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Prier avec le P. Guardini : 38e jour

Difficultés à prier provenant de crises de la foi

Qu'advient-il de la prière quand la foi elle-même est chancelante ? La prière s'adresse au Dieu qui nous est connu par la Révélation ; et nous ne sommes certains de celle-ci que par la foi. Qu'arrive-t-il lorsque la foi est incertaine, ou bien qu'elle n'existe pas encore vraiment, lorsqu'on n'est encore que sur le chemin qui conduit à la foi ? Comment prier dans ces conditions ? Et il ne s'agit pas seulement de savoir si la foi est assez forte pour prier, mais si, en bonne conscience, on a le droit de prier. Car la foi est inséparable de la vérité, mais si ma foi vacille, et que j'essaie de prier, la conscience me reproche de n'être pas sincère. Alors ? Le problème n'est pas simple. 

   

 

 

   Dans les difficultés que nous avons envisagées jusqu'ici, il s'agissait d'un conflit entre le devoir et la volonté d'une part, et les possibilités d'autre part ; la foi existait, c'est le cœur qui ne voulait pas ou ne pouvait pas. Or, ici, il s'agit d'une contradiction entre deux impératifs : la question n'est pas de savoir si je peux ou si je veux, mais si j'ai le droit de prier.

 

   Avant tout il faut se rendre compte que la foi, elle aussi, est une chose vivante, et que, comme telle, elle a son évolution et son histoire. Elle n'est pas une certitude possédée une fois pour toutes dans le bonheur ou le malheur, possédée comme une table de multiplication, qu'on sait une fois qu'on l'a apprise. La foi a besoin des forces de l'intelligence et du cœur, elle est faite de jugement et de fidélité, en d'autres termes elle est liée à toute la vie intérieure, qui à son tour la nourrit ; elle connaît le doute, l'inquiétude et les répugnances. Les énergies intérieures peuvent se détendre, ou bien l'on peut se trouver dans un nouvel âge de la vie, ou se trouver placé dans un milieu différent et subir l'influence de nouvelles rencontres humaines. Tout cela peut être source d'inquiétude ; il n'y a pas lieu de s'en étonner, et il faut le considérer comme un fait. La foi doit persévérer et la prière avec elle.

Car la foi n'est pas un sentiment ou une expérience qui aurait sa signification en elle-même, mais une relation de la personne avec Dieu qui se révèle. Cette relation demeure, même lorsque le sentiment change ou disparaît. La foi est essentiellement persévérance, puisqu'elle a ses racines non dans le sentiment, mais dans le caractère ; non dans les expériences sensibles, mais dans la fidélité ; non dans les éléments mouvants de la vie, mais dans ce qui dure. La foi est " la victoire sur le monde " (Jn 5,4). Mais le " monde ", ce ne sont pas seulement les individus et les choses, les événements et ce qui se passe à l'extérieur, mais aussi et surtout nous-mêmes, notre être à nous, avec toutes ces tensions, ses faiblesses et ses crises. 

Il ne faut donc pas se laisser aller, mais se rappeler soi-même à l'ordre, tenir bon et persévérer [quel que soit notre "météo" intérieure]

 

   Le problème est plus difficile lorsque la foi est ébranlée dans ses fondements, lorsque, par exemple, les vérités de la Révélation semblent perdre leur sens. Il peut en résulter des conflits profonds entre les exigences de la foi et la volonté de sincérité, entre le devoir de la prière et tout le comportement intérieur. Tout dépend alors d'une seule chose : l'homme prend-il sa foi vraiment au sérieux ? Il ne pourra pas, bien entendu, essayer d'obtenir de force ce qui pour le moment est impossible ; mais il ne doit pas non plus s'autoriser, sous prétexte de certaines difficultés particulières, à renoncer purement et simplement à la foi. Si certaines vérités de la Révélation, comme la divinité du Christ ou le mystère de la messe, lui sont devenues étrangères, il doit s'attacher avec d'autant plus de soin à d'autres vérités plus vivantes pour lui, comme la Providence ou la responsabilité éternelle. Il lui faut chercher ce qui est, pour lui, un terrain sûr, et à partir de là, avancer, prier, penser, parler avec des personnes ayant un bon jugement ; bref, consacrer au problème de la foi au moins autant de sérieux et d'énergie qu'il en consacrerait à la guérison d'une maladie grave ou au règlement d'une affaire professionnelle décisive pour toute sa vie. 

 

   Il convient d'en dire autant de la prière. Il se peut, par exemple, que la personne du Christ lui soit devenue inintelligible, et qu'il ait de la difficulté à Le prier ; qu'il se tourne alors vers le Père. Ou bien, c'est la personne du Père qui lui est devenue étrangère, mais l'idée du Saint-Esprit, partout agissant, lui dit encore quelque chose ; c'est vers lui qu'il devra se tourner pour lui demander la lumière. Il faut chercher un terrain solide et s'y appuyer pour prier.  Les vérités de foi se tiennent ensemble, et, en définitive, il n'y en a qu'une seule : un seul Dieu en trois Personnes qui, dans le Christ, se révèle et conduit le monde au Salut. Si un élément de cette vérité s'anime dans la prière, tous les autres bénéficieront de sa clarté et peu à peu retrouveront une vie nouvelle. 

 

   Il faut d'ailleurs tenir compte du fait que la foi elle-même dépend de la prière. Il ne faut pas s'imaginer qu'il existe une foi achevée qui, à son gré, prie ou ne prie pas ; en réalité, la prière, quelle que soit sa forme, est l'acte élémentaire de la foi, comme la respiration est l'acte élémentaire de la vie. Ainsi, la recherche ou l'approfondissement de la foi, la pensée, la discussion intérieure, doivent-elles passer, d'une façon ou d'une autre, dans la prière. La comparaison avec la respiration est très exacte : dès qu'il y a vie, il y a respiration, et la respiration développe la vie. Dès qu'il y a foi, il y a prière, et la prière développe la foi. Quand la vie s'affaiblit, la respiration ne s'arrête pas pour autant, elle continue et c'est par elle que la vie revient à la normale. Autant l'on a de foi, autant l'on doit persévérer dans la prière, et de la manière dont l'on est capable. 

 

   La même exigence existe pour celui qui n'a pas encore la foi, mais qui la cherche. Il est très important qu'il ne se contente pas de penser, de lire, de discuter, bref de rester sur un plan strictement intellectuel ; la prière lui est aussi indispensable. Il faut, bien entendu, qu'il reste honnête ; il ne devra pas anticiper, dans sa prière, une certitude qu'il n'a pas encore. Il devra se rendre compte de ce dont il est sûr, et fonder là-dessus sa prière : il priera le Dieu vivant, ou le mystère agissant de sa grâce, ou bien même, s'il n'y a encore rien d'autre pour lui, l'Etre essentiel, lointain et pourtant ressenti comme réel, dont il a l'intuition. Et même s'il ne pouvait rien dire que ceci : " Dieu inconnu, si vous existez, je veux que vous sachiez que je suis prêt à vous accueillir ; donnez-moi de vous connaître " : ce serait là une vraie prière.

 

   Il y a encore quelque chose d'important - de toujours important - mais tout particulièrement dans ces périodes de difficultés : la prière doit être efficace dans la vie. lorsque, pour l'amour du sacré, un homme accomplit un devoir avec plus de conscience, ou vainc plus résolument une tentation morale, ou bien encore lorsqu'il se montre plus généreux et plus secourable vis-à-vis du prochain, cela n'est pas sans effet sur la prière. Cela lui élargit l'horizon, le rend plus sensible dans le discernement des valeurs et lui apporte des énergies nouvelles. 

Nous ne nierons pas qu'il y a certaines circonstances où la prière n'est guère possible. Reconnaissons qu'il arrive à certains de ne pas pouvoir prier, soit qu'ils ne sachent vraiment pas à qui s'adresser, soit qu'un sentiment d'honnêteté leur interdise de s'approcher de Dieu. mais même pour ceux-là il existe encore des formes voilées ou indirectes de prière. Ils peuvent, par exemple, entourer d'un respect particulier tout ce qu'ils rencontrent de beau, de vrai, de grand, et y reconnaître le mystère qui se cache derrière toute grandeur, toute beauté, ou bien s'efforcer de traiter les individus avec respect ; ils éviteront toute grossièreté et resteront conscients de la dignité que possède encore l'être le plus misérable. Ou encore ils seront attentifs à tout ce qui est silencieux, doux, sans défense ; plein d'égards envers la souffrance. On pourrait continuer longtemps cette énumération et montrer qu'une pareille attitude vise, au-delà de l'immédiat ou dans l'immédiat même, une réalité sainte et divine dont l'accès direct n'est pas encore ouvert… Cette forme de la piété peut aussi s'exprimer par un respect pour tout ce qui est vivant et par l'effort à ne rien profaner. ce ne serait pas de la sentimentalité, mais une attitude de force - mais d'une force qui n'a pas encore trouvé sa véritable voie… Dans de pareilles circonstances, notons encore l'influence possible de l'art quand il est noble : un tableau, une œuvre musicale, un poème. ce qui ne signifie pas que la religion puisse être remplacée par l'art, ni même que l'art soit déjà lui-même religion ; mais l'atmosphère et le rayonnement d'une œuvre véritablement religieuse, peut être une aide dans des temps de détresse. On peut y trouver un pressentiment du sacré ; et si l'on en retire autre chose qu'une jouissance raffinée ou artificielle, c'est encore une prière voilée.  

 

A suivre

+ Romano Guardini - Initiation à la prière - Seuil, 1961

 

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