Vous rappelez-vous ce qu'un jour vous me disiez de Philippe ? " C'est un garçon très serviable, toujours prêt à faire mes commissions ; parfois même il est tellement empressé qu'il lui arrive de partir avant de savoir ce qu'il doit acheter. " Comme vous êtes bien sa mère ! pensais-je en lisant votre dernière lettre. Quand le moment est venu de votre oraison quotidienne, sans retard vous vous y mettez, vous foncez comme Philippe, vous pensez à Dieu, parlez à Dieu, essayez de faire surgir votre amour pour lui, avant même de lui demander ce qu'il attend, ce qu'il espère de vous. Aussi bien n'ai-je pas l'intention de vous adresser de hautes considérations sur l'oraison mais de vous donner un conseil tout modeste, aussi important que modeste d'ailleurs : ne commencez jamais votre oraison sans avoir d'abord marqué un temps d'arrêt, établi le silence en vous, interrogé Dieu sur ce que vous devez faire de ce quart d'heure de prière.
Je reviens à votre Philippe. Ce garçon serviable est aussi un garçon bien éduqué. J'ai constaté que devant ce qu'on appelle une "grande personne" il se tait, laisse parler - même si sa langue le démange.
Pourquoi, devant cette infiniment plus grande personne qu'est Dieu, ne faites-vous pas ainsi que vous avez appris à votre fils ? Pourquoi ne lui laissez-vous pas l'initiative de l'entretien ?
Comprenez mon conseil : je ne vous invite pas à vous demander à vous-même ce que vous allez dire à Dieu, mais bien lui demander - à lui - ce qu'il a à vous dire, quelle réponse il attend de vous, quelle attitude d'âme doit être la vôtre pour lui plaire.
Je sais que vous allez me rétorquer : " Ne me prenez pas pas pour une grande mystique. Je n'entends jamais Dieu me parler !" Et pour cause : pour entendre, il faudrait peut-être commencer par écouter ! " Il m'est tout de même arrivé de ne pas lui parler tout le temps, mais jamais je n'ai perçu sa voix." Est-ce tellement sûr que vous souhaitiez l'entendre, que vous vous faisiez toute attentive ?
D'ailleurs je ne vous promets pas que sa voix se fera sensible.
Encore que cela puisse se produire : saint Paul, tremblant et déprimé, comme perdu dans la grande ville cosmopolite de Corinthe, entend la voix du Christ qui le réconforte avec grande tendresse : " Rassure-toi, continue de prêcher, ne te tais pas. Je suis avec toi " (Ac 18,9-10).
Mais ce n'est pas la façon habituelle d'agir du Seigneur, même avec saint Paul.
Si vous prenez l'habitude de commencer votre oraison par un moment de silence attentif, interrogatif, vous découvrirez bientôt dans quel sens on peut dire que Dieu nous parle. Parfois, de ce silence surgira une pensée, une pensée ayant saveur de prière ; faites-lui bon accueil ; offrez-lui pour mûrir un climat propice.
Rappelez-vous les vers admirables de Paul Valéry, qu'il n'est pas interdit d'appliquer à l'oraison :
Patience, patience,
Patience dans l'azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d'un fruit mûr !
D'autres fois les pensées n'apparaîtront pas aussi spontanément. Patience, patience
Il vous faudra enchaîner la réflexion au silence, rechercher ce que doit être votre oraison pour répondre à l'attente du Seigneur.
Par exemple, vous regarderez en esprit les perfections de ce Dieu en présence de qui vous vous tenez et peut-être qu'alors le besoin s'imposera d'adorer, ou de rendre grâces, ou de vous humilier.
Ou bien vous vous rappellerez que l'Esprit Saint au fond de votre âme s'écrie : " Père ! Père ! " et votre oraison se fera adhésion de toute votre foi, de tout votre être à l'amour du Fils pour son Père.
Ou bien encore ce sera un événement familial ou un fait d'actualité qui vous apparaîtra comme devant inspirer votre oraison et vous intercéderez pour les personnes qui ont besoin de secours, comme Abraham au chêne de Mambré plaidant pour les villes menacées par le feu du ciel.
Il vous semblera peut-être qu'en tout cela Dieu n'est guère intervenu, que vous seule avez cherché et choisi le sujet de votre prière.
A vrai dire, si vous n'avez pas foncé inconsidérément dans l'oraison, il est bien permis de penser que Dieu a soutenu de l'intérieur votre effort de réflexion, même si vous n'en avez pas eu conscience, et qu'il vous a amené à comprendre ses pensées et ses désirs. Transmettre à un autre ses pensées, ses désirs, n'est-ce pas cela lui parler ?
Néanmoins restez toujours modeste, n'imitez pas ceux qui s'imaginent naïvement que les idées qui leur viennent sont à coup sûr les idées mêmes de Dieu.
De tout ce que je vous écris, retenez surtout que le premier mot de notre prière - que nous soyons novices en la vie d'oraison ou expérimentés - doit toujours être celui du jeune Samuel (1 S 3,9 ) : " Parle, Seigneur, ton serviteur écoute"
Un vieil auteur du XVIIe siècle, le P. Bourgoing écrivait : " Si la nature nous a donné deux oreilles et ne nous a donné qu'une langue, c'est pour montrer que nous devons, conversant avec les hommes, deux fois au moins plus écouter que parler."
Que ne devons-nous pas faire avec Dieu !
Texte tiré de "Présence à Dieu" Henri Caffarel - 100 lettres sur la prière - Éditions Parole et Silence.