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Méditation sur la prière de Jésus à Gethsémani

Voici Jésus qui entre dans son mystère de Serviteur souffrant, identifié au Juste les psaumes (psaumes 42 et 43), qui est exclu de la présence divine et qui espère rentrer en grâce.

« Abba, Père, tout t’es possible, éloigne de moi cette coupe ; cependant non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14,36).

 

 

 

Jésus va boire à la place des coupables la coupe du châtiment divin. L’image de la coupe évoque, en effet, la justice vengeresse de Yahvé dont les prophètes menaçaient ceux qu’ils considéraient comme ses ennemis.

Il avait déjà évoqué la coupe qu’il devait boire et le baptême dont il avait à être baptisé (cf. Mc 10,35-40) ; il avait déclaré qu’il devait recevoir un baptême, et qu’il était angoissé jusqu’à ce qu’il soit accompli (cf. Lc 12,49- 50).

Le Christ pense à sa mort en connexion avec le baptême et avec les souffrances expiatoires qu’il signifie : le baptême, qui liait son sort avec celui des pécheurs, n’était que l’annonce et l’ébauche de cette mort. Le sens est clair : le Christ, comme Serviteur souffrant, accepte de prendre sur lui le péché des hommes et de mourir à leur place.

Par-delà l’image de la coupe, nous rejoignons le contenu réel du texte d’Isaïe (53, 5) :

« Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes. Le châtiment qui nous rend la paix et sur lui, et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris ».

C’est tout le mystère de la prière du Christ qu’évoque la scène de l’agonie : il se tient sur la brèche pour son peuple (cf. Ez 13,5), il se place sous le jugement de la colère pour la prendre sur lui et préserver le peuple du châtiment. Il l’évoquera dans la montée au Calvaire :

« Si l’on traite ainsi le bois vert, qu’en sera-t-il du bois sec ? » (Lc 23,31).

Toute sa vie n’a été que prière, intercession pour les pécheurs.

Si saint Luc insiste tant sur la prière du Christ, c’est parce que cette prière est la fonction par excellence du Serviteur. Il n’est que de rapprocher l’épiphanie du Serviteur et la scène de la Croix :

« Or, quand tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, le ciel s’ouvrit et l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, telle une colombe. Et du ciel vint une voix : Tu es mon Fils bien-aimé ; tu as toute ma faveur » (Lc 3,21- 22).

« Père pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font ». La parole du Christ sur la Croix fait, de toute évidence, allusion au dernier verset du chapitre 53 du prophète Isaïe : « il intercèderas pour les pécheurs ».

D’ailleurs les grands moments de la prière du Christ sont des moments essentiels de sa vie de Serviteur.

Il prie pour rester fidèle à sa vocation de Serviteur. Nous avons déjà fait allusion aux « sorties » du Christ, chez Marc, après les manifestations messianiques. Il se retrouve avec son Père.

« Sa réputation se répandait de plus en plus et des foules nombreuses accouraient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se retirait dans les solitudes et priait » (Lc 5,15- 16).

Il prie lors du choix des Apôtres qu’il va entraîner dans son mystère :

« Or, en ces jours-là, il s’en alla dans la montagne pour prier et il passa toute la nuit à prier Dieu » (Lc 6,12).

Il prie lors du dévoilement de son mystère de Serviteur à la confession de Pierre (Lc 9,18) et lors de la Transfiguration (Lc, 28-29).

Sa prière est si consistante que ses disciples lui demandent comment prier (Lc 11,1).

N’a-t-il pas voulu, tout au long de sa vie, protéger le peuple de Dieu face au danger foudroyant du jugement (Dt, 32, 11 ; Ps 17,8 ; 9, 1-4), tout comme la poule abrite ses petits à l’approche de l’épervier ou du loup ? Il s’est fait le rempart de ses frères contre la colère de Dieu (Mt 23,37-39).

Et pendant sa grande prière sacerdotale ne déclare-t-il pas qu’il se « sanctifie » pour ses disciples ? Comme le Serviteur qui s’offre pour les hommes, Jésus se consacre pour eux, c’est-à-dire s’offre en sacrifice. On ne peut dire plus fortement que la prière de Jésus débouche sur l’offrande de sa vie sur la Croix. De même que, dans le Serviteur eschatologique, sacrifice expiatoire (Is 53,10) et prière pour les pécheurs (Is 53,12) se rejoignaient en profondeur, de même chez Jésus offrande de sa vie et prière ne font finalement qu’un.

Jésus agonise parce qu’il porte le péché du monde ! Il doit connaître pour ses frères le jugement et l’anéantissement.

Sommet de la communion fraternelle dans la personne de Jésus !

Pour nous délivrer de la mort spirituelle et nous rassembler dans l’unité (cf. Jn 11,52), Jésus accepte, par amour, de recevoir, de notre finitude et de notre péché, nos limites, nos souffrances et jusqu’à notre mort.

Communier à autrui, n’est-ce pas, en effet, sans changer d’identité ni de conscience de soi, vivre jusqu’au bout les épreuves et les agonies de ceux qu’on aime ?

Les vivre si profondément que, dans l’amour et l’espérance, on fait sien le malheur qui frappe ceux qui s’excluent eux-mêmes de cet amour et de cette espérance.

Celui qui aime jusqu’au bout (cf. Jn 13,1) porte en soi, jusqu’à en mourir, le drame du rejet de l’amour plus douloureusement que ceux qui le refusent.

L’incompréhension de Jésus et de sa tendresse divine, l’hostilité irrationnelle et haineuse qui n’a cessé de le harceler, les voilà désormais reprises et retournées dans l’agonie de l’amour.

Parce qu’il nous aime avec une innocence et une générosité absolues et que, n’attendant rien pour lui-même, il n’estime jamais trop tardive la reconnaissance de son amour, Jésus vit l’agonie à laquelle nous condamne l’esclavage du mal ; alors qu’il ne la mérite en rien, il porte en lui notre mort ; lui qui est totalement indemne du péché, il s’en rend coupable en nous.

Pour nous racheter de la malédiction, le voilà « devenu lui-même malédiction pour nous » (Ga 3,13).

Suprême mystère de l’Innocent que Paul résume dans une petite phrase scandaleuse :

« Celui qui n’avait pas connu le péché, Il (Dieu) l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5,21).

Dans le cœur de l’Innocent, alors que nous étions murés dans le déterminisme de nos fatalités intérieures, impuissants à nous aimer nous-mêmes, nous avons été reconquis sur nous-mêmes dans les affres de l’agonie.

Ainsi, avant même qu’il nous soit donné, notre être a été connu et voulu pour nous, en un certain sens, malgré nous, dans un cœur qui l’aimait d’amour et qui consentait à recevoir de lui l’inconcevable et injustifiable mort ! Il a été porté, enveloppé, protégé, suscité par l’espérance de l’Innocent qui acceptait l’anéantissement pour le recréer totalement dans l’amour.

Par amour pour nous Jésus agonise ; il agonise comme un enfant livré à la volonté de son Père.

« Voici que le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs » (Mc 14,41).

C’est l’accomplissement de cet « il faut » eschatologique que nous retrouvons dans la bouche même de Jésus :

« Il faut que le monde sache que j’aime le Père, et que j’agis comme le Père me l’a ordonné » (Jn 14,31).

Mystère de la communion absolue avec les hommes, qui est aussi mystère de la communion parfaite du Père et du Fils : le Père livre son Fils à la Croix (la formule passive : le Fils de l’homme est livré, signifie en effet, est livré par Dieu) ou, si l’on préfère : Dieu livre son Fils à la mort en le livrant à la malice de ses frères dépravés et dans un don total et libre destiné à sauver ceux qui le renient, le Fils se livre lui-même à cette mort que lui préparent les hommes.

Cette offrande du Fils à l’agonie et à la mort est ainsi le reflet de la communion d’amour qui unit le Père et le Fils. Et rien sans doute ne chante davantage cette incessante circulation d’amour que la prière sacerdotale de Jésus :

« Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils pour que ton Fils te glorifie et que, par le pouvoir sur toute chair que tu lui as conféré, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés… » (Jn 17,1- 2 sq.).

 

Marie-Joseph Le Guillou – L’Innocent – Cerf. 1998

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