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11. Première mission en Judée selon l'Evangile de Jean

Au point où nous en sommes, des historiens de la vie de Jésus nous disent : si nous en croyons les synoptiques, il s’en retourne en Galilée aussitôt qu’il sort de sa quarantaine et, sans le quatrième Évangile, nous ne soupçonnerions même pas qu’il ait pu demeurer en Judée. Une pareille interprétation me paraît forcée.

Les synoptiques n’écartent pas tant que cela le séjour en Judée ; ils le supposent plutôt. Marc et Matthieu notent formellement : C’est seulement après que Jean eut été livré, que Jésus se retira dans la Galilée (Mc 1,14 ; Mt 4,12). Et Luc, avec plus de mystère encore, écrit ceci : Jésus se replia vers la Galilée dans la puissance de l’Esprit (Lc 4,14).

Cette façon de dire laisse apercevoir assez clairement plusieurs choses : 1°) Le retour en Galilée n’est pas immédiat ; il est précédé d’un séjour en Judée. 2°) Cette première manifestation de Jésus reste liée, dans une certaine mesure, à celle de Jean : l’arrestation de l’un met fin à la première activité de l’autre et provoque le départ de ce dernier. 3°) Le transfert de son action en Galilée est, pour Jésus, une sorte de retraite et de repli, voire de refuge ; le verbe employé par Matthieu, comme celui qui est employé par Luc, va très fort dans ce sens. 4°) Ce repli en Galilée n’est donc pas le signal d’un commencement ; il serait plutôt celui d’une fin ; en tout cas, il est l’indice d’une phase déjà dramatique et critique. 5°) C’est dans la puissance de l’Esprit que Jésus se retire en Galilée, comme s’il s’agissait pour lui de s’engager à fond : le même Esprit qui a porté Jésus dans la solitude le poussera aux révélations les plus décisives.

Par cette simple introduction, les synoptiques nous invitent à penser que Jésus n’a pas quitté la Judée aussitôt après sa quarantaine au désert. Mais, comme il y a chez eux un parti pris, dû sans doute à la première catéchèse apostolique, de ne commencer le récit de la manifestation de Jésus qu’aux grandes heures de la Galilée, par eux nous ne savons rien de la première mission en Judée, ni le temps qu’elle a duré, ni les activités que Jésus y a déployées. Il y a là une lacune. Ils seront deux évangélistes à la combler, au moins en partie. L’Évangile de Jean le fera très ostensiblement quand celui de Luc l’aura déjà fait clandestinement, nous verrons comment. D’abord venons à celui de Jean.

 

 

 

Nous apprenons par Jean quel fut à son plus haut degré le témoignage du précurseur (Jn 1,19-34), et quelles furent précisément dans l’entourage de ce précurseur, les premières recrues de Jésus (Jn 1,35- 51). Nous apprenons quel fut ensuite, en faveur des premiers disciples, le premier miracle de Jésus (Jn 2,1-12), puis comment il fit sa première démonstration à Jérusalem et comment il s’y fit même des disciples jusque dans les hautes classes (Jn 2, 13- 3,21). Après quoi, la première mission en Judée est expressément indiquée (Jn 3,22), comme donnant lieu au dernier témoignage de Jean-Baptiste, le plus beau de tous : à lui de croître, à moi de diminuer (Jn 3, 23-30). Le récit du quatrième Évangile relatif à ces premiers temps de la vie publique se poursuit encore dans l’inédit, en retraçant le départ de la Judée (Jn 4, 1-3), la traversée de la Samarie (Jn 4, 4-42) et la reprise de contact avec la Galilée (Jn 4, 43-54).

Tout cela fait, au début de l’Évangile de Jean, d’excellents chapitres d’histoire, très liés, très composés, et même, sur plusieurs points, très circonstanciés. C’était, en quelque sorte, une période de transition et de préparation.

Le grand public l’avait ignorée en partie, ou en avait été moins frappé. Je veux dire : même le public des disciples. Jean, par bonheur, en avait gardé des souvenirs très vivants, très personnels, et extrêmement précis, dont il nous fait part. Ce sont pour lui des souvenirs de jeunesse.

Il les raconte avec une âme restée jeune, dans un style qui est dénué de toute habileté, qui a même des gaucheries, mais qui respire la fraîcheur et la sincérité. Jean l’évangéliste a même la précaution de se mettre en règle avec ses prédécesseurs. Comme ceux-ci ont eu soin de faire commencer la mission de Jésus en Galilée au moment de l’arrestation de Jean-Baptiste, le quatrième évangéliste, lorsqu’il en vient à mentionner la mission de Jésus en Judée, se croit obligé de souligner que Jean n’avait pas encore été jeté en prison (Jn 3,24).

Il raconte au même endroit que le Baptiste était toujours en pleine activité et baptisait encore beaucoup de personnes. La remarque serait tout à fait naïve si elle n’avait pour but de rejoindre et de confirmer, en le complétant, ce qu’ont dit les autres. C’est comme un avertissement au lecteur. Le dernier évangéliste a presque l’air de s’excuser. Il semble dire : Si Jésus lui-même s’attarde en Judée comme je l’écris, n’en soyez pas surpris, c’est que Jean, son précurseur, n’avait pas encore été arrêté. Jésus a marché dans le sillage de Jean. Celui-ci a vraiment été, comme il va le dire, l’ami de l’époux (Jn 3,29). Sans qu’il fût, lui, la Lumière, il a rendu témoignage à la Lumière ; et il a aidé cette Lumière à percer en Israël (Jn 1,8-9). Les premiers temps du ministère de Jésus sont tout empreints du témoignage de Jean.

[Jn 1, 19-28] :

Et voici quel fut le témoignage de Jean le jour où les Juifs dépêchèrent vers lui, de Jérusalem, des prêtres avec des lévites, dans le dessein de lui demander :

« Toi, qui es-tu ? »

Alors il avoua et ne dissimula pas ; oui, il avoua ceci : « Ce n’est pas moi qui suis le Christ. »

Ils continuèrent à l’interroger : « Quoi donc ? Es-tu Élie ?

- Je ne suis pas, déclare-t-il.

- Es-tu le Prophète ?

- Non », répliqua-t-il.

Ils lui dirent donc : « Qui es-tu ? pour que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ; que dis-tu sur toi-même ?

- Moi, dit-il, la- voix- de- celui- qui- crie- dans- le- désert :

Redressez le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. »

Comme ceux qui avaient été envoyés étaient du côté des pharisiens, ils poursuivirent l’interrogatoire et lui dirent : « Pourquoi donc baptises-tu si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? »

Jean leur fit cette réponse : « Moi je baptise dans l’eau ; au milieu de vous se dresse Quelqu’un que vous ne connaissez pas, c’est Celui qui vient derrière moi, qui est tel que je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. »

Ces choses se passaient à Béthanie au-delà du Jourdain. C’est là qu’était Jean lorsqu’il baptisait.

En fait, c’est par cet exposé historique que commence le quatrième Évangile, ce qui précède n’étant qu’un exposé théologique. Nous sommes mis en présence d’un témoignage rendu publiquement et en quelque sorte officiellement par Jean-Baptiste en faveur de Jésus. Ceux que le texte appelle les Juifs, ce sont en réalité les chefs de la nation.

Dès le seuil de la vie publique, les voici dressés déjà, non pas tout à fait dans l’intention d’empêcher, mais dans celle d’enquêter et de suspecter. La nation juive, si centralisé qu’elle fût devenue, n’était cependant point aussi organisée qu’on pourrait le croire. Jamais les prophètes n’avaient été soumis aux prêtres. Les nabis restaient les hommes de l’Esprit, les inspirés de Dieu.

L’autorité religieuse n’intervenait, pour les reprendre et les châtier, que s’ils s’étaient montrés de faux et de dangereux prophètes. Le Sanhédrin, qui représentait la plus haute magistrature, était une espèce de Sénat dont la convocation était assez compliquée et qu’on ne mettait en action que sur des griefs précis. L’évangéliste, qui se montrera bon connaisseur des affaires juives, ne suggère pas ici une intervention du Sanhédrin proprement dit. Il évoque plutôt une entente entre grands chefs qui se donnent la mission de sauvegarder à la fois les privilèges du sacerdoce et le prestige des docteurs.

L’évangéliste donne à la délégation une allure solennelle. Elle part de Jérusalem. Le nom de la Ville et même écrit au pluriel, à la grande manière. La délégation est composée de prêtres : ce sont les prêtres qui font autorité en matière d’innovations religieuses. Ceux-ci sont accompagnés de lévites ; ces lévites sont comme des auxiliaires ou des sacristains. Leur présence, dans le cas, est l' indice de l’importance de la délégation. On ne voit pas qu’ils aient autre chose à faire que de préparer pour leurs prêtres les étapes et le logement, comme font des disciples ou des serviteurs autour d’un nabi en renom lorsqu’il est en voyage.

Au cours du récit, nous apprenons que les pharisiens ne sont pas pour rien dans cette démarche. Ou bien les délégués du clergé sont eux-mêmes des membres de la confrérie des pharisiens ; ou du moins ils ont été mis en mouvement sous son influence.

C’est que Jean-Baptiste n’est pas le premier venu. Il est fils de prêtre ; son père était de bon renom. Des prêtres se doivent d’aborder avec respect ce fils de prêtre, devenu nabi. De plus, il s’est fait des disciples dans toutes les classes de la société, et le peuple a pour lui une véritable vénération.

Cet homme est à voir de plus près. Il ne laisse pas de troubler les habitudes reçues et de déranger le bon ordre de la piété. En outre, il malmène assez vigoureusement les pharisiens et les sadducéens : Matthieu nous l’a dit (cf. Mt 3,7). Avec sa pénitence démonstrative, avec ses annonces précises d’une visite prochaine de Yahvé, avec les conversions en masse sous l’effet de sa prédication et de son baptême, où va-t-il ? Que veut-il ? Qui est-il ? Peut-être les chefs ont-ils ouï dire qu’il indiquait le Christ. Ne le serait-il point lui-même ? Toujours est-il que l’enquête à laquelle ils vont se livrer auprès de Jean-Baptiste par le moyen de leurs délégués est avant tout une enquête messianique. À la fin seulement, elle devient liturgique ; et encore l’évangéliste s’ingénie-t-il à la ramener au messianisme.

 

A suivre…

P.- R. Bernard, O.P - Le Mystère de Jésus – Salvator, 1967

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