Heureux le moine qui tient tous les hommes pour Dieu, après Dieu.
Est moine celui qui s'estime un avec tous, par l'habitude de se voir lui-même en chacun.
Evagre - Prières 121 et 125
Là encore, la louange du moine bienheureux décrit le fruit de la prière. Evagre en cite deux effets. Tout d'abord, nous voyons à travers elle Dieu en chaque homme. Tout comme dans la création nous reconnaissons que Dieu est le fondement de toute existence, ainsi nous découvrons Dieu en chaque être humain. Le Seigneur n'est pas seulement le créateur des êtres humains, il demeure aussi dans le cœur de chaque personne. Les anciens parlent du sacrement du frère : « Si tu as vu le frère, tu as vu le Christ. »
La prière nous conduit donc au respect devant le mystère de l'être humain. Je ne peux pas me recueillir en prière pour ensuite mépriser et blesser le prochain. La prière exige une manière nouvelle de se comporter envers les personnes. Si je regarde en elles les autres avec des yeux neufs, je les traiterai aussi d'une manière différente, avec amour et respect, en m'identifiant à eux. La prière m'indique l'unité entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain.
Le second effet de la prière sur le rapport avec le prochain fait que celui qui prie se retrouve lui-même en chacun. Dans la prière, je découvre en moi l'espace du silence, où Dieu lui-même demeure. Là je ne suis pas seulement en union avec Dieu mais avec le créé tout entier et avec tous les êtres humains. Là je me rends compte, dans l'intime de moi-même, que je suis en relation avec tous. En elle j'expérimente l'intime vérité du commandement de l'amour du prochain : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » (Mt 22,39). Ou comme l'a traduit Martin Buber : « Aime ton prochain car il est toi-même. » Dans le prochain je me rencontre moi-même. La Lettre aux Hébreux parle du fait que le Christ et nous, les hommes, nous provenons tous d'une même origine (He 2,11). Au fond de nous-mêmes nous sommes tous une seule chose. Dans la prière nous parvenons à l'espace le plus intime, dans lequel nous sommes liés les uns aux autres. En conséquence la prière ne nous rapproche pas seulement de Dieu, elle nous conduit à une nouvelle proximité avec l'être humain.
La voix du désert – Anselm Grün – Parole et Silence, 2006