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Le massacre des enfants de Bethléem

[Mt 2,16-18]

C'est alors qu'Hérode, s'apercevant qu'il avait été joué par les mages, fut pris d'une grande fureur. Aussi il envoya tuer tous les enfants qu'il y avait à Bethléem et dans tout le canton de Bethléem, depuis le petit de deux ans et au-dessous, d'après la date dont il s'était enquis minutieusement auprès des mages. Alors s'accomplit l'oracle qui avait été prononcé par ces mots du prophète Jérémie :

         Une voix a été entendue dans Rama

lamentation, et gémissement qui n'en finit plus.

         C'est Rachel pleurant ses enfants.

         Et elle ne veut pas être consolée,

         parce qu'ils ne sont plus. 

   Hérode ne chôme pas, et les effets de sa colère ne se font pas attendre. Il est furieux d'avoir été joué par les Orientaux ; littéralement : d'avoir été traité par eux comme un enfant. Lui qui se sent vieillir, et qui bientôt se sentira mourir, peut-être voit-il, dans cette affaire qui doit lui paraître étrange, une chose de mauvaise augure.

 

 

 

Le ridicule surtout le blesse et l’irrite. Il prend une des ces mesures courantes chez les despotes, et dont la cruauté ne l'émeut guère. Peut-être même pense t-il qu'il faut du sang pour conjurer le sort. Pour l’étendue géographique du massacre, il se règle sur ce que ses scribes lui ont dit : ce n'est pas trop de Bethléem et de tout le district qui en dépend. Pour l'étendue chronologique, il se règle sur ce que les mages lui ont fait connaître concernant l'apparition de l'étoile : il englobe dans le massacre les enfants âgés de deux ans et au-dessous. 

Une vingtaine de petites victimes, ce n'est certainement rien pour le vieil Hérode, et ce ne peut pas être une grave affaire dans l'ensemble du pays, où ce ne sera probablement même pas su. L'antiquité païenne n'a jamais fait grand cas des nouveaux-nés. Et il est probable que ce massacre de tout petits n'aurait pas tant ému, non plus, l'antiquité chrétienne, si elle n'avait vu en eux de petits martyrs du Christ. C'est Lui qui élargit la perspective. Il grandit tout ce qui touche à Lui. 

Assurément, la cruauté du roi dut faire crier de douleur les jeunes mamans comme les vieilles grand-mères du canton . Mais ce fut tout. Ce malheur local n'eut pas, sur le moment, une répercussion plus large. Ce n'est que plus tard, quand il fut raconté parmi les disciples, qu'il dut prendre les proportions d'un deuil  national. On ne douta pas qu'un sort heureux n'eût été fait dans l'au-delà à ces petites âmes ; ont fut surtout sensible à la douleur des mères. Une tradition s'établit, dont Matthieu se fait écho. 

   On se souvint d'un passage de Jérémie, écrit au moment du plus grand désastre national, dans un temps où les enfants du pays, en masse, étaient déportés et massacrés [Jr 31,15]. Le prophète est même cité sous son nom. C'est à remarquer. Dans les citations faites jusqu'à maintenant, aucun prophète n'a été nommé, ni Isaïe, ni Michée, ni Osée ; tous sont restés dans l'anonymat. Jérémie est le premier qui soit appelé par son nom. Il était, ne l'oublions pas, un des plus considérés parmi les prophètes, le plus pathétique d'entre eux, et, en un sens, le plus proche de l'âme juive.

Comprenons cette citation de Jérémie. Rama figure un des hauts lieux de la Terre sainte. C'est une petite ville à douze kilomètres au nord de Jérusalem. C'est là que beaucoup d'habitants du pays furent rassemblés par les Chaldéens victorieux, soit pour être égorgés sur place, soit pour être déportés vers Babylone [cf. Jr 40,1]. Rachel représente dans la circonstance toutes les mères israélites.  Elle fut l'épouse chérie de Jacob, la mère de Joseph et de Benjamin, l'aïeule d'Ephraïm et de Manassé. Elle est, pour ainsi dire, la bonne grand-mère, illustre entre toutes, et toujours émue de ce qui arrive à ses petits-enfants. C'est pourquoi elle est censée sortir du séjour des morts pour venir faire entendre, sur les hauteurs de Rama d'où se voit tout le malheur du pays, une complainte de deuil, une grande voix de lamentation, un gémissement d'outre-tombe. Il paraît à l'évangéliste l'image même de la douleur des femmes juives lors du massacre des Innocents. Bien plus, Matthieu voit dans ce meurtre de quelques enfants juifs une sorte d'accomplissement de l'oracle de Jérémie. Matthieu, qui pèse chaque mot, n'écrit cependant pas que le massacre est arrivé " afin que fût accompli l'oracle " ; il met simplement " alors fut accompli l'oracle "  Un crime aussi abject n'est pas voulu par Dieu. Pourtant, il n'échappe pas aux desseins de Dieu. Le côté "contredit" de la venue du Christ commence  à se réaliser. Nous avons là dans l'évangile de Matthieu le pendant de ce que nous lisons dans celui de Luc sur " cet Enfant en butte à la persécution ". Une tradition juive situait justement sur la route de Jérusalem à Bethléem le tombeau de Rachel. La vénérable aïeule élève donc une fois de plus sa voix d'outre-tombe, et les quelques enfants massacrés sur l'ordre d'Hérode sont pour elle autant que les masses d'hommes égorgés par les Chaldéens. Tout ce qui gravite autour de l'Enfant Jésus emprunte une grandeur émanée de la sienne. Quiconque ne sent pas cela ne comprend pas grand-chose à de tels récits. 

    

A suivre...

P.-R. Bernard,  O.P - Le Mystère de Jésus - Salvator, 1967 

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