Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Prier avec le P. Guardini : 37 e jour

La prière dans les difficultés provenant de l'évolution intérieure. 

Ce qui est vivant est mouvant ; et il ne faut en parler qu'avec beaucoup de précaution, sachant que tout ce qu'on peut en dire en général, n'a, dans les cas particuliers, qu'une valeur d'approximation. En parcourant ce volume le lecteur a peut-être éprouvé quelque gêne du fait de certaines imprécisions ; il lui est peut-être arrivé de n'être pas d'accord avec nous, d'avoir, sur tel ou tel point, des idées tout à fait différentes des nôtres ; et peut-être avait-il raison, tant il est vrai que nous avons été guidé dans notre exposé par le souci de tenir une ligne de juste milieu. Malgré cela nous espérons qu'il aura tout de même pu tirer quelque profit de cet ouvrage. 

Jusqu'ici la difficulté n'est pas grave. Mais elle serait sérieuse si le lecteur nous disait qu'il n'a absolument que faire de tout ce qui a été dit. Il conçoit peut-être sa prière d'une manière beaucoup plus personnelle, et il estime que nos conseils et nos exposés lui sont parfaitement inutiles. Dans la mesure où il n'est pas victime de ses illusions, c'est bien ; qu'il laisse ce livre… Il peut se faire, en effet, que son expérience sorte de l'ordinaire ; ou bien que ses dons spirituels, aussi bien que les difficultés auxquelles il doit faire face, soient tout à fait hors du commun, tout à fait exceptionnels. Ou bien encore son existence s'écoule dans des conditions de vie telles, qu'aucune règle générale ne peut lui être appliquée. Il conviendrait malgré tout de mettre cette personne en garde ; de lui rappeler que les choses simples et quotidiennes gardent peut-être, malgré tout, plus d'importance pour lui qu'il ne le pense ; il est toujours dangereux de se classer parmi les êtres exceptionnels. Mais si c'est vraiment le cas, il lui faudra chercher des conseils plus personnels et tâcher de progresser tout seul. 

Il reste enfin le fidèle qui déclare simplement qu'il ne peut pas prier, que tout ce que nous avons pu dire lui semble incompréhensible et impossible à mettre en œuvre. Tout le monde, un jour ou l'autre, a cette impression, et cela peut même arriver souvent ; tellement souvent qu'il nous semble utile d'y insister un peu. 

 

 

   La vie ne s'écoule pas uniformément. Il y a des périodes de ferveur et de force, et il y a des périodes de relâchement et de vide ; entre deux, des transitions variables. Que ce soit du dehors ou du dedans toutes sortes d'influences exercent leur pression, nous aident ou nous retardent, nous encouragent ou nous affaiblissent… D'autres changements se produisent selon le rythme de la vie. Le matin est différent de midi, le jour de la nuit, et le cycle des saisons n'est pas sans provoquer des changements profonds. Si l'on considère les étapes de sa vie : enfance, jeunesse, maturité, vieillesse, chacune a ses caractéristiques propres. Et puis, il y a la personnalité spirituelle qui rentre en ligne de compte. 

De bonnes relations avec notre entourage conditionnent une vie tout autrement que des rapports empoisonnés et confus. Dans les périodes de travail fécond l'individu est tout autre que dans celles de pauvreté intérieure et de dépendance. Tout cela n'est pas étranger à la prière. Car celui qui prie n'est pas un pur esprit, mais un être humain dont la prière est affectée par tout ce qui le touche. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'il lui arrive, à certains moments, de ne pas avoir la force de prier et de ne pas y trouver de joie. Il se demande pourquoi, dans ces conditions, il continuerait de prier.  

 

   A l'origine de pareils états il peut y avoir une grande fatigue, un travail monotone auquel on n'a pas de goût, la maladie et la faiblesse physique ; ou des soucis permanents ou des difficultés inextricables. On dit bien que le malheur nous apprend à prier ; mais cela n'est qu'à moitié vrai. Le contraire est tout aussi exact : le malheur déshabitue de prier. Les faiblesses et les défaites morales ont également une grande influence sur la prière. La conscience n'est pas une réalité séparée, où la personne pourrait se permettre d'être fidèle ou non, sans que le reste de sa vie s'en ressente. S'il fait ce qu'il doit, toute sa vie s'en trouve raffermie. S'il manque à ses devoirs, toute sa vie, y compris sa vie de prière, perd sa vigueur et sa signification. Il en perd même le goût. A quoi bon ? se dit-il ; et il aura peut-être même l'impression de ne plus appartenir du tout à ce royaume de prière. 

 

   Nous voudrions encore attirer l'attention sur une espèce de difficultés spirituelles que l'on pourrait qualifier d'états dépressifs ou d'inquiétude. Celles-ci ont leur importance pour nos considérations, parce que les personnes qui ont une vie spirituelle active y sont facilement exposées, et parce que ces dépressions affectent considérablement les régions où la vie spirituelle a son origine. La personne neurasthénique a une vie intérieure très vulnérable. Elle est plus sensible que d'autres à la beauté, à la lumière, à la grandeur, mais aussi à l'angoisse, à la souffrance et à la laideur. Elle éprouve tout cela à l'extrême et, par là, épuise plus vite ses réserves intérieures.

Toute chose la touche de plus près, l'enthousiasme davantage, la blesse plus profondément, l'ébranle plus longuement que les autres. Elle caresse des rêves et elle a des ambitions qui dépassent ses possibilités, et par conséquent elle est exposée à des déceptions plus douloureuses. Inquiète, elle a des dons créateurs, qu'elle oriente vers l'action ou vers ses semblables. Son inquiétude est alors la rançon de ses dons.

Les heures de richesse et de réussite sont payées par des heures de vide et de détresse. Elle est souvent débordante d'amour, mais cet amour est très exigeant et vulnérable ; la souffrance est plus grande que la satisfaction qu'elle retire de cet amour. Elle sait comment les choses se passeraient si elle pouvait vraiment aimer ; elle le voudrait, et elle s'en estime incapable. Il y aurait encore bien des choses à dire.

Mais de quelque nature qu'elle soit, quelles que soient ses racines, la neurasthénie amène toujours des moments où tout s'obscurcit, où les choses perdent couleur et beauté ; où la personne arrive à une impasse, au vide, où la vie semble perdre son sens. Alors la prière, à son tour, perd son sens. Les mots ne veulent plus rien dire. Elle perd la conscience de la réalité de Dieu. Elle semble perdue, seule,  dans un désert. Elle est importune à elle-même. Elle éprouve de la répugnance  pour tout ce qui est religieux ; puis du dégoût et de la révolte. La seule chose qui semble garder un sens, c'est l'effort et la satisfaction immédiate d'être. 

 

   Ici encore, si nous voulons essayer de voir quelle attitude il convient d'adopter, il nous faut garder un juste milieu. Avant tout, il ne faut pas céder trop facilement. Souvent les difficultés sont moins graves qu'elles ne le paraissent, et une bonne reprise en main suffirait à leur faire perdre du terrain.

En réalité, la difficulté véritable, c'est, comme nous l'avons déjà noté plus d'une fois, que l'individu n'aime pas prier. Il y a là un fait dont il faut tenir compte ; la répugnance pour la prière prend prétexte de tout pour s'autoriser à dire que la prière est impossible et inutile. Un seul remède : couper court à ces prétextes. La prière sera pénible, et on aura l'impression qu'elle n'a pas de sens. Mais, sans aucun doute, une telle prière est intérieurement féconde. Elle accroît la solidité et la force spirituelles, et contribue à la formation de ce qu'on appelle dans la vie spirituelle, le caractère.

Et puis, dans ces périodes difficiles, Dieu est à l'œuvre. Un grand saint comme saint Antoine a connu l'épreuve qui a affecté sa vie spirituelle. Une fois qu'il eut surmonté sa détresse, il demanda : " Où étiez-vous Seigneur, pendant tout ce temps ? " Et il lui fut répondu : " Plus près de toi que jamais."  Par conséquent ces temps d'épreuve, de combat spirituel, sont des périodes que nous devons vivre uniquement dans la foi et la fidélité. C'est sur cette foi et cette fidélité à la prière que l'avenir s'élabore. 

 

   En ce qui concerne les crises morales, le sentiment du péché, et l'impression de ne pouvoir prier en cet état, il ne faut pas, ici non plus, être sentimental. Si l'on a été capable de faire le mal devant Dieu, on est capable aussi de venir devant Lui, chargé de ce mal. On aurait tort de considérer la conscience de la culpabilité, et l'amour propre blessé après le péché, comme une barrière entre Dieu et soi ; car à le prendre ainsi, cette barrière pourrait devenir infranchissable et du coup ces sentiments serviraient encore de prétexte à se dispenser d'une prière difficile. Si quelqu'un à des reproches à se faire, qu'il reconnaisse sa faute, mais que pour le reste il continue à servir et à prier Dieu. S'il en éprouve quelque honte, c'est tout bénéfice, et il n'a qu'à porter sa honte.

 

   Pour sortir des périodes de prière difficile, il peut être utile de changer le genre de textes dont on se sert habituellement comme matière à méditer. Les choses neuves, qui ne sont pas encore usées, intéressent toujours. Peut-être suffit-il aussi de modifier sa manière de prier. A la place du dialogue personnel, on peut adopter la lecture méditée et priante… Ou, au contraire, on s'appuie sur des prières très classiques.

Qui n'a pas compris que le Notre Père est vraiment une prière divine, précisément parce que, dans les périodes de crise, il peut encore venir du cœur, alors que toutes les autres prières sont marquées par le dégoût ? On peut dire la même chose de la doxologie : " Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ", ou encore de quelques psaumes très simples, comme les psaumes graduels (Ps 119-133). 

Et lorsque rien n'est plus possible, il reste une dernière ressource, qui est de se mettre à genoux et de se confier à Dieu : " Je sais Seigneur que je devrais prier, mais je ne peux pas !" C'est au moins reconnaître ce qui devrait être. 

 

A suivre

+ Romano Guardini - Initiation à la prière - Seuil, 1961

 

Les commentaires sont fermés.