Lorsque nous sommes en proie au démon de la paresse, divisons notre âme en deux, même si cela doit nous coûter des larmes : une partie sera destinée à nous encourager, l’autre à être encouragée ; ainsi, mettant en nous des germes de bonne espérance, nous répéterons avec le saint David : « Qu’as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu : à nouveau je lui rendrai grâces, le salut de ma face et mon Dieu. » (Evagre le Pontique)
Evagre envisage la possibilité que le gardien de notre cœur ne parvienne pas à arrêter toutes les pensées. Certaines ne montreront leur vrai visage qu’une fois entrées dans la maison.
Pour décrire tout cela, Evagre utilise une autre image. Nous devons diviser notre âme en deux parties et entamer un dialogue entre elles. C’est un conseil que nous fournit, de la même manière, la psychologie moderne. Quand nous éprouvons intérieurement de la tristesse et de l’inquiétude, cela n’a aucun sens de jeter dehors nos sentiments dépressifs. Ils ne feront que revenir. Ils font partie de notre maison. Nous devons nous y résigner. L’inquiétude aussi a un sens, la dépression a le droit d’exister. Seulement, nous ne devons pas leur permettre de faire ce qu’elles veulent. Nous devons parler avec elles.
Pour dialoguer avec nos sentiments négatifs, Evagre nous conseille de réciter un psaume qui donne voix aux deux états d’âme, la tristesse et l’espérance. Nous devons donc d’abord entrer dans la partie de notre âme qui est triste, troublée, pleine d’inquiétude. Et donc nous familiariser avec cette inquiétude intérieure. Que veut-elle nous dire ? Quelles sensations nous transmet-elle ? Où voudrait-elle nous conduire ? Nous devons d’abord lui demander ce qu’elle veut nous dire, puis nous pouvons la tourner vers le Seigneur : « Espère en Dieu ! »
Par cette méthode, Evagre veut nous dire au fond que tout sentiment voudrait nous conduire à Dieu. Nous devons prendre nos sentiments au sérieux, les observer, les interroger, et enfin nous faire mener par eux jusqu’au Seigneur. Nous ne pouvons pas arriver à Dieu en ignorant nos sentiments, au contraire, nous sommes obligés de passer par leur intermédiaire. Toutes nos émotions, qu’il s’agisse de la peur, de la colère, de la haine, de la jalousie, de l’amertume ou de la tristesse, ne s’apaiseront pas tant qu’elles ne nous auront pas mené entre les bras de Dieu et que nous aurons trouvé paix en lui.
La voix du désert – Anselm Grün – Parole et Silence, 2006