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18. Une initiation à la vie spirituelle

L’histoire, contée par Jésus, de l’esprit immonde expulsé et qui revient pour tenter d’emporter la place avec sept autres plus méchants que lui (cf. Mt 12,45), retrace le conflit de qui s’approche de Dieu. Selon un processus coutumier à toutes les luttes, lorsque l’un des adversaires a gagné une première bataille, l’autre redouble de vigueur pour écraser son ennemi. Ainsi en fut-il du Christ qui, lumière du monde, affronta les ténèbres à l’état pur et dut rencontrer Satan dès le commencement de son ministère, avant de le voir augmenter ses violences et son audace pendant la vie publique.

 

 

 

Nul homme, soucieux de suivre le Sauveur, ne pourra se soustraire à l’hostilité du prince de ce monde, sans cesse plus dure est plus subtile, car l’être humain reste double, tant qu’il chemine, et l’acuité accrue de son regard découvre indéfiniment des régions plus obscures jusque-là interdites. À mesure que s’affermit la vigueur de l’âme, comment le mal, dans les lieux où il doit se retirer, n’atteindrait-il pas à une concentration nouvelle et chaque jour plus dangereuse ? L’innocence, non pas la douceur de l’enfant qui repose, mais la force qui traverse les replis du cœur, voit se lever devant elle la source du péché, au point d’en être parfois accablée et de craindre que les puissances démoniaques ne viennent la submerger. Malheur, en effet, à qui, ayant découvert la pureté de Dieu, se laisse emporter par la fange : son « état final sera pire que le premier » (Lc 11,26).

Si étrange que cela puisse paraître, le bienfait de la rencontre du Christ est inséparable du danger de reniement. La faute de saint Pierre est plus grave que celle du jeune homme riche, qui écarte l’appel dès le premier regard. Parce qu’il a marché longtemps aux côtés de Jésus, parce qu’il l’a vu accomplir des œuvres que nul autre n’a faites, et qu’il l’a entendu expliquer les mystères du Royaume, Pierre commet un péché inconnu de l’homme qui, dans la demi-conscience où l’enferment ses désirs, refuse un dépassement pour n’avoir pas à renoncer aux biens immédiats qu’il touche et auxquels son existence est accoutumée. La blessure de Pierre toutefois se change en tendresse et en amour, alors que le fidèle de la loi s’en va loin de Jésus avec sa tristesse, les mains pleines, mais le cœur desséché, sans goût pour vivre ni peut-être même pour jouir de ses richesses. À vouloir se soustraire au péril inhérent au contact avec Dieu, on se trouve donc rejeté dans un autre plus grand, car l’homme y compromet son humanité.

L’épanouissement de la liberté ne peut donc se réaliser sans un combat, qui en manifeste la dualité. Satan veut, précisément, éviter cette confrontation, cette bataille décisive d’esprit à esprit, car il sait devoir y perdre son pouvoir. Tant que notre personne est engoncée dans les soucis terrestres et que l’ombre entoure nos actions, il peut à son aise mélanger son poison aux bienfaits de Dieu : l’adversaire se cache sous un semblant de vie, utilisant ce qui n’est pas de lui pour y distiller son venin afin de frapper et de détruire. Mais, lorsqu’apparaît la pleine lumière et que, converti par le Verbe fait chair, le juste retrouve l’innocence, Satan n’a plus rien pour séduire ; il ne lui est plus possible de voiler ses desseins. Il découvre alors sa perversité, son identité avec le mal et la mort. Ainsi qu’il l’a fait pour Adam, le « père du mensonge » peut tromper l’homme par la promesse de plus de vie et de connaissances, mais à l’instant même où il se révèle comme inconsistance et néant, chacun se détourne de lui. Si menaçante que puisse être la vision du mal à son origine, l’horreur qu’elle provoque affermit la liberté dans la volonté d’être fidèle à Dieu.

Pour que la déroute de Satan soit complète, il faut aller plus loin encore et accepter la mort comme châtiment de nos péchés. Nous l’avons méritée par la connivence entretenue avec le mal ; de plus, elle est le moyen suprême de désarmer Satan. Écoutons Marie de l’Incarnation poursuivre la description de son expérience : « Lors, en un moment, par sa bonté et miséricorde, par un écoulement secret de son Esprit, il excitait la partie supérieure de mon âme à vouloir en effet être précipitée dans l’enfer, pour que la Justice divine fût satisfaite dans le châtiment éternel de mes indignités, qui lui avaient dérobé mon âme, que Jésus-Christ avait par son infinie miséricorde rachetée de son Sang, et non pour lui déplaire. Cet acte était une simple vue de foi qui me tirait de ce grand précipice. Je voyais que je méritais l’enfer et que la justice de Dieu ne m’eût point fait de tort de me jeter dans l’abîme, et je le voulais bien, pourvu que je ne fusse point privée de l’amitié de Dieu. » Ainsi s’opère, imprévisible à Satan, le renversement qui fait de sa victoire une défaite. La lumière surabondante de Dieu avait fait monter en nous la tentation de le haïr et de lui « faire déplaisir » et nous avions vu que celle-ci nous conduisait à la mort et à « la nuit du néant ». Loin de supplier Dieu de nous délivrer de cet abîme, nous voulons y descendre, mais pour un motif différent. Nous souhaitons l’enfer que nous avons mérité et la mort qui est le fruit du péché. Toutefois, nous les accueillons, non plus pour repousser Dieu, mais pour demeurer dans son amitié. À cet instant le diable n’a plus de pouvoir sur nous, car il a achevé l’œuvre de mort qu’il avait commencée en Adam. Au lieu de nous séparer de Dieu, la mort nous unit à lui, parce que notre être pécheur est passé par la mort.

L’expérience que nous décrivent les saints est la transposition du combat du Christ et de Satan. Lorsque ce dernier a réussi à tuer Dieu [dans la personne du Fils incarné], il a sans doute atteint son but et il n’a plus rien ni à faire ni à désirer. Mais, comme la mort du Christ n’est que la conséquence de l’amour de son Père, sa descente au tombeau est la manifestation suprême de l’intimité divine. Le chrétien entre donc dans le combat du Christ, lorsque Satan se découvre à lui comme Péché et comme Mort, et lorsqu’il accepte que le Péché et la Mort produisent en lui leur effet, non parce qu’il les aime, mais parce qu’il faut passer par la mort méritée en Adam pour accéder au salut. Dans chacune de nos vies, l’heure de Satan et de la puissance des ténèbres doit donc un jour, comme dans l’existence terrestre du Christ, rejoindre l’heure fixée par le Père.

 

A suivre…

« Une initiation à la vie spirituelle » - François Roustang

DDB, coll Christus, 1961

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