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19. Une initiation à la vie spirituelle

Mais le combat ne s’achève pas encore, car il faut qu’apparaisse la victoire du Christ. De même que Jésus est ressuscité des morts, envoyant les siens parcourir la terre, afin d’annoncer la bonne nouvelle, ainsi faut-il qu’à l’écrasement et à l’humiliation du juste, succède une vie nouvelle qui se répande. Nous avons « porté en notre corps les souffrances de mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre chair mortelle. » (2 Co 4,10-11).

 

 

 

Si l’avènement de Jésus au centre de notre personne n’est pas suivi par notre totale transparence à son amour, c’est que nous ne sommes pas encore totalement passés par sa mort vivifiante. Nous devons donc sans cesse manger la Pâque pour que l’ancienne création disparaisse au profit de la nouvelle. Cela durera pour chacun jusqu’à sa propre mort, et pour l’humanité jusqu’au second avènement du Christ, c’est-à-dire jusqu’au moment où, toute l’humanité transformée par sa Croix, Jésus pourra présenter à son Père un Royaume parfait.

Pour nous acheminer vers cette instauration définitive, la première arme dont nous devions nous servir, et qui nous permettra de sauver nos vies (cf. Lc 21,19), c’est la patience. Sous le prétexte que nous sommes déjà chrétiens, nous estimons souvent être au terme, et nous voulons voir se réaliser l’unité de toutes choses dans le Christ. Devant les résistances que nous rencontrons, nous sommes tentés, comme les apôtres, d’appeler sur nos adversaires, le feu du ciel. C’est là encore retourner au judaïsme et confondre notre manière de concevoir le respect de Dieu avec ce respect même. De nos mains nous ne pourrons jamais faire sortir l’eau du rocher, à moins que ce ne soit sur l’ordre de Dieu pour répondre à la soif de la multitude. Même si, dévorés de zèle, nous parcourons la terre pour faire des prosélytes, il n’est pas sûr que la bénédiction de Dieu nous accompagne. La sagesse divine reste folie au regard des hommes ; et la discipline collective la plus ferme ou l’organisation apostolique la plus efficace n’atteindront leur but véritable qu’à l’heure de Dieu.

Par une impatience inverse, mais parallèle, nous pouvons être encore tentés de juger que l’essentiel est de rendre visible la puissance du Christ qui est passé sur la terre en faisant le bien, qui a guéri les malades et qui viendra pour sécher les larmes de nos yeux. Nous nous mettons alors, non plus sous sa calme impulsion, mais, avec une inquiétude païenne, a travailler frénétiquement au bien-être des humains et à mesurer le Royaume, et la valeur du christianisme, à la possibilité qu’il donne d’augmenter le bien-être temporel. Toute lenteur nous scandalise et nous demandons à voir, à l’instant même, de quels fruits ce message est porteur, en menaçant de ne plus croire s’ils ne sont pas assez nombreux et s’ils ne mûrissent pas assez vite.

Sans doute faut-il travailler à rétablir dans le monde l’unité du premier jour, où Dieu dominait par l’homme sur toutes les choses et sur tous les êtres, sans doute aussi devons-nous chercher à traduire en acte « la charité qui nous presse » afin de montrer que nous sommes en ambassade auprès des hommes. Mais Jésus-Christ nous répète : « Il ne vous appartient pas de connaître le temps et l’heure que le Père a fixés de sa propre autorité ; mais, avec le Saint Esprit qui descendra sur vous, vous recevrez la force. » (Ac 1,8). C’est dans l’eau de l’Esprit qui coule de la Croix que nous aurons le courage de la patience. Si Dieu nous fait attendre, c’est pour que nous renoncions aux rêves de domination et à la faim de jouissance. Il nous demande de recevoir sa Parole « avec un cœur noble et bon », et nous assure que, dans cette terre, elle « produira du fruit par la constance ». (Lc 8,15).

La patience serait une vertu à notre mesure si elle ne se fondait sur la foi en Jésus-Christ. « La victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi. Quel est le vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? » (1 Jn 5, 4-5). Pour qu’avance le royaume de Dieu, il faut donc nous appuyer sur la certitude que le Christ, par sa mort, a triomphé et que, dans sa résurrection, il a déjà manifesté cette victoire dans une chair humaine. Si nous sommes inquiets pour l’avenir, troublés par les effets évidents des puissances du mal, c’est que nous n’avons pas encore laissé pénétrer, dans les profondeurs de notre être, l’assurance que l’univers est déjà tout entier réordonné à Dieu en Jésus-Christ. Par la foi, nous accueillons dans le monde et nous montrons au grand jour cette force de Dieu qui a terrassé en son Fils l’antique serpent, nous lui donnons la possibilité de s’étendre. C’est au contraire le manque de foi qui barre la route au Fils de Dieu et qui l’empêche de révéler son triomphe. Loin de nous conduire à la paresse, la conviction que Jésus-Christ est vraiment le Seigneur de tous, est le moyen de recevoir la communication de son élan et de sa vigueur.

La constance de la foi, qui va de pair avec la vertu éprouvée (Cf. Rm 5,4), nous permettra d’acquérir une arme, plus précieuse encore pour l’avènement du Royaume : le détachement à l’égard de nos propres œuvres. « Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ; nous n’avons fait que ce que nous devions » (Lc 17,10). Si nous agissons, c’est pour obéir à Dieu et non pas avec la prétention de faire quelque chose par nous-mêmes. Quant au terme de l’action, il ne nous appartient pas davantage. Tout vient de Dieu, et c’est à lui que la gloire doit revenir. Ce dépouillement, à l’origine comme à la fin de nos entreprises, est difficile. Puisque nous devons être de vrais et bons serviteurs, comment nous dévouer entièrement à une tâche, nous donner à elle avec attention, intérêt et même avec passion, user nos forces pour la réussite de ce que nous avons commencé pour Dieu, et en même temps demeurer entièrement libres à l’égard du résultat ? Toutefois, tant que nous n’aurons pas réussi à unir ces termes opposés, nous ne pouvons faire avancer le rayonnement de la gloire du Christ, car c’est notre gloire que nous cherchons encore. Il faut que Dieu soit source et que nous ne nous engagions en rien, si ce n’est pour lui et parce qu’il le veut. Mais il faut également qu’il soit le point terminal et que, dans la réussite comme dans l’échec, son amour soit seul à transparaître.

  

A suivre…

« Une initiation à la vie spirituelle » - François Roustang

DDB, coll Christus, 1961

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