auteurs spirituels, de la pauvreté de l'oraison : une vie de foi insuffisamment entretenue par la lecture et la méditation, spécialement de la Parole de Dieu, une vie de charité languissante faute d'une mortification délibérée des goûts, des attachements, des passions. Ce peut être encore la conséquence d'une indiscipline de l'imagination ou de la pensée. 

   Mais je m'oriente plutôt vers une autre explication. Sans prétendre toutefois qu'elle est la bonne, je souhaiterais que vous y réfléchissiez un peu longuement.

   Je me demande si vous n'êtes pas victime à la fois de la routine et du savoir-faire. Je m'explique. Lorsque vous avez entrepris de faire oraison, conscient de votre ignorance vous avez demandé conseil, lu des articles ou des traités sur la question. Je me souviens de votre bonne volonté. Aussi bien chacune de vos oraisons était-elle une conquête sur l'inexpérience, l'apathie, les distractions. Ou du moins un combat courageux. 

   Depuis, vous avez acquis expérience et savoir-faire. Vous savez qu'il y a grand intérêt à préparer son oraison et à la bien commencer, et donc vous n'y manquez pas. Vous luttez contre les distractions, mais sans tension, en homme expérimenté qui les sait souvent permises par Dieu ; vous parlez au Seigneur, mais aussi vous savez vous taire, ayant découvert le prix du silence dans l'oraison ; vous souffrez de ne plus connaître comme autrefois ces brusques poussées de lumière et d'amour, mais vous avez lu que " l'aridité " a sa place dans toute vie spirituelle en progrès. 

   Ne seriez-vous pas devenu un " professionnel " de l'oraison, qui connaît bien les règles de l'art et les applique ? On dit d'un artisan : il a le tour de main. D'un praticien, d'un pianiste, d'un prédicateur : il a du métier. C'est très important, certes. Mais cela ne suffit pas, surtout dans les relations d'homme à homme : je pense au professeur, à l'écrivain, au prédicateur…

   Encore moins dans les relations de l'homme et de la femme, au sein du foyer. J'imagine un jeune époux à qui l'on aurait enseigné qu'il n'est pas bon de laisser à l'improvisation les conversations du soir avec son épouse. fort de ces conseils, au retour du travail il interroge sa femme sur sa journée, ses tâches et ses rencontres, sur le comportement du nouveau-né, de son côté il n'omet pas de lui parler des faits saillants de sa vie de travail. Puis il lui propose, pour la soirée, de lire ensemble le livre qu'il vient d'acheter. Et cependant, malgré ces justes notions et ces louables efforts, il n'est pas exclu que la soirée soit décevante pour l'un et pour l'autre, chacun restera solitaire et s'ennuiera, continuera son monologue intérieur ou s'évadera dans le rêve. 

   C'est qu'en ce domaine de la vie conjugale, il ne s'agit pas seulement de connaître la théorie ou d'avoir acquis du savoir-faire. Deux vivants ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient hier. Il faut chaque jour partir à la rencontre l'un de l'autre par des sentiers inconnus, essayer de deviner la vie profonde du conjoint, rechercher ce qui peut susciter son attention, son intérêt, sa tendresse, éviter ce qui pour l'heure l'agace ou le lasse, découvrir ce qui peut établir la communion. Et alors parfois le miracle se réalise : un véritable échange en profondeur où les cœurs et les âmes communient ; les mots se trouvent merveilleusement aptes à nourrir cet échange - à moins que le silence n'y parvienne mieux encore. 

   Il ne suffit pas d'être calé en psychologie, de connaître par cœur le code des bonnes relations entre mari et femme. Il s'agit d'inventer chaque conversation, chaque soirée, pour qu'elle soit une rencontre, une rencontre vraie. Or, inventer est difficile, c'est fatigant, ou plus exactement cela suppose un amour vivant, jeune, jamais résigné à la médiocrité des conversations, impatient d'une communion plus étroite, stimulé par l'espérance. C'est l'amour qui suscite l'invention et, réciproquement, l'invention enrichit l'amour. 

   Il en est de l'oraison comme de la vie conjugale (parce qu'elle aussi est rencontre de personne à personne), elle se détériore quand le savoir-faire se substitue à l'invention. Je me demande si ce ne serait pas le cas pour vous. Certes, il est fort utile de connaître et de mettre en pratique, comme vous le faites, les règles que les hommes de prière nous ont enseignées, mais si la faculté d'invention n'entre pas en jeu, en dépit de tout ce savoir-faire, de toute cette science, votre oraison restera polie, superficielle, artificielle, n'aboutira pas à une communion de l'âme avec Dieu. 

   Chez sa femme, me direz-vous, un homme qui aime sait deviner - à des signes imperceptibles à tout autre : un certain sourire, une lumière dans le regard, tel léger frémissement d'un muscle du visage ou de la main - ce qui est joie pour son cœur. Mais avec Dieu ? 

   C'est la foi qui nous fait connaître ce qui lui plaît. Elle ne suffit pas, il est vrai, à nous renseigner sur ce qui lui plaît hic et nunc, sur ce qu'il veut de cette demi-heure d'oraison-ci : tel aspect de sa pensée ou telle de ses perfections sur lesquels il désire que nous nous arrêtions, telle attitude d'âme, louange ou repentir, adoration ou confiance filiale, qu'il attend de nous, ou encore telle disposition à modifier, qui fait écran entre lui et nous.

A quel signe le comprendre ?

Ce peut être une certaine qualité de silence ou de paix, succédant à une inquiétude (au sens étymologique du mot : absence de calme intérieur), ou encore une impression de plénitude. Parfois on a le sentiment d'avoir trouvé la bonne position de l'âme. En écrivant cela, voici que se présente à ma mémoire un vieux souvenir d'enfance (excusez la cocasserie du rapprochement) : un billard, des boules sur le billard, et des trous portant des chiffres : 10, 100, 500, 1000. Il s'agissait de faire que les boules se placent dans les trous aux chiffres les plus importants. Les boules roulaient, s'inquiétaient ; telle s'approchait, puis s'éloignait d'un trou, finissait par tomber dans l'un d'eux, frémissait quelques instants et finalement se stabilisait, le calme conquis. Il en va ainsi de l'oraison : quand on a du mal à la commencer, il convient " d'essayer " tour à tour telle pensée ou telle  attitude d'âme qui nous a aidé à prier lors d'une précédente oraison. Mais si aucune ne trouve en nous d'écho, n'éveille un sentiment de paix, nous restons comme instables, plus ou moins inquiets. Il nous faut chercher encore, en sachant que notre recherche déjà plaît à Dieu.

En revanche, si une paix s'instaure dans l'âme, si nous avons l'impression d'être dans le vrai, alors, que cesse la recherche : ce que Dieu voulait de nous est trouvé. Il n'est plus que d'approfondir doucement la pensée ou d'affermir l'attitude. Grâce aux dons du Saint Esprit, nous deviendrons, peu à peu, plus aptes à discerner ce qui plaît à Dieu. 

 

   Même si nous demeurons dans l'incertitude, nous sommes sur la bonne voie, du moment que notre oraison est dominée par la volonté de répondre à l'attente de Dieu. Cherchons en tâtonnant, mais toujours paisiblement, nous entretenant avec Dieu comme un fils avec son Père. 

   Retenez de cette longue lettre que chacune de vos oraisons doit être une invention, une invention d'amour c'est-à-dire une découverte de ce qui plaît à Dieu. Ce n'est pas le souvenir de ce que fut l'oraison de la veille, ou la seule connaissance d'un art de prier, qui vous renseignera sur ce que doit être l'oraison d'aujourd'hui. Il vous faut chercher en souplesse, d'une âme tout éveillée, laborieuse, espérante. 

 

Texte tiré de "Présence à Dieu"  Henri Caffarel - 100 lettres sur la prière - Éditions Parole et Silence. 

 

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