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12. Première mission en Judée selon st Jean (suite)

Les enquêteurs sont trop circonspects pour demander à Jean franchement : « Es-tu le Christ ? » Ils sont trop fiers aussi pour formuler une pareille question. Car il leur semble que, si le Christ était déjà vraiment dans le pays, ils devraient être les premiers à le savoir.

 

 

 

Il y a dans leur démarche un peu d’outrecuidance, et dans leur question un côté de dissimulation. Mais, s’ils n’ont pas le mot sur les lèvres, ils l’ont dans l’esprit. Aussi Jean ne s’y trompe-t-il pas. Et il répond, lui (le texte le fait remarquer), avec une entière franchise et sans la moindre dissimulation. Il y a un contraste entre l’aspect retors de la question est la parfaite droiture de la réponse. Ne venez pas chercher en moi le Christ, leur dit-il ; je ne le suis pas. Avec fermeté, avec dignité, et sans équivoque, il prononce le nom dangereux, le titre qui peut faire équivoque. Et, dans ce sentiment d’humilité et de si grand effacement qui le caractérise, il déclare : « Le Christ ? Non, ce n’est pas moi ! »

Pour l’instant, il n’en dit pas plus ; mais il est possible qu’il insinue plus qu’il ne dit : Pas moi, mais Quelqu’un d’autre ! La suite fait comprendre que les officiels n’ont en tête que cette question du Messie. Toutefois, au lieu de la poser nettement, ils ne font que tourner autour. Ils doivent savoir, ils peuvent savoir que les temps sont messianiques, que le Messie lui-même pourrait fort bien ne pas être loin.  D’autre part, ils se rendent compte de la sainteté de Jean, ils sont frappés de son prestige. Il serait assez naturel qu’ils lui demandent : Si tu n’es pas le Christ, du moins tu dois le connaître, et peut-être es-tu en mesure de nous le montrer ? Mais, s’ils posaient la question dans ces termes, ils auraient trop l’air de se soumettre à Jean et de se faire petits devant lui.

Il est déjà beau de leur part qu’ils daignent lui demander si, n’étant pas le Messie, il ne serait pas cependant quelqu’un de l’entourage, un des précurseurs. Ils pensent à Elie. Ils savent, par la prophétie de Malachie et aussi par la Sagesse du Siracide, qu’Elie sera envoyé pour préparer le jour de Yahvé (cf. Mal 3, 23-24 ; Ecli 48, 10-11). Assurément, Jean doit avoir pour ses prêtres qui l’interrogent une identité bien connue. Cependant, il s’est longtemps réfugié dans les déserts et ensuite montré dans le costume et dans l’activité des prophètes ; il remplit un rôle qui ressemble à celui que les Saints Livres assignent au retour d’Élie : c’est assez pour que les émissaires puissent demander à Jean s’il n’est pas Élie. Ils pensent aussi à ce prophète anonyme qui est annoncé par le Deutéronome comme un second Moïse (cf. Dt 18,15) et que les Juifs du temps de Jésus semblent prendre, tantôt pour le Messie lui-même (cf. Jn 6,14), tantôt pour un personnage de l’ère messianique (cf. Jn 7,40). Les envoyés demandent à Jean : « Ce prophète, n’est-ce pas toi ? » Il répond à toutes ces questions avec sa même humilité : « Mais non, je ne suis rien de tel ! »

Nous devinons dans ses réponses une certaine fierté, rude et réservée. Elles sont sèches, presque cassantes, et de plus en plus brèves. Peut-être perçoit-il un pli sceptique aux lèvres de ses interlocuteurs, et, dans leur interrogatoire, peu de sincérité, pas de simplicité. Eux, de leur côté, s’apercevant qu’il est difficile de lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire, deviennent plus insistants, sans cesser d’être courtois. Il faut pourtant, lui répètent-ils, que nous donnions une réponse à ceux qui nous envoient ! Qui les a envoyés ? Certainement, les plus hautes autorités de la nation.

Jean ne peux pas être indifférent ni insubordonné à l’égard de ces autorités. Il n’est pas un révolté ni un révolutionnaire, lui qui sait donner à tous de si bons conseils de sagesse et de soumission. D’ailleurs, les envoyés professent qu’ils ont envers lui assez d’estime pour s’en rapporter à son propre témoignage : « Que dis-tu sur toi ? » lui demandent-ils. Interrogé ainsi sur sa personne, Jean ne réponds que sur sa mission, et encore ne le fait-il que par un mot du prophète Isaïe, dont nous savons déjà le sens et l’emploi (cf. Is 40,3). Cela est très significatif : le précurseur s’identifie à sa mission, il disparaît en elle ; et, cette mission, c’est uniquement d’être une voix, la voix d’un crieur public qui annonce, dans un pays passablement désertique, que les gens doivent réparer leurs routes, parce que le Seigneur est sur le point de passer « Moi, une voix… », dit ce saint prophète. « La voix du cantonnier… » s’écrie-t-il avec une bonhomie éloquente.

 

L’entretien alors rebondit. Il prend même une tournure assez différente de celle qu’il a eue jusque-là. Il se pourrait que ce fût un autre entretien, une manière de second interrogatoire à un autre moment. Rien n’est plus vraisemblable. La délégation n’a pas fait qu’aller et venir ; elle a dû s’attarder quelque jours dans les parages de l’homme auprès duquel elle était chargée de mener son enquête. Elle fait bifurquer l’instruction. Les prêtres se sont montrés polis et déférents. Ils ont insisté pour avoir une réponse ; mais ils l’ont fait avec courtoisie. Ayant obtenu cette réponse, ils ont feint de s’en contenter et, dans leur ensemble, ils n’ont plus insisté. C’est alors que ceux qui représentent parmi eux le ferment pharisien reprennent l’interrogatoire. Ils le font sur un ton plus agressif ; ils ont toute apparence de se montrer plus réticents, plus exigeants, et même de faire opposition. Ils font semblant de ne plus s’intéresser tant à la personne ; c’est à l’œuvre qu’ils s’attaquent. Que Jean prenne la liberté de prêcher la pénitence, et même de diriger les consciences, passe encore. Mais qu’est-ce qui l’autorise à baptiser ? Pour des pharisiens, férus d’observance et de traditions reçues, ce baptême de Jean est une innovation suspecte, une initiative osée. Puisque le prophète avoue qu’il n’est pas lui-même un grand personnage, que s’avise-t-il de mettre en train une grande institution religieuse ? Oh ! leur répond-il très modestement, le baptême que je donne n’est qu’un baptême d’eau, et rien de plus ; ce n’est pas là un rite qui soit si nouveau en Israël : je tâche seulement d’en rajeunir le symbolisme, et je m’en sers pour toucher les âmes et les amener au repentir ; je ne peux pas faire davantage.

Jean se montre aussi humble dans la définition de son œuvre qu’il l’a été dans celle de sa personne. Seulement, continue-t-il dans une insinuation pleine de mystère et admirablement nuancée, au milieu de vous Quelqu’un se tient, Quelqu’un se dresse. Vous ne paraissez pas le connaître, je m’en étonne, semble-t-il dire. Puis, il ajoute : Faites attention, Celui qui vient derrière moi est tel que je ne suis même pas digne de lui rendre les plus humbles services, même pas à la hauteur d’être son petit esclave.

Devant les enquêteurs officiels, Jean n’en dit pas davantage. Il réserve pour ses intimes ce qu’il sait de plus, le baptême dans l’Esprit, la préexistence divine du Messie. Devant les officiels, la pointe de son témoignage, c’est de dire : Il est déjà au milieu de vous, et vous ne le savez pas, et vous ne cherchez pas à le savoir. L’avertissement est très sérieux. Les Juifs auraient dû y prendre garde.

Jean l’évangéliste se rappelle fort bien la scène. Elle eut lieu dans le pays de Béthanie. Un Béthanie au fond de la vallée, au-delà du Jourdain, à petite distance du fleuve. C’est là qu’était Jean lorsqu’il baptisait, nous dit le texte. L’endroit était sans doute favorable pour ces bains de pénitence, par les pièces d’eau qui s’y trouvaient et qui étaient plus accessibles que n’eût été le fleuve même. Le lieu indiqué là doit être situé de l’autre côté du Jourdain, vraisemblablement en face de Jéricho. À partir de cette ville, on venait assez aisément vers ce Béthanie, par une route de plaine qui passait la rivière à un gué ancien et fréquenté. Jéricho était le nœud des vieilles routes de la Terre Sainte : c’est là que se croisaient, aussi bien les routes descendant des monts d’Éphraïm et de Juda que celles de la vallée. Bien des groupes de Judéens et de Galiléens, pour se rendre à la prédication et au baptême de Jean, ont dû passer l’eau à ce gué vénérable par où leurs ancêtres avaient pénétré dans la Terre promise. Ces parages étaient pleins de souvenirs sacrés ; la pensée des événements et des héros de l’histoire sainte flottait sur tous ces lieux. Il était facile au zélé précurseur, lorsqu’il se tenait par-là, de faire revivre dans les fils le cœur des ancêtres et de ramener les indociles à la sagesse des Saints (cf. Lc 1,17). La rencontre de Jean avec la délégation des Juifs est en belle place en tête du quatrième Évangile. La suite s’y enchaîne aisément.

 

 A suivre…

P.- R. Bernard, O.P - Le Mystère de Jésus – Salvator, 1967

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